« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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vendredi 20 septembre 2024

Fin de vie

Sentant sa fin proche venir, Marie Charrier (ma sosa 227 à la VIIIème génération) règle ses affaires. Elle n’a que 61 ans environ, mais elle est malade, détenue au lit. Depuis la « chambre basse » de la métairie de Cruhé, paroisse de Noirterre (79), elle reçoit notaire et témoins. 

Extrait testament Marie Charrier 1809 © AD79
Extrait du testament de Marie Charrier, 1809 © AD79 


Dans  cette « chambre, ayant une porte et une petite fenêtre au midi donnant sur le jardin, une autre porte à main droite et communiquant dans une autre chambre, une autre porte et une fenêtre au couchant donnant sur la cour […], dans un lit à main gauche de la cheminée [se trouve] ladite Marie Charrier veuve Paineau malade mais saine d’esprit, mémoire et entendement. » Outre un sens du détail particulièrement entretenu, Me Melon a dû se rêver poète dans une autre vie et, à défaut de vers, il rédige des testaments particulièrement sensibles et délicats. Jugez plutôt :

« Laquelle [déclare] que son âge avancé, les infirmités dont elle se trouve accablée, jointe à une indisposition de santé qui depuis quelques temps lui font apercevoir que, si le temps de sa dernière heure est encore éloigné, elle n’a plus qu’à compter des jours de douleurs. Que dans cette idée elle s’est décidée à prendre des mesures relatives aux biens dont la vie lui laisse la libre disposition ».

Bref, elle met ses affaires en ordre et fait « son testament et ordonnance de dernières volontés ».

La veille déjà, le six novembre 1809, elle avait fait le bilan de ses biens. La communauté qui existait entre elle, son défunt mari et ses enfants, pour gérer la métairie de Cruhé, avait été dissoute trois ans auparavant, le 30 septembre 1806. Un inventaire avait été dressé devant le même Me Melon, notaire à Bressuire. Il résulte de cet acte que ladite communauté s’élevait, déduction faite du passif, à la somme de 9 964 francs. Marie Charrier y était fondée pour la moitié (soit 4 982 francs) et chacun de ses enfants - savoir François, Pierre, Perrine épouse de Jean Lavault, Marie Louise épouse de Mathurin Gabard, Françoise épouse de Jean Gabard (cousin du précédent), et Marie Anne aujourd’hui décédée - pour une douzième partie (soit 830,33 francs).

Mais ayant été observé audit inventaire que Perrine Paineau femme Lavault et Marie Louise femme Gabard avaient eu lors de leur mariage chacune la somme de 400 francs qui avait été prélevé sur ladite communauté, les parties consentirent que, sur l’actif de la communauté, il fut prit une somme de 1 600 francs en faveur des autres enfants, afin d’établir l’égalité entre eux. Le surplus de l’actif de ladite communauté, prélèvement fait, fut divisé entre Marie Charrier et ses enfants, suivant ce que chacun se trouvait fondé. Il restait donc à ladite veuve 4 182 francs, à Perrine et Marie 697 francs (en plus du versement de leurs dots de 400 francs chacune), et pour les autres enfants 1 097 francs.

 

Trois ans plus tard, en 1809 donc, Marie Charrier est « parvenue à un âge où le repos doit se mettre à la place des peines, des soins, des embarras qui depuis longtemps ont altéré sa santé, maintenant toujours chancelante. » Faisant le bilan que, depuis la dissolution de la communauté qui existait entre elle et ses enfants, la portion qui lui en a été départie diminue sensiblement, à la fois parce qu’elle ne peut se livrer à aucun travaux qui puissent faire fructifier ses avoirs et parce qu’il lui coûte continuellement pour se procurer ce qui est indispensablement nécessaire à sa subsistance. D’autre part, elle voit avec satisfaction François Paineau son fils aîné diriger avec soins ses intérêts particuliers et augmenter son avoir par son assiduité au travail et par de sages entreprises. Dans le cas où elle aurait encore plusieurs années à vivre restant seule, son avoir se trouverait entièrement dissipé et ses héritiers totalement privés de ce qu’elle a à cœur de leur conserver.

Partant de ces raisons, qu’elle croit des plus légitimes, elle propose à son fils d’établir une communauté entre elle et lui. Comme il a manifesté le désir de lui prodiguer les secours et les soins qu’exigent sa vieillesse, il a été fait, convenu et arrêté entre eux d’établir une communauté de tous les biens meubles et effets qui leur appartiennent à chacun, à partir de ce jour. L'apport de ladite veuve dans cette communauté est constitué par la portion qu'elle a reçue dans la succession de Marie Anne sa fille décédée quelques mois plus tôt et la somme de 3 673 livres qui lui reste des 4 182 livres de la moitié de l’inventaire réalisé après la dissolution de la précédente communauté en 1806 - Elle a en effet entre temps consommé 509 livres tant pour subsistance que pour traitement dans ses maladies. Ledit François Paineau, pour sa part, y conférera ses travaux, son industrie, sa portion afférente dans la succession de ladite Marie Anne sa sœur et la somme de 1 724 francs qui est entre ses mains en meubles, argent et autres objets mobiliers ; c'est-à-dire 1 097 francs de sa portion d’inventaire que sa mère lui a payé et 627 livres qu’il a gagné par ses travaux particuliers depuis la dissolution de communauté, ainsi que sa mère le reconnaît. Il sera libre à l’une ou à l’autre des parties de dissoudre à volonté ladite communauté ou association. En ce cas, elle sera partagée entre ledit Paineau et sadite mère par moitié.

 

Ainsi par cet acte, Marie Charrier assure sa subsistance pour la fin de vie, dont la santé et si fragile. Mais ce n’est pas tout. Marie désire gratifier plus particulièrement son fils aîné.

Il est vrai que, de ses huit enfants, deux sont morts en bas âge, trois filles se sont mariées et ont quitté le foyer maternel pour ceux de leurs époux. La dernière fille est décédée sept mois auparavant, en avril. Lui reste deux fils, qui demeurent encore avec elle. François l’aîné a alors 33 ans. Le cadet, Pierre est âgé de 26 ans. Tous les deux sont encore célibataires (François se mariera l’année suivante mais Pierre restera célibataire toute sa vie). Marie donc vit avec ses deux fils. Et visiblement ils prennent particulièrement bien soins d’elle et de sa santé chancelante, notamment l’aîné. C’est pourquoi elle souhaite les récompenser de leurs attentions.

