« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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samedi 23 novembre 2024

T comme tourment

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

L’Honorable Claude DUNOYER DUPRAZ était parti de Samoëns au début du mois de mars, avec Monsieur GUILLOT Procureur en Tarentaise, frère de Françoise GUILLOT femme de François JAY. Ils étaient arrivés le mercredi suivant dans un cabaret du bourg de St Maurice [Suisse] qui est sous l’enseigne « au lieu de Valais ». Et là étant, il apprit que François JAY et Françoise GUILLOT étaient à Bex [Suisse], ville éloignée du bourg de St Maurice d’environ une heure de chemin.

Il se rendit à Bex, et lorsqu’il les trouva il leur dit que Monsieur GUILLOT les attendait au bourg de St Maurice. Il venait pour leur donner des nouvelles de leurs effets et prendre une procuration pour l’administration de leurs biens.

Alors qu’il les abordait, ils lui dirent que lorsqu’on avait découvert le cadavre de Vincent REY, cavalier dans le régiment de Séville, ils s’étaient sauvés dans la crainte qu’ils fussent que la troupe ne se saisir de leurs personnes. François JAY ajouta qu’il revenait dessus ses pas, et qu’il était même parvenu jusqu’à Taninges, animé par l’empressement de voir comme les choses allaient. Mais ayant trouvés Messieurs CHOMETTY, le Révérend et son frère, ils lui conseillèrent de rebrousser chemin, et il s’en retourna en Valais.

Lorsqu’ils furent tous ensemble dans le cabaret « au lieu de Valais », François JAY conta naturellement à son beau frère GUILLOT comment les affaires s’étaient passées, les tourments qu'il avait subi.

 

Tourment, création personnelle inspirée de Van Ostade
Tourment, création personnelle inspirée de Van Ostade


Monsieur GUILLOT, frère de ladite Françoise GUILLOT, leur conseilla de rester au pays de Valais jusqu’à ce que la procédure fût finie. Il ajouta même que François JAY serait consigné en prison dès que la formalité serait finie. 

François JAY dit encore qu’il avait reçu treize coups, desquels il en fit apercevoir plusieurs au bras et un à la cuisse qui le faisait boiter encore, et qui peut-être le laissera indisposé pendant sa vie entière. Le Révérend Sieur CHOMETTY lui avait donné une boîte d’onguent avec lequel il avait pansé ses plaies, sans que ce Révérend ne lui eut dit qui lui avait donné cet onguent. Françoise GUILLOT ajouta que la Claudine VUAGNAT leur servante avait reçu deux coups, sans avoir dit si c’étaient des coups de sabre ou de stylet, ni à quel endroit elle les avait reçu. Sitôt qu’elle les eut reçus, elle s’était allée cachée au poile.

 

Ce n’était pas la première fois que le cavalier venait ainsi chez les JAY. Une nuit de l’automne précédant, il était venu de Cluses ou de Scionzier son quartier, sur les onze heures. Il était entré par la fenêtre après l’avoir cassée. S’en étant aperçu Françoise GUILLOT s’était sauvée et cachée. Le cavalier, ne la voyant pas, excéda la servante d’un coup de sabre sur la main et lui donna divers coups contre la poitrine. Ensuite il prit du feu avec de la paille et feignit de vouloir l’allumer entre la maison et le grenier, sans doute pour qu’elle dise où était sa maîtresse. Mais ne cédant pas, le cavalier se retira.

Le cavalier avait aussi ordonné à Françoise GUILLOT, quelques temps avant la St André, d’aller à la foire de Cluses, qui avait lieu le lendemain de cette fête. N’ayant pas voulu y aller, elle avait envoyé sa servante. Ayant rencontré ce cavalier, apprenant que Françoise GUILLOT n’était pas venue, il lui avait dit, très en colère : « Vous faitte bien les fiers par la haut, il fautque jy monte pour vous tuer et vous bruler ».

 

 

 

 

vendredi 22 novembre 2024

S comme servantes

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Le matin du vingt six janvier, l’Honorable Claude JAY, cousin au troisième degré et voisin immédiat de François JAY au village de Levy, vit que Claudine VUAGNAT la servante, qui mettait dans la grange de François JAY un traîneau. Celui-ci avait une branche rompue. Lorsqu’il le lui fit remarquer, elle lui dit : « c’est mon maître qui at gaté ce trainaux hier en apportant, de Taninge, des raves pour le Révérend CHOMETTY. »

Claude JAY était bien chez lui la nuit précédente, mais il ne s’aperçu pas que l’on fit le moindre bruit dans la maison de son cousin, ni même que l’on en sortit aucun cadavre ni autre chose pendant la nuit, ni qu’aucun traîneau ne fut conduit de la maison par le chemin d’en haut allant aux Bérouze. 

 

Servantes, création personnelle inspirée d’A. Juillard
Servantes, création personnelle inspirée d’A. Juillard


Si les JAY entretenaient une servante à demeure, la Claudine VUAGNAT aussi accusée, ils faisaient aussi appel à du personnel occasionnel. C’était le cas de Marie Michel PELLISIER, journalière chez Nicolas GUILLOT qui battait le blé depuis la St André [30 novembre], par exemple. Le samedi matin 10 février Jeanne Antoine VUAGNAT femme dudit GUILLOT lui ordonna d’aller laver la lessive à François JAY son beau fils.

Ce qu’elle fit, bien sûr. Vers les dix heures du matin, Françoise GUILLOT femme JAY lui dit : « Allé toujours, la servante et vous, laver la lessive. Je men vay faire un tour, je reviendray pour apporter a goutter. » Marie PELISSIER s’y rendit donc avec la Claudine VUAGNAT la servante de la maison. Et un moment après la Jotte [Josette] PIN femme de Claude SAUGE vint laver avec elles.

En effet, Françoise GUILLOT le lui avait demandé. Comme elle n’avait pas de liaison avec elle, elle ne voulait pas y aller, mais sur son insistance, la jeune femme s’y résolut. Françoise GUILLOT prit le chemin du bourg en lui disant qu’elle allait vers le pont de Clevieux. On ne la revit plus, bien que les servantes restèrent jusqu’à trois heures environ à laver la lessive.

 

Vers les deux heures, quand elles eurent fini de laver, elles retournèrent à la maison JAY, mais elles n’y trouvèrent ni Françoise GUILLOT ni les enfants.

Elles allèrent étendre la lessive dans la loge [galerie en bois placée, comme un balcon, sur la face la mieux exposée d'une maison] qui est devant de la maison. C’est là que Josette PIN fit observer à Marie PELISSIER une chemise de femme et une d’homme qui étaient toutes ensanglantées. Marie PELLISIER remarqua que celle d’homme était fendue sur le devant et entre les deux épaules. Un moment après la PIN lui fit observer une paire de culottes qui étaient sur une planche au soleil et toute ensanglantée.

Elles demandèrent à la servante des JAY « de quel mal guerissait ces chemises ». Celle-ci répondit : « Laisse les, quelles craivent ».

Elle ajouta quand même que François JAY et Françoise GUILLOT avaient été malades quelques temps auparavant, sans leur dire de quelle maladie il s’agissait. Effectivement Josette PIN avait vu que Françoise GUILLOT avait une plaie à la main au dessus du petit doigt, bien qu’elle ne se souvenait pas dans quelle main. Elle ne lui avait pas demandé comment elle s’était fait mal.

