« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

Affichage des articles dont le libellé est Seine-et-Marne. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Seine-et-Marne. Afficher tous les articles

dimanche 15 juin 2025

Soldat du Roi

Je viens de trouver mon plus ancien soldat. Il se nommait Louis Billard, fils de Claude Billard ou Billiard et Denise Piedeloup (c'est un collatéral pour moi : je descends de sa sœur Denise). Il est né en 1687 à Villemareuil (Seine et Marne). Il était « soldat du Roi » (en l’occurrence Louis XIV d’abord puis Louis XV ensuite).

Il m’a été indiqué grâce à un message d’un inconnu (leplumey, de son identifiant sur Geneanet, que je remercie ici chaleureusement). Il m’a contacté via la messagerie de ce site pour me signaler ce soldat. Il a ajouté le lien direct vers le site Mémoire des Hommes où je trouve sa fiche dans le contrôle des troupes (GR 1 Yc 821) : 

Fiche Louis Billard, contrôle des troupes du Régiment du Roi © Mémoire des Hommes
 

Louis Billard a intégré le « Régiment du Roi », 4ème bataillon. Sa fiche précise sa parenté et son surnom : La Brye. Si je lis correctement ce document, il est dit natif de Villermorville, en Brie (d’où son surnom), juridiction de Meaux (et non Villemareuil, autant dire que je ne pouvais pas le trouver d’après son lieu de naissance !). Lors de la rédaction du registre il fait partie de la compagnie du Chevalier de Vallence (ou Valence), est âgé de 55 ans, mesure 5 pieds 4,5 pouces (soit 1,63 m) et ses cheveux sont châtains. Il n’a pas de signe distinctif (cicatrice, marque de petite vérole, tâches de rousseurs, etc…).

Il a été blessé au siège du Quesnoy.

Il s’agit de la ville du Nord en 1712, qui s’inscrit dans la guerre de succession d’Espagne (1701/1714). La ville, longtemps sous domination espagnole, est reprise par la France au milieu du XVIIème siècle, mais reste très affaiblie. En 1712 elle subit deux sièges, à quelques mois d’intervalle. Si les Français perdent le premier, ils sortent victorieux du second. On compte environ 300 morts ou blessés parmi les Français et sans doute autant du côté des Impériaux. L’échec du siège, couplé à la déroute de Denain qui a lieu en même temps, marque le déclin définitif de la coalition impériale et le retour en force de la France.

Néanmoins cette blessure reçue au Quesnoy n’a pas empêché Louis de poursuivre sa carrière militaire, puisqu’il sert encore pendant près de 30 ans.

Une mention complémentaire indique que Louis a servi 7 ans dans les lanciers.

Enrôlé le 7 juillet 1711 (à 24 ans), il est sorti du régiment « invalide » le 2 juillet 1741 (sans précision de ce qui l’a rendu invalide ni où il a été blessé).

 

En tant qu’infirme, il intègre l’Hôtel des Invalides à Paris, dont la construction est ordonnée par Louis XIV en 1670. Cette institution avait pour objectif d’assurer aide et assistance aux soldats des armées royales blessés, ou trop âgés pour servir, afin d'éviter de les voir mendier ou mourir dans l'indigence. Il comprend une église royale (l'Église du Dôme), un hôpital, des réfectoires, des logements, des cours, des jardins. Il pouvait accueillir environ 6 000 pensionnaires, soldats ou sous-officiers (pas d’officiers nobles qui étaient censés être soutenus par leurs familles ou des pensions de cour). Ils bénéficiaient de soins médicaux, de repas, et d'une pension. En échange ils devaient participer aux activités communautaires, y compris les prières, les repas en commun, et les cérémonies militaires. Les soldats mutilés n'accédaient aux Invalides qu'après de longues années de service dans l'Armée. Parmi les « pensionnaires résidents » on distingue les plus malades, qui logeaient et étaient soignés dans la partie hôpital, et ceux qui étaient mieux portant, qui travaillaient dans la manufacture pour confectionner des uniformes, des bas ou des souliers. Les plus valides étaient classés en « pensionnaires externes » assignés à la surveillance du territoire (dans des places fortes, garnisons ou dépôts militaires à l’arrière) ; ils recevaient une pension mais devaient assurer des postes de garde ou d’enseignement aux jeunes recrues. Tous devaient observer une discipline stricte et avoir une conduite irréprochable (pendant le service actif et ensuite pendant leur séjour aux Invalides).

Louis Billard y décède le 29 août 1751, âgé de 64 ans, comme me l'apprends la base de donnée de l'Hôtel des Invalides.

 

J’ai aussi trouvé Louis dans le registre de contrôle des troupes de l’époque précédente (GR 1 Yc 812) : sa fiche est moins complète, mais on retrouve bien Louis Billard, dit « Labry », de la juridiction de Meaux, cheveux châtains, 5 pieds 5 pouces (la taille est souvent arrondie). Il est déjà dans la 4ème bataillon, mais dans la compagnie de Compiègne (dit aussi Chevalier de Compiègne, capitaine au Régiment du Roi au moins entre 1722 et 1733, dont l’identité exacte reste incertaine – que l'on retrouvera au 3ème bataillon dans le registre suivant GR 1 Y 821). Louis est cependant dit enrôlé en juin 1728 et non 1711. La date de sortie n’est pas indiquée puisqu’il est encore en service dans le registre de contrôle suivant (cliquez ici pour accéder à l'inventaire des registres matricules d'Ancien Régime sur Mémoires des Hommes).

