« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

lundi 30 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre Z

 CHAPITRE Z

"Zanzibar pour me changer les idées..."

 

- Zanzibar pour me changer les idées.
- Zanzibar ?
- Oui Zanzibar. Un trek en Afrique, voilà ce dont j’avais besoin. C'était loin. Dépaysant. Zanzibar, la Tanzanie, le Grand Rift, le Lac Natron et à l'horizon le Kilimandjaro. Rien de commun avec la Brie. Le rêve. Ça m'a fait du bien.
Charlotte rit un instant avant de revenir aux choses sérieuses.
- Tu… Tu as eu des nouvelles d’Alexandre ?
- Oui, j’ai reçu une lettre. Il me demandait de ne pas le juger trop durement. « Tu sais, je ne suis pas si mauvais au fond. Personne n’est vraiment mauvais. En agissant comme je l’ai fait, je voulais seulement défendre ma famille. » Ce genre de choses… Il avait l’air apaisé. Je pense que les soins qui lui sont prodigués lui font du bien.
- Pas de rancœur de ton côté ?
- Oh ! Personne ne peut dire ce qu’il aurait fait à sa place. Élevé dans la haine générationnelle. Difficile d’y résister, tu ne crois pas ? 

Je ne jugeai pas Alexandre. Je pense qu’il était profondément meurtri et que le malheur peut vous détruire, petit bout par petit bout, aussi sûrement que la folie, jusqu’à vous perdre complètement. C’est cette souffrance lentement accumulée qui l’avait poussé à un comportement irrationnel. C'était un immense gâchis.
- Et puis, tout ce qu’il a simulé m’a incité à en savoir plus. Sans lui, je n’aurais peut-être pas approfondi l’histoire d’Henri et de ma famille. Et je ne t’aurais pas connue ! 

Le silence s’installa quelques instants. Envahie par les souvenirs de mon voyage je racontai à Charlotte le Natron, lac salé aux reflets rouges où nichaient les flamants nains ; le cratère du Ngorongoro sur les pas de Karen Blixen ; le petit déjeuner avec les éléphants…
- Et tu sais, le Grand Rift, c’est l’un des berceaux de l’humanité. Le premier hominidé y a été trouvé et décrit en 1925. À partir d'une souche commune, deux lignées évolutives auraient divergé, aboutissant à l'ouest du Rift aux chimpanzés arboricoles, et à l'est aux premiers Hominina puis aux Australopithèques. Probablement l'origine du genre Homo. L’apparition de la bipédie serait une adaptation à la savane. Un peu plus loin en Éthiopie Yves Coppens a découvert Lucy, âgée de 3,18 millions d'années, longtemps considérée comme notre grand-mère à tous.  

Charlotte profita de ce que je reprenais ma respiration pour en placer une :
- Ouais… Encore de la généalogie quoi !
- Euh… Oui. Un peu lointaine quand même.
Confuse, je m’aperçus que je m’étais enflammée toute seule. J’avais pourtant promis de mettre un frein à mes passions. La dernière fois ça m’avait entraînée un peu trop loin.
Mon chat Sosa ronronnait sur mes genoux. Depuis notre mésaventure commune de l’été, il préférait mes genoux au fauteuil. Ce n’était pas très pratique pour moi, mais bon : je ne pouvais pas lui en vouloir. Ses côtes cassées s’étaient ressoudées et il s’en tirait sans autres dommages. Dans un geste devenu familier, il mit sa tête au creux de ma main, quémandant une caresse rassurante.
- Bon… Fais-moi signe quand tu reviendras par là.
- Avec plaisir…
Avant de raccrocher j’entendis encore Charlotte qui pestait contre sa mèche de cheveux rebelle. 

Ma main perdue dans la douce fourrure de Sosa, je repensai à tous ces événements. Je n’avais pas été tout à fait honnête avec Charlotte : je lui avais caché un sommeil particulièrement difficile à trouver depuis l’été. Et des nuits très agitées lorsqu’enfin j’arrivais à m’endormir.
Je ne savais pas si je remettrais les pieds au pays de mes ancêtres briards. Martine et les autres descendants du Grand-Père furent horrifiés d’apprendre les agissements d’Alexandre. Voulant effacer toute trace de sa terrible conduite, ils abrégèrent les travaux de la maison et la vendirent au plus vite. Avant la vente, beaucoup de post-it avaient disparu des meubles et objets de la demeure familiale : les héritiers ne voulaient plus de ces symboles d’un passé trop encombrant. 

Je fus autorisée à y aller une dernière fois avant que les nouveaux propriétaires n’investissent les lieux. Étrangement, je n’éprouvai plus aucune nostalgie, tout au plus un pincement au cœur. Le lieu était désormais pour moi attaché à trop de souvenirs pénibles. La maison de famille y avait grandement perdu de son aura. L’image romantique que je m’en faisais avait été sérieusement écornée par les événements de l’été. L’héritage est parfois à double tranchant.  

