« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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vendredi 15 mars 2024

L'épicerie de la rue de la Roë

Article disponible en podcast !


 

Alexandre Rols naît en 1831 à Conques (12). Il est mon sosa 34. Après un bref passage à Saint-Patrice (37) où il rencontre son épouse, Marie Anne Puissant, il s’installe à Angers (49). Là, il devient concierge à la Banque de France pour quelques années. Il demeure rue Joubert (rue contiguë à la Banque), probablement dans un logement de fonction. 

Alexandre Rols, 1871 © coll. personnelle
Alexandre Rols, 1871 © coll. personnelle
 

Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est la suite. Dans les années 1870 il déménage et ouvre une boutique - dite d’abord mercerie puis épicerie. La tradition familiale le dit marchand bonnetier mais aucune source ne vient corroborer ce métier. Ceci étant mercier et bonnetier sont proches : peut-être est-ce une confusion entre les deux métiers ? Toujours selon la tradition orale, cette boutique était située à l’angle de la rue de la Roë (au n°31) et de la rue Saint Laud (n°18), en centre ville d’Angers.

 

Mais où était-elle véritablement ? Les sources se contredisent sur ce sujet :

  • Dans l'annuaire alphabétique des habitants d'Angers, de 1872 à 1876, Alexandre est dit mercier,  au 26 rue de la Roë. Les deux années suivantes le donnent au numéro 31 (et non plus 26).
  • Pourtant dans les listes électorales de 1872 et 1873 il est dit encore concierge de la Banque de France demeurant rue Joubert. En 1874 on le trouve enfin épicier rue de la Roë (aucun numéro de rue n’est précisé) ; pas de liste en 1875 mais de 1876 à 1878 il bien dit demeurant au 31 rue de la Roë. Disons qu’Alexandre n’a pas fait sa mise à jour sur les listes électorales lorsqu’il a déménagé...
  • Le recensement de 1872 indique son domicile au 34 (sic) et le suivant daté de 1876 au 31.
  • Puis cela se complique encore : son acte de décès en 1879 le dit décédé en son domicile au 25 rue de la Roë.
  • Son inventaire après décès et le registre de mutation nous disent que son domicile est situé au 33 rue des Bas Chemins du Mail (aujourd’hui rue Franklin, à près de 2 km de la rue de la Roë). Ce document cite le fonds de commerce de l’épicerie… situé au n°25 de la rue de la Roë !

Bref, gardons à l’esprit que les sources ne sont pas toujours fiables.

 

Néanmoins plusieurs indices semblent s’accorder pour dire que l’épicerie était bien à l’angle des rues de la Roë et St Laud : c’était donc sans doute le n°31.

 

Vue d'Angers en ballon, 1878 © AM Angers (avec une loupe ajoutée par mes soins)
Vue d'Angers en ballon, 1878 © AM Angers
(avec une loupe ajoutée par mes soins)


Dans l’annuaire, je n’ai pas trouvé s’il y avait déjà un commerce à cette adresse avant Alexandre (mais peut-être que le téléphone n’y était simplement pas installé ?). A-t-il repris une épicerie précédemment établie ? Était-ce un nouveau type de commerce ? Ou une création ex nihilo ? Tout ce que je sais c’est qu’il est locataire et non propriétaire de la boutique et du (des) logements situé(s) dans les étages.

 

L’ensemble est en fait composé de deux parcelles au cadastre, entremêlées l’une dans l’autre (n°1858 et 1859), appartenant à l’origine à Victor Muller (1858) d’une part, et Louis Mabille puis Etienne Livache et sa veuve après lui (1859) d’autre part. Ces bâtiments sont classés dans la catégorie n°1 (la plus haute valeur) et comptaient respectivement 12 et 16 portes et fenêtres. La boutique d’Alexandre semble être la 1858 (à l’angle), mais le « bail d’une maison où s’exploitait le fond de commerce de l’épicerie » a été consenti par la veuve Livache (donc la 1859). La répartition entre commerces, logements et propriétaires n’est pas très claire pour moi ; d’autant plus qu’au rez-de-chaussée de la 1859 existait aussi une autre boutique (une boucherie exploitée par Joncheray dans les années 1870, puis Bourgault à la fin du siècle). Dans les étages vivaient aussi d’autres personnes : des couturières, une lingères et un tailleur par exemple (d'après le recensement en 1876).

 

Cadastre d'Angers, section H (détail) © AM Angers
Cadastre d'Angers, section H (détail) © AM Angers

Une épicerie est un commerce de détail de denrées alimentaires et divers produits sans rapport avec l'alimentation. Ce nom trouve son origine au Moyen Age, époque où la spécialisation des commerces était très importante : l’épicier était celui qui vendait des épices. Celles-ci sont utilisées en cuisine mais souvent considérées comme des produits de luxe, réservées à l'aristocratie. On les trouve aussi chez les apothicaires-épiciers qui délivrent des remèdes à base d'épices (pour toutes les classes sociales cette fois) et dont les vertus thérapeutiques en font autant des médicaments que des douceurs (rappelons que le sucre est, à cette période, considéré comme une épice).

Peu à peu l’épicier se diversifie et inclut divers produits alimentaires dans sa boutique, jusqu’à ce que ceux-ci deviennent majoritaires. Les produits étaient vendus en vrac, emballés sur place par l’épicier.

Progressivement l’industrie agroalimentaire prend de l’essor. Les produits préemballés font leur apparition : des firmes comme Felix Potin développent des paquets d’un poids type (le client n’a plus le choix dans ce domaine) et siglé de sa marque. La généralisation de la pratique de l’appertisation, méthode de stérilisation inventée par Nicolas Appert à la toute fin du XVIIIème siècle (l’aliment est placé dans un récipient étanche et soumis à une température égale ou supérieure à 100 °C, qui détruit les germes qui altèrent la nourriture et la rendent impropre à la consommation) permet le développement de la boîte de conserve et sa vente dans les épiceries. Dans ce type de magasin on peut aussi trouver des produits de droguerie (liés aux soins corporels et à l'entretien domestique).

