Les 6 fils de Cécile encore vivants en 1914 ont tous été appelés (ou rappelés) lors de la Première Guerre Mondiale. Pas un pour rester planqué sous la couette ! Je vais pas vous faire un cour d'histoire, vous avez entravé ça à l’école, non ? Je rappelle juste que, lorsque la grande foire à la mitraille a commencé, la mobilisation générale est proclamée. Tous les hommes en âge de se battre (de 20 à 48 piges) devaient pointer dans leurs dépôts, fissa, y compris ceux qui avaient déjà fait leur temps. Les gars sont envoyés au casse-pipe pour des raisons qu’ils ne comprennent pas toujours, pour des drapeaux, des frontières ou des idées qu'on leur a matraquées à coups de discours enflammés.
Louis Prosper, d’abord dispensé pour soutien de famille (une belle excuse, quand même, mais légale !), avait été incorporé en 1898 (voir les lettres U et V de ce ChallengeAZ). En tant qu’ancien dispensé, il a effectué un service actif en caserne réduit à un an. Pour les bases, quoi : savoir marcher au pas et astiquer un fusil sans se tirer dans le pied. Un petit tour et puis s'en va, et zou, il est versé dans la dispo. En clair, pendant 2 ans il a vécu chez lui mais restait mobilisable à tout moment. Une épée de Damoclès au-dessus de la tête, histoire de ne pas trop se ramollir le poireau. En 1901, il est passé dans la réserve d’active. Du coup, au lieu des 6 ans réglementaire de réserve, il en a fait 10. En 1911 il finit dans la territoriale, puis dans sa réserve. Comme tout bon troufion il a fait ses périodes d’exercice (active en 1905 et 1907, territoriale en 1912).
Alors qu’il pensait avoir raccroché le fusil pour de bon, attendant tranquillement sa libération du service, voilà que le monde, sans dessus dessous, se lance dans une grande boucherie internationale. Paf, c'est la Première Guerre Mondiale qui débarque, sans crier gare !
Aussitôt ce papier rose, celui qu’on appelait « la feuille de route », lui a dit : « Direction la caserne, troufion ! ». Il est rappelé à l’activité et versé dans différents régiments de territoriale (infanterie puis d’artillerie lourde). Il fait campagne contre les Boches, directement aux armées jusqu’en 1919 (sauf de l’automne 1915 à 1916 où il était à l’intérieur). Il décroche enfin ses congés illimités de démobilisation le 24 janvier 1919. Il retourne à Ivry. Il est libéré définitivement du service militaire le 10 novembre 1926. Cette fois, il peut enfin ranger son uniforme pour de bon.
François Jean Antoine est ajourné par le conseil de révision en 1905 puis rebelote l’année suivante : pas assez gaillard pour enfiler le sac à dos et grimper dans la gadoue. Il est classé dans les services auxiliaires en 1907 pour faiblesse générale. Les services auxiliaires, c’était les petites mains de l’armée — les scribouillards, les manutentionnaires, trop faiblard pour la tranchée, mais assez solide pour filer un coup de main derrière les lignes. En 1908 il est passé dans la réserve d’active. En cas de guerre il devait normalement rester planqué à l’arrière, à graisser les rails ou taper des rapports.
Mais voilà, 1914 débarque, et c’est la pagaille complète. On manque d’hommes valides, alors hop, on revoit les faiblards : un petit coup de tampon, et les voilà soudain bons pour le service armé. C’est ce qui est arrivé à François. Le destin peut être vache parfois. Le gars est requalifié apte à se faire plomber par la commission de réforme de la Seine dès décembre 1914. Et hop, on l'envoie d'abord dans l'infanterie, puis dans le génie en 1917, où il décroche le grade caporal. Il fait campagne contre l’Allemagne jusqu’en 1919 : il alterne les phases combattantes « aux armées » et à l’intérieur (notamment après ses blessures). D’abord dans le Nord Est de la France puis, partir de 1916, c'est le front d'Orient, entre Grèce et Serbie, front bien gratiné question bastons et malaria.
En premières lignes pendant 4 ans, ça a bien bardé pour son matricule : au final, il a été amoché deux fois : dans le Pas de Calais en 1915, il se chope un éclat d’obus dans le genou gauche qui l’a envoyé 3 mois d’hosto, et à Verdun en 1916 il est blessé par balle au pied gauche (4 mois de plus sur la touche). Un vrai balai incessant entre le front et l'hosto. Démobilisé fin mars 1919 seulement, il revient chez lui à Paris. Et oui, si la guerre est officiellement terminée en novembre 1918, ça prend du temps de rapatrier tous les soldats. Je pense qu’il devait espérer la quille comme le rêve mouillé d’une pin-up sur un calendrier à clou.
