« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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samedi 16 mai 2020

#RDVAncestral : Le pavé


Dimanche 18 avril 1784

A l’issue de la grande messe, la cloche convoqua les habitants de la paroisse de Saint Amand sur Sèvre au devant de la porte et principale entrée de l’église paroissiale, de la manière accoutumée.



Enfin… quand on dit les « habitants » on dit surtout les « hommes ». Du coup, je détonnai un peu dans cette communauté. En me faisant toute petite, je reconnaissais là plusieurs représentants des familles de Saint Amand apparentées à mon arbre : Jean Vandé, Jean Baudry ou Pierre Foulonneau dont le fils épousera en troisièmes noces mon ancêtre Modeste Boissinot. Mais aussi les Birgnonet dont la famille donnera un maire à la commune pendant une dizaine d’années ou le curé Fariau. Et d’autres que je ne connaissais pas comme René Réthoré, les frères Roquet ou André Brillaud… Quand à cet élégant qui consultait sa montre, ce devait être Me Turpault, le notaire royal de Saint Mesmin convoqué pour établir le procès verbal de la réunion du jour. Je laissai intentionnellement traîner mes oreilles pour en savoir un peu plus sur cet attroupement : propriétaire, mais aussi chapelier, boulanger ou même cultivateur composaient l’assemblée. Ils étaient jeunes ou déjà dans la force de l’âge, en général bien habillés (en tout cas du mieux qu’ils le pouvaient).

Le syndic de la paroisse de saint Amand, représentant général des habitants, Jacques Gabard se racla la gorge. J’étais venue pour lui : c’était le frère de mon ancêtre… aussi prénommé Jacques ! Je scrutai d’ailleurs la foule pour voir si ce dernier était là. Mais le syndic prit la parole et mon attention fut aussitôt captée :
- Je veux vous rappeler ici qu’au mois de septembre 1782 il fut présenté une requête à Monseigneur l’Intendant de la Généralité de Poitiers par laquelle il lui fut exposé que la majeure partie du bourg de Saint Amand était pavée de mais que la pierre en était si dérangée que les rues étaient véritablement impraticables…
- Oui, oui ! approuva l’assemblée.
Jacques Gabard reprit :
- … Que les propriétaires riverains des rues reconnaissent l’indispensable nécessité de refaire ce pavé.
A nouveau les hommes manifestèrent leur accord :
- C’est vrai ! On l’a dit !
- … Qu’il pouvait y avoir environ un quart ou un tiers du bourg qui autrefois n’avait pas été pavé parce que, lors de la confection du pavé, cette partie fut jugée assez solide pour s’en passer. Mais qu’entre temps il s’y est formé des bourbiers et des creux chemins qui rendent cette partie du bourg impraticable et difficile accès.
Charles Roquet, le cabaretier, prit la parole :
- La chaussée est trop abîmée : comment la clientèle peut-elle se rendre dans nos boutiques ? Si elle doit être toute crottée, elle préfèrera ne plus venir ! Et comment on va vivre, nous autres, si la clientèle ne vient plus ?
- Oui ! Oui !

Jacques Gabard eut du mal à reprendre la parole :
- C’est pourquoi je dis qu’il est d’une pareille nécessité de rétablir le pavé !
- Ouuui !
Le syndic emporta la foule. Il faut dire que c’était un fabuleux orateur… Et que son auditoire était conquis d’avance à sa cause. Calmant l’enthousiasme des hommes, il poursuivit :
- A cet effet il fut demandé à Monseigneur l’Intendant d’ordonner la réfection totale du pavé dans le bourg de Saint Amand… Tant dans la partie déjà pavée que dans celle qui ne tient pas…
L’assistance était presque en liesse.
- … A la charge par les propriétaires riverains de payer la main-d’œuvre…
L’atmosphère fraîchit soudain, comme je le remarquai amusée. Le grommellement sourd qui enflait de la foule mécontente m’empêcha d’entendre la suite du discours. Je ne fus pas la seule et des « Chut ! » impétueux fusèrent afin de rétablir le calme. Entre les deux factions (les rebelles et les partisans du silence), j’entendis le syndic en pointillé :
- … pour leur adoucir le fardeau … que les métayers de la … à pied d’œuvre…
- Chut !
- … Au premier ordre de Monseigneur son subdélégué à Châtillon, le pavé nécessaire à charroyer et les autres matières nécessaires aux déblais et remblai.

Le calme revenant véritablement, Jacques poursuivit :
- Les uns et les autres seraient sous la conduite et direction du syndic et de quatre notables habitants de la paroisse.
Bien sûr, on discuta pour savoir comment seraient décidés les noms de ces quatre notables. Finalement, il fut décidé que ce serait au subdélégué de Châtillon de les choisir.

Le discours reprit, mais l’assemblée n’y était plus vraiment et devenait de plus en plus indisciplinée. Je n’entendais que des bribes du propos de Jacques Gabard :
- … Que sur cette requête et intervention le 25 dudit mois de septembre… l’ordre de Monseigneur l’Intendant portant renvoi à Monseigneur De la Roche … qu’enfin le 1er novembre suivant est intervenue l’ordonnance définitive … de faire droit …
Le reste se perdit dans le brouhaha de la foule. En bref, il y était question de dire si les habitants approuvaient ou refusais lesdits travaux… Mais dit avec les formes et la manière, bien sûr.
Je remarquai alors le notaire qui, tout près du syndic, ne perdait pas une miette du discours, lui, puisqu’il avait à le retranscrire fidèlement. La plume volait sur le parchemin et ne s’attardait pas plus que nécessaire.
Il fit signer l’orateur :
« Gabard syndic »

Puis entreprit de faire signer les témoins à leur tour, du moins ceux qui savaient le faire. Pour faire patienter la foule, il fit lecture de l’acte en même temps qu’il le rédigeait :
« À l’instant ont aussi comparu … composants la plus saine et majeure partie des habitants de ladite paroisse … entré en délibération après quoi ils ont déclaré que les représentations faites à Monseigneur l’Intendant sont du plus légitime qu’il est de l’utilité publique que le pavé dudit bourg de Saint Amand a besoin d’être refait … Que les endroits dudit bourg qui ne l’ont point été cy devant ont également besoin de l’être tant pour leur commodité que pour celle des voyageurs qui très souvent courent le risque d’y périr. En conséquence lesdits habitants requièrent … la reconstruction dudit pavé. De tout quoi ont requis acte que nousdit notaire leur avons octroyé pour leur valoir et servir ce que de raison.
Fait et passé au devant de ladite porte et principale entrée de l’église paroissiale, etc, etc… »

Le « mestre en chirurgie » s’approcha le premier pour signer l’acte dressé par le notaire. Puis, chacun leur tour, s’approcha une vingtaine de personnes, signant de façon malhabile ou au contraire soignée et sophistiquée. 
 