 

Mais pourquoi « leplumey » (Ivan Leplumey) m’a envoyé ce message ? Comme il me le précise, c’est en lien avec le projet pédagogique Mémoire des Hommes-INSA Rennes-IRISA (équipe Intuidoc de l’Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires à l’Institut National des Sciences appliquées). Enseignant-chercheur, il est le responsable du projet. Ignorant tout de cette opération, je transcris ici sa présentation trouvée sur le site Mémoire des Hommes : depuis 2021 il existe une étroite collaboration entre l’école d’ingénieurs de Rennes et le site du ministère des armées. Les étudiants, dans le cadre de leur projet pédagogique, ont conçu des programmes informatiques pour indexer les registres militaires d’Ancien Régime, importer les donner et créer des revues. Ces revues numériques sont réalisées avec des partenaires spécifiques, comme des archives départementales ou des cercles généalogiques. Les soldats indexés sont regroupés dans des revues adaptées au partenaire. Ainsi la revue costarmoricaine ne contiendra que des soldats des Côtes d’Armor. Un tri est aussi opéré par régiment, département, commune ou patronyme : il devient ainsi très facile de retrouver ses ancêtres soldats (voir les revues dans l'inventaire). Pour chaque soldat indexé, un lien redirige le lecteur vers le registre d’origine. Geneanet ou Ancestramil sont également partenaires de l’opération. Voir ici la présentation complète de ce projet.

Dans la revue dédiée à « Monsieur » (Louis-Stanislas-Xavier de France, comte de Provence, frère de Louis XVI, né en 1755, futur Louis XVIII), j'ai découvert un autre de mes collatéraux, René Bouguay (Bouguié dans mon arbre), pas de surnom, laboureur né à Saint Sylvain d'Anjou (Maine et Loire) en 1750. Sa fiche est visible dans le registre de contrôle des troupes du régiment de Monsieur (GR 1 Y 574). Il est alors dans le second bataillon, compagnie de Charpin. Enrôlé en 1778 et réengagé deux fois (1784 et 1786). Il mesurait 5 pieds 4,5 pouces, avait les cheveux et sourcils châtains très clair, les yeux bleus, le visage « quarré », nez pointu, bouche moyenne, menton rond, un signe à la joue droite et une petite cicatrice à la joue gauche.

 

Fiche René Bougay, contrôle des troupes du Régiment de Monsieur © Mémoire des Hommes
 

En 1711, époque où Louis Billard s’engage (sous le règne de Louis XIV donc), le recrutement militaire en France obéissait à un système complexe, mêlant engagement volontaire, contraintes sociales et pressions politiques. Le royaume étant alors engagé dans la guerre de Succession d’Espagne (1701/1714), les besoins en soldats étaient élevés.

Les Armées du Roi étaient organisées en régiments, qui portaient les noms de leur propriétaire puis par la suite celui de leur province ou ville de recrutement. Chaque régiment avait sa spécialité (infanterie, cavalerie, etc...) et était appelé à servir sur les champs de bataille selon les exigences militaires. Ils avaient également le rôle d'assurer la sécurité de leur province.

Un grand nombre de régiments sont créés sous Louis XIV (on passe de 33 en 1643 à 260 en 1712).

 

Il existait différents types de recrutements :

1. L’engagement volontaire (avec contrat d’engagement)

  • Principe : Les soldats s’engageaient pour une durée (souvent 4, 6 ou 8 ans).
  • Cible : Jeunes hommes pauvres, souvent ruraux, parfois des vagabonds ou sans métier stable.
  • Avantages offerts :
    • Prime à l’engagement (souvent payée par la ville ou le seigneur local).
    • Promesse de solde régulière, logement, nourriture.
  • Les engagés étaient souvent recrutés dans les provinces, puis envoyés à une place forte ou au dépôt du régiment.

 

Enrôlé volontaire, Louis a sans doute passé un contrat d’engagement devant notaire. Ce type de contrat était formaté et, si je n’ai pas trouvé celui de Louis, il devait ressembler à cela :

« Le 7 juillet 1711, Louis Billard, fils de feus Claude Billard et Denise Piedeloup, natif de Villemareuil en Brie, âgé de 24 ans, de son gré et libre volonté, s’est présenté en la maison commune et a déclaré vouloir s’engager pour le service du roi dans le régiment du Roi-infanterie, compagnie du sieur capitaine de Compiègne [en réalité j’ignore si c’était déjà lui le capitaine lors de son engagement, NDLR]. Lequel engagement est fait pour la durée de six ans, à commencer du jour de son arrivée au dépôt du régiment.
En contrepartie, il reçoit la somme de quarante livres tournois à titre de gratification, payée comptant par le dit capitaine, ainsi qu’un habit d’uniforme, un mousquet, et une paire de souliers.
Fait et signé en présence du sieur notaire et de deux témoins. »

