« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

lundi 25 décembre 2023

#Généathème : Un cadeau de Noël

Symphorien regardait le tas de souilles qu’on avait placé près de la cheminée, une légère moue sur la figure. Il se demandait vaguement pourquoi on en faisait tout un plat, de ces chiffons. Tout d’un coup, ils s’agitèrent. Et, brusquement, un cri fracassant déchira l’atmosphère. Symphorien se boucha les oreilles des deux mains. Rien à faire ! Il entendait encore les rugissements assourdissants. Il n’en revenait pas : comment une aussi petite chose pouvait-elle faire autant de bruit ? 

 

Saint Joseph et la Vierge contemplant l'Enfant (détail) 
d'après Bartolommeo Biscaino © Louvre


Aussitôt Guillemine se précipita, le chassant d’un geste, et s'occupa de la petite chose qui vagissait au milieu des chiffons. Haussant les épaules, l’enfant s’éloigna. Il ne savait pas pourquoi sa tante était là, mais ce qui est sûr c’est que, de mémoire, jamais on ne s’était précipité de cette manière pour satisfaire tous ses besoins  !

 

D’ailleurs, c’était toute cette journée qui était bizarre. Symphorien alla se nicher dans son coin préféré, entre le vieux coffre de chêne et le grand lit. Les courtines couleur de musc le cachait à demi et, de là, il pouvait observer toute la salle basse sans qu’on le remarque. Le regard perdu, il suivait du doigt la silhouette de la serrure du coffre et sa grosse clé en fer, le menton dans l'autre main. Il repensait aux événements qui s’étaient succédé depuis hier.  Alors qu’il somnolait, son père l’avait secoué :

- Allez ! C’est l’heure !

Les yeux ensommeillés, il s’était enroulé machinalement dans son grand manteau brun, soigneusement cousu par son père c'était son métier : il était tailleur d'habits. Sa mère lui avait pris la main. Elle faisait un peu la grimace en marchant et soufflait fort. Mais sur le moment Symphorien n’y avait pas prêté attention. A présent fort bien réveillé, il avait hâte de rejoindre l’église. D’abord parce qu’il faisait terriblement froid et qu’il espérait que les murs protecteurs du sanctuaire lui accorderaient la chaleur, en plus de la grâce du Seigneur. Ensuite parce qu'il était impatient d’assister aux événements qui se préparaient. Les fêtes de Noël ! Il ne se souvenait pas bien de celles de l’année dernière, mais les autres garçons ne cessaient d’en parler depuis plusieurs semaines. En particulier de la grosse poignée de noisettes, d’amandes ou de fruits secs, cadeau exceptionnel, qu’ils dévoreraient goulûment. Il en avait l’eau à la bouche. Peut-être y aura-t-il aussi une belle soupe enrichie d’une tranche de volaille bouillie ?

 

Symphorien aimait bien le cérémonial de la messe, les cantiques, la fumée s’échappant de l’encensoir vers les voûtes, les cloches au grand complet sonnant à toute volée. Maitre Nicolas de Paris, le curé de la paroisse, avait fort belle allure à la lumière des bougies dans sa tunique d’un blanc immaculé. Bon, mais c’est vrai qu’au bout d’un moment, ça commençait à être long… Son esprit s’évada vers la maison qu’on avait décorée de branches de houx, avec ses feuilles vert foncé brillant et ses baies rouges vives. Il avait à peine remarqué qu’à un moment sa mère s’était levée et avait quitté l’église. En pleine messe !

Du haut de ses 5 ans, le petit garçon ne se souvenait pas qu’on pouvait faire ça. Machinalement il s’était levé à son tour pour la suivre mais son père l’avait rassis fermement, faisant les gros yeux, montrant d’un signe de tête le curé à l’autel qui officiait. Il ne comprenait pas bien la réprimande de son père, d’autant plus que plusieurs autres femmes s’étaient éclipsées elles aussi. Quoi qu’il en soit,  pas question de désobéir à son père. Il resta donc assis. Son esprit reprit son vagabondage.

Au retour, il ferait bon dans la salle commune : la grosse bûche bénie qu’on avait allumée l’après-midi aurait réchauffé l’atmosphère. Son père lui avait expliqué qu’elle devait brûler au moins trois jours durant, et plus encore si possible. Puis, on récolterait ses cendres afin de protéger la maison et préserver les récoltes. On racontait que, si les enfants étaient sages, ils auraient des cadeaux. Pierre Joubert, son cousin, avait eu l’année dernière un sifflet en bois, fabriqué par son père. Symphorien, lui, espérait que ce serait plutôt un petit pain blanc et chaud que sa mère enduirait de beurre dégoulinant de gourmandise. Hum. Il s’en léchait les babines par avance. Les temps festifs du Réveillon se prolongerait jusqu’à l’Épiphanie, rythmés par les rencontres, les chants et les danses. C'était également le temps des veillées, où ils se réunissaient avec tous ses cousins et cousines et où mamée Jacquine, sa grand-mère paternelle, racontait de belles histoires qui, parfois aussi, les faisaient frissonner de peur.

 

Enfin la messe avait pris fin. Symphorien attendait la suite des festivités avec impatience. Mais rien ne s’était passé comme prévu. Quand ils étaient rentrés à la maison, il avait entendu sa mère qui criait depuis sa chambre. Il avait voulu aller voir, mais on l’avait durement rabroué. Malgré l’heure tardive plusieurs personnes les avaient rejoints, dont Jacques Voluette, le nouveau mari de sa mamée (son grand-père à lui était mort; ce qu'il faisait qu'il avait trois grand-pères, même s'il trouvait ça un peu bizarre parce que les copains lui avaient dit qu'on ne pouvait en avoir que deux), ce Jacques, donc, qui lui fichait la trouille avec sa grosse voix. On l’avait envoyé au lit sans plus de cérémonie. Symphorien avait cru qu’il ne pourrait jamais s’endormir au milieu des plaintes déchirantes de sa mère. Il avait en fait glissé dans le sommeil presque immédiatement sans même s’en apercevoir. Le lendemain matin il avait été réveillé par d’autres cris. Plus aigus. Stridents. Acérés.