Signature Gabard Jacques, syndic, 
acte d'assemblée de la paroisse de Saint Amand, 1784 © AD79
 
Pendant ce temps-là, j’en profitais pour interroger discrètement un homme que je supposai être le maréchal Henry François Bignonet :
- Et ça arrive souvent, ce genre de réunion des habitants à la porte de l’église ?
- Oh ! Oui. Chaque fois qu’on a besoin. Tiens ! L’année dernière c’était cet homme-là qui était le syndic. Il me désigna Pierre Bremaud. On a fait une réunion à la saint René* pour l’autoriser à faire, en notre nom à tous, les poursuites nécessaires contre les nommés Minet et Huot, pour parvenir à la restitution des sept à huit cents livres de métal qu'ils ont conservées en refondant les cloches de l'église d'un poids inférieur à celui d'origine !
Je n’eus pas le temps de demander si la requête avait porté ses fruits que mon interlocuteur s’était fondu dans la foule.
D’ailleurs, en un rien de temps, l’assemblée s’était dispersée. La réunion était terminée. Ne restait sur place que le notaire qui rassemblait ses plumes et parchemins, avant de quitter la place à son tour.
Quant à moi, j’avais les oreilles pleines du discours de Jacques Gabard et j’étais heureuse d’avoir entraperçu un pan du quotidien des habitants de la commune de Saint Amand.

* Saint René : 19 octobre.






Article rédigé dans le cadre du #RDVAncestral.
Texte inspiré par l'acte notarié "Acte d'assemblée de la paroisse de Saint Amand" rédigé par Me Turpault, notaire à Saint Mesmin, AD85.


dimanche 3 mai 2020

Les petits cailloux de la guerre de Vendée

Apprenant par hasard que des archives relatives au secours aux soldats vendéens avaient été numérisées et mises en ligne sur Geneawiki (par jeangontard : merci à lui), j’ai tenté d’y retrouver la trace de mes ancêtres, puisqu'une branche de mon arbre est originaire du Nord Deux-Sèvres, près la « frontière » vendéenne : il y a donc de forte chance que quelques uns d’entre eux aient laissé leur trace dans ces documents…

Quatre en effet y ont semé des petits cailloux : trois ancêtres directs, simples soldats dans l’armée du roi, ainsi qu’un collatéral, capitaine dans cette même armée. Ces cailloux m’ont donné quelques informations – certaines précieuses, d’autres dont je me serai peut-être bien passée…

 Pièce du dossier de Jean Gabard © AD79 via Geneawiki

  • Le petit caillou de la naissance
Les dossiers de demande de pension sont composés de plusieurs pièces dont un acte de naissance, ou à défaut un multi-témoignage attestant de ladite naissance. C’est ainsi que pour certains de mes ancêtres j’ai enfin la preuve de leur naissance. Par exemple : Jean Gabard. Selon les actes il serait né en 1776 (acte de décès de son père), 1779 (son acte de décès), 1778 (son acte de mariage qui mentionne "un extrait de naissance délivré par les archives de Niort" pour pouvoir procéder à la cérémonie), ou 1782/1783/1786 (actes de naissance de ses enfants). Mais aucun registre antérieur à la Révolution n’a été conservé à Saint-Amand-sur-Sèvres afin confirmer une date. C’est finalement le dossier de demande de pension qui peut le faire : Jean Gabard fait comparaître sept témoins qui « ont déclaré certifier que Jean Gabard est né dans la commune de Saint Amand dans le courant de l’année mil sept cent soixante seize. »
Ceci nous apprends deux choses : que son année de naissance est bien 1776 et que Jean ne devait pas connaître la date précise de son anniversaire puisqu’il ne peut donner que son année de naissance, et non pas la date entière.
Le dossier de Mathurin Gabard, son cousin, nous indique que « les registres de naissances de la commune de Saint Amand » sont introuvables pour cette période car ils ont disparu dans « l’incendie qui le dix neuf décembre mil huit cent cinq a consumé à Niort [lesdits] registres ».

  • Le petit caillou des combats
Ces quatre dossiers sont déposés dans la procédure d’attribution d’une rente viagère attribuée aux « anciens militaires des armées royales de l’Ouest ». Logiquement ces hommes ont donc combattu du côté des royalistes.
Au travers de leurs différents dossiers, on voit l’évolution des combats :
- 12 mars 1793, bataille de St Florent (49) : deux jours auparavant, la loi sur la levée en masse est annoncée à St Florent le Vieil. Trois cent mille hommes doivent être désignés ou enrôlés par tirage au sort, parmi les hommes de 18 à 35 ans de toute la France, pour venir grossir les rangs de l'armée. Ces levées en masse renforcent considérablement les armées mais suscitent de forts mécontentements populaires régionaux, entraînant des émeutes et insurrections. C’est ainsi qu’à St Florent des échauffourées éclatent. Les jeunes convoqués pour le tirage au sort des conscrits réclament l’ajournement du tirage au sort. Suite à un premier coup de feu tiré, les gardes nationaux répliquent en tirant sur la foule. Mais ils doivent finalement se replier : St Florent est aux mains des insurgés.
- 13 avril 1793, bataille des Aubiers (79) : l’opposition à la levée en masse gagne les rangs de la noblesse locale, incarnée par le comte de la Rochejaquelein, un des chefs de l’armée catholique et royale de Vendée. Lorsqu’arrive une colonne républicaine aux Aubiers, les paysans se rangent derrière la bannière du comte pour la combattre. Plus nombreux mais mal armés, ils engagent un véritable combat de rues dans le bourg des Aubiers. Tandis que Quetineau et sa colonne se replie derrière les murs du cimetière, les insurgés prennent le dessus sur les républicains. Ceux-ci s’enfuient, en déroute, vers Bressuire.
- le 13 mai 1793, La Châtaigneraie (85) : les Vendéens s’organisent et planifient désormais des attaques ciblées. Mais les paysans sont nombreux à ne vouloir qu’une chose : rentrer chez eux. Les effectifs des troupes s’en ressentent et diminuent de façon importante. Le 13 mai ils sont entre 12 000 et 15 000 hommes à attaquer La Châtaigneraie où sont réfugiés les 3 000 hommes du général républicain Chalbos. Celui-ci ordonne finalement le repli et la ville est livrée au pillage.
- le 16 mai 1793, Fontenay (85) : trois jours après l’armée vendéenne se présente sous les murs de Fontenay-le-Comte. Cependant, non seulement les effectifs ont encore diminué (10 000 environ), mais ces hommes sont habitués à pratiquer une guerre d'embuscade dans le bocage et ne sont pas préparés à une guerre qui se professionnalise avec des batailles rangées, à terrain découvert, comme sur les plaines devant Fontenay où s'étaient déployés les 6 000 soldats républicains du général Chalbos. Après une charge de cavalerie, celui-ci réussit à prendre les Vendéens en tenaille et à les mettre en déroute.
- le 5 juillet 1793, Châtillon (79) : la violence monte d’un cran. Après avoir repris la ville et mis en déroute le cruel général Westerman (« le boucher de la Vendée ») les royalistes, ivres de vengeance, ripostent impitoyablement aux exactions commises par les républicains en massacrant de nombreux prisonniers.
- le 14 août 1793, bataille de Luçon (85) : l’état-major vendéen est divisé sur la suite des opérations : étendre le conflit vers les côtes du Nord, afin de permettre un débarquement allié via un port breton, ou protéger les villes du sud de la Vendée jugées plus vulnérables. Il est finalement décidé de rester en Vendée. On élabore alors un plan d'attaque complexe en lançant plusieurs assauts à différents échelons, déployant fantassins et artillerie. Si la bataille semble un temps favorable aux Vendéens, le manque de coordination finit par fragiliser leurs rangs. Dans la confusion ils prennent la fuite, poursuivis par la cavalerie républicaine. Selon les sources les chiffres des blessés et tués lors de cette bataille varient grandement (de 1 500 à 6 000 morts). Mais on s’accorde à dire que cette bataille est alors la plus désastreuse de toutes celles qui s'étaient déroulées jusqu'à présent.