 

2. Le tirage au sort (la milice)

  • Créée sous Louvois (en 1688), la milice provinciale fournissait des hommes tirés au sort pour le service. Elle ne faisait pas partie de l’armée régulière, mais formait une force de conscription provinciale, utilisée pour renforcer les troupes permanentes en temps de guerre.
  • Objectif : éviter de dépendre uniquement des engagés volontaires et constituer une réserve nationale bon marché (entretenir une armée permanente coûtait très cher).
  • Tirage au sort dans les paroisses : chaque paroisse devait fournir un nombre d’hommes, selon sa population. Les hommes valides entre 18 et 40 ans étaient inscrits sur une liste, puis tirés au sort publiquement.
  • Durée de service : 6 ans (variable selon les campagnes). Après ce service, le milicien pouvait être incorporé dans les troupes régulières (surtout les meilleurs éléments).
  • Exemptions : noblesse, clergé, bourgeois, étudiants, aînés de famille nombreuse…
  • Souvent mal perçue : les miliciens tirés au sort pouvaient payer un remplaçant, s’ils en avaient les moyens. Les classes populaires, en particulier, la voyait comme profondément injuste.
  • Déploiement : les miliciens servaient dans des régiments de milice spécifiques, mobilisés pour la défense du territoire et les campagnes extérieures en cas de besoin. Ce n’était pas une force permanente en temps de paix, mais réactivée en temps de guerre.
  • Régiment : ils sont organisés par Province (régiment de Bretagne, du Languedoc, etc…, composé d’un millier d’hommes environ).
  • Fin du système : critiquée pour son inefficacité militaire et sa dimension coercitive, elle est progressivement marginalisée sous Louis XVI. Elle est supprimée en 1789, puis remplacée par la levée en masse (1793).

 

3. Le recrutement forcé (enrôlement de force)

  • Origines : il existait déjà au XVIIème siècle, mais se développe massivement sous Louis XIV, en particulier à partir des années 1680, avec la montée des besoins militaires. On y recourait pour pallier le faible attrait de la carrière militaire (dure, mal payée et aux risques élevés), l’échec des levées de volontaires ou les désertions massives et à cause des besoins accrus en temps de guerre.
  • Méthodes de recrutement : beaucoup de recrutements étaient arbitraires ou abusifs, obtenus par le moyen de :
    • Rafles dans les villes : des arrestations massives étaient pratiquées dans les tavernes, foires, ports ou marchés.
    • Pressions exercées par les intendants, curés, seigneurs.
    • Envoi de « mauvais sujets » vers les régiments, ceux jugés « oisifs », « sans métier », délinquants ou mendiants.
    • Peine alternative à la prison : les cours de justice proposaient parfois le service militaire comme alternative à la prison ou en échange d’une remise de peine.
    • Dénonciation : familles ou communautés faisaient arrêter les « indésirables » qui étaient enrôlés.
    • Chasse aux déserteurs : ils étaient repris et réintégrés sous escorte, parfois dans un autre régiment.
  • Durée de service : elle pouvait être identique à celle des engagés volontaires (4 à 8 ans), mais pouvait aussi parfois être à vie (surtout en cas de « peine » ou en régiment étranger).
  • Affectation : les enrôlés de force étaient répartis dans les régiments existants, souvent dans les compagnies les moins valorisées ou les régiments étrangers, parfois dans des régiments « disciplinaires ». Ils pouvaient aussi être envoyés aux colonies (Antilles ou Louisiane), parfois dans les troupes de marine.
  • Effectifs : il est difficile de chiffrer exactement les enrôlements forcés, car ils n’étaient pas toujours recensés officiellement. Mais on estime que 15 000 à 20 000 hommes par an furent enrôlés de force dans les périodes de guerre intense.
  • Perception : l’enrôlement de force entretenait un fort mécontentement populaire, étant vu comme le symbole de l’arbitraire royal. Les faux certificats, évasions ou mutineries se multipliaient pour y échapper. Par ailleurs les enrôlés de force avaient mauvaise réputation dans l’armée : souvent indisciplinés, peu motivés, prompts à déserter.

 

4. Les officiers

  • Les officiers (lieutenants, capitaines, etc.) venaient quasi exclusivement de la noblesse, souvent par achat de charge ou faveur royale.
  • Les nobles n’étaient pas soumis au tirage au sort de la milice.
  • Ils entraient dans l’armée soit :
    • Par achat de commission, souvent très coûteuse.
    • Par lettre de recommandation, s’ils étaient d’une famille influente.

 

Les officiers (souvent les capitaines) étaient responsables du recrutement de leur compagnie. Ils finançaient en partie le recrutement, notamment en avançant la prime d’engagement. Certains avaient des réseaux locaux (notaires, curés, sergents, etc…) pour recruter dans leur province d’origine.