 

Après avoir étendu la lessive Marie PELISSIER retourna chez Nicolas GUILLOT son maître où elle trouva les deux enfants JAY. Mais elle ne s’informa pas de qui les y avaient portés ni de ce que la Françoise GUILLOT était devenue. 

 

Le 15 février elle fut auditionnée par le juge DELAGRANGE qui lui présenta une paire de culottes de toile en drap de pays couleur minime, ainsi que deux chemises, l’une d’homme et l’autre de femme. Il lui demanda si c’était les mêmes linges ensanglantés qu’elle avait vu dans le logis JAY et s’ils appartenaient aux mariés JAY. La servante répondit c’étaient bien les mêmes que ceux qu’elle avait vu le jour de la lessive. Elle les reconnaissait aux taches de sang, aux endroits où elles étaient situées, aux boutons, à l’étoffe de drap de pays et la façon. Par contre elle ne savait pas si ces linges appartenaient aux mariés JAY car elle ne leur avait jamais vu porter. 

 

Josette PIN confirma ce qu’avait dit Marie Michel PELLISIER au juge et identifia aussi les linges qui lui furent présentés.

 

Plusieurs personnes croisèrent Claudine VUAGNAT qui se lamentait, comme l’Honorable Jeanne GAUDY veuve de Charles JAY qui l’avait rencontré le samedi 10 février, toute désolée, qui disait : « Hé mon Dieu nous sommes tous perdus ». Entendant cela, elle lui demanda ce qu’il y avait. Elle répondit qu’il n’y avait que trop. Elle se chargea ensuite avec sa mère de deux trousses de linges et se retirèrent toutes les deux. 

 

L’Honorable François Joseph JAY, maçon âgé dix neuf ans, ne la vit pas partir mais quand il la croisa ainsi troublée et la questionna, elle répondit qu’elle ne pouvait le dire mais cependant qu’il y avait bien du mal.

 

Les jours passaient et Claudaz Françoise PARCHET s’inquiétait du sort de sa fille. Le bruit public la disait en Valais. Or, vers la fin du mois de février, elle apprit que François SIMOND allait s’y rendre accompagné de Jean François BURNIER qui se rendait sur un chantier qu’il avait à Bex. Elle vint le rejoindre et le chargea de s’informer de ce que faisait Claudine VUAGNAT sa fille en Valais. Celui-ci accepta la commission. Arrivé au bourg de St Maurice, il s’informa où il pourrait rencontrer la servante. Et ayant appris qu’elle était dans un moulin qui était à côté du bourg, il s’y rendit. L’ayant trouvé il lui dit : « votre mere m’at chargé de vous voir et de minformer de ce que vous fesiez dans ce pays ». L’ayant remercié, elle lui demanda ce que l’on disait à Samoëns. Il lui répondit : « Hé là ! on dit que le cavalier a été tué chez François JAY ». Ce qu’elle nia. Mais il lui répliqua que c’était inutile de nier parce que l’on n’en accusait pas d’autre et que d’ailleurs ils ne se seraient pas sauvés comme cela les uns et les autres.

C’est alors qu’elle lui en fit l’aveu. Elle fit le récit des événements tel que Jean François BURNIER le rapporta au juge mage RAMBERT qui l’auditionna le vingt neuf mars mil sept cent quarante huit, à Bonneville dans sa chambre d’étude et maison d’habitation…

 

 

 

jeudi 21 novembre 2024

R comme relevé

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Joseph BIORD notaire collégié de Samoëns, suite à la demande de Monsieur PRESSET substitut de l’avocat fiscal de le commettre pour procéder à l’annotation des meubles, immeubles, effets et bestiaux de François JAY et de la Françoise GUILLOT mariés, s’attela à la tache. Il devait en outre procéder à la vente de leurs meubles et bestiaux. L’avant-veille, les biens lui avaient été officiellement remis par Me Jean François GUILLOT frère et beau frère des mariés JAY. 

 

Relevé, création personnelle inspirée de Van Ostade
Relevé, création personnelle inspirée de Van Ostade

Il se transporta donc avec Me Pierre GERDIL, représentant le fisc, et accompagné de Jean Pierre SIMOND et de Jean François RUIN, pris pour témoins, depuis le bourg de Samoëns où il demeurait jusqu’au lieu de Levy où étaient situées les maisons et biens des JAY. Là, il procéda à l’annotation des biens, qui consistaient ainsi :

  • Premièrement une maison, composée de deux chambres, une grange, une écurie, le tout situé à Levy, avec un jardin au dessous un grenier et un verger contigu, contenant un demi journal [surface labourable par un homme en un jour] ;
  • Cinq pièces de terre situées à Lachat, aux Esserts, aux Fates, etc…
  • Plus une grange et une écurie au lieu de Lachat et un pré verger contenant un journal et demi.
  • S’ensuivirent les biens qui étaient situés rière les territoires des Rosses et de Lattey [le Latay] qui étaient dans des endroits très éloignés et dans des lieux de montagne et presque inaccessibles à cause de la grande quantité de neige « ce qui nous ayant empeché de nous y transporter, je me les suis fait indicquer par des voisins desdits biens ». Il vérifia ensuite sur la mappe [cadastre] de la paroisse comment ils étaient situés. Il s’agissait de prés et pacquages ou de bois et broussailles. Soit 7 parcelles.
  • Plus encore audit lieu de Lattey une grange, une écurie et une chambre faisant feu [pièce avec une cheminée].

Carte de Samoëns et ses environs

« Ce sont tous les biens appartenant audit François JAY ». Il ne fit pas l’annotation des bestiaux, meubles et effets des mariés JAY et GUILLOT parce qu’une requête avait été présentée à Monsieur le juge mage par Nicolas GUILLOT père et beau père des mariés JAY.

 

En effet Nicolas GUILLOT avait rédigé une requête pour que les biens de sa fille et de son beau-fils ne soient pas vendus aux enchères au profit du fisc « pour sureté des frais de justice auxquels les susnommés pourraient être condamnés ». Il fit valoir que leur fuite n’avait eu lieu qu’à cause de la crainte de tomber entre les mains de la troupe qui avait formé le soupçon contre eux.

Et qu’en général, suite à une telle annotation, la vente des meubles bestiaux et autres effets s’expédiaient ordinairement à vil prix. C’est pourquoi le suppliant, autant animé par des sentiments de charité que par le lien du sang, s’était déterminé à se rendre caution du prix que pourraient se monter les susdits meubles et effets suivant l’estimation qu’en serait faite par l’expert juré de la paroisse de Samoëns.

 

Vu qu’il était notoire dans Samoëns et alentours que le suppliant était solvable au-delà du prix auquel pourraient revenir les meubles bestiaux et effets appartenant aux mariés JAY, le substitut avocat fiscal émit un avis favorable pour qu’il se porte caution. Néanmoins à cause des charges qui incombaient au notaire commis pour l’annotation il accorda la somme de cent livres pour être employée à donner un cours aisé à la procédure. La somme devant ensuite être déposée par ledit Sieur commissaire entre les mains du greffier de la judicature mage, moyennant reçu de la part de ce dernier.

« Bonneville ce second mars mil sept cent quarante huit
Signé par Monsieur PRESSET substitut avocat fiscal
 »

 

Le même jour le juge mage, vu les conclusions du substitut avocat fiscal, accepta que le suppliant soit regardé comme caution. Me BIORD fut autorisé à poursuivre l’estimation des meubles, effets, bestiaux.