  • Le petit caillou des blessures
Mathurin Gabard, « par sa valeur » ôtera un drapeau aux troupes républicaines dans cette « affaire qui eut lieu aux Aubiers » mais, à La Châtaigneraie, il est atteint de deux coups de feu, le premier au côté droit au dessous du sein et le second au poignet droit dont une balle ayant porté sur les tendons fléchissant « lui occasionnant une difficulté dans le mouvement de la flexion ».
Pierre Rabaud fut blessé à St Florent et Fontenay où il reçu un coup de sabre sur la joue et une balle au bras, blessures qui le gêne beaucoup « pour gagner la vie ».
Jean Gabard « a été blessé à Châtillon à l’affaire de vestherman […] d’un coup de bayonnette blessure qui est guérie mais qui le gene pour travailler et gagner l’existence à six enfants. »
Quant à Jacques Jadaud, il fut atteint d’une hernie inguinale « qui lui est survenue au combat de Luçon, en sautant un fossé étant poursuivi par la cavalerie, ce qui le prive de travailler fort souvent, rapport aux coliques qu’il éprouve et de gagner la vie à ces sept enfants. »
Coups de sabre, balle, baïonnette : la guerre a laissé son empreinte dans les corps des hommes.

  • Le petit caillou des démarches administratives
C’est le 3 décembre 1823 qu’est passée officiellement cette ordonnance royale accordant la possibilité d’une pension aux anciens soldats des armées royales de Vendée. Mais pour obtenir cette pension, il faut remplir un certain nombre de critères : prouver sa naissance, sa blessure et son indigence.
- le 11 juin 1824, Mathurin Gabard et Pierre Rabaud sont les premiers à se lancer dans les démarches administratives : Mathurin se rend à Châtillon et Pierre à Nueil, chacun pour faire établir un certificat de santé prouvant leurs blessures. Le 15 juin le certificat de Mathurin est authentifié par le maire de Châtillon. Le 16 juin Mathurin retourne à Châtillon voir le juge de paix, accompagné de sept témoins, pour obtenir deux certificats prouvant sa naissance (puisque les registres ont été ravagés dans un incendie) et attestant de sa présence aux combats.
Il fait cette démarche en même temps que Pierre Rabaud.
Le 20 juin Mathurin va à la mairie de Saint-Amand pour chercher un certificat d’indigence rédigé par le maire de la commune. Il peut désormais envoyer son dossier.
Le certificat de santé de Pierre n’est authentifié que le 20 juin par l’adjoint au maire de Nueil et le 23 par le maire des Aubiers.
Le 29 juin Pierre voit le juge de paix de Châtillon pour obtenir son acte de notoriété et le 6 juillet le maire de Saint-Amand pour son certificat d’indigence.
Le 30 juillet le sous préfet de Bressuire a une grosse journée devant lui : il légalise une première partie des pièces des dossiers de Mathurin et de Pierre (et de bien d’autres sans doute). Le 4 août a lieu la légalisation des dernières pièces des dossiers et leur présentation officielle par les demandeurs (Mathurin sait signer mais il en est empêché, Pierre ne sait pas).
Ces dossiers sont ensuite envoyés à l’échelon supérieur.
Le 9 août Jean Gabard et Jacques Jadaud commencent leurs démarches : officier de santé et juge de paix à Châtillon, maire à Saint-Amand (11 et 16 août), sous préfet à Bressuire (18, 19, 20 août).
A partir du 24 août le préfet de Niort légalise les signatures, examine les dossiers.
Puis les dossiers passent en commission et les jugements tombent : « Brave soldat, blessé grièvement et dans l’indigence », « blessé légèrement et sans fortune », « infirme et sans fortune », « la blessure de ce militaire ne sont pas aussi graves que celles de ses camarades qui précèdent », « il n’est parvenu sur son compte aucun éléments défavorable »…

Mathurin et Pierre apparaissent dans les tableaux de pensions du 30 septembre 1824. Ils reçoivent une pension de 100 francs pour Pierre, simple soldat, et 200 francs pour Mathurin qui fut capitaine.
Jean et Jacques n’ont pas obtenu de pension, leur cas ayant été jugé « hors de l’ordonnance » : Jean n’ayant pas droit et la blessure de Jacques (la hernie inguinale) n’étant pas reconnue consécutive aux combats.
Régulièrement les dossiers font l’objet d’un réexamen, mais « mes » deux pensionnés ne seront pas remis en cause.