 

Aussi elle déclare au notaire, revenu dans la métairie le 7 novembre que, « considérant que François Paineau mon fils demeurant avec moi, et particulièrement depuis la mort de François Paineau mon mari, a dirigé les travaux et les intérêts de la maison. Que sa bonne conduite et son économie a fait fructifier suffisamment le peu que j’avais pour élever mes autres enfants et leur amener une aisance telle qu’ils peuvent […], en tenant la même conduite, se soustraire aux besoins que produit la misère. Que pour cette raison il est de justice que j’offre ma reconnaissance audit François Paineau. Considérant également que Pierre Paineau mon autre fils demeurant aussi avec moi a aidé son frère dans ses travaux, qu’à ce titre il mérite aussi ma gratitude. »

C’est pourquoi elle « donne et lègue audit François Paineau à perpétuité, à lui et aux siens, par preciput et hors part, la quotité de biens meubles et immeubles dont il était permis de disposer par les lois existantes. » C'est-à-dire qu’elle lui donne, par avantage au dessus des autres héritiers, la part maximum de son patrimoine dont la loi lui permet de disposer librement (malgré la présence d’héritiers réservataires, à savoir ceux qui ont droit à une part obligatoire sur la succession).  Elle « charge expressément ledit François Paineau de vouloir, le plus tôt qu’il puisse, faire dire des messes pour le repos de [son] âme, pour la somme de 24 livres, et de donner aux pauvres la quantité de 4 charges de blé seigle et desquelles il voudra bien faire faire la distribution après la récolte prochaine. »

A son autre fils Pierre elle donne, hors sa part de succession, « un lit ou la somme de 72 livres ».

 

Ces dispositions désavantagent ses filles mariées. Marie Charrier en est bien consciente. C’est pourquoi elle précise : « si mes filles et gendres veulent bien me donner ou prouver l’amitié qu’ils m’ont toujours manifesté, ils ne contrarieront d’aucune manière mes intentions telles qu’elles sont exprimées en faveur desdits François et Pierre Paineau leur frère et beau frère et que je considère comme un acte de justice. Pour cette raison je les invite à vouloir respecter ma volonté. »

 

Marie décède dans « le courant de ce mois » de novembre 1809. Mais, malgré des dispositions claires et précises, le fiel de la discorde s’est insinué entre ses enfants. Cinq mois plus tard, les revoilà devant Me Melon pour contester ce testament, si avantageux pour certains et défavorable pour d’autres. Ses trois gendres, Jean Lavaut et les cousins Mathurin et Jean Gabard, pensent avoir des droits à cause de leur belle mère sur ladite communauté établie entre elle et son fils François. Tandis que, de son côté, François Paineau son fils, en vertu du testament précité a, au contraire, la prétention d’obtenir ce que sa mère lui a légué.

Afin de maintenir entre elles l’harmonie qui a toujours existé, les parties ont le présent désir d’entrer en discussion. S’étant approchées, elles ont convenu et ont respectivement arrêté ce qui suit :

  • Tous les meubles et effets qui forment et composent la communauté établie entre ladite veuve et son fils resteront à la disposition et appartiendront en toute propriété à compter de ce jour audit François Paineau.
  • Les autres biens de la métairie de Cruhé appartiendront également, pendant le temps qui reste à expirer de bail, audit François Paineau, sans que les autres parties puissent y prétendre, mais sous l’expresse condition que ledit François Paineau acquitte seul, et sans que les autres puissent être inquiétés, les prix de ferme et contributions qui seront dues à cause de cette métairie.
  • Est attendu que sur la communauté entre ladite veuve et son fils il revient auxdits Gabard, Lavaut et Pierre Paineau les quatre cinquième dans la moitié des effets de ladite communauté, à cause du décès de ladite veuve et en tant que ses héritiers ; lesdits Gabard, Lavaut et Paineau veulent bien se restreindre à la somme de 734,70 francs pour leur portion, ce qui fait pour chacun la somme de 183,67 francs ; en conséquence ledit François Paineau promet et s’oblige de leur payer à chacun cette dernière somme avant un an, sans intérêt.
  •   Au vu de tout ce qui a été convenu ci-dessus, lesdits François et Pierre Paineau désirant recevoir le profit du testament fait en leur faveur par ladite Charrier leur mère, les parties s’accordent à renoncer à toute demande supplémentaire.

 

On le voit, la poésie d’un testament des plus clairs, n’a pas empêché les héritiers de devoir négocier l'héritage et s’accorder entre eux, sous peine d’une brouille à jamais irréversible.

 

~ * ~

 

Avant de terminer, je note ici une curiosité généalogique : Marie, qui rencontre donc le notaire les 6 et 7 novembre pour ses dernières dispositions est, selon les registres d’état civil, décédée… le 30 octobre !

Il n’y aucun doute à avoir concernant l’identité de la personne, fort bien décrite, ni sur les dates des actes notariés, par ailleurs rappelées dans l’acte de 1810 entre ses héritiers. Les déclarations de succession et de mutation indiquent qu’elle est décédée le 12 ou le 13 novembre. Alors, qu’a fabriqué le maire de Noirterre, faisant fonction d’officier de l’état civil, en inscrivant sur son registre le 31 octobre que Marie Charrier est « décédée du jour précédent sur les cinq heures du matin » ? Il n’y a pas d’actes sur le registre avant la fin du mois de novembre. Peut-être qu’à l’occasion du décès suivant, il s’est soudain rappelé qu’il n’avait pas inscrit le décès de Marie Charrier sur le registre et que, ne se rappelant pas bien la date du décès, il a écrit au hasard le 31 octobre ? Ce n’est que mon hypothèse mais, je le crains, cette anomalie généalogique restera sans réponse…


 

 

 

 

mercredi 7 février 2024

#Généathème : mémo archives

Tu n’es jamais allé faire des recherches généalogiques aux archives car elles t’intimident un peu ? Pas de panique ! Voici un court mémo pour t’expliquer comment on fait et te donner envie d’y aller (si ce n’était pas le cas). Selon les départements (ou municipalités) il peut y avoir quelques variantes à la marge, mais dans les grandes lignes le fonctionnement est identique partout. 

 

Vue partielle de la salle de lecture des archives départementales de la Creuse au premier plan, les inventaires © coll. personnelle

Vue partielle de la salle de lecture des archives départementales de la Creuse
au premier plan, les inventaires © coll. personnelle


D’abord l’inscription : c’est gratuit, il suffit d’une pièce d’identité. C’est le/la président(e) de salle (celui/celle qui est derrière le comptoir) qui l'enregistre. Tous les ans il faudra la renouveler, tout aussi simplement.

Tu t’installe à une table (ou bien c’est le président qui te désigne une place, selon l'usage local). Chaque place a un numéro : il te servira pour obtenir les documents.

Ensuite tu déposes une demande de cote (soit par papier soit sur un terminal informatique, ça dépend des départements) : tu indiques ton numéro de carte, celui de la place et la cote. Une cote = un document. Un document ça peut être un registre, une liasse de notaire, un plan, etc…. Chaque document est classé selon une série (exemple : la série E regroupe les actes concernant les familles, les notaires, l'état civil), éventuellement un numéro de sous série qui le précède (exemple 3 E pour les archives notariales) et un numéro d'article qui l’identifie (exemple 407, qui désigne un notaire et une date particulière). Le tout forme la cote (exemple : 3 E 407). Cette façon de classer les documents est appelé le cadre de classement.