En temps de guerre, les pertes étant élevées, le recrutement était constant.

 

Le processus d'affectation des soldats dans l'armée royale d’Ancien Régime est lui aussi assez complexe. L’affectation à un régiment ou une garnison du soldat ne se fait pas forcément selon sa région d’origine. Elle pouvait être déterminée par plusieurs facteurs :

  • Le recrutement local : le capitaine est responsable du recrutement, soit en personne, soit par l’intermédiaire de recruteurs ou notables locaux. Il le faisait dans sa région d’origine ou dans une province favorable au recrutement. Les officiers choisissaient leurs recrues pour servir dans leurs compagnies.
  • Le choix du soldat : lorsqu’un homme s’enrôlait de son plein gré, ou comme remplaçant d’un milicien, il pouvait choisir, dans une certaine mesure, le régiment, selon les offres disponibles ou les relations locales. Les régiments « de prestige » comme le Régiment du Roi attiraient ainsi davantage de volontaires.
  • La disponibilité : les intendants affectaient les recrues à un régiment « en déficit ».

 

Ainsi, dans le régiment du Limousin, par exemple, on ne trouvera pas que des soldats originaires de cette région. Cette affectation non géographique rend complexe la recherche d’un soldat d’Ancien Régime. Dans la compagnie de Louis, sur une soixantaine d’hommes, on compte une vingtaine de régions d’origine différentes.

 

Louis Billard appartenait au Régiment du Roi, créé en 1663. Ce régiment d’infanterie est issu d'une réorganisation des forces militaires françaises sous Louis XIV, qui cherchait à renforcer et à moderniser l'armée royale. Son nom reflète son importance et son lien direct avec la monarchie : c’était l’un des régiments les plus prestigieux de l’armée, associée directement à la personne royale, un corps d’élite de l’infanterie de ligne d’Ancien Régime. Le régiment était souvent déployé en tête d’armée dans les batailles majeures et jouait un rôle crucial dans les stratégies militaires de l'époque. Il formait aussi souvent la garde d’honneur dans les cérémonies militaires. Il bénéficiait de privilèges spécifiques en raison de son association directe avec le roi, ce qui lui conférait un statut particulier au sein de l'armée. Sa discipline et sa tenue étaient parmi les plus strictes de l’infanterie.

 

Un régiment d’infanterie comptait en moyenne 1 500 à 2 000 hommes (les chiffres sont à prendre avec précaution car les effectifs variaient selon les périodes (guerre/paix), les pertes et les ordonnances royales).

Le Régiment du Roi était dirigé par un lieutenant-colonel (le roi lui-même étant le colonel en titre). Lorsque Louis s’engage, en 1711, c’est Louis Armand de Brichanteau, marquis de Nangis, qui est le lieutenant-colonel du Régiment. Il occupe cette fonction de 1702 à 1713.  Il est issu de la maison de Brichanteau, ancienne noblesse de robe et d’épée, très influente sous Henri IV et Louis XIII, héritier des terres de Nangis (en Brie), érigées en marquisat. Il deviendra ensuite lieutenant général des armées du roi et nommé Chevalier de l'Ordre du Saint-Esprit vers la fin de sa vie (distinction rare réservée aux plus hauts nobles du royaume). Il meurt en 1742.

Pendant le service de Louis, lui succèderont au poste de lieutenant-colonel le marquis de Pezé en 1719 et le duc de Biron en 1735.

 

Chaque régiment était divisé en bataillons. Contrairement à la plupart des autres régiments d'infanterie qui disposaient de deux ou trois bataillons, le Régiment du Roi conserva quatre bataillons (même après les réformes successives des armées), ce qui témoigne de son importance et de son prestige.

 

Les bataillons eux-mêmes étaient composés de compagnies, de 50 à 60 soldats chacune.

Le bataillon de Louis (le quatrième) avait 17 compagnies (une de grenadiers et 16 de fusiliers). Les compagnies étaient commandées par un capitaine. Le nom du régiment et de la compagnie, correspond au patronyme de l’officier en charge de cette unité. Le document GR 1 Yc 821 mis en ligne sur le site Mémoire des Hommes date des années 1730/1740. Louis sert alors dans la compagnie du capitaine nommé « Chevalier de Vallence ». Le rang de capitaine dans ce régiment était un poste de prestige, réservé aux nobles ou aux officiers très recommandés, mais dont les familles ne sont pas toujours clairement identifiées aujourd’hui. Le Chevalier de Valence, dont le prénom n’est pas précisé, est peut-être Jean Baptiste de Valence, issu d’une famille noble du Dauphiné, promu capitaine au Régiment du Roi-infanterie vers 1733, il est mentionné dans les « États militaires de France » comme capitaine en place au Régiment du Roi en 1736. Il est probablement encore en service en 1737/1740, mais sa trace disparaît ensuite (il peut avoir quitté le service ou avoir été promu ailleurs).

Dans la compagnie du Chevalier de Valence, selon ce document, 61 hommes ont été inscrits.

Les autres officiers (lieutenants, sous-lieutenants) et sous-officiers (sergents, caporaux) complètent l’encadrement du régiment.