Quand à Alcide Bodin, j’éprouvai de la honte d’avoir soupçonné cet homme lors de notre première rencontre. Lui dont l’aide fut si précieuse par la suite. La seule chose qu’on pouvait lui reprocher c’était une curiosité dévorante. 

Sur mon bureau se trouvait un carnet encore vierge. Cela faisait plusieurs jours que je restai paralysée devant la feuille blanche. Soudain, prenant une grande inspiration, je saisis un stylo. Les premiers mots furent couchés sur le papier :
« Bien sûr j’aurai dû me douter, ce jour-là, que ce qu’il se passait n’était pas ordinaire. Lorsque, au cœur de l’été, je déambulai dans la maison de famille d’Alexandre, en pays briard, guidée par la nostalgie, ignorant l’ombre menaçante… ».  



Alors que le début avait été si difficile, la suite coula presque toute seule. Le texte prit forme sous mes doigts agissant sur mes blessures invisibles comme un baume cicatrisant. Plusieurs heures plus tard, ce fut comme si je me réveillai d’un long cauchemar. La nuit était tombée. Tout était silencieux. Même Sosa et ses envies de croquettes n’avait pas osé me déranger. Je mis un point final à mon texte. 

Le cœur apaisé, j’eus une dernière pensée pour Henri Macréau. Peu importe qu’il fût un assassin ou non, il a toute sa place dans mon arbre généalogique… Que ce soit celle d’un roi ou d’un pendu. 


Vers le post scriptum ->


15 commentaires:

  1. Merci pour ce beau voyage rythmé par la généalogie traditionnelle, psychogénéalogie et même la généalogie génétique dans ce dernier épisode, et bravo !

    RépondreSupprimer
  2. Un immense bravo Mélanie pour ce challenge qui nous a tenus en haleine pendant tout le mois de novembre ! Chapeau l'artiste ! Le jour où tu publies un livre préviens moi 😉

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La publication officielle d'un livre n'est pas (encore ?) à l'ordre du jour, mais promis : je te préviendrai ! En tout cas un grand merci à toi, ma première lectrice-du-matin-lève-tôt pour tes commentaires fidèles.
      Mélanie - Murmures d'ancêtres

      Supprimer
  3. Tout est dit, bravo Mélanie. On attend le prochain maintenant :D

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci à toi Renaud, même si tes commentaires m'ont donné quelques sueurs froides tant ils révélaient la suite de l'histoire (nan mais allez, tu peux me le dire maintenant... tu l'as mis où ce logiciel espion sur mon ordi ?)
      Mélanie - Murmures d'ancêtres

      Supprimer
  4. C'est un des plus beaux challenge que j'ai suivi avec appétit, curiosité et impatience.
    Je suis admiratif de votre faculté de narration et votre sens pour maintenir la curiosité de vos letteurs.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup. J'avais peur que les lecteurs se lassent (surtout que le concurrence du ChallengeAZ est rude), mais il semble bien que j'ai réussi mon challenge dans le Challenge : vous garder fidèles jusqu'à la fin ! Merci pour tous ces compliments, cela me touche...
      Mélanie - Murmures d'ancêtres

      Supprimer
  5. Ce fut passionnant à suivre tout au long de ce mois de Novembre. Une histoire qui finit bien. Un grand merci.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour ta fidélité dans la lecture de cet ovni généalogique et, bien sûr, pour tes commentaires et tes louanges.
      Mélanie - Murmures d'ancêtres

      Supprimer
  6. Bravo pour cette histoire vraiment attachante et passionnante !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Christiane ! Je suis ravie que l'histoire t'ait plu.
      Mélanie - Murmures d'ancêtres

      Supprimer
  7. Quelle histoire ! J'ai lu d'une traite ton thriller familial !
    Cela mériterait d'en faire un livre !
    Bravo ;-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Evelyne, pour toutes ces louanges : je suis flattée.
      Mélanie - Murmures d'ancêtres

      Supprimer
  8. Encore une fois, bravo. Je viens de finir la lecture de ton Challenge, j'ai pris mon temps à le savourant. Si j'ai apprécié tes capacités de conteuse et ton art du suspense, ce qui me plait le plus, c'est la façon dont tu as présenté les sources, beaucoup de sources, en expliquant ce qu'on y trouve, à quoi elles servent, de façon totalement fluide dans ton récit. De la belle ouvrage, chapeau bas l'artiste.

    Je reste malgré tout sur ma faim sur un point ? Où est passée Ursule dans ta vraie vie ?

    Dernier point, tu travailles déjà sur ta prochaine nouvelle policière généalogique? S'il te plaiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttttttttttttttttt :p

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup Brigitte. En effet l'un des défis était de faire parler les sources, toutes les sources, afin d'étoffer son arbre et de les présenter d'une façon... disons originale !
      Je te rejoins sur un point : Ursule ! Si quelqu'un découvre où et quand elle est décédée je suis preneuse; car moi je l'ignore !
      Enfin si Sosa le chat me souffle une nouvelle intrigue, j'écouterai ses murmures, promis !
      Mélanie - Murmures d'ancêtres

      Supprimer