 

« État des meubles, bestiaux et effets portés par l’inventaire pris par Me DESSAUGEY avec l’estime de chaque espèce faitte par Honorable Guillaume SIMOND expert juré de la paroisse de Samoëns. »

Le bétail (des vaches, dont « une vache d’environ sept veaux », une génisse de deux ans, un veau, un cochon et trois brebis) fut estimés à 153 livres. Le linge (drap, couverte, tours de lits…) et vêtements (chemise, veste, bas, jupe…) souvent usés et de peu de valeur, furent évalués à 13,8 livres. La vaisselle, ustensiles et ornements (chaudron, pot, tour à filer, « tableau à cadre de noyer représentant la figure du St Esprit »…) valaient 8,9 livres. Les outils (haches, pioche, cardes à carder la laine…) 3,2 livres. Le mobilier (coffres de sapin ou de bois dur) 5,1 livres*. Les récoltes (chanvre, avoine, pois, « prune et cerises séchées ») 21,4 livres.

Soit un total de deux cents huit livres deux sols, « sauf erreur de calcul »**.

 

 

 

 

* Ni table ou chaises ne sont mentionnées, de même qu'aucun lit (alors que draps et couvertures sont décrits). Il devait pourtant bien y en avoir...

** Bon, l’addition que j’en fais donne un résultat de 205,40 livres. Il doit donc bien y avoir une erreur de calcul !

 

 __________________________________________

 

Pour en savoir plus
Les confiscations

Elles sont codifiées dans les Royales Constitutions de la façon suivante :


« La confiscation des biens aura non seulement lieu dans les cas où elle est imposée par nos Constitutions ou par le Droit commun ; mais encore pour raison de la contumace dans tous les délits pour lesquels on prononcera une Sentence de mort ou des galères perpétuelles.

Lorsqu'il y aura lieu à la confiscation pour raison de la contumace, Nous voulons que si les accusés sont arrêtés dans le terme de six mois après la publication & intimation des Arrêts, ou s'ils comparaissent volontairement dans celui de deux ans, ils puissent recouvrer la propriété de leurs biens avec les fruits ; mais s'ils font arrêtés après les six mois, ils recouvreront seulement la propriété, & si on les arrête, on qu'ils comparaissent après les deux ans, ils ne pourront recouvrer ni la propriété ni les fruits.

Dès qu'on aura fait la réduction des biens confisqués, on le notifiera par cri public à son de trompe, ou de tambour, ou d'autre instrument équivalent, devant la porte du Tribunal où la Sentence a été rendue. »

 

 

mercredi 20 novembre 2024

Q comme querelle

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Les deux juges successifs continuaient d’auditionner les témoins. Mais comme dans toutes les procédures, parfois, ils n’avaient pas grand-chose à dire.

Ainsi Jean François AMOUDRUZ, laboureur de la paroisse, déclara ne rien savoir sur l’affaire, si ce n’est qu’il a ouï dire publiquement, sans savoir de qui, que c’était le Révérend chanoine CHOMETTY et François JAY qui avaient tués le soldat. « Cela est si publique que je n’ay pas daigné faire attention à ceux qui me l’on dit. » De la même manière, il savait que le soldat était venu de Scionzier pour tuer ledit chanoine mais qu’il avait subit le sort qu’il lui préparait. « Comme je suis d’un village assez éloigné de celuy qu’habitait ledit François JAY au village de Levy, je n’ay pas appris et ne sais pas autre que ce que je vous dit. »

 

L’Honorable Perrine VIOLLAT avait elle aussi entendu la rumeur de querelle. Elle relata le bruit selon lequel François JAY était alité dans sa maison pour diverses blessures qu’il avait reçu fin janvier, sans savoir qui lui avait fait ses blessures. C’est quelque temps après, le dix du mois de février, que le bruit se répandit que l’on avait trouvé un cavalier du régiment de Séville mort plié dans son manteau dans les bois de Bérouze. Et comme sur ce bruit, le même jour, François JAY, ainsi que Françoise GUILLOT sa femme, et quelque temps après eux, Claudine VUAGNAT leur servante, et encore le Révérend Sieur CHOMETTY chanoine de la collégiale de Samoëns, prirent la fuite et se retirent du côté du pays de Valais.

« L’on a dit publiquement dans le bourg de Samoëns que ces plaies avaient été faites par le cavalier dans le débat qu’il eut lorsqu’il fut tué ». Et depuis l’on n’a pas hésité de dire que tel homicide avait été commis dans la maison de François JAY, et par celui-ci, sa femme, sa servante, et d’accuser le Révérend CHOMETTY de complicité. « Parce que celuy cy, suivant la voye publique, fréquentait lesdits mariés JAY. »

 

Querelle, création personnelle inspirée de Van Ostade
Querelle, création personnelle inspirée de Van Ostade 


Elle confirma qu’elle avait bien vu le cavalier aller plusieurs fois du côté de la maison de François JAY, mais elle ne l’avait pas vu ni entendu y entrer. Comme elle n’était pas entrée dans la maison dudit JAY depuis les fêtes de Noël dernières, elle n’avait pas eu l’occasion de lui parler, ni à sa femme. De cette manière, elle n’avait pas vu les plaies qu’il avait pu recevoir dans le débat qu’il avait eu avec ce cavalier.

 

L’Honorable François Joseph DUNOYER DUPRAZ, le meunier de Madame de St Christophle, était chez lui, au moulin situé auprès de Vallon distant d’environ un quart de lieue du village de Levy : il ne s’était donc aperçu de rien la nuit du vingt cinq au vingt six janvier proche passé. Mais quelques temps après le meurtre du soldat, soit dans le commencement du mois de février dernier, il avait eu l’occasion de voir François JAY dans le bourg de Samoëns. Il l’entrevit marcher tout autrement qu’il faisait auparavant et d’une « fisionomie toute melancolique », comme une personne qui est malade. Il lui demanda ce qu’il avait. Il lui répondit que ses affaires n’allaient « rien qui vaille », qu’il était bien malade, sans savoir l’issue de sa maladie. Il dit qu’il avait entre autres reçu un coup de pied du cheval de Monsieur le chanoine CHOMETTY au côté qui lui faisait bien mal. Le meunier se contenta de lui dire qu’il fallait se conserver.

Et quelques temps après, soit le dix dudit mois de février, le bruit s’étant répandu que l’on avait trouvé ce cavalier mort et plié dans son manteau dans le bois de Bérouze. La fuite des accusés les fit envisager publiquement dans la paroisse qu’ils étaient responsables du meurtre de ce cavalier. Et c’est alors que le meunier se rappela de ce que lui avait dit François JAY au sujet de sa blessure : il pensa que n’était point l’effet du coup de pied du cheval du Révérend CHOMETTY mais plutôt de la querelle ou les débats qu’il avait pu avoir avec le cavalier.