Mais il en n'a pas fini avec l'armée : toujours dans la territoriale, il est classé affecté spécial de la 5ème section de chemin de fer de campagne subdivision complémentaire de la Compagnie du Nord, entre décembre 1920 et août 1921. En tant que cheminot, il est maintenu dans un emploi civil jugé vital pour l’effort de guerre mais reste sous l’autorité militaire (techniquement dans une unité de génie). En clair, une sorte de soldat déguisé en employé de la SNCF.
Il gardera de ses campagnes quelques séquelles, légères semble-t-il ; qu’il tenta quand même de faire valoir : paludisme (« reliquat peu appréciable ») et plaie au pied (« reliquat inappréciable »). Il n’obtint pas de pension mais fut renvoyé dans les services auxiliaires en 1929.
Il est libéré définitivement du service militaire en 1932.
Pour ses bobos et son courage, il décroche un certificat de bonne conduite et une citation à l’ordre du Régiment : « bon soldat ayant toujours eu une belle conduite au feu ; blessé deux fois dans l’accomplissement de son devoir ». En 1940 (mieux vaut tard que jamais) on lui file deux breloques :
- médaille d’Orient : créée en 1926, attribuée aux soldats ayant combattu sur le front d’Orient (Salonique, Serbie, Grèce, Bulgarie…).
- médaille Serbe : médaille étrangère décernée par le Royaume de Serbie aux soldats alliés ayant combattu pour ou avec les forces serbes ; souvent donnée aux copains français venus se battre à leurs côtés en Macédoine ou en Serbie.
Augustin Daniel, 4ème larron de la descendance de Cécile (mon arrière-grand-père) est classé dans la 2ème partie de la liste par le conseil de révision, pour hypermétropie bilatérale : autrement dit, le bougre est dispensé du service actif, au moins pour un temps, parce qu'il voit flou de près. C’est toujours chiant, ça, quand on veut entretenir son fusil et distinguer l'ennemi d'une vache en plein brouillard. Mais finalement faut croire que l’armée, elle, avait plus besoin de bras que d’yeux. Du coup fin 1909 il est dirigé vers le 10ème bataillon de chasseurs à pied. Il faut croire qu’ils n’avaient pas de fusils, eux, ou qu'ils visaient de très loin ! Deux ans plus tard le bonhomme est est envoyé dans la disponibilité, avec un certificat de bonne conduite. Après la mobilisation générale, il rejoint le 22ème COA (Commis et Ouvriers de l'Administration) : unité non combattante assurant le soutien logistique et administratif de l’armée. Il y avait là des commis (chargés de l’administration, de la comptabilité, des écritures) et des ouvriers (artisans, manœuvres, magasiniers, cuisiniers, conducteurs, etc… chargés des travaux et entretien des infrastructures). Moins de gloire peut-être, mais pas moins essentiel pour faire tourner la boutique.
À partir de septembre 1915 il change d’air et passe dans différents groupes d’aviation. Il est envoyé en Orient. À l’époque, l’aviation, c’est encore du rafistolage de bois et de toile, mais déjà, ça devient l’arme du futur. Observation, reconnaissance, réglage d’artillerie… Augustin, lui, n’est pas dans le cockpit, mais dans les coulisses avec les ouvriers spécialisés (mécaniciens, radiotélégraphistes, chauffeurs, manutentionnaires, personnel administratif et logistique). Bref, tout ce qui permet aux oiseaux d’acier de s’envoler. La légende familiale dit qu’il y a rejoint Bessonneau, grand employeur de la ville d’Angers, qui y déploya ses hangars aéronautiques. Il est nommé caporal en mai 1917. Un grade qui sent bon le galon et le respect des bidasses !
Fin mars 1919, on lui file enfin sa quille. Le billet retour, la fin de la guerre, le soupir de soulagement.
Mais il ne revient pas les poches vides : quelques souvenirs, un mythe familial (ah ! les Dardanelles) et le palu. La commission de réforme d'Angers lui accorde une pension temporaire d'invalidité de 10% en février 1920 pour séquelles légères de paludisme aigu, foie gros débordant les fausses côtes. En 1922, rebelote : on monte à 15 %, et ça continue comme ça jusqu’en 1925, pour séquelle de paludisme (accès se produisant tous les mois environ). Il toucha une pension de 365 francs. Pas le Pérou, mais c'était toujours ça de pris pour les misères de la guerre.
J’vous fait pas un dessin, la Première Guerre Mondiale c’était pas une promenade de santé. Aussi, tous les fils de Cécile ne s’en sortiront pas. C’est ce qu’on verra demain à la lettre X. Accrochez-vous aux rideaux, ça va couler de vos mirettes comme un robinet qui fuit !


Au moins, ces trois là en sont revenus... 😐
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