« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

jeudi 6 novembre 2025

F comme feuille en boîte

Sur les pas de Cécile

 

    Si la Cécile adulte connaissait l’alphabet du quotidien (B pour bouillir, C pour coudre, D pour durer…), elle avait fréquenté l’école dès son enfance, comme toute sa famille.  


En classe © Création personnelle d'après Bing

 

    J'en profite pour vous causer un peu de l’éducation au XIXème :

    Avant 1789, c'était le grand désordre, le Far West de l'éducation. Il n’y avait pas de véritable organisation de l’éducation. Les mioches, pour apprendre deux-trois bricoles, allaient dans de « petites écoles », des trucs payants et pas obligatoire. Autant dire que très peu de gosses y mettaient les pieds. Il n’y avait pas vraiment de salle de classe. L’enseignement se faisait chez le maître, dans un coin de sa piaule, ou dans une pièce à côté de l’église, voire carrément dans une grange avec les poules qui caquètent à côté. Pour les meubles et le matos, c'est peau d'zeb : une table bancale, deux bancs pour 20 gosses et basta. Les enfants apprenaient d’abord à lire, et quand y savaient aligner trois mots, les vieux devaient repasser à la caisse pour qu’ils apprennent ensuite à écrire. Et si jamais ils avaient encore un peu d'oseille planquée sous le matelas, ils pouvaient en remettent une louche pour que leurs gamins apprennent à compter ! Pour les rupins, eux, pas de soucis : ils se faisaient instruire à domicile par des maîtres écrivains ou des percepteurs.


    Puis vint la grande révolution, sur le papier du moins : à partir de 1833, avec les fameuses lois Guizot. Toutes les communes de plus de 500 pékins doivent se bricoler une école pour les p'tits gars. C’est la naissance d’un véritable enseignement primaire public. Les salles de classes commencent à ressembler à quelque chose, un peu moins crasseuses et un poil plus pratiques (quand la mairie avait des ronds, naturellement, et la volonté). Les mioches, y grattaient leur lecture et leur écriture en même temps, avec leur plume d’oie qui faisait des pâtés d’encre partout, tout en se faisant les nerfs sur le calcul. On rangeait les gosses par niveau, et zou ! tout l’monde faisait les mêmes exos, bien au garde-à-vous devant le tableau noir.

    Mais attention, faut pas se leurrer ! Pour vous rappeler un peu l’ambiance de l’époque, en 1841 est votée la première loi sur le travail des enfants et l’interdiction de bosser pour les moins de 8 ans. En gros, quand la loi Guizot passe, une dizaine d’années avant ça, le bahut c’est pas le souci premier des gosses, vu que la plupart sont au taf 12 à 14 heures par jour, dès 6 ou 8 ans, souvent dans des conditions dangereuses et insalubres. Alors, l'école, hein… Les municipalités de leurs côtés ne sont pas toujours motivées pour payer écoles et maîtres.

 

    Il semble qu’il y a eu une école à Saint-Patrice (où est née Cécile, vous vous rappelez ?) avant 1833. Toujours est-il que malgré la loi Guizot sur l'enseignement, la municipalité refuse de casquer pour un instituteur et lui fournir un logement : « en ce qui concerne les enfants à envoyer à l'école à la charge de la commune, le conseil est d'avis que l'on ne peut satisfaire à cette charge et que Madame la duchesse de Dino (voir lettre A de ce ChallengeAZ, pour les têtes en l'air) veut bien en faire admettre six gratuitement à l'école ». Mais malgré son manque de motivation, la municipalité doit se plier aux exigences de la loi : à la fin de l'année, elle envisage la location d'un bâtiment dans le bourg. Des travaux de construction commencent en 1839, semble-t-il pour une école de garçons.

 

    Cécile est née en 1857, soit une vingtaine d’année après les lois Guizot qui ont fait pousser les écoles comme des champignons. Des lois qui ne concernent que les pisseux. Pas les pisseuses – vous pigez ? Il faut attendre 1850, et la loi Falloux, pour que les communes soient « incitées » à ouvrir des écoles pour les filles. Et même là, c'était pas la joie. Pour que les gamines puissent entrer au collège et au lycée, il a fallu attendre 1880 ! Une vraie bataille, la scolarisation des filles, une lente révolution.

    En 1850, on promeut un « enseignement libre » : tout citoyen peut ouvrir une école secondaire s’il possède les titres requis. L’Église catholique fait ainsi son grand retour sur la scène éducative. C’est la grande époque où les curés et les instituteurs publics (« les hussards noirs de la République ») se bouffent le nez, chacun voulant tirer la couverture à soi. Une guerre des religions version craie et tableau noir.

    À Saint-Patrice, les filles sont accueillies dans une école libre. En 1879, l'inspecteur d’académie rédige un rapport très favorable à leur sujet, d'autant que des travaux d'agrandissement sont prévus grâce à des fonds de la marquise de Castellane : « les religieuses de Saint-Patrice sont estimées, elles rendent des services à la population, leur école est entièrement gratuite. » Bref, il est trop content. Du coup pas question de créer une école communale pour les filles parce qu’elle « ne réunirait qu'un petit nombre d'enfants et serait une charge considérable pour l'État ». Les relations entre partisans d’une école laïque et ceux d’une école religieuse sont houleuses et il faudra plusieurs décennies encore avant de voir la création d’une école communale.