Comme on le voit dans une série de savoureuses publicités passée entre décembre 1875 et décembre 1877 (63 annonces, tout de même) dans L’Ami du peuple, journal du dimanche édité à Angers (1849/1950), l’épicerie Rols-Puissant est un des revendeurs officiels de la véritable et « délicieuse farine de santé Revalescière du Barry », qui combat une liste de symptômes longue comme le bras (plus de 40 !), de la dysenterie à la mélancolie. Elle faisait partie des élixirs aujourd’hui disparus mais qui soignèrent l’Europe entière. Faisant son entrée en fanfare en 1865 dans la Gazette de Lausanne, elle a connu un pic faramineux en 1899-1900, pour s’estomper ensuite, cassée peut-être par les pastilles Valda, vers 1910.

 

Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1875 © Gallica
Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1875 © Gallica

 

Existe aussi en version enfantine :

Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1876 © Gallica
Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1876 © Gallica
 

Je ne sais pas bien quand l’épicerie d’Alexandre a été ouverte (elle est attestée de façon certaine en 1872). Mais quoi qu’il en soit l’aventure n’aura pas duré très longtemps : elle s’interrompt brutalement avec la mort d’Alexandre en juillet 1879, alors qu'il n’a que 47 ans. Sa veuve n’a pas reprit le commerce de feu son époux (ce qui se faisait pourtant couramment, ces magasins prenant alors de nom de « veuve de… »).

Ce devait être malgré tout une bonne affaire : le couple était assez aisé, comme l’indique son inventaire après décès : à la mort d’Alexandre, ses possessions s’élèvent à 20 990 francs – ce qui correspondrait à un peu moins de 94 000 euros d’aujourd’hui* (dont meubles 1 029 fcs, fond de commerce de l’épicerie 4 696 fcs et immeubles 14 200 fcs). Il laisse l’usufruit de ses biens à sa veuve. Par ailleurs les recensements montrent qu’ils avaient plusieurs employés.

Ainsi dans celui de 1872 on voit notamment Jean Guibert, employé de commerce de 26 ans. Il s’agit en fait de son neveu Jean Pierre, fils de sa sœur Marijeanne et de son époux François Guibert, né à Conques en 1851. En 1876 il est toujours là, bien qu’il soit maintenant prénommé Germain (sans doute un prénom d’usage**). La même année le domicile compte aussi Augustin Astié, employé depuis deux ou trois ans dans la boutique et qui a rapidement épousé la fille aînée de la maison, Cécile Rols (mes sosas 16 et 17).

 

Mais le couple vivait sans ostentation, dans un logement qu’ils louaient, raisonnablement meublé : la valeur des « meubles meublants et objets mobiliers » n’est pas très élevée (seulement un millier de francs). La garde robe de monsieur (qui contient notamment cinq costumes, une jaquette, une redingote et une canne) est évaluée à 80 francs, celle de madame (dont quatre robes, leurs jupons, un châle de mérinos, six bonnets de nuit, quelques bijoux) le double, ce qui n’est pas ahurissant (surtout quand on compte dans son arbre nombres d’ancêtres qui ne possédaient qu’une chèvre, voire rien du tout). Les immeubles qu’ils possédaient - deux maisons donnant sur une cour rue de Bouillon - sont loués (montant total des loyers : 710 francs).

 

Le décès brutal d’Alexandre en 1879 jette famille et employés à la rue. La veuve et sa fille cadette déménagent vers le faubourg St Michel. Le couple Astié/Rols avait déjà quitté l’épicerie : Augustin s’était engagé dans la gendarmerie deux ans plus tôt.

Le fonds de commerce est vendu à des marchands d’Angers, les frères Prost, qui reprennent l’épicerie (dite au n°25 dans l’annuaire d’Angers en 1880), mais de façon très éphémère : l’année suivante ils n’y figurent déjà plus. L’épicerie est reprise par un certain… Germain Guibert !

 

L’adresse exacte de l’épicerie de Germain est toujours floue : n°25 dans le recensement de 1881, n°31 dans le suivant et dans l’annuaire à partir de 1883. Les recensements suivants alternent les prénoms Germain et Pierre, mais toujours au n°31. L’Anuaire de l’épicerie française et de l’alimentation la replace au n°25 dans ses éditions de 1891 et 1892, tandis que l’Annuaire général de l'épicerie française et des industries annexes la renvoie au 31 (en 1896).

Comme Alexandre, Germain n’est pas propriétaire mais locataire de la boutique et du logement qu’il occupe au-dessus avec sa famille.

 

Les cartes postales de l’époque nous donnent une  idée de l’allure de cette boutique, nommée « épicerie populaire » (notamment dans l’annuaire à partir de 1904). On remarque sur la devanture le nom « G. Guibert » : le prénom d’usage Germain est donc très officiel.

 

Carte postale ancienne Épicerie populaire G. Guibert, v.1905 © AM Angers
Épicerie populaire G. Guibert, v.1905 © AM Angers
 

Vin rouge et blanc à 40 cts le litre, meules de fromage entière, légumes en vrac, sacs de patates, boîtes de conserves. Le spectacle est autant à l’extérieur qu’à l’intérieur du magasin.

 

D’après l’annuaire d’Angers, Germain tient l’épicerie jusqu’à sa mort en 1932. A partir de 1927 il est secondé par son gendre Henri Quelin.

 

Je vous laisse lire ci-dessous l’épisode du jeune commis, employé depuis 6 mois à l’épicerie en 1933, bien sous tous rapports, qui s’est révélé être… un tueur en série !

 

Article "une fillette sauvagement assassinée" Ami du peuple, 1933 © Gallica
Ami du peuple, 1933 © Gallica

 

En 1952 l’épicerie populaire compte un nouveau patron, A. Guilleux. Mais il ne restera pas très longtemps puisqu’en 1956 c’est Julien Lemêtre qui lui a succédé. La boutique est identifiée par le terme « alimentation », perdant l’antique dénomination « épicerie populaire ». Elle figure ainsi dans l’annuaire jusqu’en 1970, dernière année disponible en ligne. 

Les années ont passées. Aujourd’hui l’ancienne épicerie se partage entre deux boutiques : boulangerie/pâtisserie côté rue St Laud et restauration rapide côté Roë.

