« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 22 novembre 2025

T comme transmission de rien

Sur les pas de Cécile

 

    C’est con, j’aurais bien aimé trouver le testament de Cécile (voir la lettre D de ce ChallengeAZ) pour voir comment elle a distribué ses dernières (maigres) possessions. Mais elle a cassé sa pipe sans même me dire où elle l’avait rangé. Résultat : ni tabac, ni testament. Juste l’odeur du silence. En même temps, question patrimoine on repassera : elle avait si peu de choses, que le bureau de l’enregistrement lui a collé la mention « Pas de fiche » ! Elle devait être si fauchée que si elle avait eu des puces elles l’auraient probablement quittée pour aller s’installer sur un type solvable.

    Dire qu’elle était née dans un château (un peu par hasard, il est vrai, mais quand même). À la fin de sa vie elle avait tellement rien que le vent, chez elle, entrait sans frapper.

    Du coup, j’ai rien à dire aujourd’hui. Nan, j’déconne. Je vais vous causer de l’enregistrement.


Bureau de l'enregistrement © Création personnelle d'après Bing

 

    L’enregistrement ? Votre cervelet émet du point d’interrogation à la cadence où les usines Ford débitent des bagnoles ? Calmez-vous, je vais vous éclairer. L’enregistrement, c’est pas un vieux vinyle, hein, c’est le petit nom de l’administration qui palpe un peu de flouze à chaque fois que les actes juridiques sont transcrits sur un registre public (ce qui est obligatoire). Mariage, héritage, procès, tout y passe. Au départ, c’était surtout pour donner une valeur légale aux papiers, mais très vite, le côté « ça rapporte du blé » a pris le dessus.

    Les tables de successions et absences sont des papelards qu’on trouve à partir de 1825. En général ils sont classés aux archives dans une série qui porte le nom choupinou de 3 Q. Derrière ce nom de code un peu coquin se cachent de vrais trésors pour les fouineurs de familles.

    Pour faire plus simple, et pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, ces archives permettent de fliquer les successions. Y est noté chaque décès survenu dans le territoire couvert par un « bureau d’enregistrement » (zone proche de nos cantons actuels). Que t’aies laissé un magot, trois casseroles ou juste des dettes, tu y passes. Pas d’exception, tu y es répertorié !

    Bon, les tables de successions, comme leur nom l'indique, c'est juste des tables, pas les dossiers complets. Donc si votre ancêtre possédait quelque chose, faudra aller voir plus loin dans les registres de succession, dans un deuxième temps, pour en avoir le détail. Les tables sont classées par lettres alphabétiques puis par date d’enregistrement du décès. Le défunt est recensé dans le bureau dont dépend la commune où il créchait et/ou il a cané. Sur la page de gauche des tables, on trouve les infos de base : le nom, le prénom, la date et le lieu du décès (super pratique quand on ne sait pas exactement où sont décédés ses ascendants), l’âge, le conjoint éventuel, la résidence. Puis sur la page de droite, c’est le menu du jour : date et numéro de succession (s’il y a des biens à transmettre), parfois une petite description des biens transmis, les héritiers et d’autres mentions éventuelles comme un testament ou s’il y a des biens dans un autre bureau. Un vrai CV post-mortem.

    Avant 1825, c’était un peu le bazar. Il y avait plusieurs sortes de tables indiquant les dates de déclaration de succession : tables des successions acquittées, tables des mutations arrivées par succession collatérale, et tout le tremblement. Quand t’as pas ça (elles n’ont pas toujours été conservées) on peut fouiller dans les tables des testaments ou des donations à cause de mort. En clair, les ancêtres laissaient des miettes partout, faut juste savoir où chercher.

    À partir de 1866, l’administration se dit qu’il serait temps d’arrêter le foutoir. Du coup, elle met un peu d’ordre : on garde toujours le nom du défunt et le lieu de décès, mais on ajoute plein de colonnes pour noter tout ce qui s’est passé après sa mort : scellés, inventaire, tutelle, vente de meubles, etc. Au bout de la ligne, t’as la partie succession avec date, héritiers, observations… Bref, le résumé de la vie d’un mort bien administré.

    Mais des fois, votre ancêtre nageait dans la misère. Les héritiers pouvaient se brosser et en étaient pour leurs frais (sans mauvais jeu de mot). Dans ce cas, l’administration notait un « pas de bien » ou « pas de fiche ». Comme ça arrivait souvent, et que l’administration n’est jamais à court d’idée, elle a fait éditer un tampon spécial avec les mentions « pas d’actif » ou « S.B.M. » (nom de code qui signifie « Sans Bien Meuble »), pour éviter d’avoir à l’écrire sans cesse. La preuve que même la bureaucratie avait le sens de l'économie, surtout quand il s'agissait de constater la pauvreté !

    Donc, pour Cécile la table indique « pas de fiche ». C’était une pauvre fleur de misère. La pauvresse ne possédait rien : elle n’était pas propriétaire (elle vivait chez sa fille au moment de son décès, vous vous souvenez ?), n'avait pas de meubles. Bon, elle devait avoir quelques fringues quand même (elle n’allait pas cul nu, on est d’accord ?), un ou deux bijoux peut-être (une alliance au moins ?) mais cela ne devait rien valoir. En tout cas, pas suffisamment pour donner lieu à un inventaire ou à des frais de succession. En même temps heureusement, parce que chez les héritiers c’était pas le Pérou non plus, donc si on peut éviter de payer pour recevoir presque rien, c’est tant mieux.

    Et devinez quoi, son époux décédé en 1914 n’avait rien non plus. Que dalle. Il a fini dans un cercueil plus neuf que ses chaussures. Comme quoi la mort, des fois, c’est l’unique occasion d’avoir du bois de qualité. Sur sa fiche y’a pas plus d’info que d’intelligence dans les yeux d’une poule. Tellement rien que le fonctionnaire enregistrant son décès n’a même pas pris la peine d’écrire la mention « pas de fiche » ! C’est pas très sympa quand même, même pour un mort sans le sou.

    Il faut bien me rendre à l’évidence ce couple c’était un peu Jo le clodo. Ça devait pas être la teuf tous les jours, ça c’est sûr. Quand je pense à leur situation, je me sens aussi déprimée qu’un cachet d’aspirine dans un verre d’eau chaude. Mais je les aime quand même.

 

 

 

 

1 commentaire:

  1. Qualifier les archives de l'enregistrement de coquines, je n'aurais pas osé ! 🤣

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