  • Le petit caillou de l’indigence
Si j’ai été ravie, grâce à ces dossiers, de découvrir enfin la date de naissance de mon ancêtre Jean - longtemps recherchée, jamais trouvée - j’ai été nettement moins ravie de découvrir qu’à 57 ans Mathurin était un journalier sans ressource, vivant dans l’indigence, empêché de travailler correctement à cause de blessures de guerre reçue à 19 ans.
De la même manière, je n'étais pas pressée d'avoir des détails sur les coliques de Jacques !

Mais en généalogie on ne choisit pas ce que nous réservent les archives…

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Et comme les grands esprits se rencontrent, retrouvez ici l'article de Raymond paru sur le même thème !


jeudi 30 avril 2020

#Genealogie30 2020

Pour ce mois d'avril, le défi #Genealogie30 est de retour.
Nous nous retrouvons autour de ce mot clé pour partager sur les réseaux sociaux, sur nos blogs, notre passion pour la généalogie, nos coups de cœur.
Tous les jours un thème différent nous est proposé.

Tout comme le #ChallengeAZ, le but est de nous retrouver pour faire la fête et partager notre passion. Pas besoin de grands discours, un mot, une image suffisent parfois à communiquer et à toucher.
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Comme de nombreux généalogistes, j'ai posté une infographie (sur Twitter et Facebook) au jour le jour, selon le thème imposé. Si vous avez manqué une ou plusieurs de ces publications, ou juste pour le plaisir, retrouvez-les ici réunies. 



Le diaporama démarre automatiquement et change de diapo toute les 30 secondes.Vous pouvez aussi avancer à votre rythme en cliquant sur les flèches en bas à gauche du diaporama.

Jacques Célestin BREGEON a vu le jour le 6 juin 1842, sous la Monarchie de Juillet, à Saint-Amand-sur-Sèvre (79) petite localité à la croisée du pays poitevin saintongeais, de la Vendée militaire et du Sud Anjou. Fils de Jacques Isidore BREGEON et Geneviève Céleste JADAUD, il est l'aîné d'une fratrie de sept enfants. Seulement cinq d'entre eux atteindront l'âge adulte. L'un des témoins de sa naissance est son oncle, Esprit JADAUD, avec lequel il gardera des liens étroits tout au long de sa vie, travaillant avec lui à la métairie de la Ruffinière.

Il n'a dû aller à l'école que le strict nécessaire car il savait juste lire et écrire son nom. Il devait parler le  poitevin saintongeais, que l'on appelle le "parlanjhe". Et "jarthi !" ("peste !") il devait avoir un sacré accent car tout au long de sa vie son nom sera tantôt compris BREGEON tantôt BERGEON. Ce nom, courant dans l'Ouest et la Vienne, et qui connaît de nombreuses variantes (Brejon, Bergeon, Bréjeon...) dérivant sans doute d'un terme régional désignant une pièce de terre de forme triangulaire, rappelant son origine rurale.

A 20 ans il se rend au chef-lieu de canton, Châtillon sur Sèvre, pour le tirage au sort des conscrits. C'est son déplacement le plus long connu (13,5 km !). Mais finalement il est exempté pour "faiblesse de constitution". Il ne verra pas davantage de pays avec l'armée.

En 1871, il épouse Clémentine BOURY, jeune paysanne d'une métairie voisine. Son oncle Esprit est encore là pour l'accompagner. Ensemble, ils s'installent à La Ruffinière, où ils vont donner naissance à 11 enfants. Dit fermier ou cultivateur selon les modes du temps, il cultive la métairie héritée de la famille de sa mère.

Vivant un peu à l'écart du monde, et de ses changements politiques parfois violents, ils mènent une vie paisible sans faire de bruit (ils n'apparaissent pas dans la presse, ne semblent pas très actifs dans la vie de leur communauté). Modestement sans doute (la garde robe de Jacques n'est estimée qu'à 20 francs lors de son décès); leur seule richesse est la ferme. Mais ensemble. Ils restent fidèle à la famille, vivant à La Ruffinière avec plusieurs générations : parents, l'oncle Esprit bien sûr, leurs enfants, ou son jeune frère Louis. Voyant grandir leurs enfants, partageant une chouée (plat à base de choux) ou un pâté aux prunes, tous autour de la table. Ils assistent aux mariages des enfants, à la naissance d'une nouvelle génération. Et lorsqu'arrive le grand âge, ils rejoignent le coin de l'âtre tandis que leur fils aîné, aussi prénommé Jacques, a repris la ferme.

 Jacques Célestin BREGEON, début XXème © Coll. personnelle

Jacques s'éteint le 18 novembre 1917, au milieu des siens à La Ruffinière de Saint-Amand, à l'âge de 75 ans. C'était  mon ancêtre à la 6ème génération, l'arrière-grand-père de ma grand-mère maternelle.



samedi 18 avril 2020

#RDVAncestral : Le doublé

Parmi tous les invités, je cherchai un homme précisément. Pas le roi de la fête Joseph, le marié, mais… son père ! En effet, c’est Jacques Célestin Bregeon qui motivait ma visite. Je le trouvai, assis sur une chaise que l’on avait sortie pour lui dans la cour de la ferme. Il couvait d’un regard toute l’assemblée : sous les yeux ses fils, filles, gendres, brus, petits-enfants. 

J’approchai un vieux tabouret dépenaillé près de lui et m’assit à ses côtés.
- Vous ne dansez pas ? me demanda-t-il en plissant des yeux pour mieux distinguer les invités.
- Non, pas tout de suite…
Je le regardai : il avait revêtu son costume noir, celui des dimanches, sa cravate et ses souliers qui avaient vu des jours meilleurs. Sa canne était à portée de main.
- Ils sont beaux, hein ? me demanda-t-il avec fierté.
- C’est vrai. Ils sont beaux.

Il me donna un coup de coude amusé :
- Vous savez que c’est un doublé ?
Bien sûr que je le savais mais je le laissai dire, comme on le fait d'un enfant qui vous raconte une histoire drôle que l’on connaît déjà.
Il prit un air de conspirateur et se pencha vers moi comme s'il allait me dévoiler la recette pour changer le plomb en or :
- La mariée, la petite Marguerite, et ben c’est la sœur de Lucie, qui a épousé un de mes autres fils, Clément, l’année dernière, en 1911.
Je rentrai dans son jeu :
- Vraiment ?
Je faisais mine de réfléchir à cette révélation fracassante.
- Hum… Mais ne s’appelle-t-elle pas plutôt Marie Louise ?
- Oui ! Oui ! C’est son second prénom. Et c’est aussi le second prénom de Lucie, ajouta-t-il en se tapant la cuisse.
Avec un sourire par devers moi, je renchéris :
- Ooooh ! Mais c’est vrai : maintenant que vous le dites, je trouve qu’elles se ressemblent un peu.
- Eh ! Eh ! Eh ! Oui, c’est vrai.
Il riait sous cape, comme un gosse ayant fait une bonne plaisanterie.