En général, les archives fonctionnent par levée : la levée c’est quand le magasinier récupère toutes les demandes. Ensuite il va dans le magasin, cherche le carton ou le registre qui correspond. Puis il redescend en salle de lecture et là tu peux avoir accès à ton document. La levée peut avoir lieu toute les demi-heures ou 45 min ou… là aussi ça dépend des départements.

Donc, après la levée il faut attendre un peu que le magasinier ait tout récupéré et soit redescendu. Ensuite, soit tu viens chercher ton document, soit on l’apporte à la place ; là aussi ça dépend des dépôts d’archives.

Tu peux enfin consulter ton document.

Dans la plupart des archives, tu peux demander plusieurs cotes à chaque levée (ex : maximum 5 documents par levée) mais on ne te laisse regarder les documents sur ta table que un par un.

 

Cas n°1 : tu ne connais pas tes cotes à l’avance

Quand tu arrives en salle, il te faut regarder les inventaires. Ce sont de gros classeurs (ou un ordinateur) qui contiennent toutes les cotes (c'est-à-dire tous les documents conservés aux archives). En général on les repère assez facilement parce que l’ensemble prend du volume ; sinon le président de salle t’indiquera leur emplacement. Disons que tu cherches une liste de tirage au sort militaire : c’est la sous série 1R. Il y a plusieurs bureaux (par exemple un par canton). Tu identifie le canton qui t’intéresse et la date (dans ce cas : année de naissance de l’ancêtre + 20). Cela te donne les chiffres de fin de la cote : par exemple 128. La cote complète est donc 1R128. Il ne te reste plus qu’à reporter le numéro de la cote sur ta demande de document.

 

Cas n°2 : tu connais tes cotes avant de venir

Tu as fait un repérage sur le site internet des archives et tu as trouvé les inventaires (nommés "inventaires" mais peut-être aussi "états des fonds" ou "répertoires"). Ils sont organisés de la même façon qu’en salle, donc tu as identifié la série et la date qui t’intéresse. Tu as fait une liste des cotes que tu souhaites chercher. En arrivant aux archives, il te suffit de les indiquer sur tes demandes.

 

Cas n°3 : tu sais ce que tu cherches

Tu as trouvé ta cote (avant de venir ou sur place). Une fois que tu as récupéré ton document tu peux photographier la page qui t’intéresse (ou noter les infos sur un papier, chacun sa méthode) et passer au suivant. Ça va assez vite, finalement.

 

Cas n°4 : tu pars à l’aveugle

Par exemple, tu as beaucoup d’ancêtres dans un village. Il y a donc un maximum de chance pour que tu les trouve chez le notaire du coin (nos ancêtres passaient leur vie dans les études notariales, pour toutes sortes de raisons). Donc, tu repères la cote du notaire selon son lieu de domicile, la fourchette d’années où tes ancêtres ont vécu. Tu vas recevoir une liasse de notaire. Une liasse, c’est un tas d’actes (en général non reliés). Selon le mode de classement, la liasse peut contenir plusieurs années d’actes notariés ou juste quelques mois, ça dépend du volume : s’il y a peu d’actes, la liasse peut faire plusieurs années, et inversement. Disons que tu reçois l'année 1747 : tu peux alors passer en revue tous les actes voir si le nom de tes ancêtres apparaît (la plupart du temps le notaire a noté le nom des protagonistes et le type d’acte dans la marge, ça permet de les identifier plus aisément). La rechercher est plus longue que dans le cas précédent, mais cela laisse la place à la surprise. On y ait souvent de belles découvertes (inattendues, forcément).

 

En bref, c’est pas si compliqué que ça les archives, c’est juste une question d’habitude et si tu es perdu(e), le/la président(e) de salle est là pour d’aiguiller.

Si tu as l’occasion, je te conseille vraiment d’y aller. On y fait des découvertes très intéressantes et originales (puisque ces documents ne sont pas en ligne).

 

Mais qu’est-ce qu’on peut y trouver, aux archives ? Je dirais tout ce qui n’est pas en ligne ! Pour ma part, j’ai été chercher les fiches militaires de mes ancêtres avant les années 1860 (assez peu publiées en ligne pour cette période). C’est ainsi que j’ai découvert par hasard l’insoumission de Louis.

Je suis une grande adepte des actes notariés qui détaillent les vies de nos aïeux, leurs possessions (voir ici par exemple) ou la vie de leur paroisse (comme l’achat d’un droit de banc dans l’église) ; mais aussi les successions ou le cadastre pour retracer les possessions ancestrales.

En effet, le cadastre est un document réalisé à la base pour payer les impôts. Il est composé de deux éléments : les plans (qui peuvent être en ligne) et les états des sections (qui le sont moins souvent). Les plans c’est joli, mais ça ne te dit pas qui est propriétaire de quelle parcelle. C’est l’état des sections qui détaille le propriétaire, la nature de la parcelle (bois, pré, maison) et, pour les bâtiments, s’il y a plusieurs portes/fenêtres (car les impôts se payaient sur les ouvertures). Si tu veux savoir quelles terres/maisons avaient tes ancêtres, tu dois passer obligatoirement par les états des sections (qui sont, à mon avis, presque plus importants que les plans). Or bien souvent ils ne sont pas en ligne. Avec les plans seuls tu ne peux rien faire. Voir ici quelques exemples d’usage du cadastre en généalogie.

 

Pour finir, je n’ai qu’un seul conseil à te donner : va aux archives et fais-toi plaisir !

 

lundi 1 novembre 2021

A comme Archives, titres et testaments

- Objets et possessions de mes ancêtres à travers les archives notariées -

C’est dans les inventaires après décès que j’ai retrouvé la trace des documents gardés par mes ancêtres :

 

© crcm.it

 

-         "Dans le buffet sous lequel les scelles ont été apposés nous avons trouvé [...] une liasse de papier contenant differentes acquisitions par ledit jean janvion et ses ancetres"

 

Soigneux, les membres de la famille se sont transmis les documents de génération en génération. Évidemment, sans détail, on ne peut pas savoir combien de générations étaient concernées (peut-être une ou deux seulement). On regrette que lesdites acquisitions n’aient pas été davantage inventoriées, mais comme tout est relatif, on ne se plaint pas comparé à la mention qui suit dans le même document :

 

-          "une quesse remplie de vieux papier de famille qui ne méritent pas d’être inventorié" [sic]

 

Plus courant :

-          "S’ensuivent les titres tant ledit jean michel moccand que ledit jean moccand son père" [16 documents sont détaillés : cessions, quittances, émancipation du fils, acquis, obligation, contrat dottal du beau-père]

-          S’ensuivent les titres [31 documents sont détaillés : rentes, cessions, quittances, acquis, contrat dottal, testament du père, ventes, échanges, missives de clients sur lesquelles il y a un reçu attestant d’une somme bien versée]

-          "sensuivent les titres de ladite hoirie* [26 documents sont détaillés : testament du beau-père, ventes, cessions, quittances, échanges, réception de bourgeois, contrat dottal du couple, acte d’état, premier testament du couple, rente] et finalement un saq cacheté de mon sceaux ordinaire dans lequel se trouvent inscris plusieurs anciens titres et papiers concernant l’hoirie dudit nicolas guilliot"

-          "ses papiers [étant] en sa maison de la plagne […] sauf le testament a la honorable nicolarde braisse sa mere reçu par moydit notaire le quinze mars mil sept ces vingt six qui ne sy rencontra pas"

-          "Les tiltres de l’hoyrie : testament, l’assinat du mariage de laditte bernardine jacquinot fait en sa faveur par ledit défunt, le contrat de mariage, des quittances, contrat de vente"

Je ne reviens pas sur les armoires débordantes de papiers (plus de 400 pièces !) de mon boucher préféré, Jean Avalon, qui mérita un ChallengeAZ à lui tout seul : vous pouvez le retrouver en cliquant ici.