Il se representa [rappela] alors que l’automne précédent, sans qu’il ne se rappela de quel jour ou nuit, ce cavalier était venu à la maison dudit JAY, sur les onze heures de la nuit. Et y ayant trouvé les portes et fenêtres fermées, il brisa les fenêtres, enfonça les volets ou ventaux et entra par une des fenêtres dans la maison. N’ayant trouvé que la servante, il lui lâcha un coup de sabre sur une des mains, qui lui fit une grande plaie qui l’avait laissée très longtemps indisposée. Et la Françoise GUILLOT s’étant allée cacher dans un cavot qui est au dessous du poile [chambre, salle commune], le cavalier, piqué de ne pas la trouver dans la maison, s’en fut chez Nicolas GUILLOT son père où ladite servante lui avait dit qu’elle était allée. A nouveau ne la trouvant pas, il se mit à faire grand carillon [crierie, grand bruit]. Le meunier l’avait entendu depuis sa maison d’habitation éloignée de celle de GUILLOT d’environ une vingtaine de pas. Il voulu même donner des coups de sabre audit GUILLOT, qui fut obligé de se réduire [cacher] sous un lit pour échapper à sa fureur. Et comme il ne pu pas excéder [frapper] ledit GUILLOT, il se mit à battre le briquet en menaçant de vouloir mettre le feu à la maison. Comme personne ne lui forma aucun obstacle ni réponse, il sortit ensuite de la maison, menaçant d’aller mettre le feu dans la maison de François JAY au village de Levy. Jeanne Antoine VUAGNAT femme dudit GUILLOT, avec Françoise GUILLOT sa fille, fut obligée d’aller garder la maison dudit JAY jusqu’au jour. Le meunier pensa que si ce cavalier avait voulu rentrer de la même façon chez François JAY et l’excéder, il aurait pu être, dans une légitime défense, commis et homicidé lui-même.

 

 

mardi 19 novembre 2024

P comme procédure

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Au cours des investigations, il apparu que le Révérend CHOMETTY avait joué un rôle dans cette affaire. Or, en tant qu’ecclésiastique, il ne pouvait être jugé par le tribunal laïc. L’avocat fiscal général prit donc sa plume :

« A nos seigneurs,
Il résulte, suite à la procédure faite par le Sieur juge de Samoëns à sujet d’un meurtre commis à la fin du mois de janvier, sur la personne du nommé Vincent REY soldat dans le régiment de Séville, que le Révérend Nicolas CHOMETTY chanoine de la collégiale dudit Samoëns se trouve impliqué dans ce délit avec François JAY et la Françoise GUILLOT sa femme. Et comme ledit juge de Samoëns ne peut pas être compétant à l’égard dudit ecclésiastique, et qu’il ne convient pas de faire différentes procédures sur le même fait, le vice fiscal requiert, à ce qu’il plaise au Sénat, de commettre le Sieur juge mage, et en cas d’absence ou d’empêchement le Sieur son lieutenant, qui sont les juges naturels des délits communs contre les ecclésiastiques.

Lettre signée par Monsieur DUFRESNEY 

 

Procédure, création personnelle inspirée de Griffo
Procédure, création personnelle inspirée de Griffo

 

Par cette demande, le juge mage* fut donc requis de poursuivre la procédure.


Horace-Victor SCLANDI SPADA, le Président du Sénat de Savoie, émit un décret énonçant que, suivant la demande de l’avocat fiscal général, le juge mage de Faucigny soit commis dans cette affaire - et en cas d’absence ou d’empêchement son lieutenant à sa place - pour procéder, en l’assistance de l’avocat fiscal provincial.
« Fait à Chambéry au bureau du Sénat le vingt quatre février mil sept cent quarante huit. »


Ce fut donc Me RAMBERT qui reprit le dossier après le juge DELAGRANGE, à partir du 24 février, suivant le décret du Président du Sénat de Savoie.


Deux jours plus tard, le juge mage fut encouragé à poursuivre la procédure. Si toutefois l’official [prêtre délégué par un évêque pour exercer en son nom des fonctions de juge] souhaitait reprendre l’affaire, ce serait au juge mage d’aller chez lui avec l’avocat fiscal, et son greffier, et il reviendrait audit official à interroger les témoins et dicter leurs dépositions à son greffier et à celui du juge mage. Néanmoins l’avocat fiscal général pensa que cette instruction resterait inutile parce que le tribunal de l’officialité de Genève n’avait fait aucune démarche dans ce sens.

« Au reste vous verrez ce qui a déjà été fait qu’il y aura encore d’autres choses à faire, c’est à dire de suivre un peu les accusés après leur fuite pour savoir ce qu’ils disent. »

L’histoire de la soutane d’été du Révérend CHOMETTY (voir la lettre H de ce ChallengeAZ) revint dans la procédure puisqu’il paraissait qu’il la portait immédiatement après la découverte du cadavre, sans doute pour qu’on ne vit pas le sang qui était sur celle d’hiver. « C’est un fait à éclaircir. »

« Chambéry le 26 février 1748,
Votre très humble très obéissant serviteur DUFRESNEY
 »

 

L’avocat fiscal de la province de Faucigny s’adressa à son tour à son juge mage, puisqu’à l’occasion du meurtre commis, plusieurs particuliers de Samoëns (notamment les nommés François JAY et la Françoise GUILLOT, mariés, et le Révérend Nicolas CHOMETTY, chanoine de la collégiale) étaient soupçonnés et qu’ils se trouvaient évadés ante inquisitionem [avant l’enquête]. Or la peine qu’ils pouvaient encourir était non seulement corporelle mais aussi ensuivie de la confiscation de leurs biens.

Il proposa donc de commettre Me BIORD notaire collégié, ou tel autre notaire résident rière Samoëns, pour procéder à l’annotation [état et inventaire des biens saisis et marqués par l’autorité de justice sur un criminel ou sur un accusé] des biens meubles et immeubles, effets et bestiaux desdits mariés JAY. Et comme les effets et biens dudit Révérend CHOMETTY se trouvaient sur le territoire de la Taninges, il demanda de commettre Me MONTANT, notaire collegié résident en ce lieu-là, pour procéder de même à l’annotation, en l’assistance du syndic ou de Me JACQUIER.
« Signé par Monsieur PRESSET substitut avocat fiscal provincial »

 

 

 

* Pour se remettre en mémoire les rôles attribués aux différents juges de Savoie, voir la rubrique « Pour en savoir plus » de l’intro de ce ChallengeAZ.

 

 

lundi 18 novembre 2024

O comme observations

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT


Après les déclarations de différents témoins et la visite faite au domicile des JAY, le juge avait cherché à en savoir plus sur les trous des vêtements, le couteau et les blessures du soldat. 

 

Observations, création personnelle inspirée d’A. Juillard
Observations, création personnelle inspirée d’A. Juillard


Il  présenta donc à Me Noël DELACOSTE le chirurgien la chemise d’homme qui avait sept coups de couteau : trois à la manche gauche (un sur le devant et deux sur le derrière du bras), deux au rein, un sur l’épaule, et l’autre un peu plus bas. Elle avait aussi deux boutonnières au bord du col et deux à chaque manche, dont l’une était rompue. Ladite chemise de toile mêlée était mouillée et ensanglantée en plusieurs endroits. Il présenta aussi des culottes de drap de pays de couleur minimes, qui avaient un coup de couteau sur la fesse gauche, avec un bouton jaune à la ceinture de la culotte. La ceinture était doublée d’une toile neuve ensanglantée du côté gauche, quatre boutons de la même étoffe, et des jarretières au bas des culottes.