 

Il pénétra prudemment dans la salle commune, où il y avait encore plus de monde que la veille au soir. Au moins les plaintes de sa mère ne déchiraient plus l’atmosphère. Aussitôt cette constatation énoncée, le hurlement tonitruant repris de plus belle. Il n’avait jamais entendu rien de tel. Mais qu’est-ce qui pouvait bien faire un tintamarre pareil ?  Sa tante Guillemine le remarqua. Toute guillerette, elle lui dit :

- Symphorien ! Viens voir par ici mon chéri, le cadeau que Notre Seigneur t’a apporté cette nuit !

De toute évidence ce n’était pas un petit pain blanc ! Ils s’étaient approchés de la cheminée. Au début il avait cru qu’il n’y avait qu’un tas de chiffons dans la caisse. Mais soudain de nouveaux hurlements s’en échappèrent. Ce n’était pas juste une caisse. Ni juste des chiffons. Il n’avait qu’une envie : fuir le plus vite possible de cet enfer retentissant. Mais sa tante ne cessait de l’y pousser davantage. Enfin il l’aperçu. Des petits points serrés qui battaient l’air, une face rougeaude aux yeux clos et un crâne chauve.

- Il est beau, n’est-ce pas ?

Des qualificatifs à propos de cette chose vagissante, Symphorien en avait beaucoup en tête. Mais beau, ça sûrement pas !

- Eh bien ! Tu ne dis rien ? Ce bébé c’est ta petite sœur. Elle est née cette nuit. Devine comment on va l’appeler ?

Mais comment voulait-elle que je devine ça ? se demanda Symphorien. Je suis pas voyant, moi !

- Eh bah alors, nigaud ! Tu trouves pas ?

Il sentit une main sur son épaule. C’était Pépoune, son grand-père maternel et parrain, Symphorien Moloré. Il l’aimait bien, Pépoune. Il lui avait dit un jour que c’était à lui qu’il devait son prénom. Il lui souriait. Il lui dit doucement :

- Vois-tu, comme elle née au petit matin et que nous sommes le jour de Noël, il a été décédé de l’appeler Noëlle. C’est ta petite sœur. Comme tu es l’aîné, ce sera à toi de t’en occuper…

Alors que les grands s’éloignait, Symphorien resta à contempler le tas de chiffon. Il n'avait vraiment pas envie de s'occuper de ça ! En plus, l'horrible bébé se remit à hurler. Guillemine se précipita et chassa Symphorien.

 

De son petit coin secret, l’enfant regardait les grands s’agiter. Ils se réjouissaient de l’arrivée de la nouvelle venue. Allaient dans tous les sens. Parlaient fort. Se tapaient sur l'épaule.

Une petite sœur ! Et alors ? A quoi ça sert, d’abord, une petite sœur ? Elle pourrait peut-être l’aider dans ses tâches quotidiennes ? Mais à condition qu'elle sorte de sa caisse. Et surtout qu’elle se taise ! Il n’allait pas supporter ces cris toute la journée ! Il ne savait pas à quoi servait une petite sœur, mais il espérait qu’elle serait plus utile qu’un petit frère. Parce que Pierre, le petit frère qu’il avait déjà, lui, il ne servait pas à grand-chose. Justement, le voilà qui arrivait, se dandinant sur ses jambes malhabiles. Il avait pris trop d’élan et ne semblait plus pouvoir s’arrêter. Il termina sa cavalcade en s’affalant dans les bras de Symphorien.

- Maman ! gémit-il. Je veux maman !

Et aussitôt il se mit à pleurer. Allons bon ! En voilà un autre qui pleure ! Quels joyeux cadeaux il avait reçu là. Il n’avait pas dû être bien sage pour mériter des présents pareils. Symphorien se demandait combien il y en aurait encore, des petits frères et des petites sœurs.

 

Tout à coup ce fut le branle bas de combat. Comme un seul homme, les grands se levèrent et s’habillèrent chaudement. Voyant son désarroi, Pépoune s’approcha :

- Il faut aller tout de suite à l’église pour la faire baptiser afin qu’elle soit mise sous la protection du Seigneur.

Symphorien ne répondit rien.

- Mais l’as-tu regardée au moins ?

Regardée, il ne se rappelait plus, mais entendue ça oui. Et il ne voulait pas renouveler l’expérience, merci bien.

D’un air entendu, le grand-père s’éloigna avant de revenir immédiatement. Il portait dans ses bras le tas de souilles, désormais emmitouflé dans une couverture. Délicatement, il le lui mit dans les bras. Symphorien n’était pas sûr d’en avoir envie. Mais tout aussi doucement, le grand-père écarta un pan de la couverture. A regret, Symphorien pencha les yeux vers le « cadeau ». C’est le moment que choisit la petite fille pour agripper son doigt fermement. Puis, surtout, elle planta ses yeux au fond des yeux de Symphorien. Sans qu’il ne comprenne comment ni pourquoi une espèce de vague de bien-être l’envahit. Plus chaude qu’un bon feu de cheminée. Il ne pouvait plus détacher ses yeux des deux grands lacs bleus qui ornaient le petit visage. Un visage d’ange.

C’est décidé ! La petite sœur, je l’aime ! décréta Symphorien. C’est le plus beau des Noëls, ma Noëlle !

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Symphorien Saulnier, né en 1625 à Villevêque (49), aura encore deux petits frères et deux petites sœurs supplémentaires, de quoi écorcher ses oreilles et étancher sa soif d'amour fraternel...



 

jeudi 30 novembre 2023

Z comme Zoom sur les témoins

Dans les registres de Conques certains témoins réapparaissent régulièrement. Très régulièrement.

L'accordée de village, JB Greuze © Louvre

 

Les personnalités importantes de la paroisse sont sollicitées à de nombreuses reprises pour être témoin lors de mariage et décès ou parrain de nouveau-nés. L’organiste Jean Avalon (voir la lettre I de ce ChallengeAZ) est 3 fois témoin, 4 fois parrain et représentant 3 autres fois (voir la lettreA de ce ChallengeAZ).
Mais ce ne sont pas les notables les plus présents. 