Indifférents, les invités de la noce dansaient en formant une ronde joyeuse.
- Vos fils aussi se ressemblent drôlement, avec leurs moustaches bien lissées aux pointes. En particulier Clément et Joseph, vos deux fils les plus jeunes : on dirait presque des jumeaux.


Joseph Bregeon, vers 1907 © Coll. personnelle

- C’est vrai…
Avec un clin d’œil, je lui glissai à l’oreille :
- Un beau doublé !
- Ah ! Oui ! Encore un ! gloussa-t-il.
Il réfléchit une seconde :
- Oh ! J’en ai un autre : mes deux filles Radegonde et Marcelline se sont mariées le même jour, en novembre 1906.
- Ouuuii ! approuvai-je.

Et, poursuivant le jeu :
- Et en plus elles portent aussi toutes les deux le prénom Clémentine, n’est-ce pas ? Un autre doublé ?
- Oui ! C’est vrai… C’était le prénom de ma défunte épouse, dit-il, un brin nostalgique. Mais se ressaisissant aussitôt il enchaîna : en fait, on ne les appelle jamais Clémentine, on utilise leurs deuxièmes prénoms. D’ailleurs, toutes mes filles s’appellent Clémentine !
- Et deux de vos fils Clément : c’est plus qu’un doublé là, c’est le jackpot !
Il rit de ma plaisanterie.
Je réfléchissais : on pouvait ajouter un autre doublé à cette longue liste. En effet, deux des filles de Jacques avaient épousé des hommes qui faisaient partie de mon arbre : Adeline, mon ancêtre directe, bien sûr, mais aussi sa sœur Marcelline.
Cependant, Jacques fatiguait un peu. Il retomba dans sa rêverie. 

Finalement, il conclue ainsi :
- Ce sont les miens…
Et dans ce « miens » il y avait toute la fierté d’un homme au soir de sa vie. Un homme accompli. Heureux.
Finalement c’était peut-être lui le roi de la fête, trônant dans son vieux fauteuil d’osier, patriarche de plusieurs générations. Maître incontesté des doublés !



samedi 15 septembre 2018

#RDVAncestral : Le jour du recensement

En entrant dans la ferme de la Gidalière, je fus saisie un instant : Célestin Félix faisait les cent pas autour de la table, fulminant visiblement et grommelant son ressentiment. Son épouse Marie Henriette cousait dans un coin de la pièce, essayant de se faire plus petite qu’elle n’était, ce qui n’était pas un mince exploit. Les quatre enfants, âgés de 7 à 2 ans, assis autour de la table, croquaient chacun dans une épaisse tartine couverte d’une tranche de lard. Ils ne pipaient mot, sentant bien que, s’ils ne levaient ne serait-ce que le petit doigt, leur père Célestin éclaterait définitivement. Il est des fils qu’il faut veiller à ne point rompre. Seul Pierre, du haut de ses 83 ans, semblait échapper à l’ambiance électrique régnant dans la pièce (il en avait vu d’autres, lui !) : il était assis au plus près des flammes, profitant de la chaleur du feu ronflant dans la cheminée pour réchauffer ses vieux os.

Devant cette scène frisant l’apocalypse, je n’osais moi-même bouger, bien qu’après avoir frappé à la porte on m’avait invitée à entrer. Marie déposa son ouvrage et trottina vers moi. Sans un mot elle me prit la main et me fit assoir à côté des enfants. J’eu droit au même régime alimentaire, mais je dois dire qu’à l’heure du goûter, le lard ne me tentait que moyennement. Les enfants me regardaient curieusement, oubliant faim et tartine. Célestin, lui, faisait toujours sa ronde, de plus en plus vite semble-t-il.

Finalement (fatalement ?) il explosa :
- Bon sang ! Nous faire attendre comme ça toute la sainte journée ! Mais il croit qu’on est à ses ordres ma parole ! Comme si on n’avait rien d’autre à faire ! Ah le…
Il s’arrêta net. Je n’avais pas eu le temps de jeter un coup d’œil à Marie que celle-ci, d’un seul regard, avais stoppé l’insulte qui allait fleurir sur les lèvres de Célestin. Je les regardais l’un après l’autre, tournant la tête comme sur un court de tennis : Célestin la bouche ouverte, stoppé dans son élan, muet, et Marie fronçant les sourcils indiquant discrètement les chastes oreilles des enfants. Elle n’en n’avait pas l’air comme ça, mais Marie devait être une maîtresse femme à qu’il ne devait pas être bon de désobéir.
Célestin repris sa marche et son marmonnements. Entre deux borborygmes incompréhensibles, je parvins à distinguer quelques mots : recensement, fichage, impôts ; et même un « maudit » qui lui échappa mais un nouveau regard de Marie lui interdit de poursuivre dans cette voie.
- Non mais qu’est-ce qu’ils croient ? Je ne suis pas dupe ! Le cadastre, le recensement… Tous ça c’est pour nous faire payer des impôts et toujours davantage encore ! On nous contrôle, on nous contrôle, mais qui le contrôle lui ? dit-il encore, accompagnant sa dernière remarque d’un coup de tête vers la porte. Cette porte par lequel entrerait bientôt l’agent recenseur. 

C’est lui que la famille attendait, mais son passage tardait et bloquait tout le monde dans la maison, empêchant la réalisation des travaux agricoles urgents du jour. Ce qui ne faisait qu’augmenter la colère de Célestin. Je remarquais tout de même que les domestiques n’éteint pas présents : ils avaient dû être envoyés à faire quelque tâche urgente. On avait beau n’être qu’en mars, dans les régions rurales c’était l’époque où les travaux agricoles devenaient de plus en plus chronophages. Alors passer sa journée à attendre un agent pour remplir un papier leurs paraissait tout à faire secondaire, voire dangereux pour leurs intérêts personnels. Une véritable perte de temps, dont ils ne tireraient aucun bénéfice, bien au contraire sans doute. Je plaignais le pauvre agent qui, lorsqu’il arrivera, sera probablement bien mal reçu.
Après une bonne demi-heure d’attente supplémentaire, l’agent recenseur frappa enfin ! Les enfants, ayant terminé leur collation, avaient débarrassé le plancher et s’étaient égaillés en dehors de la maison. Les trois autres n’avaient guère changé de position ni d’attitude. L’accueil de Célestin fut glacial, ce n’était rien de le dire ; l’image de la Sibérie orientale m’effleura un instant l’esprit. Marie fit un effort, mais sans rien exagérer non plus. Pierre ne bougea pas de son coin de cheminée.