 

Et après avoir fait enlever les cachets de l’étui à couteau de cuir, tendant sur le rouge au dessus, et au dessous couvert d’un cuir noir, de la longueur d’un pouce [2,5 cm], le juge somma ledit chirurgien de lui déclarer si le trou qui était plus près du bas de la chemise et celui qui était sur la culotte pouvaient avoir été faits du même coup. Et si tous les coups qui étaient dans la chemise et celui qui était dans la culotte avait été faits avec le même couteau. Et si ceux qu’il a observés dans la cuisse du cadavre de Vincent REY lors qu’il procéda à la visite le dimanche précédent avaient été faits avec la même arme. Comme encore si tous les coups pouvaient avoir été faits avec le couteau, auquel l’étui qu’il lui exhibait servait de gaine.

 

Le chirurgien confirma que le trou de la culotte et celui de la chemise avaient bien été faits du même coup, parce qu’ils étaient tous les deux à travers et qu’ils donnaient tous les deux sur le même endroit. « Et quoy que le troup quil y a dans la cullotte soit un peu plus large que celuy de la chemise, cela nempeche pas quil n’ayent été fait de la même arme ». En effet, la culotte étant plus près que la chemise du large de la lame, son trou devait aussi être plus large que celui de la chemise. De toute évidence, les trous étaient presque aussi larges que la gaine à couteau, ainsi que ceux observés dans la cuisse du cadavre de Vincent. En conséquence, le chirurgien conclut que tous les trous et les blessures devaient avoir été faits avec le couteau qui était dans l’étui.

 

Le juge prit l’avis d’un second chirurgien, Me Jean François DUSAUGEY. Il lui présenta à son tour les vêtements et le somma de déclarer s’il croyait que les coups avaient été fait avec la même arme et si celle-ci pouvait être le couteau qui devait entrer dans la gaine de cuir rouge qu’il lui montra. Le chirurgien pensa lui aussi que les trous avaient été faits avec une arme identique, bien qu’ils soient de largeurs différentes. « Cela n’oppere pas une difference d’arme, mais fait seulement qu’il y a des coups qui ont plus penetré les uns que les autres. »

 

 

 

samedi 16 novembre 2024

N comme nocif

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Avait-on tenté d’empoisonner le cavalier de Séville ?

C’est ce qu’ont semblé insinuer plusieurs témoins, comme le Sieur Jean François FERRIER, qui, le 11 février, discutait avec les nommés DELECHAUX et REVEL, de Cluses, au sujet de la mort du soldat. Le premier lui avait dit qu’il s’était trouvé à Scionzier avec Vincent REY le jour où celui-ci devait être parti sans autorisation. Il était en sa compagnie, dans la soirée, lorsque le soldat avait sorti de sa poche un morceau d’andouille et déclaré : « Voila une landouille que l’on m’a envoyé de Samoëns. Je voulais la mettre cuire mais mes camarades n’ont pas voulu. J’ai bien fait de suivre leur conseil car j’en a donné un morceau à un chat qui est crevé sur le champ. Mais il faut que ceux qui me l’ont envoyé me la payent avant que ce soit demain matin. »

 

Nocif, création personnelle inspirée d’A. Juillard et A.Quin
Nocif, création personnelle inspirée d’A. Juillard et A.Quin

 

L’Honorable Jean François MERMIN, de Scionzier, avait lui aussi confirmé l’histoire de l’andouille empoisonnée. C’était quelques jours après les fêtes de Noël : on avait envoyé au soldat une andouille de Samoëns, qu’il n’avait pas voulu manger parce qu’il avait craint qu’il y eut quelques choses de mauvais dedans. « Mais il ne m’a pas dit qu’il en avait donné à un chat et qu’il en fut crevé et qu’il l’avait enterré ». 

 

Par ailleurs, Jean François MERMIN avait bien connu le soldat Vincent REY du régiment de Séville, parce qu’il logeait chez lui lorsque la compagnie était de quartier à Scionzier. Un soir, sans se ressouvenir duquel, sur environ les sept à huit heures, il lui dit qu’il ne venait pas coucher à la maison, parce qu’il allait être de garde à l’écurie. Il sortit effectivement enveloppé dans son manteau. Il vit alors un petit couteau qui se mettait dans une gaine dont la lame pouvait avoir quatre à cinq pouces de long [10 à 12,5 cm], ne coupait que d’un côté, était pointu et dont la lame pouvait être large d’un pouce auprès du manche, qui était de corne de cerf. Il a assuré pouvoir reconnaître le couteau s’il le voyait mais, hélas, non pas la gaine que le soldat avait refaite entre temps, car celle qu’il avait auparavant étant entièrement gâtée.

 

L’enquête n’a pas pu en savoir d’avantage sur cet épisode. Mais peut-être avait-il augmenté le ressentiment du soldat Vincent REY et nourri sa colère contre les JAY ?

 

 

 

vendredi 15 novembre 2024

M comme meurtrissures

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Les rumeurs vont bon train à Samoëns. Non seulement Vincent REY fréquentait la maison de Levy, comme c’était de notoriété publique, mais de nombreux témoins ont aussi vu François JAY assez gravement blessé.

 

Meurtrissures, création personnelle inspirée d’A. Juillard
Meurtrissures, création personnelle inspirée d’A. Juillard

 

Le Sieur Jean François FERRIER, avait vu à plusieurs reprises Vincent REY fréquenter la maison de François JAY, puisqu’elle n’était guère éloignée de chez lui. Il le voyait depuis son jardin. Il y allait lors de l’après dîner, indifféremment que François JAY fut absent ou qu’il fut dans la paroisse, de nuit comme de jour. L’amitié que portait Vincent REY à ladite Françoise GUILLOT femme dudit JAY était bien connue.

En outre, il avait entendu dire, une quinzaine de jours auparavant, que François JAY se plaignait d’avoir des plaies, qu’il disait avoir été faites par des coups de pied du cheval du Révérend chanoine CHOMETY. Il paraissait même qu’il avait gardé le lit à cause de ces plaies pendant trois à quatre jours. Cependant il ne l’avait pas vu lui même et ne se rappelait pas ceux qui le lui avait dit.

 

Le Sieur Michel ANDRIER se rappelait fort bien que le jour de St François de Sales [24 janvier*] dernier, il vit sortir François JAY de l’église, entre environ midi ou une heure, et que l’ayant salué il vit au front qu’il avait une petite plaie ou une contusion. Mais il ne put pas bien l’observer parce qu’il était éloigné de lui d’environ neuf à dix pas et qu’il s’occupait d’autres affaires.

 

Nicolas BIORD, était un voisin des JAY mais ne les fréquentait pas beaucoup parce que leur maison était un peu éloignée de la sienne. Il lui avait cependant bien dit qu’il avait été malade parce qu’il avait gardé un cheval qui l’avait renversé et maltraité et cela aux environs de la St François de Sales passée. Mais il ne lui avait vu aucune plaie. Françoise GUILLOT sa femme aurait été malade pendant ce temps là aussi, mais il ne l’avait pas vue : c’était seulement un bruit publique. Lui-même n’avait rien su au sujet de sa maladie.

 

Il fallut attendre le témoignage de François SIMOND pour avoir un peu plus qu’une rumeur.