 

Sources : Inventaire Janvion Claude, 1796 (Lalleyriat, Ain), Inventaire Buffard Jean, 1707 (Ardon, Ain), Inventaire Moccand Jean, 1739 (Samoëns, Haute-Savoie), Inventaire Moccand Pierre Joseph, 1771 (Samoëns, Haute-Savoie), Inventaire Guilliot Nicolas, 1767 (Samoëns, Haute-Savoie), Inventaire Baud Claude, 1736 (Morzine, Haute-Savoie)

 

* Un mot de vocabulaire vous paraît obscur ? Rendez-vous sur la page lexique de ce blog !

 

 

mardi 24 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre U

 CHAPITRE U

"Une nouvelle virée aux archives s'impose..."


vieux livres


Une nouvelle virée aux archives s’impose ! J’en avais beaucoup appris sur Henri et son environnement en venant fouler sa terre, mais je n’avais pas trouvé la clé du mystère principal : quand et pourquoi Henri avait assassiné sa femme. Je signalai donc par un sms rapide à Charlotte que je revenais aux archives et que si elle avait un moment à m’accorder elle me trouverait en salle de lecture. Alexandre déclara qu’il avait d’autres obligations et qu’il ne pourrait pas m’accompagner. C’est donc seule que je me rendis à Dammarie-les-Lys. 

Le trajet me permit de réfléchir à nouveau à cette histoire. Tandis que je marchai en direction du bâtiment des archives, je sentis un picotement dans la nuque, comme l’impression d’être observée. Je me retournai mais ne vis personne. Je repris ma route… Et ne vis pas la silhouette aux souliers vernis reprendre sa marche derrière moi. 

Arrivée aux archives je voulais explorer plusieurs pistes. Je demandais les premières cotes et pour patienter je me plongeai dans les inventaires à la recherche de nouveaux éléments pour faire rebondir mon enquête. Un archiviste vint me signaler aimablement que mes documents étaient arrivés et avaient été déposés à l’emplacement qui m’était dévolu. Je le remerciais et pris la direction de ma table. 

C’est ce jour-là aux archives que se produisit une anecdote que je n’aurais probablement pas retenue sans les événements qui ont eu lieu peu après. Debout devant ma place, un homme se trouvait en train d’examiner avec soin les registres qu’on avait déposés pour moi, cherchant visiblement une chose bien précise. C’était un petit homme aux yeux vifs et à la mine chafouine. Comme j’arrivai à sa hauteur, il releva brusquement la tête, surpris. Il afficha une mine déconfite comme s’il venait d’être pris en faute, et balbutia quelques mots d’excuse. Quelques secondes suffirent néanmoins pour qu’il retrouve son assurance et passe son chemin.
 

C’est à la pause déjeuner que je retrouvai Charlotte :
- Désolée, je n’ai pas eu une minute à moi ce matin. Mais tu as bien fait de venir : Alcide Bodin a réapparu.
Alcide Bodin ? Ce nom ne m’était pas inconnu, mais je ne parvenais pas à le remettre.
- Le responsable de l’association généalogique locale. Tu sais, je t’en avais parlé.
- Ah ! Oui, ça me revient maintenant. Et donc il est là ?
- Oui.
- Tu lui as parlé de l’affaire ?
- Tu penses ! C’est un archiviste contrarié : ses parents l’ont obligé à reprendre le commerce familial, mais il n’a jamais aimé ça. Du coup il passe tous ses temps libres ici où ses talents et ses aptitudes se sont épanouis. Il compile et classe avec gourmandise. Je crois qu’il a lu absolument tous les documents conservés dans ce bâtiment ! Je te le présenterai tout à l’heure. En attendant, allons manger !

Après le déjeuner Charlotte tint sa promesse : elle rentra avec moi et me conduisit vers le petit homme qui s'était intéressé de si près à mes documents le matin même. Elle fit les présentations. Je ne sais pourquoi, je ne relevai pas son indélicatesse du matin. Charlotte lui rappelai le contexte de l’affaire qui nous occupait et je brossais un portrait rapide d’Henri et sa famille.
- Il travaillait essentiellement pour Houbé, celui qui possédait les tuileries et briqueteries de Mortcerf si ma mémoire est bonne.
D’un ton mielleux il releva :
- Mais oui ! Votre mémoire est excellente. Des archives vivantes… On prendrait sans doute plaisir à vous feuilleter. 

Déjà que je n’appréciai guère le petit homme et ses regards gênants, mais là j’eus carrément un haut le cœur. Je regardai discrètement Charlotte qui étouffait un rire derrière sa main.
- Bon, je vous laisse discuter, j’ai à faire. A plus tard.
Je lui lançai un coup d’œil désespéré, mais elle s’éloigna en riant. Surmontant mon aversion pour la fouine, j’acceptai le café qu’il me proposait.
- Charlotte vous a parlé de ce meurtre que nous ne retrouvons pas. Elle m’a dit que cela vous évoquerait peut-être des souvenirs. Vous avez trouvé quelque chose ?
- Oui, bien sûr… Le meurtre n'en n'était sûrement pas un !
- Quoi ?
 