 

Mais qui se souvent encore de l’épicerie de la rue de la Roë ?

 

 

 

* Évaluation à titre d’exemple, réalisée d’après le convertisseur de l’INSEE (qui ne commence qu’en 1901).

** Les prénoms d’usage peuvent sortir d’un peu n’importe où. Si mon sosa 16 est parfois prénommé Auguste au lieu d’Augustin, on peut comprendre. Mais cela peut être beaucoup plus curieux : la tante Henriette, qui se prénommait véritablement Célestine, avait reçu ce surnom par ses patrons qui avaient déjà eu une domestique qui se prénommait Henriette et ne voulaient pas se fatiguer à en apprendre un autre ! Bref, il n’est pas toujours facile de connaître les raisons d’un prénom d’usage.

 

vendredi 16 décembre 2022

#52Ancestors - 50 - Jean Astié

   - Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 50 : Traditions

 

Pour cette antépénultième semaine du challenge #52Ancestors (déjà !), je garderai le sujet au singulier : la tradition ; et plus particulièrement la tradition orale. Voici quelques fragments de vie recueillis auprès de mon oncle Jean.

 

Augustin Pierre Jean Astié est mon arrière-arrière-grand-père. Il est né 1851, a grandi en Corse, s’est installé en Maine et Loire, a fait des séjours en Aveyron et a fini sa fini en région parisienne en 1914. Je lui compte plus d’une vingtaine de domiciles. Mon oncle Jean m’en a fourni une probable explication : « Il était journalier dans une ferme. Quand il n'y avait plus de travail, on le renvoyait. Il mettait ses enfants et ses effets dans un coffre, le tout dans une charrette à bras, et partait avec toute la famille à pied à la recherche d'un nouvel emploi. Si une parente avait besoin d'une aide il lui laissait un enfant. C'est ainsi qu'Augustin Daniel [son fils, 1888/1974] s'est retrouvé commis boucher boulevard St Michel [à Angers, Maine et Loire]. Il allait chercher des quartiers de viande à l'abattoir d'Angers, situé dans [le quartier de] la Doutre, avec une charrette à bras et à l'occasion buvait un bol de sang frais pour se ravigoter. Vrai ou faux ces souvenirs dégoutaient ses petits-enfants quand il le leur racontait... »

Son fils Augustin Daniel « travaillait au cardage du chanvre à l'usine Bessonneau. Comme il était interdit de fumer il chiquait. Quand on lui offrait une cigarette il la mettait dans sa bouche avec le papier (la cigarette à bout filtre n'existait pas dans ma jeunesse) et la mastiquant avec plaisir à grands crachats de jets de salives par terre comme dans les films de cowboys. Au repas il plaçait sa chique dans la doublure de sa casquette ou sous la table ce qui rendait grand-mère furieuse. Il était payé à la semaine mais la paye finissait souvent au café du coin. Comme excuse il disait que son frère qui lui ressemblait s'était fait passer pour lui ou qu'il avait perdu son porte-monnaie. La grand-mère devait gérer la pénurie ce qui explique leur faible niveau de vie et le surnom donné à Augustin à la retraite de "grand-père pastis". Heureusement il avait un très bon côté. »

 

Augustin a épouse Louise Lejard en 1912 à Angers.
Jean se souvient des logements habités par trois générations de notre famille :

« Au début Augustin et son épouse Louise habitaient au dessus de la boucherie Frète, Faubourg St Michel ». Cette boucherie était tenue par l’oncle et la tante d’Augustin, Daniel Frète et Elisabeth Rols.

« Le bâtiment était en partie creusé dans l'ardoise. Le premier étage était réservé à la "grand-mère Frète" [Elisabeth Rols], c'est ainsi que nous l'appelions et nous ne la voyions que très rarement. L'étage au sommet du rocher était une petite cour avec le logement des grands-parents et un cabinet d'aisance. Dans ces vieux bâtiments les logements étaient imbriqués les uns dans les autres. L'escalier était taillé dans le rocher d'ardoise. L'appartement était petit et sombre. La cuisine donnait sur la cour et la chambre donnait sur la rue. Dans cette chambre une cloison séparait le lit de Daniel du lit des parents. La fosse du cabinet était creusée au deuxième étage dans le rocher, je te passe les détails quand il fallait la vider…

Quand le grand-père était en colère après l'un d'entre nous, il lançait sa casquette, en jurant d'un "Non d'une pipe de peau d'chien vert ! ".  C'était un signal d'un grand mécontentement et qu'il fallait se tenir à carreau. »

 

Augustin et Louise n’ont eu qu’un seul enfant, Daniel Augustin. En 1935, il épouse Marcelle Assumel-Lurdin.

« Militant populaire des familles, il prit avec son épouse, l'organisation et la gestion de la Maison Familiale de Vacances et de Repos des Travailleurs, située sur le domaine du Hutreau (de 1945 à 1952). »

Le Hutreau est un grand domaine situé près d’Angers. Ce n'était à l'origine qu'une modeste closerie, une petite exploitation rurale. Au XVIIème il est la propriété de familles de la bourgeoisie d’Angers, puis de familles nobles. Petit à petit le domaine est aménagé. Le château de style néo-Renaissance et le parc à l’anglaise datent du XIXème siècle. Le propriétaire est alors Armand Laity, préfet des Basses Pyrénées. Il meurt sans enfants. Divers propriétaires se succèdent alors jusqu'à l’installation des Ursulines en 1932 qui y établissent un pensionnat. En 1944 la Gestapo le réquisitionne. La Maison Familiale est installée après la guerre. Mais reprenons le cours des souvenirs de Jean :

« Le Hutreau était, dans les années d'avant la guerre 1939/45, un collège pour les filles des donateurs au financement du Bon Pasteur. La congrégation de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur est une institution de religieuses qui, ailleurs, rééduquait les "filles perdues" (voleuses et prostituées ou simplement "filles mères").

Ces demoiselles – les religieuses, pas les filles perdues – disposaient d'un parc de 8 hectares clos par un mur. Le château et l'annexe étaient équipés en salle de classe et en internat avec logement du personnel. La ferme était occupée par un couple qui entretenait le château. Au temps d’Armand Laity il y avait plein de personnel qu'il fallait loger près de leur lieu d'activité d'où cette profusion de logements indépendants, de combles pour les personnes de service. 

