« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mercredi 4 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre D

CHAPITRE D

"Donc il s'appelait Alexandre..."

 

Donc il s’appelait Alexandre Brassade. Il venait de perdre son grand-père et avait vidé sa maison afin de la vendre. C’est à cette occasion qu’il avait trouvé les papiers concernant Henri Macréau. J’essayai de me concentrer mais je ne voyais toujours pas comment cela était possible. 

- Mais… Euh… Comment avez-vous pu trouver ces documents ?
- C’est simple : ils n’étaient pas cachés, juste dans la table de nuit de mon défunt grand-père.
- Oui, ça j’ai compris. Mais…
- Oh ! Je ne vous ai pas dit : sa maison se situe à Mortcerf, en Seine-et M…
- Ah ! Voilà ! 

Je savais qu’Henri avait habité cette localité de Seine-et-Marne, entre autres parmi de nombreux déménagements.
- Je comprends mieux maintenant ! expliquai-je. Enfin, pas comment votre grand-père a eu ces documents, mais au moins en habitant la même région ça donne une piste.
Alexandre acquiesça.
- Vous voulez que je vous envoie tous les documents ? demanda-t-il avec douceur.
- Oh ! oui !
Quelle question ! J’avais répondu instinctivement, mais je me rendis compte aussitôt de tout ce que cela impliquait.
- Il y en a beaucoup ?
- Une trentaine peut-être… 

Mince. Cela faisait un bon nombre quand même. Je redoutai un peu le contenu de ce paquet. Le cadeau allait-il se transformer en bombe ? Vu le contenu des premiers éléments envoyés, on pouvait le penser. Après un silence, j’ajoutai :
- Vous… Vous les avez lus ?
- … Oui. C’est pour ça que je vous ai demandé si vous les vouliez. Ça ne va peut-être pas vous plaire.
Je me fis philosophe :
- C’est ainsi avec les archives : on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Comme dirait l’autre : « c’est comme une boîte de chocolats… » etc…

Nous nous accordâmes pour que les documents me soient envoyés par la Poste, afin que je puisse juger aussi des supports et avoir une vision globale des documents.
- Je n’aurai qu’une faveur, ajouta Alexandre. Si ce n’est pas trop abuser, j’aimerai pouvoir suivre moi aussi les découvertes que vous ferez car cette histoire m’a intriguée.
J’acceptai sans difficulté et raccrochai. Maintenant il ne me restait plus qu’à patienter avant de recevoir cet étrange colis.

Pour tromper le temps, je me penchais sur cette question de proximité géographique. Je compilai mes infos sur les adresses successives d’Henri, tout en les commentant pour Sosa, comme à mon habitude.
- Et bien ! En voilà des adresses : né à Meaux, marié à Tigeaux, ayant donné naissance à des enfants Tigeaux, Serris et Mortcerf.
Le tout se situait en Seine-et-Marne, dans un rayon de 30 km. Globalement il n’avait pas fait beaucoup de déplacements. Il me manquait encore son décès, mais cela me donnait une idée. 

Son épouse avait fait un peu plus de chemin : née dans les Côtes d’Armor et mariée à Tigeaux, soit environ 500 km.
- A la charnière du XIXème et du XXème, une Bretonne arrivée en Ile-de-France et exerçant le métier de cuisinière : il ne faut pas être grand clerc pour deviner qu’Ursule a fait partie de la vague d’émigration vers la capitale et sa région. 

Les Bretons, et en particulier ceux originaires des Côtes du Nord (aujourd’hui appelées Côtes d’Armor) comme Ursule, ont été nombreux à quitter leurs foyer dans l’espoir d’une vie meilleure. L’effondrement de l'industrie textile, jusque-là très importante avec en particulier le tissage du lin et du chanvre, entraîna la fermeture de nombreuses usines et ateliers familiaux. L’émigration de milliers de Bretons (et de Bretonnes car elles ont été plus nombreuses que les hommes) vers la capitale devint une nécessité car, sous la pression démographique, la terre natale ne fournissait plus de possibilité de travail. Fuyant la misère, ne possédant que la richesse de ses bras, les jeunes filles se faisaient bonnes, cuisinières, lingères… 

- Au mieux ! Les pauvres ! Un certain nombre ont fini sur le trottoir, dis-je à mon chat.
Celui-ci me regardait attentivement. Je crois qu’il aimait bien que je lui raconte des histoires d’ancêtres… Quand il n’avait pas décidé de dormir ! 

Était-ce pour éviter un trop grand décalage entre la vie urbaine, un mode de vie et une langue si différente de tout ce qu’elle avait connu jusque là qu’Ursule s’était installée dans une petite localité en Seine-et-Marne et non à Paris directement ?
- Impossible à savoir ! 

Une heureuse surprise vint pimenter mes recherches :
- Oh ! Oh ! Sosa ! Qu’avons-nous là ? Les archives de Seine-et-Marne ont mis en ligne quelques années supplémentaires de recensement. Et dire que je l’ignorai ! Mais c’est bien, ça ! 

Grâce à ces nouveautés en ligne, je pus affiner un peu le parcours d’Henri, sans que je ne puisse néanmoins l’amener jusqu’à son terme puisque j’ignorai toujours où et quand il était mort.
- Il n’est peut-être pas mort ! Hein, Sosa ? Cela lui ferait, voyons voir… 146 ans ! Bon, OK : il est mort. 

Mais où ? Si je savais déjà qu’il avait habité Mortcerf pendant plusieurs années, les recensements me permirent de déterminer qu’il avait beaucoup bougé dans la commune même car à chaque état de la population il changeait d’adresse : les Égyptes, les Vallées, rue des Vallées.
- Tiens ? Est-ce que la population augmentant, le village des Vallées est devenu la rue des Vallées, désormais partie intégrantes de Mortcerf ? Il faudrait que je creuse cette piste. 

Mais pas maintenant, mon chat ayant décidé que c’était l’heure du dîner, il me réclamait bruyamment sa pitance.
- OK ! OK ! On y va… De toute façon moi aussi j’ai faim. Je refermai le capot de mon ordinateur portable et me dirigeai vers la cuisine. D’un bond Sosa m’avait précédée. C’est souvent ainsi que se terminai mes recherches : par l’appel du ventre de Sosa. 



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