A compter de cet instant l'intérêt de mon vis-à-vis ne faiblit plus. Aussi longtemps qu’il voudrait me parler, je ne répugnerais plus à l’écouter.
- Voyons, Mademoiselle, si vous entendez des sabots, vous pensez cheval… Pas zèbre. N’est-ce pas ?
- Oui mais…
- Mais rien du tout : s’il n’y a pas de trace de meurtre, c’est qu’il n’y a pas de meurtre. C’est aussi simple que cela.
- Mais… j’ai retrouvé des traces justement : des lettres de dénonciations, des rapports de police, des courriers officiels.
- Et bien, je ne sais pas d’où vous tenez vos sources, mais sachez que la Seconde Guerre Mondiale est une époque que j’ai spécialement étudiée. J’ai dressé des notes particulières pour chaque dossier jugé compromettant. De sorte que si un dossier venait à disparaître – c’est plus fréquent qu’on ne le croit, hélas – je conserverais par devers moi le dossier d’origine, sans mensonge ni fausseté. Puis-je vous demander où vous avez trouvé ces documents ?
- Il m’ont été donnés par une connaissance qui les tenait lui-même de son grand-père. Ce grand-père, aujourd’hui décédé, avait été un voisin d’Henri.
- Hum… Il faut revenir aux recherches premières, passer au crible l'ensemble des éléments, les trier, les classer et peut-être aussi les mélanger. Ne vous inquiétez pas, Mademoiselle, nous allons dénouer cette pelote de laine. Il n'existe pas de verrou qui n'ait sa clé. Voyons voir…
 

Tout au long du trajet du retour je m’étais échinée à trouver un lien cohérent à cette affaire (ou non-affaire ?), en vain. Qu’avait-on loupé ? Je me plongeais dans mes pensées. Un mot prononcé par Alcide - mais lequel ? - avait éveillé un écho en moi. Hélas, je ne parvins pas à m’en souvenir.
Revenue chez Alexandre, je lui exposai les découvertes du jour et l’hypothèse d’Alcide Bodin.
- Un faux ? Mais n’importe quoi ! Et d’abord qu’est-ce qu’il en sait, lui ?
- Ce n’est qu’une hypothèse. Écoute au moins ce qu’il a à dire…
- C’est ridicule !
- Mais tu ne trouves pas ça bizarre, toi, que cette histoire incroyable ne ressorte nulle part ?
- Tu as raison ! C'est une histoire incroyable. Mais ce n’est pas parce que ça ne te plaît pas que ce n’est pas vrai. Tu n'y peux rien ! L’histoire est implacable… et parfois féroce. Nous ne pouvons qu’en hériter et la respecter. Je crains que tu n’aies perdu ton temps aujourd’hui.
Il sourit et pivota sur ses talons.
- Le dîner sera bientôt prêt. Tu dois avoir faim.
 

Un silence pesant régnait sur notre table. Rien à voir avec l’ambiance des jours précédents. Une migraine commençait à poindre. J’avais envie d'aller me coucher. J’avais besoin d'être seule pour réfléchir calmement aux événements du jour. Mais l’atmosphère étant ce qu’elle était, si je montai maintenant, je devrais quitter Alexandre sur un conflit larvé et cela ne ferait qu'empirer les choses. Je dus me faire violence pour trouver des sujets de conversation insignifiants et tenter d’apaiser le climat avant de monter.
 

Une fois dans ma chambre, je réfléchis posément à la situation. Je savais qu’Alexandre était un homme de passion et de conviction, sûr de suivre le chemin qu'il pensait être le bon. Mais s'il avait tort ? Si Henri n’était coupable de rien depuis le début et qu’Alexandre avait simplement refusé de le voir ? Il était si facile de se leurrer quand on était persuadé d’un fait. 



Vers le chapitre V ->

 

samedi 14 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre M

 CHAPITRE M

"Ma patience sera récompensée..."

 

Ma patience sera récompensée. Et ma curiosité. Enfin, c’est ce que j’espérai en arrivant en Seine-et-Marne. Depuis bientôt sept mois que cette affaire titillait mon intérêt, mon déplacement in situ verrait-il la résolution de cette énigme ? 


Cinq heures de train et un petit tour de métro parisien au milieu : le voyage m’avait laissé tout le temps de réfléchir à l’affaire. J'en avais donc profité pour songer à tout ce que j'avais appris jusque là, déplaçant et replaçant les éléments pour obtenir un puzzle sans trou. Cependant il me manquait des pièces : la scène était encore morcelée. J’avais aussi préparé une liste de questions dont les réponses se trouvaient (peut-être) sur place. 


On était en juillet. Je répondais à l’invitation d’Alexandre de venir à Mortcerf, mais auparavant j’ajoutai une étape. J’avais rendez-vous avec Charlotte Paulé, l’archiviste qui m’avait aidée par correspondance et que j’allai rencontrer pour la première fois. 

archives départementales Seine et Marne

Le bâtiment des archives, situé à Dammarie-les-Lys, avait une allure un peu futuriste avec ses différents volumes et son entrée évoquant un sas d’engin spatial. Je déposai mes affaires personnelles au vestiaire et récupérai la clé de mon casier. Je n’avais le droit d’entrer en salle avec absolument rien qui m’appartenait en propre, à part une feuille de papier, à condition qu’elle soit d’un format inférieur à 10 x 15 cm. En contrepartie un kit de consultation (constitué d’un crayon à papier, une gomme, une paire de gants et des poids pour maintenir les documents ouverts) me serait prêté. Je me sentais un peu toute nue, mais je pouvais accéder au saint des saints : la salle de lecture. 


Elle était agréable, bien éclairée grâce à une façade entièrement vitrée. On y retrouvait le mobilier caractéristique des salles de lecture des archives : grandes tables numérotées, lampes individuelles orientables, étagères de livres usuels et d’inventaires. Depuis les meubles en bois composés de multiples tiroirs renfermant des fiches cartonnées jusqu'aux ordinateurs permettant la consultation de documents numérisés : on avait là l’alpha et l’oméga des archives, des méthodes anciennes aux plus récentes. 


Je me fis enregistrer auprès du président de salle qui me délivra ma carte de lecteur (une de plus pour ma collection !). Enfin j’étais prête à entrer dans le vif du sujet.
- Vous avez la place numéro dix, me chuchota le président de salle.
- Je suis attendue par Charlotte Paulé, lui répondis-je sur le même ton.
- Je la préviens tout de suite.
Il m’indiqua d’un geste de la main l’emplacement de la place n°10 et décrocha le téléphone. Je me rendis sagement à la place qui m’était attribuée et attendis l’archiviste. Celle-ci arriva rapidement. C'était une grande femme, élancée, aux yeux verts. Un tailleur strict était assorti à ses yeux. Après les présentations d’usage, elle me proposa d’aller dans son bureau, espace plus convivial où l’on pourrait parler sans déranger quiconque. 


- Dis-moi ce que tu sais et je te dirai ce que je sais.
- Bien, allons-y !
Lorsque j’eus exposé le point où en était l'enquête de mon côté, Charlotte prit la parole. Des boucles s’échappaient de son chignon haut perché sur son crâne. D’un geste mainte fois répété elle tentait, en vain, de les replacer dans le fragile édifice qui menaçait à tout instant de s’écrouler. Cela cassait l'image un peu rigide qui se dégageait d'elle au premier abord et me la rendit tout de suite sympathique.
- Il y a du positif, du négatif et… de l’étonnant !
Avec cette entrée en matière, elle eut droit immédiatement à toute mon attention, pourtant acquise d’avance.
- J’ai trouvé la date et le décès d’Henri.
- Oui, moi aussi !