Un jour de la semaine passée, sans se ressouvenir positivement duquel, François JAY vint le trouver chez lui. Ayant su qu’il avait de la fièvre, il venait s’informer de l’état de sa santé et segayir [s’égayer, de divertir] un peu avec lui. « Je le remerciay de sa politesse et luy dit que je ne pouvait point sortir que la fievre m’avais trop fatigué. Il passa une partie de l’après midy avec moy. »

Vers les trois à quatre heures après midi, voyant que la Claudaz Michelle BURNIER sa femme allait goûter, il l’invita à manger un morceau avec eux. Il vit alors François JAY s’assoir avec beaucoup de peine sur un banc, qui était cependant fort haut, et prendre le pain avec la main droite et le mettre entre les genoux pour en couper. Il lui demanda pourquoi il ne se servait pas de la main gauche et pourquoi il s’asseyait avec tant de peine. Il lui répondit qu’il avait mal au bras gauche, de même qu’à la hanche gauche, qu’un cheval qu’il avait emprunté au chanoine CHOMETTY l’avait extrêmement maltraité à coup de pied. Il ne le questionna pas davantage sur ces coups mais il observa bien qu’il avait encore une plaie ou une contusion au milieu du front, large comme une belle faine.

 

Jean François VIOLLAT autre voisin de Levy avait aussi rencontré François JAY blessé. Il lui avait expliqué qu’une dizaine de jour auparavant il avait reçu un coup de pied du cheval de Monsieur CHOMETTY, qui l’embarrassait bien. Sa femme lui avait aussi dit quelques jours avant, vers la St François de Sales, que son mari était malade et qu’il gardait le lit. Il avait été le voir sur les six heures du soir et l’avait trouvé effectivement couché. Lui demandant ce qu’il avait François JAY lui avait répondu qu’il était un peu malade, et que cela n’était rien. Il observait bien qu’il avait une contusion au milieu du front de la grosseur d’une noisette et lui demanda ce qui l’avait fait mal-là. Il répondit que c’était lui-même qui se l’était fait, par le moyen d’une chute. Sur cette réponse, il se retira. Par contre, il ne vit pas si Françoise GUILLOT sa femme avait une plaie au bras ou ailleurs.

 

Claudaz DUNOYER avait souvent travaillé comme journalière chez François JAY pendant le courant de l’été et du printemps passé. Elle avait souvent vu Vincent REY dans cette maison.

Quelques jours avant la St André [30 novembre] elle était à Cluses et elle y avait rencontré le soldat Vincent REY. Il lui avait chargé de dire à la Françoise GUILLOT de venir le trouver à Cluses. Si elle ne venait pas, il viendrait mettre le feu à la maison, et la tuerait. Il lui fit voit un mouchoir d’indienne bleu qu’il lui avait pris quelques temps auparavant et il voulait le lui rendre. Et aux environs de la St André passée, la Claudine VUAGNAT servante dudit JAY lui avait dit que le soldat était venu de Cluses, où il était de quartier, chez ledit JAY. Sur quelques difficultés qu’ils avaient eues, ils avaient fait fermer la porte mais le soldat était entré par la fenêtre de la cuisine. Il avait alors dégainé son sabre et blessé la servante à une main lorsqu’elle avait fermé la porte du poile où elle avait voulu se retirer. Il avait d’abord menacé de tous les tuer, et de tout saccager, et mais à la fin il s’était adouci et était redevenu tranquille. Il était resté jusqu’à deux heures après minuit, puis s’en était retourné à Cluses.

Quelques jours avant sa déposition, peut-être le vendredi passé, Françoise GUILLOT lui fit voir une plaie qu’elle avait à la main gauche, large d’un pouce et demi, près du petit doigt. Elle lui dit que cette plaie l’empêchait de laver la lessive et lui demanda qu’elle lui fasse le plaisir d’y aller, mais la journalière ne le pouvait pas. 

 

Devant ces témoignages, le juge demanda à Me Noël DELACOSTE le chirurgien s’il n’avait pas pansé et médicamenté ledit François JAY et Françoise GUILLOT sa femme. « Il y a plus de deux ans que je n’ay pas mis les pieds chez François JAY du village de Levy, si ce n’est que pour médicamenter un cavalier du régiment de Séville qui y était logé et qui y était malade. Je n’ay donné aucun remedes aux mariés JAY ny pansé aucune playes. Et il y a comme je vous dit plus de deux ans que je n’ay pas été appelé de leur part et ne leur ay donné aucun souin. »

 

Me Jean François DUSAUGEY, aussi chirurgien de la paroisse, n’a pas été appelé dans cette maison-là depuis plus de six mois, ne leur a fourni aucun remède et ne les a pas pansé. « Et, Seigneur, je n’y ay pas été depuis environ le mois de juin ou juillet dernier pour y soigner sa femme dudit François JAY. Et il y a plus dune année et demy que je n’ay pas vendu arssenis [arsenic] qui est la seule drogue que jaye là en fait de poison, n’en ayant plus tenu depuis lors. Et je ne sache pas que les mariés JAY aye été malade. »

 

Me Jean Baptiste BOEGEAT, maître chirurgien du bourg de Taninges, avait vu le Révérend CHOMETTY aux environs du vingt cinq ou vingt six janvier dernier, un des deux jours qui était un jeudi [jeudi 25 janvier**] et qui était jour de marché à Taninges, vers les dix à onze heures du matin. Le Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY chanoine de la collégiale de Samoëns, qu’il connaissait parfaitement pour être natif de sa paroisse, vint le trouver un peu enfarouché dans sa boutique située au bourg de Taninges. Il lui demanda s’il n’avait point d’onguent. « Quel ongan et pour le mettre sur quoi ? » répondit le chirurgien. Le Révérend lui répliqua que c’était un ami qu’il lui avait écrit et qu’il ne lui avait pas demandé quel onguent précisément il voulait. « Il sortit une lettre de sa poche sans me la montrer ny m’en faire la lecture. Et je luy dit ensuite que je ne pourrais point donner d’ongan sans que je ne vis les playes. Et il me dit que vous ne voulez pas m’en donner, je m’en vay ailleurs. » Un petit moment après le chirurgien le vit passer à cheval.

Depuis, au vu des bruits publics, il pensait que le Révérend était venu chercher chez lui cet onguent pour guérir les plaies qu’avait faites le cavalier de Séville, tant à François JAY qu’à Françoise GUILLOT sa femme dans le débat qu’ils devaient avoir eu lorsque celui-ci a été tué. D’autant que ce François JAY avait été obligé de tenir le lit à l’occasion de ces plaies, ainsi qu’il avait été rapporté au chirurgien, sans qu’il puisse dire précisément qui le lui avait rapporté. Il parait d’autant plus probable que ce Révérend Sieur CHOMETTY, suivant le même bruit public, était très bien avec ledit JAY et même accusé de complicité de cet homicide. Mais le témoin reconnu cependant que ce même bruit public n’avait pour fondement précisément que la fuite des mariés JAY et du Révérend Sieur CHOMETTY, aussitôt qu’ils s’étaient aperçu que l’on avait découvert le cadavre dans les bois de Bérouze.

 

 

 

* Ce n’est pas logique : François JAY ne peut être blessé qu’après le 26 janvier (pas le 24). De même les soldats espagnols à la recherche de leur déserteur sont venus à Samoëns le 26 et non pas quelques jours avant la St François.

** Ce devait plutôt être le vendredi car le jeudi personne n’était encore blessé.

 

 

jeudi 14 novembre 2024

L comme linges

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT


Lorsque le juge fit la visite dans la maison de François JAY le 12 février, il demanda à Me Antoine Joseph DUSAUGEY, notaire collégié et châtelain, de faire procéder à une description des effets qui était dans la maison de Levy, et d’en charger un gardiateur pour que rien n’en soit soustrait. François JAY, sa femme et leur servante avaient alors abandonné la maison depuis deux jours et l’avaient laissé ouverte. Le lendemain, alors qu’il procédait à la description demandée qu’il n’avait pas terminé la veille, « et ne l’étant pas même encore asteure » [à cette heure], il trouva dans le poile [pièce de vie de la demeure savoyarde] les linges ensanglantés en présence des gardiateurs Pierre SIMOND et Claude DEFFAUG, pris pour témoins pour l’assister dans ladite description. 