 

  • Jacques Alran

Il est sollicité 39 fois : 3 fois parrains, 1 fois témoin à une naissance et 35 fois témoin à un décès ; notamment lors du décès de mon sosa 256, Pierre Astié.

 

Sépulture Pierre Astié, 1786 © AD12

"Pierre Astié veuf de Catherine Soutouly âgé d’environ 90 ans décédé le jour d’hier a été inhumé ce 12 mai 1786 en présence de Jacques Alran soussigné et de François Roux cordonnier qui n’a su signer de ce requis"

Originaire de la Vinzelle, habitant de la ville de Conques depuis environ 17 ans lors de son mariage en 1757 avec Marianne Vernhes, il est alors travailleur, c'est-à-dire manouvrier ou journalier. Ensemble ils auront au moins trois enfants. Lors de la décennie étudiée il est d’abord dit fournier (propriétaire ou gérant d'un four à pain) en 1780, puis restant (1788) et hospitalier (1788) : il a donc fini sa vie à l’hospice. Il est, en tant que témoin, souvent associé à d’autres restants de l’hôpital sans que les personnes pour lesquelles il est témoin n’y soient forcément dites décédées (comme mon ancêtre Pierre ci-dessus) : est-ce une simple omission ou sont-ils décédés en dehors de l'hospice ? Dans ce cas, pourquoi ces témoins hospitaliers sont-ils sollicités si souvent : était-ce un rôle particulier qui leur était demandé en tant que restants ? Jacques Alran meurt âgé d’environ 70 ans en 1789. Il a lui-même pour témoin deux hospitaliers.

 

  • Pierre Chatelier 

Il est témoin 42 fois (33 décès, 5 naissances et 4 unions).

Sépulture Martial, 1789 © AD12

"L’an 1789 et le 7ème juillet a été inhumé Martial fils à père et mère inconnus décédé le jour d’hier âgé d’environ dix jours, en présence de Pierre Chatelier soussigné et de Joseph Delagnes tous restants audit hôpital qui n’a su signer de ce requis"

Fils d’un cordonnier devenu huissier (sic) il se trouve allié par le mariage de sa sœur à la famille Vernhes ; parmi lesquels on trouve un cordonnier, des teinturiers, un meunier et, par alliance, Pierre Bories praticien et Jacques Alran cité ci-dessus. Son oncle maternel était praticien. Lettré, il signe tous les actes. Il ne semble pas s’être marié.

Il est restant à l’hôpital : en 1764 il est qualifié de « garçon* de la présente ville » (il a alors 28 ans) puis en 1767/1768 « garçon de l’hôpital »; dès 1762, puis en 1764 et à partir de 1769 et pendant toute la décennie suivante, il est dit « pauvre de l’hôpital ». Entre 1780 et 1790 il est alternativement dit demeurant à l’hôpital ou restant et à nouveau pauvre en 1793. Mais curieusement en 1789 il est qualifié de praticien et à nouveau, un peu plus tard en l'an II « praticien de la maison communale de l'hôpital ». S’il ne fait aucun doute qu’il demeurait et « travaillait » à l’hôpital peut-on en conclure qu’il en était le médecin ? Qu’il avait fait des études de médecine ? Ou s’agit-il d’un savoir empirique hérité de sa longue expérience à l’hospice (il y est associé depuis une trentaine d’année) ?

 

  • François Roux

François Roux est – ou sont – régulièrement sollicité(s). Mais combien sont-ils ? Je compte un François Roux qui ne sait pas signer, un François Roux qui sait signer, un autre qui est cordonnier sachant signer, un cordonnier ne sachant pas signer et encore un dernier François Roux maître cordonnier ne sachant signer.

Un François Roux, cordonnier, est décédé en 1801. Dans la marge il est noté « cet individu ne laisse personne de sa famille ». Il demeure au faubourg de Conques. C’est celui qui signe.

Au total ce(s) François Roux sont sollicités 48 fois (45 décès, 2 unions, 1 naissance).

Le(s) François Roux qui ne signe(nt) pas est celui qui est majoritairement sollicité (44 décès et 1 naissance à lui « tout seul »). Je pense que ceux qui sont cordonnier, maître cordonnier et sans métier précisé, mais ne signent pas, ne forment qu’une seule et même personne. Il est souvent associé à des restants de l’hôpital (Guillaume Alary, Alexis Lacombe, Pierre Chatelier). Dans la décennie suivante il est dit travailleur (ou est-ce un nouveau François Roux ?).

"L’an 1788 et le 27ème juillet a été inhumée Catherine Carles décédée de la veille âgée d’environ 60 ans épouse de Pierre Anterrieux vigneron mariés du village de la Capelle, en présence d’Antoine Anterrieux vigneron et de François Roux cordonnier tous de Conques soussignés"

"L’an 1789 et le 5ème décembre a été inhumé Antoine Bruguière du lieu de la Salesse décédé de la veille âgé d’environ 72, en présence d’Antoine Vidal vigneron et François Roux cordonnier tous de Conques qui n’ont su signer de ce requis"

 

  • Alexis Lacombe

Il est sollicité 40 fois (34 décès, 1 union, 4 naissances).

Sépulture Alexis Lacombe, 1789 © AD12

"L’an 1789 et le 10 mars a été inhumé Alexis Lacombe affidé à l’hôpital natif de la paroisse de Noailhac décédé de la veille âgé d’environ 48 ans, en présence d’Antoine Flaugergues et de Joseph Bonal restants audit hôpital qui n’ont su signer de ce requis"

D’abord juste dit tisserand, il est qualifié de restant à l’hôpital à partir de 1783. Lors de son décès il est « affidé » (attaché à l’hôpital). Il est clair qu’à la fin de sa vie il compte parmi les personnes auxquelles l’hôpital donne un emploi. Concernant le début de la décennie, il est difficile de savoir s’il est un tisserand employé par l’hôpital ou simplement à son compte.