Les deux décès correspondaient, ce qui était plutôt rassurant (on n’est jamais à l’abri d’un homonyme ou d’une erreur).
- Par contre je n’ai pas trouvé davantage de trace de « l’affaire de Mortcerf ». Ni moi ni mon réseau, que j’ai activé il y a quelques semaines.
Je tordis un peu du nez.
- Dommage ! J’avais espéré que, de ce côté, les nouvelles seraient meilleures.
- Mais ce n’est pas complètement négatif : ne rien trouver c’est bien aussi.
J’agrandis les yeux. Je ne voyais pas bien où elle voulait en venir.
- Comment ça ?
- Et bien, si l’affaire de Mortcerf avait été quelque chose d’important ou de très grave, il y aurait eu des échos : dans la presse, du côté de la justice ou pourquoi pas, ce n’est pas si ancien, dans les mémoires ?
- Oui de ce point de vue, évidemment…
- Le vide n’existe pas : il n’y a que l’apparence du vide.

Hum… Charlotte était philosophe. Elle m’expliqua en détail ses investigations qui, toutes, conduisaient au même chemin de l’absence.
Je gardai le silence un moment, plongée dans mes pensées, pour mettre en ordre tout ce que je venais d’apprendre. Charlotte respecta mon silence, le temps d’absorber ce qui paraissait, à première vue, être un échec.
Relevant la tête, je lui demandai pleine d’espoir :
- Et pour l’étonnant ?
- Quoi ?
- L’étonnant : tu as dis que tu avais « du positif, du négatif et de l’étonnant ».
- Ah ! Oui ! J’ai pris la liberté de faire quelques prospections privées. Et voici ce que j’ai découvert. 


Elle m’expliqua alors dans quelle direction, plutôt étonnante en effet, elle avait mené ses recherches. Et le résultat n’en était pas moins surprenant. Incrédule je la regardai en tâchant d’envisager tout ce que cela impliquait :
- Vraiment ?
- Vraiment !



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vendredi 6 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre F

 CHAPITRE F

"Fébrile, je recevais le colis..."

 

éléments du dossier mystérieux


Fébrile, je recevais le colis. Mon chat Sosa avait dû percevoir un changement d’atmosphère car il ouvrit un œil négligemment, signe caractéristique d’une extrême activité physique pour lui.
- Et oui, Sosa ! répondis-je à sa question muette. Le voilà ! 

Quelques jours après notre entretien téléphonique, Alexandre avait tenu sa promesse et m’avait envoyé les pièces du dossier en sa possession. J’avais craint un moment qu’il ne change d’avis. Puis je m’étais raisonnée : pourquoi le ferait-il puisque c’est lui-même qui m’avait contacté ? Mais j’avais toujours tendance à m’inquiéter pour un rien, c’était plus fort que moi. 

Le colis d’Alexandre se présentait sous la forme d’une grande enveloppe en papier kraft. A l’intérieur une vieille boîte en carton peu épaisse. Je l’ouvris délicatement pour sortir son contenu que j’étalai devant moi ; répétant ainsi sans le savoir les gestes qu’avait fait Alexandre quelques jours plus tôt. 

Je restai un moment à observer les fragments de vie d’Henri. Puis comme à mon habitude, ne pouvant pas m’empêcher de classer les choses, je fis plusieurs tas. Je pris encore un instant pour contempler les pièces du dossier rangées par catégories. L’émotion m’étreignit, tant à cause de la trace affective de ces témoins directs de la vie de mon ancêtre qu’à cause de la charge tragique qu’ils véhiculaient. Sur le bureau étaient rassemblés les photos, les cartes postales, les papiers administratifs, la presse, la propagande, les lettres de dénonciation et les PV de police ou de justice. 

31 pièces. 31 documents, certains petits, d’autres plus grands, qui allaient m’apprendre que mon ancêtre était un assassin. 

Avais-je envie d’apprendre cela ? Si mes mains hésitaient, ma tête avait déjà décidé : bien sûr qu’il faudrait étudier tous ces documents. Même si cela ne faisait pas plaisir. Même si j’appréhendai d’en savoir plus sur cette histoire. C’était nécessaire. De toute façon, je ne pourrais plus dormir tout en sachant que ces documents existent. Quelque soit ce qu’ils ont à révéler. 

Sosa s’était approché. Je le pris dans mes bras pour me donner du courage et me réconforter tout à la fois. Après une grande inspiration, je reposai le chat et commençai l’examen des pièces du dossier. Inconsciemment je choisis d’aller du paquet qui semblait le plus inoffensif au plus compromettant :
- D’abord les photos, Sosa. 

Mais mon chat n’avait pas apprécié que je le repose aussi vite : il s’enroula en boule sur son fauteuil préféré et décida de ne plus m’accorder son attention. 

Si c’est toujours une joie de découvrir le visage inconnu d’un ancêtre, mon enthousiasme fut ici vite modéré. Il y avait d'abord quatre photos de petit format représentant un village que je n’identifiai pas. Je reportai leur examen à plus tard. Les trois photos suivantes étaient de différentes tailles et montraient des personnes. 

Sur la première on voyait un couple dans un jardin. A l’arrière plan une maison. La végétation était assez dense et semblait indiquer une saison de printemps ou d’été. La femme, en robe sombre et ceinture blanche prenait le visage de l’homme dans ses mains et souriait. Elle était coiffée avec une frange rouleau qui dominait sa tête de toute sa hauteur. Une cascade de boucles lui tombait sur les épaules. L’homme était à demi tourné et on ne voyait pas son visage. On devinait la naissance d’un front bombé et dégagé. Il portait un costume et une cravate et tenait la femme par le coude. Tous les deux étaient assez jeunes. La bordure droite de la photo était voilée.
- Qui est-ce, Sosa ? Crois-tu que ce soient Henri et Ursule ? 

Mon chat boudait toujours. Sur la photo suivante on distinguait un couple entourant un enfant posant devant un fond végétalisé. Hélas la photo était très floue : impossible de distinguer les traits des visages. Tout au plus on devinait que l’homme était chauve ou très dégarni, la femme portait un chapeau et l’enfant ce qui semblait être un costume marin ou quelque chose d’approchant. La végétation remplissait complètement l’arrière-plan : pas la moindre construction pour donner un indice sur l’endroit où le cliché avait été pris. Les vêtements étaient plutôt passe-partout et hormis le chapeau de la femme, accessoire qui ne se portait plus guère, il était difficile de les dater. J’étouffai un soupir. 

Le dernier cliché était un peu moins flou : sept personnes posaient en premier plan et une huitième à l’arrière. Au fond on discernait les lancettes d’un chœur d’église mais le porche du premier plan ne semblait pas décoré. Les personnes étaient endimanchées, portant gants et chapeaux. La femme tout à fait à droite portait même une fourrure.
- T’inquiète pas Sosa, c’est pas du chat ! On dirait… Un renard. Je crois même qu’il y a la queue et les pattes. Bon, c’est plus trop à la mode aujourd’hui. 

Je ne reconnaissais aucun des protagonistes et je ne voyais pas assez l’église pour l’identifier. Cependant l’assemblée était assez chic… et retro ; ce qui cadrait bien avec les événements sensés se dérouler dans les années 1940. Au dos des photos il n’y avait aucune indication : ni lieu, ni photographe, encore moins de nom ou de date.
- Bon ! Ça va pas être facile, hein Sosa ?