L’agent, lui, ne remarqua rien, ou tout au moins fit comme si de rien n’était. Peut-être avait-il l’habitude. Il ne se présenta pas : de toute façon il était de la commune et tout le monde le connaissait déjà. Il s’’assit sans façon à la table et ouvrit son sac de cuir noir pour en sortir un tas de feuilles pré-imprimées, une plume et un encrier. Plus tard, une fois sa tournée achevée, les feuillets seraient recopiés dans un ouvrage soigneusement relié.
- Alors, alors… Liste nominative des habitant de la commune de Saint Amand sur Sèvres, département des Deux-Sèvres, pour l’année 1901, de la ferme dite de la Gidalière… Premier ménage enregistré : Monsieur Gabard Alexandre, son épouse, leurs enfants et une aïeule… C’est votre frère, ce monsieur Gabard ?
- Oui ! Et alors ?
- Rien, rien, c’était juste comme ça… Deuxième ménage recensé : Monsieur Manceau Victor, son épouse, enfants et petite-fille.
Gros soupir sonore de Célestin.
- Troisième ménage : c’est vous.
- Ah ! Tout de même !
- Je vous écoute : veuillez m’énoncer clairement, je vous prie, le nom de chaque présente vivant dans ce foyer, ainsi que ses prénoms, âges, nationalité, situation familiale, profession et employeur s’il y a lieu.
- Gabard Célestin Félix, 40 ans, nationalité française, marié, fermier,
- Benetreau Marie Henriette, 30 ans, nationalité française, mon épouse, fermière également,
- Nos enfants : Célestin Aubin Eugène, 7 ans, nationalité française, sans profession ; Marie Léonie Henriette, 6 ans, nationalité française, sans profession ; François Joseph, 3 ans, nationalité française, sans profession ; Joseph Elie, 2 ans (pendant un instant je perds la litanie de Célestin car je pense à ce petit bout de chou de 2 ans qui deviendra mon arrière-grand-père, mais que je ne connaîtrai jamais… réellement en tout cas !),
- Gabard Pierre, 83 ans, veuf, mon père, nationalité française, sans profession,
- Gabard Joseph Florentin, 32 ans, nationalité française, domestique à gages ici à la ferme,
- Nauleau Auguste, 25 ans, nationalité française, domestique à gages ici à la ferme,
- Fuzeau Alexandre, 24 ans, nationalité française, domestique à gages ici à la ferme,
- Et enfin Herbet Augustine, 18 ans, nationalité française, servante ici à la ferme.
- Bien, bien, bien… Tous sont résidants et présents dans la commune ce jour ?
- Oui !
- Votre ménage ne compte aucune autre personne qui résiderait habituellement ici, mais en serait momentanément absente pour quelque raison que se soit ?
- Non !
- Il n’y a ici aucun hôte de passage, ne résidant pas dans la commune, et ainsi étant susceptible d’être recensé ailleurs ?
- Non ! Je vous ai tout dit !
- Bon, bon, bon… Alors je relis pour que tout soit parfaitement clair :
1 Gabard Célestin, 40 ans, marié chef de ménage, fermier,
2 Benetreau Marie, 30 ans, épouse, sans profession,
3 Gabard Célestin, 7 ans, garçon membre du ménage, sans profession ;
4 Gabard Marie, 6 ans, fille idem, idem ;
5 Gabard François, 4 ans, garçon idem, idem ;
6 Gabard Joseph, 3 ans, idem, idem ;
7 Gabard Pierre, 84 ans, veuf, grand-père, idem,
8 Gabard Joseph, 32 ans, garçon domestique à gages à la ferme Gabard,
9 Nauleau Auguste, 25 ans, idem, idem,
10 Fuzeau Alexandre, 24 ans, idem, idem,
11 Et enfin Herbet Augustine, 18 ans, servante, idem… 


Extrait des recensements de la commune de Saint Amand sur Sèvres, 1901 © AD79

- Bon tout y est ! Je ne reste pas : vos voisins, les Rochais, m’attendent. Bien le bonsoir la compagnie !
Et l’agent de repartir plus vite qu’il n’était entré. Célestin quand à lui, explosa littéralement :
- Non mais tu te rends compte : il nous fait attendre toute la journée, nous demande une foule de renseignements et au final il n’en n’écrit pas même la moitié ! Mais c’est vraiment de la mascarade ce recensement ! Aaargghhh !
Et sur ce cri de fureur il sorti lui aussi. Je jetais un regard inquiet à Marie et Pierre, restés imperturbables, ayant quelques craintes au sujet de ce pauvre agent recenseur si Célestin lui tombait dessus.

- Ne t’inquiète pas : il a dû aller passer sa colère à pelleter quelques fourches de foin : ça le calme toujours… Mais bon, il n’a pas tout à fait tort : il nous demande des renseignements et ne les note même pas ! Tss, tss… En plus il s’est trompé dans l’âge de mes petits : François n’a pas encore ses 4 ans ni Elie ses 3.
- Et moi je ne fêterai mes 84 qu’en mai ! ajouta Pierre du fond de la pièce où il se tenait.
- Et puis bon, je ne suis pas sans profession : je suis fermière, tout aussi bien que mon Célestin est fermier. Enfin ! Avec l’administration, c’est comme ça, c’est eux qui décident et on n’a pas notre mot à dire. Espérons qu’avec le temps ça s’améliorera…

En les quittant, je n’osais pas lui dire que les tracas administratifs avaient une belle et longue vie devant eux et que, moi aussi, j’ai souvent pesté devant les approximations des agents recenseurs lorsque j’étudiais leurs écrits pour ma généalogie. Enfin, quelques fois ils m’ont apportés de précieuses informations. Il faut juste garder à l’esprit que des vérifications sont toujours nécessaires.


samedi 5 mai 2018

Comment trouver des parents...