Son acte de décès le dit originaire de Noailhac, paroisse voisine de Conques (environ 8 km de distance). Le seul que j’ai trouvé né là-bas est plus vieux de 7 ans par rapport à l’âge au décès ; ce qui peut correspondre. Il ne semble pas marié à Conques.

 

  • Les femmes

Les femmes, elles, ne sont pas demandées de cette manière. Je mets à part les sages femmes (voir la lettre S de ce ChallengeAZ) qui sont plus présentes à cause de leur métier. 

Celles qui sont citées le plus de fois sont marraines de trois nièces, comme les deux sœurs Cussac, Marie Jeanne et Marianne, ou trois enfants sans lien de famille, comme Elisabeth Delagnes, Madeleine Servières ou Agnès Garric. Ces deux dernières sont restantes à l’hôpital ; ce sont les seules parmi ces femmes dont je connais le « métier » (si l'on peut dire que restant(e) soit un métier). 

Aucune n’est citée comme témoin lors d’un décès.

 

 

* Le terme garçon peut signifier qu’il n’est pas marié mais désigne aussi un employé subalterne travaillant dans une administration, dans un commerce ou pour le compte de quelqu'un.

 

 

mercredi 29 novembre 2023

Y comme Ytier

Les noms dans les registres de Conques, c’est parfois un peu compliqué ; certains n’en n’ont pas (voir la lettre P de ce ChallengeAZ).


Livret de famille © abebooks.com

 

D’autres en changent car, on le sait, les patronymes n’ont pas d’orthographe. Si les noms de familles se sont fixés à la fin du Moyen Age, ce n’est pas le cas pour leur orthographe. En effet, le porteur de patronyme, souvent illettré, n’est pas capable d’épeler son nom. On dit aussi que les accents locaux pouvaient perturber les rédacteurs, pour peu qu’ils ne soient pas du coin. Par ailleurs sous l’Ancien Régime, il n’y a ni loi ni obligation en la matière.

 

Elisabeth Ytié devient Ityé lors de son décès en 1782. Elle était nommée Itié en janvier 1781 et Ytié en novembre de la même année. Marchande, elle savait signer : elle orthographiait elle-même son nom Itié. Son père était né sous le patronyme d'Ithié.

Sépulture Elisabeth Ytié, 1782 © AD12

" Elizabet ityé veuve de jean vidal marchand mourut agée d'environ 22 ans et fut inhumée le lendemain par nous curé soussigné..."

De même Rols devient Raouls (voir la lettre S de ce ChallengeAZ) ou Vaurs devient Baurs.

 

"…Marie Anne Benazech fille légitime et naturelle de Monsieur Jean Benazech et de demoiselle Marie Vaurs…"

"…Joseph Benazech fils légitime et naturel de Me Jean Benazech notaire royal et de demoiselle Maris Baurs…"

 

Pierre Vigouroux a du avaler la moitié des lettres qui composent son nom lorsqu’il a déclaré le mariage de sa fille…

Pierre Vigouroux, janvier et juillet 1781 © AD12

"...Pierre Vigouroux fils legitime de Pierre Vigouroux aubergiste et Catherine Carles..."
"…Antoinettre Vigroux fille de Pierre Vigroux et de Catherine Carles…"

 

Parmi les témoins se trouvent souvent cités Joseph Delagnes et Joseph Delannes…. Jusqu’à ce que je rencontre Marie Delagnes, épouse Pradalier, aussi nommée Marie Delannes : les deux Joseph ne formaient sans doute qu’une seule et même personne !

"… son parrain a été Joseph Delagnes pauvre audit hôpital…"

"… son parrain a été Joseph Delannes restant audit hôpital …"

Le fait qu’on le rencontre souvent associé à Alexis Lacombe, François Roux et autres restants à l’hôpital renforce cette hypothèse.

 

Il est parfois difficile de reconnaître le nom de ses ancêtres…

"…fils légitime à Antoine Selves vigneron dit Romigou et à Jeanne Prodensis…"

En fait Jeanne se nomme Pradellis : c’est la fille et la sœur de mes sosas Pradellis (271 et 133).

 

Quant à Antoine Cibie, son patronyme a été quelque peu malmené au cours des années…

Antoine Cibie, 1781, 1782, 1785 © AD12

"… avons donné la bénédiction nuptiale à Antoine Sivie fils naturel à Jean Sivie…"

"…Anne Sevie fille à Antoine Sevie…"

"…Jeanne Cibie âgée de dix huit mois fille légitime et naturelle d’Antoine Cibie…"

 

La loi du 6 fructidor an II (« Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance : ceux qui les auraient quitté sont tenus de les reprendre ») n’a guère fait changer la situation.

Si, dans une société à dominante orale, les erreurs d’orthographes n’avaient que peu d’incidence, l’apparition d’une administration toujours plus exigeante a créé de réelles difficultés pour certaines personnes dont le nom (et donc l’identité) avait « changé ».

Ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle que l’orthographe du nom se fixe, grâce à l'apparition du livret de famille (en 1877). Lors du mariage, le nouveau couple reçoit un livret officiel. Il reprend les extraits des actes la concernant (naissances, mariage) et il est mis à jour à l’occasion de tout nouvel événement qui le concerne (naissances d’enfants, séparation/divorce, décès). Il contient également des rappels de la législation liée à la famille (mariage, filiation, adoption, autorité parentale, etc…).
Ces livrets de familles ont été créés à Paris pour servir d’état civil bis, en cas de besoin, car la mairie avait brûlé au moment de la Commune. Conservé par les personnes à leurs domiciles, cela permet d’éviter que la catastrophe de 1871 ne se reproduise. Tout l’état civil ancien parisien de 1530 à 1870 était parti en fumée et pendant des années, chaque fois qu’ils devaient prouver leur identité, les Parisiens ont dû apporter les contrats notariés ou les duplicatas d’état civil qu’ils conservaient chez eux. Les livrets de famille constituent un résumé certifié conforme des actes concernant chaque personne. Ils seront généralisés dans le reste de la France en 1884 : chaque mairie doit fournir gratuitement le livret de famille à tous les couples (lors du mariage pour les couples mariés ou lors de la naissance du premier enfant pour les non mariés ; et de façon plus récente lors de l’adoption d’un enfant par un parent célibataire).