 

Les soldats étaient divisés en :

  • Grenadiers : Soldats d'élite souvent choisis pour leur force et leur courage, utilisés pour les assauts et sièges. Chaque bataillon compte une compagnie de grenadiers.
  • Fusiliers : Soldats d’infanterie « ordinaires », équipés de fusils, formant la majorité des troupes. On compte 16 compagnies de fusiliers dans chacun des bataillons de ce régiment.
  • Tambours et fifres : responsables de la transmission des ordres sur le champ de bataille par le biais de signaux sonores.

 

Louis faisait partie des fusiliers, bien que sa fiche mentionne qu’il ait servi 7 ans comme lancier (soldat de cavalerie de ligne). La période de ce service n’est pas précisée.

 

Le Régiment du Roi en 1711 n’est pas représenté précisément dans des portraits contemporains, il est donc difficile de savoir comment était l’uniforme que portait Louis. Mais il avait probablement un habit en drap de laine bleu roi avec doublure et parements rouges (revers, collet et manchettes) et boutons dorés (sans marque ni numéro, qui n’apparaissent qu’à la Révolution), long jusqu’au genou. Sous l’habit il devait porter une culotte en toile ou drap et un gilet, le tout blancs ou écrus. Il devait être coiffé d’un tricorne en feutre noir garni d’un galon de fil d’or. Il devait être équipé d’un fusil à silex avec baïonnette à douille et d’une cartouchière. Sa gibecière en cuir devait transporter des provisions et d'autres effets personnels (indications données par les ordonnances générales d’habillement, notamment celle de 1690, confirmée par des circulaires de 1704, 1709 et 1711).
Dans les années 1770 l’uniforme semble avoir été modifié (habit blanc, parements bleus).


Tentative de représentation, aidée par l’IA et Photoshop

(parce que l’IA toute seule c’est pas encore ça)

 

Les plus anciens de la compagnie de Louis ont été enrôlés en 1708, les plus récents en 1741. Parmi eux, sont notés :

  • décédés : 25
  • invalides : 3
  • désertés : 3
  • encore en service dans le régiment : 17
  • transférés : 5
  • congédié : 8

 

Le soldat nouvellement enrôlé devait se rendre au dépôt du régiment, souvent une place forte importante (Lille, Metz, Strasbourg…). Ce dépôt était aussi le lieu de formation, d’équipement, de logement temporaire.

Là, il était enrôlé officiellement, inscrit dans les contrôles (registres), et intégré à une compagnie.

Une fois organisé, le régiment était déployé en garnison ou en campagne selon les ordres royaux et du ministère de la Guerre.

Le Régiment du Roi recrute dans tout le royaume, via des officiers très dispersés géographiquement. Ses garnisons habituelles étaient dans des places fortes du Nord et de l’Est (Lille, Valenciennes, Metz, Strasbourg, parfois Paris).

 

Le Régiment du Roi a été très engagé dans la guerre de succession d’Espagne. Ce conflit a opposé plusieurs puissances européennes de 1701 à 1714, et dont l'enjeu était, à la suite de la mort sans descendance du dernier Habsbourg espagnol la succession au trône d'Espagne et, à travers elle, la domination en Europe. Dernière grande guerre de Louis XIV, elle permit à la France d'installer un monarque français à Madrid : Philippe V (petit-fils de Louis XIV), mais avec un pouvoir réduit et un renoncement théoriquement définitif, pour lui et pour sa descendance, les Bourbons d’Espagne, au trône de France.
Sous la Révolution le Régiment du Roi deviendra le 105e régiment d’infanterie de ligne.

Guerre de succession d'Espagne, bataille de Malplaquet 1709 © Leloir Maurice 

Au total, entre 400 000 et 700 000 hommes ont perdu la vie dans cette guerre. On peut même monter jusqu’à 1,2 million si l’on inclut les civils liés aux destructions et pillages dans le sillage de l’armée. Néanmoins les chiffres sont difficiles à déterminer à cause des registres militaires parfois incomplets, les registres civils détruits, les morts civiles dues aux famines et aux épidémies liées au conflit, et les différentes méthodes de calcul utilisées par les historiens. Certains estiment que pour un soldat tué au combat, un autre mourait des suites de ses blessures et encore 3 autres de maladie.

 

Le Régiment du Roi est ensuite engagé dans la guerre de succession de Pologne (1733/1738) avec, notamment, des combats en Lorraine, sur le Rhin, contre les Impériaux. Après le décès du roi de Pologne en 1733, deux candidats s'opposent pour lui succéder, le trône de Pologne étant électif : son fils, Frédéric II Auguste, devenu électeur de Saxe par hérédité, et Stanislas Leszczynski, qui est devenu le beau-père de Louis XV en 1725. Le premier est soutenu par la Russie et l'Autriche et le second par la France. Le conflit électoral polonais deviendra une guerre civile et internationale.