Après l'occupation par la Gestapo d'Angers et leur fuite précipitée [lors de la libération d’Angers], l'association "Mouvement Populaire des Familles" a loué le château, sauf la ferme, aux religieuses. Papa a été nommé directeur de la maison familiale de vacances. »

 

Mon père, aussi prénommé Daniel, est né en 1948 dans le château du Hutreau, au premier étage, où habitaient mes grands-parents.

 

« Quand notre famille est venue au Hutreau, les grands-parents leur ont succédé dans la location du 56 rue des Fours à Chaux. Il y avait un grand tennis désaffecté, un grand jardin entretenu avec soin et une ancienne loge de 3 pièces qui était destinée au concierge. Au sous sol il y avait les deux vestiaires destinés aux tennismans. Pendant les vacances scolaires les parents nous envoyaient en vacances dans leur ancienne maison chez les grands-parents. La loge, le tennis, et le jardin ont été rasés pour laisser la place à une maison médicale et son parking.

 

Quand l'association a cessé ses activités, en accord avec les religieuses, la famille a déménagé dans l'Annexe. C'était un grand bâtiment avec les pièces hautes de 3 mètres, cloisonnées et séparée du reste de l'espace, pour que toute la famille puisse y habiter dans une partie qui leur était réservée. A la retraite, grand-père Augustin et sa femme Louise ont rejoint Daniel et Marcelle au Hutreau. Ils habitaient deux pièces de l'Annexe avec une entrée autonome.

 


Quand nous avons tous quitté le Hutreau en 1954, ils ont habité le Frémureau, petite cité d'urgence d'après guerre, située à 500 mètres du Hutreau.

Le logement se composait de deux petites pièces de 9 m² chacune (la cuisine et la chambre) avec un petit jardin. Grand-père Augustin y avait construit une cabane pour y ranger ses outils de jardinage et de bricolage. La dizaine de petites maisons construites était sans eau courante : les habitants du hameau devaient de contenter d’un puits collectif desservant des robinets au dessus de bacs à laver en ciment, un bloc sanitaire de plusieurs cabinets mais pas de douche, dans un bâtiment commun à l’extérieur. Pour le chauffage chacun apportait sa cuisinière à charbon qui servait de chauffage l’hiver pour les deux pièces. Il y avait quand même un compteur électrique individuel pour l’éclairage.

 

Daniel et Marcelle ont fait construire une maison rue Auguste Blandeau. La famille devenait propriétaire d’une parcelle d’un petit terrain  triangulaire  situé dans un vieux quartier où il y avait de grandes surfaces de maraîchage que la ville grignotait progressivement. Il a dessiné un plan qui lui convenait (ses études de commis d'architecture lui ont bien servi) en fonction de sa famille de sept enfants. J’avais alors quinze ans. C'est ainsi que nous avons quitté le Hutreau pour habiter une maison pas encore finie (il fallait monter au premier étage par une échelle). Elle se situait à un carrefour de cinq rues au sud de la ville d’Angers.

Quand il a fallu la couvrir, la ville à imposé une toiture en tuile rouge pour éviter la trop grande monotonie des toitures d’ardoises bleues.

Mon grand-père, papa et moi avons hissé les tuiles plates dans les deux  greniers. Comme les escaliers n’étaient pas encore posés, c’était par des échelles qu’il a fallu transporter tout le stock de tuiles. Grand-père et papa se sont chargés de les poser puis de les fixer sur les liteaux de la toiture avec un fil de fer. Un couvreur est venu tout vérifier et a posé les tuiles faîtières collées avec un mortier.

Quand le menuisier eut posé l’escalier, tout le monde pris possession des chambres. Les parents avaient la chambre, au premier étage, donnant sur la rue. Notre chambre, celle des trois fils aînés, donnait sur le jardin. Il n’y avait de place que pour trois lits et trois chaises. Mes deux autres petits frères, avaient une chambre un peu moins grande. Un placard, sur le pallier permettait de ranger les vêtements des cinq garçons. Nos deux sœurs dormaient en bas dans la chambre donnant sur la rue. »

 

Merci à mon oncle Jean pour ses/ces souvenirs…

 

 

 

jeudi 4 octobre 2018

Histoire d'une photographie

Augustin Astié et Louise Lejard se marient à Angers en 1912. Une photo de la noce a été prise à cette occasion.
Je vous propose de la faire parler, de façon interactive :

Les flèches sur fond gris à droite permettent d'avancer et à gauche de reculer.

Pour accéder aux informations, cliquez sur le symbole correspondant.

Une flèche vers la droite indique la suite du commentaire.

Sur chaque diapositive, en haut à gauche, une flèche retour permet de revenir à la photo de la noce.

Le symbole "menu" permet de revenir à la page thématique.
Vous pouvez mettre l'animation interactive ci-dessous en plein écran en cliquant sur les trois points en bas à droite.

Maintenant à vous de jouer ! Naviguez comme vous voulez, à votre rythme, dans l'ordre où vous le souhaitez...


Réalisé avec Genially


dimanche 24 décembre 2017

Le Christ en frêne

Récemment en visite chez ma jeune sœur, elle me prête sa chambre pour dormir. Sur le mur j’aperçois un crucifix. Il est tout simple. En bois de frêne. Ce n'est même pas vraiment un crucifix : juste un Christ en croix. Ses bras sont relevés, ses jambes jointes. Ses membres sont très allongés. Il penche la tête sur le côté, comme si elle reposait sur son bras gauche. Les détails sont à peine esquissés : tête, côtes, perizonium. On voit encore les marques de l’objet qui a servi à le sculpter.


Christ sculpté, Jean Astié, 1956 © Coll. personnelle

Je ne suis pas croyante : ce Christ ne représente donc rien pour moi sur le plan spirituel. Par contre, il m’a beaucoup émue. En effet l’objet lui-même, par sa simplicité, par le travail de sculpture effectué, par sa forme, m’a touché. Je l’ai trouvé très beau. Il n’est pas d’or, n’est pas décoré de pierres précieuses et, d’évidence, il n’a pas été réalisé par un grand nom de la sculpture. Et pourtant. J’ai été émue. Véritablement.