A la naissance de chacun de ses enfants, le couple rapporte un document écrit : par copie des événements précédents, le nom reste donc identique tout au long de la vie.

Par ailleurs, avec les progrès de l’alphabétisation, les déclarants sont désormais capables de corriger l’orthographe de leurs noms si besoin est.

 

 

mardi 28 novembre 2023

X comme XXX

Les lettres patentes royales, fondant l’hôpital de Conques en 1762, indiquent que l’établissement puisse accueillir les « enfants exposés, [et que] les familles nécessiteuses et surchargées puissent y déposer leurs enfants pour y être nourris, entretenus et élevés, et enseigné au travail de la manufacture, jusqu’à ce qu’ils puissent se suffirent à eux-mêmes par l’exercice de l’art ou métier qu’ils y auront appris ». 

 

Saint Vincent de Paul trouvant un bébé abandonné sur le seuil d'une église, HFE Philippoteaux © Louvre


Et, de fait, de nombreux enfants nés de père et mère inconnus sont accueillis à l’hôpital : j’en compte 75. Parmi eux 55 sont baptisés durant la décennie (les autres sont nés avant 1780), soit une moyenne de 5 par an, avec un maximum de 9 enfants abandonnés en 1782.

 

Baptême Marie Thérèse, 1782 © AD12

"Marie Thérèse, fille a pere et mere inconnus, exposée à la porte de l'hôpital de cette ville la nuit du onze au douze mai 1782, a été baptisée par moi soussigné le lendemain, sa marraine a été Marie Thérèse fille habitante dudit hôpital qui requise de signer a dit ne savoir"

 

Si les enfants sont déposés la plupart du temps à la porte de l’hôpital, on trouve aussi mentionnés différents lieux de la ville :

"… Dorothée fille a pere et mere inconnus exposée au fond du faubourg dans la nuit passée…"

"… Jacques fils a pere et mere inconnus a été trouvé exposé sur le pont de cette ville…"

"… Jean Antoine fils de pere et mere inconnus trouvé ledit jour au faux bourg…"

"… Jean Louis fils a pere et mere inconnus exposé à la porte de Fumouze de la présente ville…"

Il s'agit d'une des portes fortifiées de la ville.

"… Jean Pierre fils a pere et mere inconnus exposé à la place de Conques…"

"… Joseph fils a pere et mere inconnus exposé dans la ville de Conques…"

"… Madeleine fille trouvée au delà du pont de Conques…"

"… Marie Angélique fille a pere et meree inconnus trouvée exposée dans la nuit précédente sur le pont…"

Baptême Marie Jeanne, 1783 © AD12

"… Marie Jeanne fille a pere et mere inconnus qui à été rencontrée exposée dans la chapelle Notre Dame de Pitié de l'église de Conques…"

"… Pacome fils a pere et mere inconnus exposé de la place du bourg…"

"… Thomas fils a pere et mere inconnus qui à été exposé dans la nuit dernière au faubourg de la présente ville…"

 

Voire dans les paroisses voisines :

"… Marie Jeanne Suzanne fille a pere et mere inconnus exposée à la porte de Mr le curé de St Marcel a été remise et portée à l'hôpital de cette ville …"

"… Marguerite Camille fille a pere et mere inconnus exposée à Calvignac paroisse de St Marcel…"

"Pierre Alexis fils a pere et mere inconnus exposé dans la paroisse de St Cyprien âgé d'environ un mois a été baptisé sous condition dans l'église de Conques par nous vicaire soussigné"

 Ces deux paroisses sont voisines de Conques (aujourd'hui réunies à la commune).


3 enfants ont été présentés par les sages femmes Jeanne Rols et Marie Carles (pour en savoir plus sur les sages femmes, voir la lettre S de ce ChallengeAZ).

Baptême Antoine, 1787 © AD12

"… a été baptisé Antoine fils a pere et mere inconnus qui nous a été présenté par Jeanne Rols sage femme…"

 

La plupart ont comme parrain ou marraine des personnes demeurant à l’hôpital.

"… a été baptisé par moy soussigné un enfant exposé devant la porte de l'hôpital de Conques sur les onze heures de la nuit dernière et luy a été donné le nom de François, son parrain a été François Marty pauvre dudit hôpital…"

 

Les enfants ou leurs effets ne sont jamais décrits. Seule une fois il est mention d’un billet qui accompagne le nourrisson :

Baptême Marie Rose, 1781 © AD12

"Le 6 juillet 1781 a été baptisé par moy soussigné une fille exposée devant la porte de l'hôpital de Conques dans la nuit du 5 au 6 dudit mois avec un billet portant qu'elle n'étoit point baptisée et luy a été donné le nom de Marie Rose, sa marraine a été Marie Albespy fille associée dudit hôpital…"

 

Le 4 juin 1788 deux enfants ont été exposés la même nuit, Joseph et Marie Cécile. Il n’est pas précisé si ce sont deux jumeaux ou si c’est le hasard qui les a réunis dans l’abandon. Le premier est décédé à l’âge de 25 mois, la seconde a survécu au-delà de 1790.

 

Aucun enfant né de père et mère inconnus ne s'est marié dans la décennie qui nous occupe.

26 de ces enfants sont décédés entre 1780 et1790.

 

La plupart restent à l’hôpital, seuls 4 d’entre eux ont été mis en nourrice (d'après ce que l'on sait lors de leur décès).

"… Marie Jeanne âgée de trois mois décédée chez Anne Landes sa nourrice épouse d'André Cavanac…"

"…a été inhumé dans le cimetière de Conques François enfant trouvé âgé d'environ un an mort de la veille au village de Ladrech paroisse de St Marcel…"

 

Au total je compte 46 décès d’enfants d’ascendance inconnus durant la décennie : les 26 cités ci-dessus et une vingtaine supplémentaire qui n’ont pas été retrouvés parmi les baptêmes.