    Cécile a-t-elle fréquentée l’école libre de Saint-Patrice ? Si oui, elle était encore très jeune car elle a environ 5 ans lorsqu’elle déménage à Angers. C’est plus sûrement là-bas qu’elle apprend ses lettres. Là je convoque mon petit doigt pour une conférence secrète et nous tombons d’accord pour décréter que c’est trop compliqué pour moi, pour l’instant, de savoir jusqu’où elle est allée dans son parcours scolaire, parce que je ne suis pas sur place et qu’il n’y a rien en ligne à ce sujet. Néanmoins, je sais qu’elle savait signer, de même que sa sœur, ce qui nous indique une volonté parentale d’instruire leurs mominettes.

 

    Petit à petit, le nombre d’écoles augmente et on sépare vite les poulettes et les coquins, parce que c’est pas moral de les garder ensemble. C’est péché. La mixité, c’est pas pour tout de suite.

 

    Lorsque Cécile devient mère à son tour, elle donne une éducation à ses enfants. Ils bénéficient des lois Ferry (1881/1882) qui rendent l'école laïque, obligatoire et gratos. Fallait s'y pointer de 6 à 13 piges, sauf si t’avais ton certif (créé en 1882) en poche avant, alors là tu pouvais filer bosser.

    Les écoliers apprennent à gribouiller propre, à faire leurs comptes sans se planter de colonne, et à pas massacrer l’orthographe. On leur collait aussi des leçons de morale et d’instruction civique, histoire de leur fourrer dans le citron comment devenir des bons citoyens, polis et droits dans leurs godasses. On commence aussi à leur causer d’histoire, de géographie et de sciences naturelles. Sans oublier la gym, hein ! Faut qu’ça bouge, se dégourdir les guibolles. Et même un brin d’artistique, tiens ! Du dessin, de la musique, pour leur donner du goût et pas que des additions plein la caboche. Et quelques taloches aussi sans doute, parce que l'autorité, ça se respectait ! Mais filles et garçons n’apprennent pas toujours la même chose. On n’additionne pas les choux et les carottes. Les filles font des travaux de broderie et de couture, par exemple. Bah, oui : normal ! (clin d’œil à ceux qui disent que c’était mieux avant).

    Les gosses écrivent avec des porte-plume, les plumes d’oies ayant été envoyées à la benne vers 1850 et remplacées par des plumes métalliques, qui faut pas appuyer trop fort sinon tu fais un trou dans ton cahier. Les cantines scolaires n’existent pas toujours. À midi, ceux qu’habitaient pas loin rentraient becqueter chez eux. Les autre ramenaient leur gamelle qu’ils faisaient réchauffer sur le poêle qui servait à pas geler les arpions l’hiver. Et pour pas s’en foutre plein la trogne avec l’encre, tous les mômes portaient une blouse, un « sarrau », l'uniforme de l’époque, quoi : gris, moche, mais pratique.

 

    Tous les enfants de Cécile savent signer : leurs signatures sont plutôt déliées, ce qui nous indique une certaine aisance dans l’écriture (c’est pas juste quelqu’un qui aligne des lettres malhabiles, n’a pas l’habitude et ne sait écrire rien d’autre que son nom, vous voyez ?). Et, pour les gars, comme on a le plaisir de les retrouver au service militaire, on connaît leur niveau scolaire grâce à l’armée qui est fortiche pour renseigner ce genre de petits détails. Tous n’ont pas été logés à la même enseigne : certains ne savent que lire et écrire (niveau 2), d’autres savent compter en plus (niveau 3). Mais ils n’ont pas dû user très longtemps leurs culottes sur les bancs de l’école étant donné que pas un n’a obtenu le brevet de l’enseignement primaire (niveau 4). Vu l’enfance nomade de ces enfants (voir la lettre D de ce ChallengeAZ), ça dû être chaud pour eux de suivre une scolarité normale. Ou peut-être qu’ils trouvaient que le bahut était une vraie boîte à chagrin et que c’était par leur truc.

 

    À la génération suivante, je sais par la presse que l’un des petits-fils de Cécile, Daniel (mon grand-père) a été reçu aux examens du certificat d'études primaires qui ont eu lieu à l'école des garçons de la Madeleine, canton Angers Nord-Est, en 1926.

    J’ai aussi retrouvé le matricule scolaire d’un autre des petits-fils de Cécile, Alexandre, pour l’année scolaire 1927/1928 à l’école primaire de la rue de Tolbiac, Paris 13e. Mais la colonne « observation cool » est vide : on ne saura rien de sa tenue en classe, son « intelligence », ses progrès, ses résultats scolaires d’après ce document.

 

 

2 commentaires:

  1. C'est triste de n'avoir que la signature de nos ancêtres pour juger de leur éducation... J'aimerais bien en savoir plus parfois.

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  2. Un plaisir de lire. Eh oui, ce n'était pas si bien que ça avant !

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