De ces photos se dégageait le parfum du bonheur, des temps heureux. Avaient-elles été prises avant la tragédie ?

- Voyons les cartes postales. Une seule est écrite, les autres sont vierges. Elle est adressée à Henri... Ben, elle doit pas dater d’hier : si tu voyais l’adresse, Sosa ! « Monsieur Macréau, Mortcerf, Seine-et-Marne ». La Poste serait bien embêtée avec une adresse libellée comme ça aujourd’hui. Ah ! Là on a quelque chose : le texte est signé « Le Floch ». C’est Ursule, Sosa, c’est elle ! Je reconnais sa signature : c’est la même que sur son acte de mariage. 

Hélas elle en disait si peu. Le texte était tout à fait anodin et ne m’apprenait rien. Je retournai la carte : au recto les timbres cachaient le nom de la ville. Le cachet de la poste était trop dégradé pour connaître le lieu et la date. Vaguement déçue je la reposai sur le bureau.
- Au suivant ! Les papiers administratifs… 

Je retrouvai l’original de la carte d’identité qui m’avait été envoyée par mail. Elle datait de 1942 et hormis la mention « aryen » elle ressemblait à celles que j’avais en ma possession pour d’autres membres de ma famille. L’ausweis en revanche était plus inédit pour moi. Il datait aussi de 1942 et autorisait Henri à circuler à Coulommiers…
- « Wohnung » ?
Je réactivai mon allemand scolaire trop vite oublié.
- Où il avait son « appartement » ? J’ignorai qu’il demeurait à Coulommiers ! Pourtant sur sa carte d’identité réalisée trois mois plus tôt il habitait à Mortcerf. Étrange. 

Quant à la presse il y avait trois minces journaux, tous des fragments de La Dépêche. Ils dataient de juin/juillet 1942, au moment où Pétain faisait généreusement don de sa personne à la France. L’un était très abîmé. 

- Le cinquième tas c’est la propagande, Sosa !
Des affiches, des tracts : ils pourraient faire sourire si on ignorait leur contexte. En effet les documents sommaient les Français de rendre les pigeons, interdisait de danser et de bavarder… avec menace de prison à la clé tout de même. Le rappel des réservistes était le dernier document de ce tas, affiche qui marqua le début d’une période bien sombre pour nombre de familles. Je pensai immédiatement aux nostalgiques du passé et me fit la réflexion qu’il est des époques qu’on est bien content de n’avoir pas vécues.

Le dernier document de la pile (mais était-il dans la bonne pile ?) était une circulaire de recherche. Henri y figurait parmi les autres « terroristes » qu'il fallait surveiller étroitement en cas d'arrestation.

- Les lettres de dénonciation maintenant.
Quatre documents dénonçaient mon aïeul : le papillon dont j’avais reçu copie et qui m’avait décidé à en savoir plus, ainsi que trois lettres manuscrites. La première le désignait comme « un homme suspect écoutant la radio anglaise ». La deuxième décrivait Henri comme un homme violent, colérique, menaçant sa femme à plusieurs reprises. Elle n’était pas complète, car seule la première page avait été conservée, mais suffisamment éloquente. Elle se terminait sur un « je suis sûr qu’il lui a… » qui enflamma mon imagination : qu’il lui a… tendu un piège ? tordu le cou ? tranché la gorge ? En tout cas, après ça, le « gentil dénonciateur » disait qu’il n’avait plus jamais revu Ursule. Mais la troisième était la plus terrible : elle était adressée directement au Préfet parce que, à son goût, sa dénonciation précédente n’avait pas été suivie d’une réponse assez ferme de la part de la police. Prendre la plume une fois c’est déjà quelque chose, mais deux fois ! Ça relève de l’acharnement. 

- Enfin les PV.
Étaient-ce les lettres qui avaient déclenché une enquête ? Je l’ignorai, mais quoi qu’il en soit, j’avais devant moi le dernier paquet, celui des PV de police et de justice. Je redoutai son contenu et je dus presque me forcer pour lire les derniers documents qui m’avaient été envoyés. Plusieurs plaintes étaient citées, dont une pièce l’accusant « de façon certaine ». Henri comparaissait tantôt comme témoin tantôt comme inculpé. On avait même donné un nom à cette enquête : « l’affaire de Mortcerf ». La police avait enquêté, mais le Préfet avait aussi demandé à avoir connaissance des pièces du dossier. Si Henri niait, il était évident que la police le croyait coupable. 

Prestement je rangeai les documents dans leur boîte en carton, comme si le fait de ne plus les voir pouvaient effacer le passé. Mais l’image d’Henri en train d’assassiner sa femme s’était inscrite sur ma rétine ce jour-là. Et ne m’a jamais quitté depuis. 



Pour examiner le dossier tout à loisir, cliquez sur ce lien.



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lundi 9 décembre 2019

La Savoie, ce monde à part

Tout a commencé par un article d’Estelle lors du #ChallengeAZ sur son blog « Sur la piste de mes ayeuls ».
Elle a choisi de présenter la Savoie et ses particularités. En effet, longtemps la Savoie n’a pas été française (jusqu'au traité de Turin de 1860) et de ce fait, les sources généalogiques diffèrent quelque peu des sources « françaises ». 


Les états réunifiés à la France en 1860 © www.manuelweb.belin-education.com

Pour moi, assez peu de découvertes puisque j’ai de nombreux ancêtres en Haute-Savoie et je manie ces sources « bizarres » depuis un certain temps. Une exception toutefois : le jour de la lettre S avec un article au sujet du Sénat de Savoie.

En effet, mes ancêtres sont tous situés dans le département actuel de la Haute-Savoie et j’ai facilement tendance à oublier que des sources les concernant peuvent aussi se retrouver aux archives du département de la Savoie du fait de cette unité territoriale passée.

Les habitués de mon blog savent que j’habite très loin de mes ancêtres, si je puis dire ainsi : je ne peux donc me déplacer dans aucun dépôt d’archive directement. Je reste dépendante des archives en ligne. Heureusement de gros efforts ont été faits ces dernières années et ma généalogie a fait de grands bonds en avant au fur et à mesure des nouvelles rubriques sur internet. Un domaine reste néanmoins souvent oublié : les archives judiciaires. Cela reste complètement « terra incognita » pour moi. Je ne sais même pas à quoi cela ressemble.

Pour revenir à la Savoie, je cite Estelle : « Il [le Sénat de Savoie] exerce un rôle considérable : justice, pouvoir réglementaire et administratif, affaires politiques et religieuses. Ses archives sont une source historique majeure qui concerne aussi bien les particuliers que les communautés d’habitants. […] "Gabriel Pérouse […] entreprend […] d’en dresser l’inventaire au moyen d’innombrables fiches. Pierre Bernard, son successeur, continue cette tâche immense et André Perret pourra ainsi dresser le plan de classement précis et achever un répertoire numérique dactylographié."