... quand il n'y a plus de registre et qu'on porte un nom fort commun.
Au début il y a la mère.


Elle se nomme Charrier, patronyme ayant de nombreux homonymes dans ce coin des Deux-Sèvres vendéennes. Et elle porte un prénom, disons... assez connu : Marie !
Je ne connais pas ses parents : registres perdus, pas d'acte de mariage, déménagements à répétition (un coup en Vendée, un coup dans les Deux-Sèvres), acte de décès non filiatif. Mais sont époux est connu grâce aux générations suivantes. Notamment par le mariage de sa fille, mon ancêtre directe.


Longtemps je me suis arrêtée là, faute de sources disponibles.
Et puis à la fin de l'année dernière, j'ai reçu son contrat de mariage (ça, c'est signé @RayDeborde, encore une fois, ;-) qui a encore été travailler pour moi - merci à lui... encore).
Lecture en travers : je vois cité René, le frère de la mère - encore un prénom original : on cumule dans la famille.


J'ai bien essayé de chercher René Charrier (dans les deux départements) mais il y a trop d'homonymes pour un résultat probant. Nouveau coup d'arrêt dans mes recherches.

Et puis lors d'une semaine ordinaire, une alerte de Geneanet : des nouvelles de Marie Charrier sont publiées, avec ses parents ! Chouette me direz-vous. Ben, pas vraiment : l'arbre n'est pas assez détaillé, les actes non filiatifs pour être sûr que les parents soient bien les parents. De plus, il y a 11 ans de décalage entre l'âge (estimatif) donné par l'acte de décès de Marie et celui donné dans l'arbre en ligne. Ce n'est pas rédhibitoire, mais disons que ça ne va pas dans le bon sens.
J'élargis mes recherches grâce à l'option correspondances  : 5 couples correspondent avec ma Marie, mais les parents varient d'un arbre à l'autre ! Certains donnent bien un frère René, mais...
Trop d'homonymes, je vous dis.


Je relis alors le contrat de mariage et je vois parmi les témoins la tante maternelle, veuve de René. Je l'avais bien notée, mais sans comprendre l'importance.


Je retourne sur Geneanet avec ce couple : 4 résultats, aux informations très variables : noms juste cités, mention du décès de René sans lieu ou avec un lieu (mais pas le bon département) pour un autre. Je vais voir l'acte de décès à tout hasard. Il est filiatif : chouette ! Mais bon, son épouse n'est pas mentionnée. Nouveau doute. Elle est bien dite veuve l'année suivante (dans le contrat de mariage), mais quand même. Nouveau doute.

Certains arbres donnent un fils, d'autre une fille. Je vais voir le fils dont l'acte de mariage est mentionné (1825). Et cet acte est très détaillé et confirme le décès (douteux) de René cité plus haut.

Donc ce René est bien le frère de "ma" Marie. Et je connais enfin leurs parents, cités dans l'acte de décès de René. Et voici comment j'ai trouvé Honoré et Marie.


Et vous savez quoi ? Ce n'est aucun des parents cités dans les 5 arbres publiés sur Geneanet !

Ce "nouveau couple" est d'ailleurs inconnu sur Geneanet, ce qui s'explique sans doute à cause de la disparition des registres qui les ont fait entrer dans les oublis de l'histoire...



samedi 7 avril 2018

Etranges naissances

J’avais dans l’idée de rédiger cet article depuis un moment déjà. Et puis @lulusorciere a fait part de la première publication de l’archiviste Sylvie Boudaud (@deedee8586) dans laquelle elle raconte comment Pierre Proust et sa sœur Mathurine sont nés à un intervalle très particulier (voir ici).

Je protestais aussitôt sur Twitter de ce plagiat inopportun (même s’il est vrai que mon article n’était pas encore écrit, mais quand même : j’avais eu l’idée avant, c’est sûr) :

Hélas, on ne se débarrasse pas des sorcières comme ça et c’est ainsi qu’après avoir renoncé à vous expliquer « mon » cas, j’acceptais finalement de le faire.

Voici donc l’histoire de Modeste Boissinot et son deuxième époux François Bertrand. Ils se sont mariés à Saint-Amand-sur-Sèvre (Deux-Sèvres) quelques années après la Révolution, mais à une époque où le calendrier révolutionnaire est encore en place.

Pour cette affaire de calendrier, il suffit de se rappeler qu’au cours de notre histoire nous avons changé plusieurs fois de calendrier : calendrier julien (dont le nom vient de Jules César), puis grégorien (venant du pape Grégoire XIII qui réforma le précédent au XVIème siècle) et enfin le fameux calendrier républicain. Si les deux premiers faisaient commencer l’année le 1er janvier, le premier jour du troisième est placé au 22 septembre 1792, date de la proclamation de la République, et donc départ d’une nouvelle année/nouvelle ère (même si ledit calendrier n’est entré véritablement en vigueur que le 6 octobre 1793 – 15 vendémiaire an II).
Mais les petits rigolos qui ont décidé de changer le calendrier ont aussi décidé de faire véritablement table rase du passé (c’était dans l’ère du temps faut dire) et ils ont tout changé : le début d’année, donc, mais aussi le nom les mois, des jours, des années. Et c’est là que ça rigole moins pour tous ceux qui ont à faire avec les dates de cette période.

Les Révolutionnaires sont des poètes, c’est bien connu, et c’est ainsi que les nouveaux noms s’inspirèrent des saisons, de la végétation et de la plume de Fabre d’Eglantine, écrivain et homme politique à qui l’on doit cette nouvelle nomenclature :
- mois d’automne :
Vendémiaire (22 septembre/21 octobre) : mois des vendanges ;
Brumaire (22 octobre/20 novembre) : des brouillards et brumes ;
Frimaire (21 novembre/20 décembre) : du froid sec ou humide ;
- mois d’hiver :
Nivôse (21 décembre/19 janvier) : de la neige qui blanchit la terre ;
Pluviôse (20 janvier/18 février) : des pluies qui tombent avec plus d'abondance ;
Ventôse (19 février/ 20 mars) : des giboulées et du vent qui vient sécher la terre ;
- mois du printemps :
Germinal (21 mars/19 avril) : de la germination et de la montée de la sève ;
Floréal (20 avril/19 mai) : de l'épanouissement des fleurs ;
Prairial (20 mai/18 juin) : de la récolte des prairies et de la fécondité ;
- mois d’été :
Messidor (19juin/18 juillet) : des moissons dorées qui couvrent les champs ;
Thermidor (19 juillet/17 août) : de la chaleur solaire et terrestre qui embrase le sol ;
Fructidor (18 août/16 septembre) : des fruits que le soleil dore et mûrit.