 

Linges, création personnelle inspirée de Van Ostade
Linges, création personnelle inspirée de Van Ostade

 

Sur le lit qui est le plus près de la fenêtre, parmi un tas de linge qui paraissait nouvellement lessivé, se trouvaient deux chemises, l’une d’homme et l’autre de femme, toutes tachées de sang. Il y avait aussi une paire de culotte de toile de couleur minime [qui est d’une couleur tannée, fort obscure, comme celle de l’habit des religieux minimes] faite à la Française, qui étaient aussi tachée de sang. « J’y bien cru devoir les faire mettre au coing pour vous les exhiber ». Il y avait également une petite veste couverte de toile de rite sans manche qui n’avait des boutonnières que d’un côté et des gros boutons rouges de fillet [fil ?] de l’autre côté, sur laquelle on voyait de même des taches de sang, notamment à la troisième boutonnière.

La chemise d’homme était déchirée sur environ quatorze pouces [35,56 cm] au milieu des deux épaules et depuis un pouce [2,54 cm] du bord du cou. Il y avait une tache sur le côté gauche de la fente, qui paraissait être un reste de sang qui ne s’en est pas allé à la lessive. Et cette tache tendait même jusque dans la manche gauche. Il y avait d’autres taches et déchirures encore à différents endroits de la chemise. Il n’y avait pas de boutonnière autour du col mais apparemment on l’attachait avec du fil, comme on en voyait encore des petits bouts.

La chemise de femme était beaucoup plus tachée de sang que celle d’homme. Il y avait une tache au bras gauche qui était presque tout à fait noire. Il y en avait d’autres sur les deux côtés du sein qui étaient plus grande que la première mais pas si noire, s’étant mieux en allée dans la lessive. Il y avait de plus différentes autres taches de sang dans différents endroits de la chemise, sur les manches. Elle avait été ouverte [déchirée] au devant jusqu’aux creux de l’estomac.

De même que dans la veste, il y avait dans les culottes un trou de la largeur d’un petit doigt qui paraissait avoir été fait avec un couteau. Et quoique ces culottes aient été lavées, on observait qu’il avait coulé du sang du trou jusqu’au bas de la culotte, grâce aux vestiges et les traces qui en restaient. D’autres taches étaient situées sur le devant du gousset [petite poche]. Les culottes ne paraissaient pas avoir été doublées et elles avaient quatre boutons de chaque côté ainsi qu’une jarretière de même étoffe et une boutonnière à chaque jarretière. Elles étaient ouvertes en devant et avaient un gros bouton jaune à la ceinture.

 

Le juge ordonna à Me VUARCHEX de garder les chemises, veste et culottes et d’en saisir le greffe pour en conserver toute identité de corps de délit. C’est après y avoir apposé sur cire rouge son cachet ordinaire, représentant un chevron traversant où sont trois liquernes et deux poules dessus et une dessous. En foi de quoi il dressa son rapport et le signa.

 

 

 

mercredi 13 novembre 2024

K comme Klak

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Le juge apprit par ailleurs que le Révérend CHOMETTY possédait une arme. Son voisin, le Discret Claude François DUNOYER qui habitait une maison éloignée de trente à trente cinq pas de la sienne, et dont les fenêtres donnaient sur celles du Révérend, l’affirma en témoignant à son tour : Un soir il l’entendit depuis son lit. Se levant et se rendant à sa fenêtre, il le vit entrer chez lui et plus précisément dans sa cuisine, parce que la porte faisait du bruit et qu’on distinguait parfaitement ce bruit-là parmi plusieurs. 

 

Klak, création personnelle inspirée de M. Manara
Klak, création personnelle inspirée de M. Manara

Et avant d’entrer dans sa cuisine le Révérend lâcha un coup de pistolet. Deux heures sonnèrent immédiatement après. « Je ne sais point d’où le Révérend CHOMETY venait mais il ne pouvait venir que du côté de la place du présent bourg, suivant le bruit qu’il avait fait en venant qui provenait de ce côté. » Si le témoin ne se souvenait pas exactement de quelle nuit il s’agissait, il pensait que c’était trois ou quatre nuit avant la St François de Sales [24 janvier] précédente. En effet, c’était le lendemain, qu’étant allé à Taninges, on lui avait dit qu’ils avaient bonne compagnie à Samoëns, qu’il y était venu un maréchal des logis et deux soldats du régiment de Séville qui venaient chercher un autre soldat auprès de sa maîtresse, mais qu’il n’y était pas. Il devait avoir déserté.

Il entendait très souvent le Révérend CHOMETTY rentrer fort tard et même après minuit. Il savait bien qu’il portait des pistolets de poches et même qu’il en avait acheté un du brigadier nommé LA RAISSE pour le prix de huit livres.


Le Sieur Joseph GUILLOT natif de Charraz [Charrat, Suisse] et habitant de la paroisse de Samoëns, corrobora ce fait :

« J’habite et couche dans une chambre d’une des maisons du Sieur procureur RIONDEL d’Annecy qui m’a été louée par le Révérend chanoine CHOMETTY, que je say s’appeler Nicolas, lequel occupait cy devant l’appartement dessous de ladite maison. » Lui aussi avait remarqué le bruit particulier que faisait la porte de la cuisine du Révérend CHOMETTY et l’entendait souvent jusqu’à deux ou trois heures après minuit. Par contre, il ne savait pas qui ouvrait et fermait cette porte parce qu’il n’avait pas cherché à le savoir.

Contrairement à son voisin, il n’avait pas entendu tirer des coups de pistolet avant la St François de Sales précédente au devant de la maison. « Et quant même je l’aurais ouï, je ny aurait pas non plus fait attention parce que il y a des Valaisans qui en tirent beaucoup en venant se promener dans la paroisse. »

A l’heure où il déposait, cela faisait plusieurs jours qu’il n’avait pas vu le Révérend CHOMETTY. Le dimanche après midi, alors que des personnes le cherchait, il observa qu’il n’y avait plus personne dans la maison, que les volets des fenêtres en étaient fermés et qu’il n’y avait plus aucun meuble dans la cuisine, dont le plancher était tout sale et remplis de paille. La porte de la cuisine n’était pas fermée à clef. C’était peut-être pendant la nuit que tout avait été debagagé.

Le témoin précisa que le Révérend CHOMETTY ne confessait plus et qu’il y avait plus d’une année qu’on lui avait enlevé son admission.

Il confirma qu’un nommé LA RAISSE, brigadier des employés, lui avait vendu un pistolet de poche pour le prix de huit livres.

 

Me Noël DELACOSTE, le chirurgien avait lui aussi appris par le bruit commun qui se répandait depuis longtemps que le Révérend chanoine CHOMETTY fréquentait presque tous les jours la maison de François JAY située au village de Levy. Il l’avait vu aller très souvent pendant le jour mais jamais pendant la nuit. Il savait aussi qu’on lui avait enlevé la confession il y a plus d’une année.