J’ai fait part de mon émotion à mon père et ce qu’il m’a raconté m’a d’autant troublée : il possédait ce Christ depuis un long moment déjà et l’a offert à ma sœur lorsque, parvenue à l'âge adulte, elle s’est fait baptiser. Effectivement, si nos parents ont reçu une éducation religieuse (catholique), ils nous ont toujours, à mon frère, ma sœur et moi-même, laissé la liberté de croyance. Et plutôt que de nous faire baptiser (et par là « imposer » une certaine religion) lorsque nous étions nourrissons, ils ont préféré nous laisser faire nos propres choix, en toute conscience ; à l’âge adulte donc. C’est ainsi qu’il y a quelques années ma sœur s’est fait baptiser. C’est à cette occasion que mon père lui a offert le fameux Christ qui orne aujourd’hui sa chambre.

Or donc, mon père me raconte cette histoire et m’en apprend encore davantage sur son origine : c’est mon oncle Jean (frère aîné de mon père) qui l’a sculpté ! Les bras m’en tombent ! Je savais que mon oncle a toujours aimé travailler le bois et qu’il aurait souhaité devenir menuisier (la vie en ayant décidé autrement), mais j’ignorais ses talents de sculpteur !

Aussitôt je le contacte et lui relate cette anecdote. Et là il m’en raconte une plus belle encore : il a sculpté ce Christ alors qu’il était jeune homme ! Un jour qu’il était chez les scouts (toute la fratrie, ainsi que mon père bien sûr, y est passée), il pleuvait beaucoup. Tout l’après-midi. Alors pour s’occuper, il a pris un morceau de bois et a sculpté ce Christ. C’était en juillet 1956 croit-il se souvenir. Le camp scout tout entier était paralysé par le mauvais temps et ils envisageaient un retour précipité à Angers quand le soleil est revenu. Ils sont donc restés sur place et ont poursuivi le cours normal de leurs activités. Avec un grand feu ils ont tout de même pris de temps de fait sécher tous leurs vêtements « qui commençaient à sentir le moisi » (je cite).

Et voilà que ma première émotion née de la vision de ce Christ se trouve doublée d’une seconde, directement issue de l’histoire familiale : le fait de savoir que c’est mon oncle qui a fait de ses propres (jeunes) mains ce si beau crucifix.

Sans cette pluie, ce Christ n’aurait probablement pas vu le jour. A quoi ça tient finalement…


samedi 18 novembre 2017

#RDVAncestral : la photographie

Nous sommes en 1871. Aujourd’hui j’ai rendez-vous dans une nouvelle et belle artère de la ville d’Angers (Maine et Loire) avec une partie de la famille Rols : Alexandre, le père, Marie-Anne née Puissant, la mère, et leur petite fille, Élisabeth (la future « grand-mère Frète ») âgée aujourd’hui de trois ans. J’ignore où est mon ancêtre directe, Cécile qui a alors 14 ans (ma future arrière-arrière-grand-mère, bien éprouvée en 14/18 : voir ici).

Comme nous sommes en avance, nous discutons avec Alexandre. Il m’explique qu’à Paris, les troubles politiques ont fait une nouvelle fois vaciller le pouvoir. La IIIème République vient d’être instaurée, avec Mac Mahon à sa tête. La Révolution Industrielle est sur sa lancée, attirant dans les villes des paysans affamés qui viennent s’user la santé dans des usines dévoreuse d’hommes, de femmes et d’enfants. C’est le règne de la machine à vapeur. En parallèle, une nouvelle classe a émergé petit à petit : la bourgeoisie. Celle-ci prend ses aises, rêve d’aristocratie et de pouvoir. Ils sont hommes d’affaires, banquiers, négociants, marchands…
Comme toi, Alexandre, pensais-je.

- Le « progrès », reprend-il, comme on l’appelle désormais, s’est étendu aux grandes villes de province. On imite Haussmann (à une échelle moindre évidemment) en perçant de belles rues bien rectilignes. De belles bâtisses font leur apparition. On aspire à la postérité, mais de façon moderne : pour cela, on ne pose plus devant un peintre prenant des heures pour avoir son portrait à accrocher dans son salon (nouvelle pièce à la mode). Non, pour cela, on va chez le photographe !

C’est pourquoi nous sommes tous réunis ici. Nous entrons finalement à l’atelier. La famille s’est mise sur son 31. Marie-Anne a revêtu une ample robe de soie noire à la mode. Ses cheveux sont tirés en arrière en chignon. Elle a mis ses belles boucles d’oreille en nacre. Alexandre a revêtu le complet veston qu’il a fait tailler sur mesure, avec le nœud papillon assorti. La petite Élisabeth a revêtu sa robe claire à pompon et le bonnet assorti.

Le photographe nous propose plusieurs décors : balustrade, feuillage, toiles peintes [1]. Mais Alexandre veut quelque chose de simple.
- Oh ! Alors j’ai ce qu’il faut pour Monsieur : cette grande étoffe tendue qui rendra le plus bel effet et mettra vos personnes en valeur.

La petite Élisabeth trottine sur ses petites jambes à travers le studio. Le photographe fait un œil sévère : je la rattrape et tente de la garder tranquille.
- Attention messieurs, dames : si la technique photographique a fait d’énormes progrès ces dernières années, n’oublions pas que le procédé est encore tout récent : il n’a pas encore 30 ans ! C’est pourquoi le temps de pose est encore un peu long et la petite ne devra pas bouger.
- Ne vous inquiétez pas, nous la tiendrons bien, répondit Alexandre.

On s’essaye à différentes poses : Marie-Anne et Élisabeth assises avec Alexandre derrière elles, debout, une main sur l’épaule de son épouse ; ou bien tous debout, Alexandre tenant sa fille dans ses bras ; ou bien encore Alexandre assis et les femmes debout. Finalement, Alexandre choisi un fauteuil en velours à dossier, son épouse assise à côté d’elle et la petite assise.