 

"… Anne fille de pere et mere inconnus âgée d'environ trois ans décédée à l'hôpital le jourd'hyer a été inhumée ce jourd'hui 27 août 1783..."

 

Les témoins aux décès de ces jeunes inconnus (ou presque) sont souvent des personnes qui demeurent elles aussi à l’hôpital.

"Catherine âgée d'environ deux ans et demy mourut à l'hôpital le 18 juin 1782 et fut enterrée le lendemain par nous vicaire soussigné, présent à son enterrement Pierre Chatelier soussigné demeurant à l'hôpital dudit Conques et Antoine Bonal demeurant aussi à l'hôpital qui na su signer de ce requis"

 

Le plus âgé de ces enfants de père et mère inconnus accueillis à l'hôpital décédés durant la décennie était âgé de 9 ans. 13 d’entre eux n’avaient pas 1 an.

 

 

lundi 27 novembre 2023

W comme Waouh

Voici quelques actes peu ordinaires qui ont retenu mon attention lors de cette décennie 1780/1790 à Conques.

Vieillard dans l'attitude de l'étonnement, E. Bouchardon © Louvre

 

  • Valse hésitation lors d’un baptême, une cérémonie en deux temps.

Pourquoi François Labro (le prêtre de Conques dont on a déjà parlé à la lettre H – voir ici) a-t-il refusé de tenir l’enfant ? Pourquoi se sont la grand-mère et la sage femme qui ont présenté l’enfant et souhaité le faire baptiser au plus vite, arguant un danger de mort, avant que le père du nouveau-né n’interrompe la cérémonie ? Pourquoi enfin l’enfant ne fut représenté à l’église pour y être baptisé que le lendemain ? Que de questions suscitées par cet acte peu commun…

Baptême Pierre Anterrieux, 1780 © AD12

"L’an 1780 et le 17 [décembre] est né Pierre Anterrieux fils a Pierre et à Jeanne Dalmon mariés de Conques et a été présenté à l'église le même jour au soir par Annette Rols ayeule du baptisé et par Jeanne Rols sage femme toutes deux de Conques et la cérémonie fut commencée, l'enfant fut tenu par Geraud Anterrieux frère du baptisé par le refus qu'en fit François Labro de Conques et après avoir demandé à la sage femme si l'enfant risquoit a attendre laquelle répondit qu'il y avoit du danger, présent encore Baptiste Deltour et la cérémonie interrompue par Pierre Anterrieux père du baptisé ledit enfant fut reporté de nouveau à l'église le 18 et la cérémonie continuée et tenue [ ?] donnée Geraud Anterrieux ayeul continué a assisté audit baptême faisant avec Pierre Antoine Falissard de la place de Conques les fonctions de parrains Marion Anterrieux ayant aussi assisté à la cérémonie pour être marraine, présent Pierre Anterrieux père, Geraud Anterrieux oncle, Pierre Antoine Falissard, Jean Pierre Madrieres, Baptiste Deltour soussignés avec Annette Rols ayeule et Jeanne Rols qui n’ont su signer requis Marion Anterrieux absente"

 En tout cas l’enfant ne semble pas avoir souffert de cette tragi-comédie : en effet il a survécu, a atteint l’âge adulte et s’est marié en 1819...

 

  • Enterrement d'un bourgeois
"Monsieur Pierre Flaugergues avocat et notaire royal âgé d'environ 85 ans décédé le jour d'hier a été inhumé ce jour d'hui 7ème jour de mois d'août 1785, en présence de Mrs Jean Pierre Aymé vicaire et Jean François Labro hebdomadier du chapitre, l’enterrement a été fait par le chapitre de notre consentement, lequel consentement a été reconnu nécessaire par ledit chapitre ainsi qu'il nous la déclaré par Mr Guiot chanoine dudit chapitre, ledit enterrement a été fait en notre présence et avons pris place à côté du chanoine officiant et sommes entrés de côté en célébrant dans la maison du défunt, pour être aussi présent à l'enterrement du corps, toutes les cérémonies ont été faite à l'autel de paroisse"

On a déjà parlé de la levée des corps (voir la lettre T de ce ChallengeAZ). La situation est similaire pour ce notable, fils de notables (la famille compte de nombreux avocats, juges, notaires) : là encore chanoines et curé se sont mis d'accord et officient ensemble ("de côté") depuis la maison du défunt jusqu'à l'autel de paroisse.

 

  • Cas unique dans la décennie : un fils illégitime !

Baptême Jean Baptiste Arnaud, 1787 © AD12

"L'an 1787 et le 17e octobre est né et a été baptisé un Jean Baptiste fils illégitime à Baptiste Arnaud marié de cette ville qui s'est déclaré lui-même père de cet enfant et l’a reconnu pour son fils en présence d'Antoine Lagarrigue et de geraud maître cordonnier et de Geraud Anterrieux clerc du chapitre et à Marguerite Imbaut du lieu de Grand Vabre restante ici de même [?] sa marraine a été Marie Carles sage femme ledit Arnaud père de l'enfant et la marraine requis de signer ont dit ne savoir lesdits Lagarrigue et Anterrieux ont signé avec moi
La Rousse vic"

Ce pauvre vicaire semble tout bouleversé de déclarer cette naissance, comme le suggère la rature et la mère nommée après les témoins…


Sépulture Jean Baptiste Arnaud, 1788 © AD12

"L'an 1788 et 11e juin est décédé et a été inhumé le 12e dudit mois Jean Baptiste Arnaud fils naturel à Baptiste Arnaud travailleur marié de cette ville et Marguerite Imbaud native du lieu de Grand Vabre restante de Conques qui se déclarent en être père et mère le 17ème octobre 1787 jour du baptême du défunt en présence d'Antoine Lagarrigue Me cordonnier et de Geraud Anterrieux clerc du chapitre qui signe [?] sur le registre de ladite année, ont été présents à la sépulture Joseph Delagnes et Alexis Lacombre restants à l'hôpital où est décédé ledit Jean Baptiste Arnaud qui n'ont su signer de ce requis
La Rousse vic"

Remis de ses émotions, le vicaire peut enregistrer le fruit du péché rejoignant son créateur…

 

 

samedi 25 novembre 2023

V comme Vie et mort

Le XVIIIème siècle à Conques est marqué par la misère, alternant des périodes relativement viables et de graves disettes, entre aléas climatiques, épidémies et guerres royales. 