Et d’ajouter que ces fiches sont consultables en ligne. Aussitôt je me précipite pour voir si mes ancêtres sont des brigands ! Au début je navigue un peu à l’aveugle, le temps d’apprivoiser l’outil, puis mes recherches s’affinent. Et là je kiffe grave !!! Vols, voies de fait, insultes, adultères, meurtres, etc… C’est super (oui je sais c’est mal : mais c’est quand même super !!!).

Je trouve deux affaires qui concernent de façon certaines mes ancêtres parce que leurs noms sont peu communs. La première : voies de fait dans l’église par l’épouse d’un notaire (1688). Je kiffe !
La deuxième concerne un de mes ancêtres dont je ne suis jamais parvenue à trouver le décès. Je vous livre le résumé de l’affaire tel qu’il se présente sur la fiche (1748) :
« Un soldat espagnol est retrouvé mort, son corps lardé de coups de couteau. L’enquête révèle qu’il était amoureux d’une femme marié de Samoëns. Le soldat menaçant a été tué un soir par le mari, aidé de sa femme. Un chanoine, ami du couple, et leur servante, ont aidé les époux à transporter le corps dans les bois. Mais ils n’ont pas pris part à l’assassinat. »
Et devinez quoi : le couple dont il est question ce sont mes ancêtres ! Je kiffe grave !
Sentence : Bannissement 10 ans pour l’épouse et condamnation aux galères 10 ans pour l’époux. Et moi qui ne trouvais pas son décès : tu m’étonnes ! Je kiffe grave grave ! Rebondissement inattendu : « couple gracié par le roi » !
Oh ! bon sang je veux voir les détails de l’affaire. Mais j’habite à 500 km.

Je fais appel au Fil d’Ariane (FDA : association d’entraide généalogique pour ceux qui ne connaissent pas) de Savoie. Comme dans les champs pré-remplis il n’y a pas « Sénat de Savoie » j’envoie un mail au coordinateur pour lui demander si ce type de recherche un peu extraordinaire (dans tous les sens du terme) est possible. Or l’affaire se passe en Haute-Savoie et non en Savoie : il me renvoie donc à ses collègues du FDA74. Là, même scénario : j’envoie mon mail. La gentille Kate qui a l’habitude de mes demandes se déplace aux archives (merci à elle) et, comme je le pensais, me dit qu’il n’y a rien en Haute-Savoie et qu’il faut que je m’adresse directement en Savoie puisque le fonds du Sénat de Savoie se trouve chez eux. Là, je comment à kiffer nettement moins. Ayant à faire à des situations toutes plus ubuesques les unes que les autres avec les diverses administrations actuelles, je crains que pareille mésaventure ne se reproduise ici.

Bref, j’envoie mon fameux mail (il aura été rentabilisé celui-là) cette fois directement aux archives de Savoie, expliquant ce que je cherche, est-ce que le personnel des archives peut faire cette recherche pour moi ou a-t-il d’autres solutions à me proposer et après les formules de politesse d’usage  je signe de mon nom et prénom (qui est Mélanie pour ceux qui l’ignorent).

Quelque jours plus tard je reçois la réponse des archives :
«  Monsieur (donc en Savoie Mélanie est un prénom masculin : OK, je le note pour plus tard), nous vous invitons à venir consulter ces cotes sur place en salle de lecture (comment dire…). En effet, s’agissant de pièces éparses de procédures judiciaires anciennes, nous ne sommes par sûrs de pouvoir déterminer précisément la pièce en question (jugement définitif). ( ??? bon mais si l’archiviste dont c’est le métier ne peux pas trouver une cote, moi je n’ai aucune chance !)
Dans l’attente de vous recevoir, nous vous prions de croire, Monsieur (qui ça ? Ah : oui, c’est moi !), à l’assurance de nos sentiments les meilleurs. »

Bon, OK c'est ma faute : je n'ai pas précisé que j’habite à 500 km et je suppose que le coup de "vous pourriez faire les recherches à ma place parce que je suis un flemmard" ça dois arriver souvent. Par ailleurs, comme je n'ai jamais eu d'archives judiciaires entre les mains je ne sais pas comment cela se présente; mais il me semble tout de même que l'archiviste doit être plus calé que moi en ce domaine (enfin j'espère). Et c'est aussi ma faute parce que j'ai pas précisé que Mélanie était un prénom féminin...

Donc, en conclusion, je peux affirmer que la Savoie est restée un monde à part et que jamais je ne trouverai les détails croustillants de mes supers affaires criminelles. Ah : oui, au fait, je ne kiffe plus. Du tout. Mais ça, vous l’auriez deviné sans doute…

samedi 30 novembre 2019

#ChallengeAZ : Z comme zen

Je me demande toujours si, avant de commencer cet inventaire en 1701, Me Salvetat savait qu’à un moment il allait ouvrir une armoire et tomber sur près de trois cents documents. D’ailleurs tomber est bien le terme : les documents se sont-ils écroulés sur le plancher dès l’ouverture des portes de l'armoire ? Étaient-ils bien rangés ou tous en vrac sans dessous-dessus ? J’aurai aimé être une petite souris pour voir la scène. Me Salvetat a-t-il été aussi surpris que moi ? Ou cette situation faisait-elle partie de son quotidien ?

En tout cas, en ce qui me concerne c’est une situation inédite. J’ai bien quelques ancêtres comptabilisant plusieurs documents notariés mais 400, non !

Ces 400 actes ont été un drôle de cadeau. Et (oserai-je le dire ?) presque un cadeau empoisonné : beaucoup d’informations, mais qui sont restées largement parcellaires. Plus d’une fois je me suis dit « mais où donc ai-je lu ceci ? » sans pouvoir trouver la réponse. J’ai fait tellement de tableaux de synthèse qu’il me faudrait un tableau de synthèse pour en faire la synthèse !

Parfois ce Jean Avalon m’a épuisé… mais céder à la tentation de s’arrêter, de faire une coupure plus ou moins longue est une très mauvaise chose : difficile de reprendre le cours ensuite lorsqu’on a rompu le fil, oublié (ou mélangé) le chemin parcouru. Du coup j'ai été presque "à temps plein" sur cet ancêtre depuis près d'un an !

Vous présenter cette masse d’information n’a pas été tous les jours facile ; j’espère que vous avez pu me suivre et que vous ne vous êtes pas perdu en cours de route.

En tout cas une chose est sûre : si vous trouvez 400 documents pour un seul de vos ancêtres et que vous voulez éviter la crise de nerf, allez vite prendre un cours de yoga pour apprendre à rester zen !

Zen © artmajeur.com

Jean Avalon m'a emmené très loin. Un chemin dont je ne soupçonnais absolument pas l'existence le jour où j'ai découvert son nom pour la première fois. Et maintenant que je crois que je vais m'accorder une petite pause dans la vie de Jean Avalon... Avant d'y revenir sans doute...