Le photographe demande au couple de se rapprocher. Alexandre met une main sur l’épaule de son épouse tandis qu’elle pose la sienne sur l’avant-bras de son époux, dans un geste tendre. Au dernier moment Élisabeth, ne sachant pas s’il faut être plutôt sur les genoux de sa mère ou de son père, choisit… de ne pas choisir et se met au milieu !

Le photographe est paniqué, limite blême :
- Messieurs dames, messieurs dames, je vous en prie, gardez cette petite tranquille ou la photo sera floue !

Sa réputation est en jeu. Après tout, lui aussi vise une clientèle plus aisée : il ne peut pas se permettre de décevoir un client si important (il a fait sa petite enquête : il sait qu’Alexandre a été employé à la Banque de France et qu’il s’est maintenant installé à son compte comme négociant…).
Finalement on chapitre Élisabeth et chacun des parents lui sert une main. Bien calée entre eux deux, elle ne bouge plus. Le photographe respire à nouveau.
- Ne bougez plus, retenez votre respiration, c’est parti.
On attends quelques instants, qui paraissent interminable tant le moment est solennel.
- Ça y est ! annonce le photographe dans un cri de victoire. C’est terminé ! Messieurs dames vous pouvez à nouveau bouger, vous lever.

Je récupère au passage Élisabeth qui s’est remise à courir partout, l’immobilité prolongée qu’on lui a fait subir n’étant pas particulièrement à son goût.
- Voulez-vous un rafraîchissement peut-être ?
- Non ! Non ! réponds Alexandre, mais quand aurons-nous les photographies ?
- Je vous ferais livrer les épreuves par coursier demain dans la journée. Cela vous convient-il ?
- Oui, oui, ça ira !
Alexandre règle au photographe ce qu’il lui doit et nous sortons.

Une fois sur le trottoir je rends Élisabeth à sa mère.
- Vous voyez, c’est quand même plus rapide que de poser des heures devant un peintre ! Je te ferais parvenir une épreuve, si tu veux, me propose Alexandre.
- Avec plaisir !
Après des salutations chaleureuses, nous nous séparons.
- Zut ! dit Alexandre, je ne lui ai pas demandé son adresse pour lui faire livrer la photographie.



Famille Rols, 1871 © Coll. personnelle

Ne t’inquiète pas Alexandre, elle me parviendra bien ta photographie. Beaucoup plus tard peut-être, mais elle me sera transmise par ton arrière-petit-fils, mon grand-père, qui la conservait pieusement dans son album de famille… C’est la plus ancienne photographie familiale que nous avons conservée.


[1] Voir l’article "Toile peinte et balustrade".



mardi 4 juillet 2017

Les surprises du recensement

Au début était une famille. Ou plutôt quatre. Enfin quatre qui n’en faisaient qu’une. Nous allons les suivre (ou tenter de les suivre) sur plusieurs décennies au travers des recensements.

Au centre, la famille Astié :
1) Les Astié [attention, suivez bien ils ont presque tous le/les même(s) prénom(s)]
- Pierre Jean et son épouse Geneviève
- leur fils Augustin Pierre Jean, qui épousera Cécile Rols (voir plus loin)
- dans cet article paraîtront trois de leurs dix enfants (trois sont morts en bas âge) : Marie Euphrasie (dite Marie ou Maria), Élie et Augustin Daniel (communément prénommé Auguste)
- mon grand-père, fils d’Augustin Daniel, prénommé… Daniel Augustin !

Autour :
2) Les Rols
- Alexandre, le père, et son épouse Marie Anne Puissant (dite Marie ou Maria)
- Cécile, leur fille aînée, épouse d’Augustin Pierre Jean Astié
- Élisabeth, leur fille cadette, qui épousera Daniel Frète

3) Les Frète
- Daniel Frète, époux d’Élisabeth Rols
Ils n’ont pas eu d’enfant… quoi que…

4) Les Raveneau
- Charles Gaston Raveneau époux de Marie Euphrasie Astié
La question de leurs enfants est un des nombreux fils qu’il m’a fallu tirer pour dénouer la pelote bien emmêlée de ces liens familiaux.

Un arbre pour visualiser tout cela (oui, je sais, c'est un peu petit, mais il y a du monde !).

J’espère que jusqu’ici, tout va bien pour vous ! D’après les informations identifiées dans les divers actes d’état civil, j’ai souhaité retrouver tout ce petit monde dans les listes de recensements d’Angers.

Les faits : les données issues des listes de recensements publiées par les archives municipales d’Angers.

  • 1872
 34 rue de la Roë, Angers, 1er arr.
- Rols Alexandre, né à Conques (Aveyron), âgé de 40 ans, épicier
- Puissant Maria, née à Candé (Maine et Loire) son épouse, âgée de 42 ans
- Rols Cécile, née à Saint-Patrice (Indre et Loire), leur fille, âgée de 14 ans
- Rols Élisabeth, née à Angers, leur fille, âgée de 3 ans
- un employé de l’épicerie né à Conques (Aveyron), âgé de 19 ans



En grisé les personnes décédées ou pas encore nées. Celles identifiées dans les recensements sont marquées d'une pastille de couleur (une par domicile).

  • 1876
31 rue de la Roë, Angers, 1er arr.
- Rols Alexandre, né à Conques (Aveyron), âgé de 45 ans, épicier
- Puissant Maria, née à Candé (Maine et Loire) son épouse, âgée de 46 ans
- Rols Cécile épouse Astié (qui suit), née à Saint-Patrice (Indre et Loire), leur fille, âgée de 20 ans
- Rols Élisabeth, née à Angers, leur fille, âgée de 8 ans
- Astié Augustin (marié à Cécile), gendre, né à Conques (Aveyron), âgé de 26 ans, employé de l’épicerie
- Astié Alexandre, fils du précédent, né à Angers, âgé d’un an

  • 1881
12 place des Prisons, Angers, 1er arr.
- Rols Marie (née Puissant), âgée de 51 ans, ouvrière, mère (époux décédé en 1879)
- Rols Élisabeth, fille, âgée de 13 ans