La semaine ne comporte plus 7 jours, mais dix, d’où le nom de décade. Pour chaque jour, là franchement, on s’est pas foulé :
1er jour     : primidi ;
2ème jour : duodi ;
3ème jour : tridi ;
4ème jour : quartidi ;
5ème jour : quintidi ;
6ème jour : sextidi ;
7ème jour : septidi ;
8ème jour : octidi ;
9ème jour : nonidi ;
10ème jour : décadi (jour de repos - dimanche).

Néanmoins chaque jour de l'année a reçu un nom en propre, les noms des saints du calendrier grégorien ayant été remplacés par des noms de fruits, de légumes, d'animaux, d'instruments, etc… Ainsi, par exemple, je suis née un jour nommé « crible » - une passoire, un tamis quoi (pas terrible, mais bon, on ne choisit pas…).

Cependant, il reste une période bissextile, parce que décidément les calendriers ne s’entendent jamais bien avec la rotation de la Terre et du Soleil. Du coup, on hérite d’une « Franciade » (période de quatre ans au bout de laquelle il faut ajouter un jour pour qu'elle reste alignée avec l'année tropique) et de « sanculotides » (5 ou 6 jours selon les années qui s’ajoutent à l’année ordinaire qui est composée de 12 mois de 30 jours chacun, soit 360 jours au total). Les sanculotides, aussi appelés « jours complémentaires », sont ajoutés  afin que les années comportent plus ou moins 365 jours (365,242 25 jours en moyenne exactement) [1] ; ce que vous n’avez pas manqué de remarquer en lisant le présent article, un peu plus haut : le calendrier commence le 22 septembre et se termine le 16 : les sanculotides viennent donc combler ce trou.

On notera que certains ont fait de la résistance : dans les registres d’état civil on utilise parfois toujours « l’ancienne date ». Ou bien on met les deux : celle du nouveau calendrier et celle de « l’ancien style ». En tout cas « l’ère vulgaire », comme la nomme le décret instituant ce nouveau calendrier, est abolie ; ce qui, avouons-le, ne nous facilite pas le travaille tous les jours.

Par ailleurs, le nouveau découpage de la journée qui faisait aussi partie du package révolutionnaire, n’a jamais eu de succès et fut rapidement abandonné. [2]

Enfin, des esprits censés ont décidé de l’abrogation de ce calendrier le 1er janvier 1806 (11 nivôse an XIV). On est alors revenu à notre bon vieux calendrier grégorien, toujours en usage aujourd’hui.

Bon, heureusement, pour éviter les maux de tête, des convertisseurs de calendrier existent, ce qui nous évite d’avoir à apprendre par cœur tout le calendrier républicain (sauf si le cœur vous en dit…). Personnellement, j’utilise celui-ci

Mais pourquoi ces précisions quant à ce calendrier républicain ? Et bien parce que si l’on n’y prend pas garde, on peut passer à côté de situations assez cocasses. Ainsi, pour en revenir à Modeste et François mes ancêtres, je leur ai très vite trouvé deux enfants. La première, Marie Françoise (mon ancêtre directe) est née le 21 thermidor an XI. Son frère, Pierre, est né le 5ème jour complémentaire An XI (déclaré le 6). S’il est facile de discerner que les deux naissances sont rapprochées (car la même année), j’ai mis une fraction de seconde de plus pour m’apercevoir que le 6ème jour complémentaire suit d’environ un mois et demi le 21 thermidor (soit en bon français grégorien respectivement le 22 septembre et le 8 août 1806). Morale de l’histoire : il faut toujours faire les conversions de calendriers. Toujours.


Vu la période, le lieu, les remous de l’histoire, j’ai bien sûr pensé à une erreur de déclaration, mais il semble bien que non (celle de Pierre en tout cas est confirmée dans son acte de mariage ; celle de Marie Françoise n’apparaît pas et l’âge qui lui est donné est plus ou moins fluctuant selon les actes). Quoi qu’il en soit aucune mention particulière ne signale un événement qui expliquerait ce délai peu ordinaire, ou bien une erreur de date, entre les deux naissances.

Donc, soit on a là la grossesse la plus courte de l’histoire. Soit c’est l’accouchement le plus long de l’histoire. Franchement, si c’est la deuxième hypothèse, je plains ma pauvre Modeste. Inévitablement, je me pose des questions : à cette époque, dans les campagnes, on accouchait à la maison. Mais qu’a pensé Modeste, mère de trois enfants, âgée de 36 ans, quand elle s’est rendu compte après la naissance du troisième qu’elle était encore enceinte ???? Parce que j’imagine que l’accouchement n’a pas duré un mois et demi (on n’a certainement pas entendu du « Poussez madame ! Poussez ! » pendant ce délai : même les sages-femmes les plus endurantes y aurait perdu leur latin). Alors, quoi ? Elle est repartie tranquille au champ moissonner un coup et puis au bout d’un moment elle s’est dit « Tiens, et si j’y retournais ? » !

Les commentaires ayant suivi la parution de l’article de Sylvie ont exploré quelques hypothèses médicales pour expliquer ce phénomène de naissances si rapprochées. Mais loin de la science, je ne peux m’empêcher de penser à mon ancêtre, à ce qu’elle a pu ressentir et/ou imaginer concernant cet double accouchement peu ordinaire.




[1] Pour les fans de chiffres, l’année tropique (ou année solaire, c'est-à-dire le temps que met la Terre à faire le tour du Soleil) comporte environ 365,242 189 8 jours ; bien loin de celle des calendriers juliens (365,25 jours) et grégoriens (365,2425 jours) !
Une année sextile désigne l'année qui avait un 6e jour complémentaire et ce jour lui-même. Tous les quatre ans, l'année républicaine comptait donc un sixième jour complémentaire, en plus des cinq jours complémentaires ordinaires. Le terme sextile a pour origine un terme d'astrologie : l’aspect sextil est l'aspect de deux planètes qui sont éloignées entre elles de soixante degrés, ou de deux signes entiers, qui font la sixième partie du zodiaque. Dans notre calendrier, cette année qui comporte un jour supplémentaire est nommée bissextile.
[2] Pour les plus curieux : la journée allait de minuit à minuit, comportait 10h, découpées en 10 parties, elles-mêmes décomposables en 10 parties et ainsi de suite.