Une enquête datée de 1771 indique que les deux tiers des familles sont accablées d’impôts et « la plupart passent la moitié de leur temps sans pain, 20 familles manquent de presque tout et le reste des deux tiers auraient grand besoin de secours ». La paroisse compte environ une centaine de mendiants.
En 1780 il n’y a plus qu’un seul faubourg, une partie des boutiques ne se retrouvent plus. Le sol est jugé mauvais et « le meilleur ne peut être que médiocre ». L’allivrement (= fixation du taux d'un impôt)
est tellement excessif, que beaucoup de propriétaires ont abandonnés leurs fonds commerciaux. La production la plus avantageuse est la vigne. Le mauvais état des chemins (jugés « affreux ») empêche le déploiement du commerce. Par manque de prairies il n’y a pas de grands bestiaux. 60% de la population ne mangent « du pain que les dimanches. Le reste de la semaine ils ne se nourrissent que de châtaignes. Encore  n’en ont-ils pas en suffisante quantité. Encore les leur arrache-t-on des mains pour payer l’impôt. Telle est la misère du pays ». 

 

Mendiant comptant sa recette, AG Decamps © Louvre

 

Dans la décennie étudiée à Conques, je compte presque autant de naissances que de décès (340 pour 345).

La moyenne est de près de 31 naissances par an, avec un minimum en 1780 (18 naissances) et un maximum en 1788 (40).

Nombre de naissances par années

 

Concernant les décès, ils sont supérieurs aux naissances lors de 4 années (1780, 1785, 1787 et 1790) ; mais très inférieurs en 1781 par exemple (14 décès pour 25 naissances).

 

La misère régnante ne semble donc pas avoir des répercutions très nettes, notamment au niveau des décès. Il faut toutefois relativiser l’enquête de 1771 : ton et expressions sont caractéristiques d’une époque et on ne les emploierait plus aujourd’hui. S’il est sûr que les temps étaient difficiles, on a vu qu’il y a un éventail variés de métiers dans la ville (voir à la lettre K de ce ChallengeAZ : voir ici). Et comme on vient de le voir, la balance ne penche pas dramatiquement du côté des décès.

 

Au niveau national la mortalité féminine n’est que très légèrement supérieure à la mortalité masculine (3%) en raison des dangers de l’accouchement. Il faut supposer que les dangers encourus par les hommes (à l’armée ou dans l’exercice de leur profession) compensent celui de la maternité.

 

A Conques, je ne compte que deux femmes susceptibles d’êtres décédée des suites de couches : 

  • peut-être Anne Desmon décédée en 1784 cinq mois après la naissance de son dernier enfant ; ce qui la classe quelque peu hors délais (qui est de 42 jours pour être considéré comme suites de couches) à 24 ans.
  • et plus sûrement Jeanne Banide, ma sosa 131, décédée la même année dix jours après la naissance de mon ancêtre Catherine à l'âge de 33 ans.
 

Sépulture Jeanne Banide, 1784 © AD12

"jeanne banide epouse de jean chivaillé charpentier agée d'environ trente deux ans mourut le 22 may 1784 et fut inhumée le lendemain par nous curé soussigné en presence de jean chivaillé son mari et d'antoine costes de conques qui requis de signer ont dit ne savoir"

 

Toujours au niveau national l’espérance de vie est inférieure à 30 ans, avant la Révolution. Si je compte la moyenne d’âge au décès à Conques je trouve 58 ans en prenant en compte la population âgée de plus de 10 ans ; ce chiffre tombe à 30 ans si je compte la totalité de la population. La mortalité infantile (décès d'enfants âgés de moins d'un an) est alors très importante. Toutefois elle est inférieure à Conques par rapport à la moyenne nationale : 180 p. 1000 au lieu de 280 p. 1000.

 

On notera qu’il n’y a aucune référence à la Révolution dans les registres de Conques. Il n'y a pas même une rupture dans les registres : la transition de fait en douceur en 1792. Jusqu'au 26 septembre les actes sont rédigés par le curé et les suivants à partir du 6 octobre par l'officier municipal. Là-bas le temps s’écoule comme si l’extérieur n’existait pas…

 

 

 

vendredi 24 novembre 2023

10e bloganniversaire

Cela fait dix ans aujourd’hui que j’ai ouvert ce blog. Et un peu plus du double que je fais de la généalogie. 

 



Je me souviens, en avril il y a dix ans, j’étais alitée, souffrant d’un mal idiopathique (c'est-à-dire qui n’a pas de cause connue). Il faudra 6 ans de plus pour qu’enfin soit posé le diagnostique de fibromyalgie (douleurs chroniques, fatigues, céphalées). En attendant, je  surfais sur internet quand je suis tombée sur la première édition du ChallengeAZ (à cette époque il avait lieu au printemps). Cela m’a vraiment donné envie d’y participer. Mais l’édition était déjà en cours : trop tard pour 2013.

Néanmoins l’idée ne m’a pas quittée. Elle a mûrie doucement pendant l’été. Le temps de créer un blog avant tout. Et pour cela d’abord trouver un nom : j’ai dressé une liste de vocables associés à la généalogie (foyer, mémorial, archive, souche, vieil, récit, ancêtres, etc…). J’ai choisi « Murmures d’ancêtres ». J’aimais bien cette idée que mes aïeux me transmettaient leurs histoires à bas bruit, un fil ténu comme un murmure, qu'on ne peut entendre que si l’on y prête attention, si on le recherche.

Ensuite il a fallu se renseigner sur un hébergeur, la solution qui m’était le mieux adaptée. Puis adopter un template et une identité visuelle (au début mon blog était marron foncé, comme le tronc d'un vieil arbre, écrit en blanc, puis il est devenu vert, comme les feuillages d’un arbre, avant d’adopter les couleurs actuelles en 2020).