  • 1886
Cour Ayrault, faubourg Saint-Michel, Angers, 1er arr.
- Puissant Anne Marie, âgée de 56 ans, employée
- Rols Élisabeth, fille, âgée de 17 ans, couturière
106 faubourg Saint-Michel, Angers, 1er arr.
- Raveneau Auguste, 35 ans, chef, plombier
- Deniau Louise, 34 ans,  épouse, ménagère
- Raveneau Auguste, 4 ans
- Raveneau Charles, 1 an
- Raveneau Blanche, 66 ans, belle-mère, ménagère

  • 1896
82 faubourg Saint-Michel, Angers, 1er arr.
- Frète Daniel, âgé de 30 ans, boucher
- Rols Élisabeth, épouse, âgée de 27 ans, bouchère
- Astié Auguste, neveu, âgé de 8 ans

  • 1901
82 faubourg Saint-Michel, Angers, 1er arr.
- Veuve Rols (née Puissant) Marie, âgée de 71 ans, grand-mère
- Astié Élie, petit-fils, âgé de 15 ans, tapissier
82-84 faubourg Saint-Michel, Angers, 1er arr.
- Frète Daniel, âgé de 35 ans, chef de ménage, patron boucher
- Rols Élisabeth, âgée de 32 ans, épouse
- Astié Auguste, âgé de 13 ans, neveu
- Astié Maria, âgée de 19 ans, nièce, lingère embauchée par Daniel Frète

  • 1911
82 faubourg Saint-Michel, Angers, 1er arr.
- Frète Daniel, né à Angers en 1865 (46 ans), chef de ménage, patron boucher
- Rols Élisabeth, née à Angers en 1868 (43 ans), épouse
- Raveneau Robert, né à Paris en 1903 (8 ans), enfant adoptif, écolier
- Astié Élie, né à Combes (Saint-Aubin, Aveyron) en 1886 (25 ans), neveu, tapissier
- une domestique de 29 ans et un garçon boucher de 17, tous les deux embauchés par Daniel Frète
86 faubourg Saint-Michel, Angers, 1er arr.
- Raveneau Charles, né à Angers en 1884 (27 ans), chef de ménage, employé poinçonneur ?
- Raveneau Maria (née Astié), née à Angers en 1882 (29 ans), épouse, ménagère
- Raveneau Élisabeth, née à Angers en 1906 (5 ans)
- Raveneau Suzanne, née à Ivry en 1902 (9 ans)
- Raveneau Marcel, né à Ivry en 1909 (2 ans)


Les questions qui en découlent :

  • En 1881
- Pourquoi ne trouve-t-on pas Augustin Astié, et son épouse Cécile Rols, dans les recensements à Angers, 63 faubourg St Michel (adresse donnée par l’état civil lors du décès d’un fils) ? 

  • En 1886
- On ignore où habite Augustin et sa famille. Pas trouvé sur les adresses précédentes ou suivantes : une nouvelle adresse encore inconnue ?

  • En 1896
- On ne trouve pas les Raveneau : où sont-ils ?
- Anne Marie Puissant n’apparaît pas à son adresse habituelle cette année-là : où est-elle ?

  • En 1901
- Pourquoi Élie habite seul avec sa grand-mère : où sont ses parents Augustin et Cécile Astié ?
- Pourquoi son frère Auguste (Augustin Daniel) et sa sœur Maria (Marie Euphrasie) habite chez son oncle et sa tante.
> Où sont Augustin et Cécile ? Ils sont censés habiter toujours en Anjou (où on les voit en 1905 dans l’état civil). Où sont les autres enfants du couple ? 

  • En 1911
- Qui est cet enfant adoptif des époux Frète, nommé Raveneau Robert, né à Paris en 1903, alors qu’on sait que Marie Euphrasie Astié a épousé un Raveneau Charles en 1905 à Angers ? Coïncidence ? Parenté avérée ?
- Où est Augustin Daniel ?

Ce que l’on sait : 

  • En 1872 (probablement) et 1876
- Les parents Pierre Jean et Geneviève Astié (et leurs enfants) n’apparaissent pas dans les recensements d’Angers puisqu’ils vivent en Corse au moins jusqu’en 1870 puis en Aveyron à partir de 1873 et jusqu’à leur mort respectivement en 1883 et 1897. Il reste une légère incertitude sur les années 1871/1872 ; l’hypothèse la plus probable est qu’ils soient partis directement de Corse pour aller en Aveyron, mais à cause de lacunes dans les recensements on ne peut pas le prouver (pour en savoir plus sur cet épisode, cliquez ici).

  • En 1876
- On sait que leur fils Augustin Pierre Jean Astié a trouvé un emploi chez les Rols, en tant que commis épicier ; c’est pourquoi il demeure chez eux rue de la Roë. Sans doute le réseau social a-t-il joué puisque les deux familles sont originaires de Conques. C’est là qu’il rencontre la fille de la maison, Cécile (Marie Augustine de ses autres prénoms), qu’il épouse en 1875.

  • En 1881
- Le couple Augustin et Cécile Astié quitte l’Anjou entre juillet 1881 où il réside à Angers, 63 faubourg St Michel (décès d’un fils) et juin 1882 où on le retrouve à Aubin en Aveyron (naissance d’une fille). Cependant ils n’ont pas été trouvés dans les recensements au faubourg St Michel d’Angers, ni à Aubin…

