« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 16 février 2024

Droit de banc

La veille de Noël 1759 plusieurs notables de la paroisse de Villevêque (49) s’assemblent dans la maison presbytérale, « en présence et avec le consentement de René Riffault prêtre curé dudit Villevêque et de Me Nepveu, notaire royal à Angers et Baugé résidant à Villevêque ». Ils sont là afin d’enregistrer officiellement une vente un peu particulière. Parmi les protagonistes principaux on compte :
  •  Jacques Collin, Maître tisserand, est né en 1713 à Corzé (paroisse voisine), installé à Villevêque après son mariage en 1738 (il est apparenté à ma famille par sa mère, Françoise Rattier : je descends de plusieurs oncles, tantes et cousins de cette famille très « implexée » ; et de la famille de son épouse dont les ascendants sont juchés bien haut dans mon arbre).
  •  Symphorien Lysambard, Marchand fermier dont la fille vient d’épouser le neveu de Jacques Collin, est issu d’une vieille famille de Villevêque. S’il ne sait pas signer, il tient un rôle non négligeable dans la paroisse : il est le marguillier de la fabrique. 
La fabrique d’une paroisse est composée d’un groupe de clercs et de laïcs qui gèrent tout ce qui appartient à l’église, depuis les luminaires jusqu’aux fonds affectés à son entretien. En général, c'est à l'issue de la messe, le dimanche, que les habitants se réunissent en assemblée pour y discuter de toutes les questions matérielles de la paroisse et administrer ses affaires. Tout homme possédant quelques biens (c'est-à-dire ceux qui sont imposables, les propriétaires) fait partie de cette assemblée. Les procureurs de fabrique, ou marguilliers (ils sont deux) sont élus par cette assemblée pour un an afin d'appliquer les décisions prises par elle et agir au nom de la collectivité. Les fabriciens (membres de la fabrique) pouvaient avoir un siège réservé dans l'église.
  •  Laurent Vaugoyau est aussi un marchand fermier, alors âgé de 40 ans, demeurant au lieu de la Métairie aux Clercs en ladite paroisse. Lui aussi est issu d’une vieille famille de la paroisse (et un de mes lointains cousins). Il est l’acheteur dans cette affaire.

Sont présents également, les témoins :

  • Maitre Mathurin René Chauvigné et Christophe Davy prêtres et chapelains de la paroisse,
  • le sieur Vincent Gillet marchand fermier, parrain de la fille de Laurent Vaugoyau,
  • le sieur Gabriel Rataud sieur Du Plais maitre chirurgien,
  • Mathurin Allaire maréchal ferrant,
  • Urbain Peltier marchand.

 

Bref, cette noble assemblée est présente pour concéder et accorder audit Vaugoyau, « sous le bon plaisir de Mr le curé dudit lieux, un emplacement de bancelle en ladite église »

 

© Ministère de la culture

La bancelle est un type de banc, étroit et long. En effet, autrefois il n’y avait que peu de siège dans les églises et ceux-ci étaient très étroitement réglementés. Le droit de banc est un droit honorifique qui permet à ceux qui en jouissent, généralement les seigneurs, d'avoir des places réservées dans une église, une chapelle ou une abbaye, à un emplacement privilégié (au premier rang de la nef ou souvent dans le chœur même).

Aucun canon ne défend expressément aux laïcs d’avoir des bancs dans les églises, mais c’en était l’usage très ancien. Puis cette discipline s’est relâchée pour permettre l’entrée du chœur (on ne pouvait alors y entrer que pour recevoir la Sainte Communion), d’abord accordée aux rois, princes puis patrons et fondateurs d’églises (en général le seigneur du lieu). Une fois l’entrée du chœur permise aux patrons, ils se firent attribuer le droit d’y avoir un banc.

 

L’usage des bancs s’est ensuite généralisé, accordé à trois sortes de personnes :

- le patron ou fondateur d’une église : celui qui a fondé, doté ou bâti une église (droit de banc à droite dans le chœur). Ils ont la prééminence sur les tous les autres.

- les seigneurs haut justicier (à gauche dans le chœur).

- les particuliers et paroissiens (dans la nef) : quiconque veut avoir un banc dans une église doit se procurer un titre, concession faite par le marguillier (ou le conseil de fabrique) qui se fait avec l’avis du curé en échange d’une rétribution en faveur de la fabrique. Rétributions qui doivent être destinées aux réparations de la nef, entretien du pavé ou vitrage. L’usage est de faire passer trois criées, ou publications, et il est libre à chacun de former une opposition. La concession accordée est toujours révocable, personnelle, non transmissible et non vendable. La plupart du temps, les veuves et héritiers sont préférés, après le décès du concessionnaire, à tous autres demandeurs, mais le transfert n’est pas automatique. De même, le droit de banc ne « suit » pas le paroissien s’il change de domicile : il faut alors reprendre une nouvelle concession.