Puis la guerre de Succession d’Autriche (1740/1748), conflit qui opposa la Prusse, la France, la Bavière, la Saxe et l'Espagne à l'Autriche et à l'Angleterre, et qui eut pour principal enjeu les terres héréditaires des Habsbourg d'Autriche et la succession au trône impérial.

 

Louis Billard, un soldat ordinaire du Roi dans une époque troublée et violente.

 

 

 


vendredi 25 février 2022

#52Ancestors - 8 - Claude Louis Macréau

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 8 : Les actes de ventes/d'achats/d'échanges de terre


Le deux frimaire l’an IV de l’ère républicaine (le 23 novembre 1795) Denis Nicaise et Claude Macréau, accompagnés de leurs épouses respectives, se réunissent dans l’étude de Me Pinart, notaire à Guérard (Seine et Marne) pour procéder à un échange de terres.

Monthérand de Guérard


Denis Nicaise (Jean Denis de ses prénoms de baptême) est né en 1763 à Guérard, d’une famille de vignerons installée au lieu-dit Montherand.

Guérard est la commune la plus citée de mon arbre après Villevêque (49), avec 568 occurrences. De ce fait, lorsque j’examine un acte il y a une chance pour que tous les protagonistes du document me soient plus ou moins apparentés.

C’est donc le cas de Denis, arrière-petit-neveu de mon ancêtre Claude Nicaise. Il a épousé en 1785 Marie Anne Roze Holeux (ou Hauleux). Celle-ci est la fille de Marie Madeleine Hochet (ma sosa 839) et de son troisième mari Nicolas Holeux.

 

L’autre couple est formé par Claude (Louis) Macréau et Marie Anne Roze Pochet mes sosas 208 et 209 (ancêtres à la 7ème génération). Dans l’échange Claude est nommé « Maqueriot ». On trouve aussi parfois l’orthographe Maquereau ou Macriot. Dans l’acte de mariage de son petit-fils il est d’ailleurs mentionné que lors de sa naissance "le nom patronymique de son père est orthographié à tort Maquereau au lieu de Macréau" (déclaration sous serment lors de son mariage). C'est pourquoi j'ai gardé l'orthographe "Macréau". Les Macréau sont aussi originaires de Guérard, d’autres lieux-dits nommés Le Charnoy pour les deux premières générations, puis Rouilly le Bas pour les deux suivantes. Claude, lui, demeure au Grand Lud (même commune). Claude Macréau est aussi vigneron. En 1795 il a alors 30 ans. 


Il s’est donc mis d’accord avec Denis Nicaise pour procéder à un échange de terres. De son côté Denis donne deux pièces de terre situées aux « Landy » (ou Les Landis) à Monthérand : la première mesure 10 perches. La perche est une ancienne mesure de longueur, valant un peu plus de 6 m, ou de superficie (le « carré » de « perche carré » étant alors sous entendu) valant un peu plus de 42 m² ; valeurs données à titre indicatif car elles dépendent beaucoup des époques et des régions. L’autre parcelle mesure 6 perches. Cela fait donc un total de 16 perches, soit environ 672 m².

Les parcelles sont précisément situées grâce à la méthode « Ancien Régime » : en nommant les propriétaires ou points remarquables voisins. Ainsi au levant de la parcelle (c'est-à-dire à l’est) il y a une parcelle appartenant aux héritiers Langlois, au couchant (à l’ouest) le sentier, au midi (au sud) une autre parcelle appartenant à Claude Macréau et au septentrion (au nord) une parcelle à Hubert Lhuillier. Difficile de situer exactement ces terres aujourd'hui, mais peut-être le cadastre napoléonien, rédigé 15 ans après l'échange, peut-il nous donner quelques pistes. Les états des sections ne sont pas en ligne, mais il se trouve que sur les feuilles de plans du cadastre de Guérard, les noms des propriétaires sont inscrits sur les parcelles ! Bon, le seul problème c’est que la définition de numérisation n’est pas assez haute pour lire correctement lesdits noms : il faut essayer de deviner !

Donc, on retrouve bien le lieu-dit Les Landis, le sentier et une parcelle appartenant à Claude Macréau. Peut-être que la parcelle de 10 perches donnée par Denis Nicaise se trouve au nord de cette parcelle appartenant à Claude Macréau. Le propriétaire identifié n’est pas Claude, mais ne perdons pas de vue que le cadastre a été rédigé 15 ans après l’échange : il s’est peut-être séparé de cette parcelle entre temps. Ou bien la parcelle que nous voyons est issue de la fusion entre celle donnée par Denis et l'ancienne parcelle voisine appartenant déjà à Claude.


Cadastre Les Landries © AD77

 

En échange Claude Macréau donne une pièce de terre située aussi à Monthérand, mais au lieu-dit Les Grandes Vignes. Cette terre est entrée en la possession de Claude par sa femme, grâce un héritage reçue par elle de sa mère Honorée Suzanne Gaudin (décédée en 1775), qui était originaire de Monthérand. De la même manière, on peut suggérer un emplacement pour cette parcelle.


Cadastre Les Grandes Vignes © AD77


Les parcelles échangées sont d’une superficie égale (16 perches au total). Elles sont estimées à mille livres, soit environ 15 693 euros actuels.