  • Années 1880/1890
- Augustin, Cécile et leurs enfants reviennent en Anjou à partir de 1888 et changent presque tous les ans d’adresse : 39 chemin des Banchais, Angers (1888), rue Victor Hugo à Angers (1889), 27 rue Larevellière à Angers (1889), 10 rue de la Rame à Angers (1892), 14 rue Fénelon à Angers (1895), Route des Ponts de Cé à Angers (1904). Jusqu’à ce qu’on les retrouve en région parisienne à partir de 1905 (34 Rue Nationale à Ivry) où ils finiront leur vie (pour en savoir plus sur leurs nombreux déménagements, cliquez ici). D’après les souvenirs familiaux, Augustin "était journalier dans une ferme. Quand il n'y avait plus de travail, on le renvoyait. Il mettait ses enfants et ses effets dans un coffre, le tout dans une charrette à bras, et partait avec toute la famille à pied à la recherche d'un nouvel emploi. Si un/une parent(e) avait besoin d'une aide il lui laissait un enfant. "
- Maria (de ses véritables prénoms Marie Euphrasie donc) épouse Charles Gaston Raveneau à Angers en 1905. Une fille y naît l’année suivante, puis en 1907 et 1909 ils donnent naissance à deux enfants à Ivry (aujourd’hui Val de Marne) mais reviennent ensuite en Anjou puisqu’on les retrouve sur les recensements de 1911.
- Augustin Daniel (communément prénommé Auguste), fils d’Augustin et Cécile Astié, échappe souvent aux recensements : il naît en 1888 : trop tard pour celui de 1886 ; il se marie en 1912 : trop tard pour celui de 1911 ; les recensements suivants (1921 etc…) ne sont pas encore communicables. On ne le trouve qu’en 1901, âgé de 13 ans, vivant chez son oncle Frète.

  • En 1886
- Daniel Frète demeure chez son tuteur (parents décédés) lors de l'appel militaire (en 1885), 17 rue de la Préfecture à Angers. Il part au service en décembre 1886 (selon sa fiche militaire). Mais il n’a pas été trouvé à cette adresse dans le recensement de 1886. Il n’est pas non plus inscrit sur les listes électorales d’Angers cette année-là  (né en 1865 était-il encore trop jeune pour y être inscrit ?) : où est-il ?

  • En 1901
- Augustin Pierre Jean Astié habite 35 rue Franklin d’après les listes électorales, mais on ne le retrouve pas à cette adresse dans les listes de recensement.
- Charles Raveneau n’est pas inscrit sur les listes électorales d’Angers en 1901 (né en 1884 était-il encore trop jeune pour y être inscrit ?) : pourquoi ? où habite-t-il ?

Les réponses (plus ou moins) 

  • Les insaisissables :
- Augustin Astié, et son épouse Cécile Rols échappent aux recensements d’Angers et d’Aubin en 1881. Est-ce simplement dû à un timing serré : parti avant celui d’Angers, arrivé après celui d’Aubin ?
- La famille n’a toujours pas été retrouvée en 1886.
- Daniel Frète n’a pas été trouvé, en 1886, au 82 rue du Faubourg Saint-Michel à Angers où il habite lors de son mariage en 1889 : visiblement il n’y habite pas encore. Son épouse Élisabeth Rols habite avec sa mère. Bien que né à Angers, Charles semble avoir habité à Châtellerault, dans la Vienne (mention de son acte de mariage où il est dit qu’il y résidait « avant », mais sans doute dans une période récente car les bans y ont été publiés en tant que « précédent domicile du futur » ; bien que non trouvés en ligne).

  • Les enfants
- On ignore toujours pourquoi trois des enfants d’Augustin Astié, et son épouse Cécile Rols n’habitent pas avec leur parents (ni où sont ceux-ci) en 1901, mais l’un avec sa grand-mère et les deux autres avec leur oncle. Le fait que le couple, subissant la misère, « larguait un enfant au gré des cousins qui voulaient bien les accepter » est sans doute l’explication de ces séparations. Mais où sont les autres enfants ?
- Après des recherches plus poussées, notamment dans l’état civil, il s’avère que Marie Euphrasie a eu un fils, né de père inconnu, né en 1903 à Paris. Son prénom est Robert. Il est reconnu et légitimé en 1905 lors du mariage de Marie et de Charles Raveneau.
Il est fort probable que l’enfant « adoptif » des Frète, Robert Raveneau, soit cet enfant illégitime de Marie Euphrasie Astié. Daniel Frète semble très proche de Marie : il est témoin à son mariage, à la naissance de sa première fille. Peut-être a-t-il gardé Robert ? Cependant, pourquoi le garçonnet, n’habite pas avec ses parents légitimes en 1911 ? Difficile de répondre à cause du manque de sources postérieures.
Je dispose d’une photo de Robert, âgé de 9 ans, prise lors du mariage de son oncle Augustin Daniel en 1912 ; il est entouré des Frète et d’Élie Astié (sans doute l’une des dernières photos de lui puisqu’il meurt pendant la Grande Guerre, sur un front de Picardie, en 1916).

Noces Astié/Lejard, 1912 © Coll. personnelle

- Les enfants Raveneau nommés en 1911 (Suzanne, Élisabeth et Marcel) : ce pourrait-il que Suzanne soit en fait Robert (né à Paris à la même époque selon le recensement) ? Quant à Marcel, c’est en fait Marcelle ; ce qui induit une légère nuance… 
Si tel est le cas, je veux bien reconnaître que le vin d’Anjou a des effets secondaires puissants et que l’agent recenseur a dû en abuser…
Par contre pas de trace de Germaine, trouvée lors de ces recherches inattendues, née en 1907 à Ivry, n’apparaît pas avec ses parents à Angers (mariée en 1935 à Paris, décédée en 1966 à Villejuif) : où est-elle ? Est-ce la même enfant en fait ?

  • Le dernier recensement, en 1911 :
- Augustin Pierre Jean et Cécile Astié n’apparaissent plus dans les recensements d’Angers car ils ont déménagé à Ivry, à partir de 1905.
- En 1911 je ne trouve pas trace d’Augustin Daniel : il est probablement à l’armée (d’octobre 1909 à septembre 1911 selon sa fiche militaire) ; à moins que le recensement ait eu lieu en toute fin d’année et dans ce cas il a une nouvelle adresse… 
- Mon grand-père, né en 1913 à Angers, est (était) « trop jeune » pour les recensements en ligne, mais peu importe : il y a bien assez à faire comme cela avec le reste.

En bref, les réponses ne sont pas très satisfaisantes. Par contre, ce qui pouvait me paraître une simple promenade de santé (récupérer les clichés issus des recensements où figurent mes ancêtres) est devenu un sac de nœud que j’ai eu bien du mal à dénouer, m’entraînant dans de longues recherches à travers toute la France et divers types de sources; certaines questions étant restées sans réponse encore. Comme quoi, rien n’est jamais simple en généalogie.