« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 14 octobre 2022

#52Ancestors - 41 - Claude Janvion

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 41 : Transmission

 

La mort n’est pas une fin. Pas pour les survivants. Il faut donc penser à la transmission au-delà du décès. Pour les souvenirs, c’est la transmission orale, la mémoire. Pour les biens matériels c’est l’inventaire après décès (entre autre).

 

Un inventaire après décès (IAD) est un acte passé devant notaire visant à établir la liste des biens possédés par une personne lors de sa mort. Le notaire la dresse en parcourant chaque pièce de la maison afin de relever tous les biens (meubles, vêtements, vaisselle, ustensiles de cuisine, papiers divers, animaux, outils, grains, etc...). Sont aussi inventoriées les terres possédées, l’argent ou bien les dettes si le défunt en a laissées.

Les IAD sont réalisés depuis l'Ancien Régime et sont extrêmement courants jusqu'à la fin du XIXème siècle, quelle que soit la nature du bien, grand ou petit.

 

Ainsi, « le 13 thermidor an IV de la République une et indivisible » (31 juillet 1796) Me Guillermet Louis, « notaire public » s’est « porté dans la maison délaissée » par Claude Janvion. Claude est mon sosa n°64, ancêtre à la VIIIème génération, décédé à Lalleyriat (Ain) en 1796. On a remis au notaire « les clés [de ladite maison] sous lesquelles les scellés avaient été apposés » pour procéder à l’inventaire.

 

L’IAD est généralement demandé par le conjoint survivant ou l’héritier désigné pat testament si le défunt en a rédigé un avant de mourir. Ici il s’agit de « Marie Jacquiot veuve de Claude Janvion tutrice et curatrice de Blaize, Cecile et Joseph enfants dudit feu Claude Janvion ». Il est fait devant témoins. Pour l’inventaire de Claude, il s’agit des « citoyens André Joseph Figuet et Joseph Vion Loisel deux cultivateurs demeurant audit Lalleyriaz ».

Inventaire après décès © AD01

L'inventaire dure plus ou moins longtemps en fonction de la richesse du défunt. Ici il ne dure qu’un seul jour (pour 12 pages rédigées) mais il peut être beaucoup plus long ; ainsi celui de Jean Avalon (mon boucher héros du #ChallengeAZ 2019) dure 9 jours et fait 64 pages !

Pour les généalogistes, c’est document précieux car il décrit de façon minutieuse les biens possédés par l’ancêtre, mais aussi sa maison, son atelier, sa ferme (selon son activité), le nombre de pièces, les étages, l’état d’usure des vêtements ou des outils. Il donne à voir la richesse du défunt, son niveau de vie, ses goûts. C’est une véritable plongée dans l’intimité de l’ancêtre. Dans notre exemple, le notaire inventorie d’abord les animaux, les outils agricoles. Puis il entre dans le grenier* « qui est au fond de la grange sur laquelle était apposés les scellés que nous avons ouvert avec la clé a nous confiée par le citoyen juge de paix » où se trouve de l’avoine et d’autres outils.

Parfois l’IAD réserve des surprises. Ainsi le notaire relève la présence d’un « sabre de volontaire », ce qui semble indiquer que le défunt a été soldat de la Révolution. Les événements révolutionnaires parisiens sont à l’origine de la création de la Garde Nationale. En province, cette milice de citoyens fut placée sous l’autorité des municipalités et des districts dès 1790. Après la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, l’Assemblée impose le même uniforme à tous les gardes nationaux. Ils doivent s’habiller et s’équiper à leurs frais. Seuls les "citoyens actifs" (c’est-à-dire payant une contribution directe égale à la valeur de trois journées de travail) peuvent être gardes nationaux. Sous la pression des événements révolutionnaires, la Garde Nationale devient une véritable "armée citoyenne". Après la fuite du roi à Varennes le 21 juin 1791, mais plus encore après la chute de la royauté, le 10 août 1792, l’Assemblée mobilise partout les Gardes nationaux, rejoints par les citoyens "passifs". En 1792 Claude avait 39 ans, ce qui paraît cohérent avec un service dans la Garde. Ce qui nous laisse supposer que le sabre appartenait bien à Claude; le fait que le notaire n'ait pas mentionné que le sabre était la propriété d'un autre vient appuyer cette hypothèse. Ce sabre est donc un indice précieux, mais je n’en sais pas plus sur sa possible activité dans la Garde Nationale.

Ensuite le notaire s’est « transporté dans la chambre à coté de la cuisine ». Ces petites mentions anodines permettent de visualiser l’intérieur de la maison et la répartition des pièces. Sont alors dénombrés les vêtements, le linge de lit.

Parfois quelques pièces n’appartiennent pas au défunt : ainsi une « couverte [= couverture] picquée appartenante a ladite Jacquiot pourquoy elle ne sera pas estimée » ou des outils appartenant à « Jean Janvion père du défunt qui se sont trouvés dans la maison du défunt dont il s’en est emparé étant à luy c’est pourquoy ils n’ont pas été estimés ».

La transmission des possessions est affaire importante. C’est pourquoi on trouve parfois des mentions du type : « Dans le buffet se sont trouvés une liasse de papier contenant différentes acquisitions par ledit Jean Janvion et ses ancêtres ». Malheureusement ici lesdits papiers ne sont pas détaillés. Pire encore (pour la généalogiste que je suis) le notaire a trouvé « une quesse [= caisse] remplie de vieux papier de famille qui ne méritent pas d’être inventorié ».

L’IAD est assorti d’une prisée, c'est-à-dire d’une estimation des biens inventoriés, selon leurs valeurs et leurs états. Par exemple « Un chariot a quatre roues ferrer tout neuf estimé cent livres ». Le notaire conclu par  un récapitulatif de la prisée : « tous lesquels effets cy dessus estimés [88 éléments listés] se montent en totalité a la somme de 592 livre valleur metalique ».

Ici il n'y a pas ni monnaie sonnante et trébuchante ni dette, ce que le notaire précise.

Il conclut en précisant que les « meubles et effets [demeurent] a la charge, garde et conservation de ladite Marie Jacquiot tutrice et curatrice qui a promis d’en avoir un soin particulier et de les représenter a qui de droit et lors quelle en sera requis ». Le document se termine par les formules d'usage et les signatures de ceux qui ne sont pas illettrés (dans le cas contraire, c'est précisé).


Remercions nos ancêtres et leur goût de la transmission du patrimoine qui nous permettent de nous approcher au plus près de leurs vies.

 

 

 

* Grenier : Édifice isolé de la maison, afin d’éviter que les biens du grenier ne soient détruits en cas d’incendie du bâtiment principal, caractéristique du patrimoine architectural de montagne. Construction servant à stocker les grains, les biens précieux (papiers de famille, vêtements du dimanche...), de la nourriture, etc...

 

 

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