Bien sûr, l’acte d’échange ne dit pas pourquoi Denis et Claude ont troqué leurs parcelles. Tout juste peut-on supposer qu’un regroupement territorial est à l’origine de la transaction : en effet, les parcelles données par Denis sont contiguës à d’autres appartenant déjà à Claude et inversement. Ainsi chacun dispose désormais de terres d’un seul tenant, augmentées de 16 perches.


mercredi 18 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre P

 CHAPITRE P

"Pourquoi pas ?"

 

- Pourquoi pas ?
Alexandre avait accepté de me montrer les 
Égyptes, le quartier où habitait Henri Macréau entre 1911 et 1921.
- Mais tu vas voir, c’est vite fait !
Je lançai un regard noir à Sosa caché sous son meuble et suivis Alexandre. Je répétai en guise d’excuses :
- Je suis vraiment désolée, c’est la première fois qu’il fait ça…
- Peu importe !
 

Nous avions parcouru la rue des Vallées dans les deux sens. Alexandre expliqua :
- Voilà : c’est le site des 
Égyptes. Maintenant englobé dans le quartier des Vallées.
- Hum, je comprends mieux les recensements maintenant. En 1911 et 1921 Henri habite aux 
Égyptes. En 1926 il y a une lacune des registres. Mais on le retrouve en 1931 aux Vallées, nommés ensuite rue des Vallées en 1936.
Je pensai à tout cela. En fait Henri n’avait peut-être pas déménagé plusieurs fois comme je le pensai au début : c’était peut-être seulement la maison qui avait changé d’adresse.
- On peut refaire le trajet encore une fois ?
- Si tu veux, répondit Alexandre en haussant les épaules.
 

J’égrenai au fur et à mesure :
- À l’angle en bas de la rue, une grande maison, deux étages plus un comble. Le crépi a été refait mais la cheminée en brique pourrait supposer un bâti plus ancien. Ensuite une maison basse toute en longueur, bardée d’un revêtement moderne, mais elle aurait pu tout à fait être de brique comme sa voisine. Celle-ci est intéressante : toute de brique rouge, un porte centrale, des fenêtres de part et d’autre. Probablement deux pièces. Pas d’étage. Une double frise qui vient souligner la toiture. Très joli. On ne construit plus comme ça aujourd’hui : trop cher. Oh ! Dommage : le pignon a été enduit de blanc. Après encore une maison basse à deux fenêtres.
- Et encore du crépi !
- Oui, les marchands d’enduit ont dû faire fortune dans ce quartier. Il n’y a de maisons que d’un seul côté. De l’autre c’est déjà la campagne. La maison suivante a un étage. Il faudrait voir le cadastre pour savoir si c’est une construction neuve ou rénovation… pas très heureuse, d’ailleurs. J’espère que l’intérieur est plus coquet. Ah ! Ici deux maisons face à face : à droite c’est à nouveau une maison basse, mais un peu transformée, notamment par l’ajout d’une véranda. Celle de gauche en revanche est plus dans son jus : on retrouve la brique rouge, la double frise sous la toiture. Elle est un peu asymétrique avec deux fenêtres d’un côté de la porte et une seule de l’autre. Avec les fleurs, ça rend très bien. Des briques partout, jusqu’à la cheminée.

maison à Mortcerf (Seine et Marne)



- Oui l’une des tuileries-briqueteries est située un peu plus haut.
- On devine facilement que la brique et le patron Houbé régnaient non seulement sur le marché du travail mais ont aussi inscrit leur marque dans le paysage. 

J’appréhendai le pays d’un œil neuf. Je me rappelai ce que j’avais lu sur Houbé. « Il employait environ 80 ouvriers en saison ». Cela pourrait paraître assez peu dit comme ça, mais si on compte une ou deux personnes par foyer travaillant pour lui ça fait déjà une soixantaine de foyers directement impliqués. Soit six quartiers comme celui des Égyptes qui ne comptait que dix ou douze maisons. Ce n’est pas négligeable pour une petite localité comme Mortcerf. Je pensai à toutes ces « familles de la brique ». Et à la catastrophe qui avait dû advenir quand le marché s’est effondré et que les briqueteries ont dû fermer leurs portes. 

Nous reprîmes notre déambulation.
- Une petite allée non goudronnée qui mène à trois maisons semblables et puis les deux maisons de part et d’autre de la rue qui finissent le quartier.
- Voilà ! Comme je te disais : c’est pas très grand.
 

Je restai pensive alors que nous revenions sur nos pas.
- Alors, me demanda Alexandre osant troubler mon silence, ça fait quoi de marcher dans les pas de son aïeul ?
- C’est émouvant, dis-je la gorge un peu plus serrée que je ne l’aurai voulu.
Pour faire passer l’émotion, nous avons marché jusqu’aux Vallées, ancien lieu-dit jouxtant aujourd'hui Mortcerf. Moins de brique, plus d’étages : le paysage changeait.
 