Les bancs sont partiellement et progressivement remplacés par les chaises apportées par chaque particulier. Mais cette pratique a entraîné une lutte pour obtenir les meilleures places, si bien qu'a été mis en place le bail des bancs et chaises (géré par les fabriques qui s’assurent ainsi une bonne partie de leurs ressources financières). Cette coutume se codifie au milieu du XVIIIe siècle et se généralise tant et si bien qu’au XIXe siècle c’est devenu un bien de consommation commun. Finalement le mobilier a été mis progressivement à disposition gratuitement. Mais l'usage pour les notables de la paroisse d'être propriétaire dans les premiers rangs de leurs chaises avec prie-Dieu, sur lesquels ils font graver leurs noms sur des plaques de métal (souvent en cuivre, parfois émaillées) vissées au dossier des chaises, perdure jusqu’au concile Vatican II (dans les années 1960).

 

Le banc concédé à Laurent Vaugoyau pouvait « contenir trois personnes » et était situé « derrière le banc immédiatement appartenant au seigneur Rouillon* au lieu et place de celui du sieur Jean Toupelin ancien notaire royal », le précédent concessionnaire.

Ledit Laurent Vaugoyau « a la charge […] de faire placer ladite bancelle à ses frais ».

Ledit Vaugoyau accepte cette concession tant pour lui que pour ses hoirs (héritiers) et ayants causes (alors que le droit n’est normalement pas transmissible, comme on l’a vu plus haut). Il achète ladite concession « au procureur alors en charge de ladite fabrique [pour] la somme de trente sols [par] an » (l’équivalent de 16,91 €). Le premier payement devant se faire immédiatement et ainsi « d’année en année ». Mais « au cas que ledit Vaugoyau ou ses hoirs et ayants cause ne payent pas exactement chaque année, ladite somme de trente sols il sera loisible au procureur alors en charge de disposer dudit emplacement au profit de ladite fabrique » et de le concéder à autrui.

Le document ne précise pas les raisons qui autorisent Laurent Vaugoyau à acquérir ce droit de banc. Était-il fabricien ? En tout cas il était suffisamment fortuné pour y prétendre.

Il a vécu jusqu'en 1786. A-t-il conservé son droit de banc jusqu'à sa mort ? L'histoire ne le dit pas. Il a été inhumé dans le cimetière, non dans l'église. Ce droit réservé, à l'origine, au haut clergé, fut ensuite accordé aux nobles et fondateurs, puis aux paroissiens, bienfaiteurs de l'église - selon un procédé bien similaire à celui du droit de banc. En 1776 il est interdit pour des questions de salubrité, mais l'édit royal mettra assez longtemps à être correctement appliqué. En tout cas, si Laurent Vaugoyau n'a pas pu être inhumé dans l'église de Villevêque, au moins aura-t-il pu s'y assoir...

 

* Rouillon : Ancien fief et seigneurie avec manoir noble, relevant de l’évêque d'Angers, seigneur baron de Villevêque.

 

6 commentaires:

  1. Coucou Mélanie,
    Que de beaux noms en effet et qui me parlent tellement ! Je suis aussi apparentée à Jacques COLIN mais par sa femme, Marie AUBERT. Laurent VAUGOYAU est l'un de mes cousins, quant aux LYZAMBARD, deux Symphoriens LYZAMBARD sont mes sosas mais pas celui-ci, qui est seulement un cousin... J'aurais bien aimé savoir de quel document il s'agit..
    Françoise

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    1. Je te l'envoie tout de suite si tu veux ?
      Mélanie - Murmures d'ancêtres

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    2. L'église a abandonné l'idée de faire payer bancs et chaises,ou d'avoir un emplacement réservé.pour les notables.
      Ce privilège existait encore dans les années d'après guerre et même après.
      Les chaises étaient louées à une chaisière ,la femme du sacristain d'alors ,petite dame discrète qui passait dans les travées et l'échange de monnaie se faisait de la main à la main.
      Le curé d'alors(1938-1947)avait fait remplacer les chaises bien vétustes de la nef par des rangées de chaises, d'inspiration gothique (très belles)numérotées sur une plaque de laiton.
      Note: Autorisation par L'évêque d'Angers à Françoise de Sesmaisons,veuve de Guy de Laval de mettre un banc dans l'église de Villevêque au bas du choeur.
      (Série E.Titres de famille C.Port.)
      Voir:
      Le 9 6 1668 à Villevêque Baptême de Françoise Reveau,agée de "40 jours"fille de Jean Reveau et de Francoise Oger (vue 14)(anc à la 11é gén).
      Par:Mr Pierre de Laval,chevalier seigneur marquis de La Plesse.
      Mar: Dame Françoise de Sesmaisons ,sa mère,veuve de Mr Guy de Laval ,vivant chevalier seigneur marquis du lieu de La Plesse ,paroissien de La Trinité d'Angers.

      Est ce a l'occasion du baptême de Françoise Reveau ,cette autorisation de l'Evêque à Françoise de Sesmaisons, de mettre un banc dans l'église dans l'église de Villevêque ,au bas du choeur ?
      M@g.




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    3. Merci pour cet article passionnant. J'avais déjà croisé l'expression "droit de banc" mais ne savais pas du tout ce qu'elle recouvrait concrètement.

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