Le jour de Notre Dame [Nativité de Notre-Dame, le 8 septembre] de septembre dernier, revenant de la foire de Megève il s’était arrêté à Magland [à 26 km de Samoëns] pour y entendre la messe. Il y rencontra Claude Joseph JACQUARD qui l’invita à aller boire un coup avec lui. En y allant ils croisèrent le Révérend chanoine CHOMETTY avec François BURNIER tous deux de cette paroisse, que ledit JACQUARD invita de même à déjeuner. Ils déjeunèrent sur environ les dix heures du matin. Et après déjeuner ils repartirent chez eux. Le Révérend CHOMETTY s’en fut à cheval. Il tira alors un pistolet de sa poche et lâcha un coup en l’air. 

 

 

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Pour en savoir plus
Le port d’armes

Il est codifié dans les Royales Constitutions de la façon suivante :

« Permettons à toutes personnes le port des armes longues à feu & des pistolets ; on ne pourra cependant porter les pistolets que dans les fourreaux […]  mais jamais sur eux & moins encore à la ceinture, sous peine de soixante écus, & subsidiairement de deux ans de galères.

On sera aussi censé abuser du port des armes, lorsqu'on les portera dans les bals ou noces, dans les endroits où il y aura concours de peuple à l'occasion de quelque Fête, ou pour d'autres motifs; comme encore lorsqu'on les portera de nuit en errant par les Villes, terres & autres lieux ; la peine de ceux qui en auront ainsi abusé sera de vingt ans de galères, s'ils sont mage urs.

Défendons non seulement de porter des pistolets courts, des balestrins, stylets, poignards, couteaux à la Génoise, & autres armes fuselées, mais encore de les retenir dans les maisons, sous peine aux contrevenants, quant au port, de dix ans de galères, & pour la rétention, de celle de cinq.

Nous défendons aussi le port des couteaux à pointe, vulgairement appelles couteaux à gaine […] à peine de cinq ans de galères. Nous exceptons ceux à qui ces couteaux sont nécessaires pour l'exercice de leur métier, pourvu qu'ils n'en abusent pas. »

 

 

 

mardi 12 novembre 2024

J comme jules

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

De nombreux témoins déclarèrent attester des relations étroites qu’entretenaient Françoise GUILLOT avec Vincent REY. Ainsi le Sieur Victor ROUGE bourgeois de Samoëns, qui avait bien connu le soldat pendant l’hiver et le printemps où il avait été de quartier dans le bourg (il avait même eu son cheval dans son écurie) avait bien sûr reconnu le cadavre conduit sur un traîneau et mis dans la chambre où s’assemble le conseil de la paroisse. C'était celui de Vincent REY. Il déclara au juge que ce soldat fréquentait la maison de François JAY et il l’avait vu aller très souvent du côté de cette maison. Un bruit public disait qu’il aimait Françoise GUILLOT femme dudit François JAY.

« L’on m’a bien dit aussi, et je crois que c’est Antoine Joseph GERDIL du présent bourg de Samoëns, que le susdit soldat était venu de Cluses où il était de quartier dans le courant du mois de novembre proche passé pour voir la susdite Françoise GUILLOT. » Très en colère, Vincent REY avait alors déclaré audit GERDIL, entre autres, qu’il « fallait qu’il coupasse la soutane du Révérend chanoine CHOMETY si haute qu’il montra le cul ». Il n’avait pas su la raison de ce discours, mais comme il était aussi bien connu que le Révérend chanoine CHOMETTY fréquentait aussi la maison dudit François JAY, où on le voyait souvent, et qu’il était bon ami avec la Françoise GUILLOT femme dudit François JAY… Il n’était pas difficile d’imaginer les raisons de cette colère. 

 

Jules, création personnelle inspirée d’A. Juillard
Jules, création personnelle inspirée d’A. Juillard

 

Le Discret Joseph GERDIL, vers le dix ou quinzième du mois de novembre dernier, se promenait en effet derrière les asle [halles] du bourg, lorsque vers les dix heures du soir, il rencontra le soldat Vincent REY du régiment de Séville. Il était pour lors de quartier à Cluses. Le connaissant parfaitement, ils se saluèrent. « Après quoy je luy demanday par quel hazard il se trouvait icy. Il me dit qu’il était venu trouver la Françoise GUILLOT femme de François JAY de cette paroisse qui luy avait promis du beurre et pour luy rendre une chemise de son mary quelle luy avait porté. » Il lui demanda ensuite depuis combien de temps il était à Samoëns. Le soldat répondit qu’il n’y avait pas longtemps qu’il était parti de Cluses et qu’en arrivant il était allé chez ladite Françoise GUILLOT femme de François JAY au village de Levy. Là, ayant entendu la voix d’un homme qui parlait dans la maison, il était allé vers la fenêtre pour distinguer à qui appartenait cette voix. N’ayant pu le déterminer, il n’était pas entré. Vincent REY lui demanda si François JAY était dans la paroisse et si c’était lui qui était avec la Françoise GUILLOT sa femme. Mais Joseph GERDIL n’en savait rien. Il « luy demanday aussi en badinant s’il n’avait rien à craindre en venant ainsy trouver les femmes des autre et sil n’appréhendait rien de la part du Révérend chanoine CHOMETTY », puisqu’il savait qu’il fréquentait cette maison. Vincent REY répliqua en sortant son sabre de son fourreau : « Voilà ce qui est pour Monsieur CHOMETY si je l’y attrappe. Iceluy veux couper la robe si près qu’il montrera le cu et si l’on ne m’ouvre pas la porte je passeray par la fenestre et il y aurat du carillon. » Après quelques tours en parlant de choses semblables, ils se quittèrent et Vincent REY alla dans cette maison en disant : « Si l’on ne m’ouvre pas il ny aura que Monsieur CHOMETTY qui me le payera. »

 

Les témoignages firent valoir que non seulement Françoise GUILLOT avaient des relations avec Vincent REY, mais aussi avec le Révérend CHOMETTY. Ce que confirma notamment l’Honorable Jean Louis GRENAND, natif de la vallée delit [de Liddes ?] pays de Valley [Valais] habitant de la paroisse de Samoëns depuis environ six mois, au juge RAMBERT.

Il avait bien connu le Révérend chanoine CHOMETTY et se souvenait que plusieurs jours avant la St François de Sales [24 janvier], dans le mois de décembre dernier, en se retirant vers les neuf à dix heures avant minuit, il rencontra ce Révérend CHOMETTY qui allait du côté de la maison de François JAY marié à Françoise GUILLOT.

Et peu de temps après, c’est à dire vers la nuit du vingt cinq au vingt six janvier dernier, il le rencontra encore aux environs de minuit. Il était suivi d’une servante qu’il ne connaissait pas. Il allait vers la maison dudit François JAY. Jean Louis GRENAND se trouvait alors avec un nommé Joseph GALLEY, qui était à présent en Valais, qui lui dit que Françoise GUILLOT était sa maîtresse.

Lors de son témoignage, Jean Louis GRENAND ajouta qu’Anne Christine REY sa femme, ayant appris que le Révérend CHOMETTY s’était sauvé, lui avait dit que cela lui faisait bien plaisir. Elle espérait qu’il ne viendrait plus par ici car elle n’aimait pas les prêtres « qui aimaient à caresser les femmes ». En effet, un jour il était venu chez elle sous le prétexte de voir un tailleur qui travaillait chez eux et il avait voulu l’embrasser