Nous fîmes une halte devant une maison restaurée récemment, mais qui avait pris soin de garder sur sa façade un témoin d’hier : une plaque métallique où était inscrit « La mendicité est défendue dans le département de Seine-et-Marne ». Un quartier plus aisé, sans aucun doute, où on ne voulait pas s’encombrer de pauvreté et où on le faisait savoir. Des traces d’une époque révolue avaient été maintenues, comme l’ancien lavoir, couvert de tuile évidemment. 

Sans nous en rendre compte nous étions arrivés au cœur de Mortcerf. Le bâti avait à nouveau sensiblement évolué : davantage d’étages s’épanouissaient, la polychromie décorait les façades, des signes extérieurs de richesses aussi comme des avant-corps, des murets, des marquises… Presque la ville déjà. 


- Puisqu’on est là, j’irai bien à la mairie consulter le cadastre !
- Si tu veux, mais moi j’ai un rendez-vous : je dois m’absenter.
- Ah ? Bon, ben, très bien, j’irai seule. De toute façon je trouverai le chemin du retour sans difficulté.
- OK !
Alexandre repartit en sens inverse tandis que je traversais la placette, moderne, qui était devant la mairie. J’étais sur le point de franchir les quelques marches qui menaient à la mairie, quand je me figeai sur place.
- Mais ??? 


Je reculai un peu et fouillai dans mon sac. J’en extrayais un dossier qui ne me quittait pas : c’était le dossier de « l’affaire de Mortcerf » et toutes les notes que j’avais prises en rapport avec cette enquête depuis plusieurs mois. Enfin, je mis la main sur le document que je cherchai : une photographie de petit format, en noir et blanc, un peu floue. On y voyait un bâtiment assez cossu, précédé par un perron. Un arbre dispensait son ombre sur le côté. La photo était cadrée très serré c’est pourquoi on ne voyait rien en dehors de ce bâtiment. Je relevai la tête, fit l’aller-retour entre la photo et le paysage devant moi : c’était la même chose ! 


Sans réfléchir je dis tout haut :
- Sosa ! C’est la mairie de Mortcerf !
Puis, reprenant mes esprits, je réfrénai mon enthousiasme. OK, Sosa n’est pas là. D’ailleurs on doit avoir une conversation lui et moi. Mais j’aurai aimé partager cette découverte inattendue avec lui ; enfin dans la mesure où on peut partager quoi que ce soit avec son chat ! 

 


C’était vraiment le même bâtiment : le perron grillagé, la porte plein cintre, le balcon en fer forgé, la fausse colonnade et l’œil de bœuf tout là-haut, dominant le tympan sculpté. Tiens ! L’œil de bœuf avait perdu son décor dans la partie supérieure. J’avais résolu, sans le vouloir, une nouvelle énigme posée par le dossier. 

J’entrai dans la mairie, heureuse de cette découverte. Trois hommes et une femme discutaient autour de la banque d’accueil à propos du chantier de l'aménagement paysager devant la gare. Lorsque je pénétrai dans la pièce, les quatre personnes présentes se turent en même temps et me regardèrent, curieux. Aussitôt un homme grand, mince, la chevelure grisée, le costume sombre, se détacha du groupe et me souhaita la bienvenue. Le maire songeais-je in petto. J’expliquai en quelques mots ce qui m’amenait à Mortcerf. 


Un gros homme, rougeaud, le cheveu ras, m'interpella :
- Ah ! Mademoiselle !
(Mademoiselle ? À mon âge ?)
- Vous qui n’êtes pas du pays : voici une devinette ! Comment appelle-t-on les habitants de Mortcerf à votre avis ?
Satisfait de lui-même, il était sûr de me coller. Mais j’avais fait mes devoirs avant de venir et je répondis du tac au tac :
- Les Moressartoises et les Moressartois évidemment !
Le type, stupéfait, n’en revenait pas. Amusée d’avoir arrosé l’arroseur je m’approchai de la secrétaire de mairie et demandai si je pouvais consulter le cadastre. Le maire eut un peu de mal à rattraper ses ouailles après ce tacle en bonne et due forme, mais reprit vaillamment sa conversation d’édile fraîchement élu. La secrétaire, petite femme joviale, me proposa de m’installer dans la salle du conseil municipal :
- Vous serez plus tranquille comme ça. Je vous apporte les registres. 


Elle sortit, elle aussi fort réjouie par la scène qui venait de se produire. Je passai les heures qui suivirent (sans les voir défiler, ça va de soi) à éplucher les matrices du cadastre, les plans correspondant. Et puis aussi l’état civil tant qu’à faire. Et tout ce qui pouvait me tomber sous la main. 


Ce n’est que beaucoup plus tard (j’avais un peu perdu le fil des heures) que je ressortis de la mairie. Je refis le chemin inverse pour retourner chez Alexandre. J’avais la tête pleine de mes investigations et découvertes du jour. C’est sans doute pour cela que je ne vis pas la silhouette qui me guettait à l’autre bout de la place. Une paire de souliers vernis embrayèrent alors le pas derrière moi et me suivirent à bonne distance. 



Vers le chapitre Q ->