Petit à petit, je me suis aussi auto-formée au codage informatique : par exemple je voulais une ligne d’onglets ouvrant sur les différentes pages ; ce que mon template ne proposait pas. Qu’à cela ne tienne ! j’ai cherché sur internet une solution qui me convenait et hop ! (je dis « hop », mais ça a été un peu plus compliqué que cela en fait…).

Et en novembre j’étais prête ! Le 24 je publiais mon premier article intitulé Portrait, un article tout simple, suivi d’une Généalogie animée.

Je remercie à la fois la généalogie et le blog qui me permettent souvent de m’évader, de penser à autre chose, lorsque la douleur me tient dans ses griffes.


Au cours de cette décennie, je vous ai transmis ce que m’ont murmuré mes ancêtres. Ils sont actuellement 12 827 à m’accompagner. 32 générations d’hommes et de femmes qui m’ont précédés, depuis les environs de l’An Mil (merci la branche noble !) jusqu’à nos jours.

Des nobles et des petites gens. Des fratries nombreuses, très nombreuses, comme Pierre Le Masson et Louise Brichet, qui ont eu 17 enfants, nés entre 1733 et 1755 (soit en 22 ans), record de ma généalogie pour une seule union. Mais aussi des filles-mères de génération en génération, une probable centenaire, une mariée bien trop jeune et un père bien âgé. Des proches ou des personnes totalement oubliées de la mémoire familiale.


J’ai vu de belles signatures : nombreuses, anciennes, avec des fioritures, hésitantes...



J’ai découvert des pratiques qui paraissent bien étonnantes aujourd’hui, comme ce prénom Jean donné à 6 générations de la même famille, les Pochet (fratrie et prénoms composés compris soit 10 individus) – sans compter les Jeanne. Je me suis armée du Bescherelle de la généalogie pour ne pas être prise au dépourvu.

Entre les lignes, j’ai décelé de tristes histoires. J’ai eu affaire à de véritables bêtes féroces. Mais aussi de belles émotions.


J’ai participé à des défis mensuels, annuels, alphabétiques (le défi du ChallengeAZ bien bien sûr, vous l'aurez reconnu : celui qui m'a donné envie de me lancer dans cette aventure et que je n'ai jamais cessé de relever au fil de ces dix ans). A des rencontres improbables avec mes ancêtres, qui m’ont permis de m’adonner à mon goût pour l’écriture. J’ai joué avec les mots. J’ai écrit une histoire rien qu’avec les patronymes de mes ancêtres. C’est comme ça que j’en suis arrivée à commettre un polar généalogique.

 

J’ai rencontré un gentil vaurien, un futur Saint de l’Église, une mère de soldats durement éprouvée.

J’ai menées des recherches ardues, je me suis cassé le nez de temps en temps.

Parfois des objets mystérieux me sont tombés du ciel, une carte postale ou une médaille, donnant lieu à de nouvelles recherches bien sûr.

 

Au début concentrée sur l’état civil, j’ai varié les sources en piochant dans le cadastre, les recensements, les matricules militaires (révélant au passage une belle bande de bras cassés). Les archives notariales m’ont révélé parfois de drôles de surprises. Puis, je me suis intéressée à des sources moins fréquentes comme des dossiers de carrières, les cahiers de doléances ou les Pupilles de la Nation.

Maintenant j’explore de nouvelles séries aux archives comme les séries Q Enregistrement et hypothèque ou B Cours et juridiction (bientôt sur le blog). Tout cela me permet d’étoffer ma généalogie, de lui donner corps et chair.

 

J’ai découvert des usages locaux inconnus, des vêtements ou des habitats traditionnels.

J’ai appris plein de mots nouveaux : tissus, métiers, objets du quotidien, mais aussi vocabulaire notarial, militaire ou régional. Vous pouvez retrouver leurs définitions dans la page Lexique de ce blog où je les ai répertoriés.

C’est mon plaisir associé à la généalogie : non seulement dénicher de nouveaux ancêtres, mais aussi faire de nouvelles découvertes - historiques, géographiques, régionales… - apprendre et combler ma soif de savoirs.


J’ai rencontré des généalogistes, une communauté bienveillante et toujours prête à partager et aider, notamment sur les réseaux sociaux. Grâce au blog j’ai aussi fait la connaissance de nouveaux cousins (dont une "multiple cousine" qui se reconnaitra) de façon virtuelle ou dans la vie réelle.


Mais pourquoi un blog ? Rédiger un article est un bon moyen de faire un point sur ses recherches. Évidemment c’est un excellent prétexte pour m’adonner à mon goût pour l’écriture. C’est aussi une question de partage, de générosité. Mes ancêtres ne sont pas uniquement à moi : ils sont aussi les ancêtres d’autres personnes, connues ou inconnues. Leurs histoires peuvent les intéresser aussi. Et intéresser d’autres personnes, sans liens familiaux – ce qui reste un grand mystère pur moi. Par ailleurs, un blog c’est bien pratique pour l’entraide parfois : lorsqu’on bloque sur un point, une recherche, la solution vient souvent d’un lecteur.

 

Point chiffre

  • A la fin de ce mois, ce blog comptera 612 articles publiés.
  •   Un peu plus de 463 300 vues ont été recensées à l’heure où j’écris ces lignes, et 1 270 commentaires.
  • Le trafic du blog vient (dans cet ordre) de Google, Twitter, Facebook et Flipboard.
  • Mes lecteurs viennent principalement de France, des États-Unis… et plus étonnamment du Danemark et de Russie (et d’autres pays encore…).

 

Je profite de cet anniversaire pour remercier chaleureusement tous les lecteurs de ce blog. Les fidèles comme les nouveaux. Ceux qui commentent ici et ceux qui préfèrent le faire sur les réseaux sociaux. Ceux qui m’aident quand j’en ai besoin. Ceux qui m’encouragent, me soutiennent.

 

J’ai toujours ce petit frisson au moment de cliquer sur « Publier » un article. Cette attente de vos réactions et observations. Alors, si mes ancêtres continuent à me souffler leurs histoires, je suis prête à repartir pour dix ans. Et vous ?