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Sur l'unique cliché que je possédais de mon arrière-grand-père, il paraissait très austère, avec sa moustache bien droite, le regard vous transperçant.
Puis j'ai découvert une autre facette de sa personnalité, grâce à un dossier le concernant conservé aux archives de l'Ain [ * ].
En effet, il était garde forestier et les correspondances entre lui et l'administration ont été conservées (28 documents sont parvenus en notre possession).
Le premier document date de 1904 : c'est une recommandation du Maire Bondet adressée au député Chanal afin qu'il appuie sa candidature au poste de garde forestier.
Le préfet accepte ces recommandations et nomme, par arrêté du 31 octobre 1905, "le sieur Assumel, ancien brigadier d’artillerie", cultivateur au Poizat (Ain), garde forestier à Samognat ; son traitement annuel est fixé à 500 francs.
Au travers des différents courriers envoyés à l'administration, on suit sa carrière :
- en 1907, il souhaite sa mutation à Apremont ; ce qui lui est refusé car il n'a pas assez d'ancienneté : "Le poste d’Apremont auquel est affecté un traitement de 700 francs n’est pas un poste de début. Sous peine de décourager le personnel forestier communal, il importe qu’un pareil emploi soit attribué à un garde déjà en fonctions et méritant de l’avancement."
- en 1908 il est nommé à Martignat, après recommandation du Conservateur des Eaux et Forêts.
- en 1910 il souhaite être muté à Saint-Germain de Joux ; mais laissons-le parler, puisqu'une lettre écrite de sa main nous est parvenue :
J’ai l’honneur de venir vous renouveler la demande que je vous ai fait il y a quelques temps pour me faire attribuer le poste de Brigadier de St Germain de Joux, j’ai appris que j’étais en ligne et que j’avais un petit espoir.
Je compte sur votre dévouement pour écarter un peu de moi ma mauvaise chance, car avec toutes les envies de bien faire je n’ai jamais pu réussir en rien : à 32 ans j’étais veuf pour la 2ème fois et aujourd’hui j’ai ma femme au lit malade de l’albumine. Le médecin a déclaré que c’était très grave, on dirait que
le destin s’acharne contre moi.
Veuillez donc s’il vous est possible me faire parvenir à ce poste qui améliorera sensiblement ma situation.
Vous pouvez persuader M. le Préfet qu’ayant été élevé dans un pays de forêts je peux mieux que personne apporter aux forêts les améliorations qu’elles ont besoin et que je resterai un serviteur fidèle et dévoué.
Dans l’espoir que vous ferez votre possible et en attendant que je vous prouve ma reconnaissance.
Veuillez agréer M. le Sénateur mes sentiments dévoués
Assumel garde des Eaux et forêts à Martignat
Et soudain le roide personnage laisse place à quelqu'un de plus touchant, criant son désespoir, le mauvais sort s'acharnant sur lui.
Puis viennent plusieurs documents qui sont des recommandations signée du sénateur Baudin pour qu'il obtienne le grade de brigadier.
Ces demandes multiples seront systématiquement refusées : d'abord parce qu'il n'a pas encore assez d'ancienneté, puis parce qu'il est en compétition avec d'autres agents "plus méritants". Enfin pour raisons de santé : il n'est "pas en état de supporter les fatigues inhérentes aux fonctions de brigadier, car un chef de brigade doit fournir de longs trajets pour visiter et contrôler les divers triages de sa circonscription." (le conservateur des Eaux et forêts, 7 septembre 1916).
Pourtant, il semble rendre un service satisfaisant :
- "Ce préposé est un bon garde, actif et zélé et sera probablement susceptible de devenir ultérieurement brigadier, bien que son instruction soit un peu faible." (rapport Le Clerc, 21 septembre 1910)
- "J’ai l’honneur de vous faire connaitre que M. Assumel s’acquitte de ses fonctions d’une manière très satisfaisante et que ses chefs estiment qu’il pourra très probablement accéder au grade de chef de brigade." (lettre au sénateur Baudin, le 28 septembre 1910)
Cependant, d'autres causes, plus politiques, semblent influencer ces refus multiples :
- "C'est un agent clérical accompli, parlant toujours contre le gouvernement." (lettre du maire de Martignat, 30 mai 1912)
- " Ce dernier fait partie de l’Action Libérale. [ . . . ] Nous vous prions de bien vouloir nommer à Apremont en remplacement du garde Humbert un fonctionnaire dont on ne puisse suspecter les opinions républicaines." (lettre du maire d'Apremont, 16 août 1912)
De toute évidence, c'était un homme de conviction, quelles qu’en soient les conséquences.
Finalement, il sera transféré en Anjou en 1921. Le relief plus plat lui convient mieux (c'est moins fatigant pour lui). Il finira sa carrière aux Ponts de Cé, à côté d'Angers, et s'éteindra en 1929 à l'âge de 53 ans.
C'était mon arrière-grand-père. Je ne l'ai pas connu.
[ * ] Merci à B. Boisard pour ces documents
Toute une partie de la vie de votre aïeul ainsi retrouvée, c'est une très belle découverte.
RépondreSupprimerQuelle chance en effet d'avoir retrouvé ces documents et de pouvoir les dépouiller et les préserver.
RépondreSupprimerJe ne trouve pas à votre arrière grand-père un air si sévère que ça. Sa moustache bien droite donne il est vrai une impression de rigidité mais son regard me semble juste franc. Il devait être un homme droit, qui n'a pas trahi ses convictions par ambition et l'a payé par ces refus d'avancement.
Oui c'est inestimable de tomber sur de tels documents. Cela permet de voir comment votre AAGP vivait. Touchant.
RépondreSupprimerQu'ils sont précieux ces documents !
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