« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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jeudi 6 septembre 2018

Dispense pour les pauvres

Guillemette Le Tily (ou Le Tilly) était mariée à Marc Pierre. Ensemble ils eurent 5 enfants. Puis Marc décéda, en 1685. Son aîné a alors 11 ans, son cadet 5. Quelques années plus tard Guillemette se rapproche de Mathieu Le Denmat. Puis petit à petit ils se sont mis à se « fréquenter familièrement ». Tous sont de la même paroisse : Mûr de Bretagne (Côtes d’Armor).
Mais voilà, on commence à chuchoter, à jaser, à « malparler d’eux ». En 1688 ils décident donc de régulariser la situation et se fiancent officiellement. Ils s’accordent sur le mariage s’apprêtent à faire publier le premier ban. Or là, ô surprise, ils apprennent qu’ils sont parents ! Ou tout du moins qu’ils ont des parents en commun : un bisaïeul ou un trisaïeul. Mais c’est si loin : ils étaient « ignorants » de tout cela. Hélas il y a toujours des commères pour se rappeler ce genre de choses.
Il faudrait une dispense pour pouvoir se marier : après tout, ces parents communs on les a presque oubliés. Mais le sort s’acharne sur le malheureux couple : ils sont trop « pauvres et [n’ont pas] les moyens de recourir à Rome » pour obtenir la fameuse dispense. Alors ils se tournent vers leur curé, qui lui-même fait appel à l’évêque de Quimper. Celui-ci examine le cas avec la plus extrême attention, il tient compte des déclarations du curé et des témoins, « gens dignes de foy », que le couple a produit pour parler en sa faveur.
Enfin, la chance leur sourit : l’évêque leur permet de « contracter legitimement, et validement publiquement mariage ensemble en face d’Eglise nonobstant l’empechement du tiers au quart degré d’affinité qui est entre eux dont nous les dispensons pour les raisons cy dessus ». Et d’autre part, s’ils ont des enfants un jour, ceux-ci seront reconnus « legitimes et irreprochables ». Ouf ! Le premier mars 1688 Guillemette Le Tily et Mathieu Le Denmat se marient en l’église de Mûr.

Sur les registres en ligne figure ledit mariage… mais pas seulement. En fait près de trois pages du registre les concernent, qui évoquent trois actes différents :
- les fiançailles ; mention assez peu fréquente, mais on les retrouve parfois dans d’autres registres et/ou d’autres régions.
- l’acte de mariage proprement dit.
(- je passe sur les fiançailles que le curé recopie à nouveau par erreur, avant de s’apercevoir de sa bévue et de rayer ces lignes inopportunes)
- la dispense de consanguinité qui a été retranscrite à la suite des deux précédents ; ce qui est nettement plus rare (inédit pour moi en tout cas, mais que l’on retrouve plusieurs fois dans ledit registre).


  • Les fiançailles
On apprend donc par ce document que « les fiancailles [ont été duement] faites d’entre Mathieu le denmat et Guillemette le tily » [1] Guillemette est âgée de 30 ans et Mathieu 24. Un premier ban a été publié « sans opposition dans l’Eglise paroissiale dudit mur le denier Jour de fevrier mil six cent quatre vingt huict ». Le terme exact utilisé dans ce document est « bannie » ; terme que je n’avais jamais rencontré jusqu’à présent. Mais le couple a été dispensé « de deux autres bannies par Monseigneur levesque de quimper ».
Rappelons que la publication des bans est une procédure ayant pour utilité de rendre publique l'imminence d'un mariage, et ainsi de veiller à ce que toute personne soit à même de s'y opposer, en démontrant d'éventuels empêchements. Elle se fait en trois temps, en général par proclamation à l’office du dimanche (ou plus tard par voie d’affichage). La dispense du deuxième et/ou troisième ban est relativement courante, notamment lorsqu’il y a urgence à marier le couple (naissance imminente par exemple).
Le mariage dont il question ici a lieu en mars et la naissance du premier enfant en décembre ; il n’y avait donc pas véritablement urgence (mais le mariage a été consommé tout de suite !). A moins que ce soit là l’allusion qui se cache dernière la phrase sibylline de l’évêque dans sa dispense, mentionnant des raisons « à nous connues » - donc inconnue des autres : peut-être a-t-on déjà mordu dans le fruit… ou est-ce simplement un formule habituelle et mon imagination propre à s’enflammer !
Quoi qu’il en soit, on ne peut s’empêcher de remarquer que le premier (et unique) ban a été proclamé le dernier jour de février et que le mariage a eu lieu… le lendemain premier mars !


  • Le mariage
Expédié par une simple phrase : « lesdits fiances ont estes par parolles de presant conjoints en mariage et ont reçus la benediction nuptialle pendant le St Sacrifice de la messe » [1]. Suivent les noms des témoins et la date : 1er mars 1688.


  • La dispense
Plus rare, la dispense de consanguinité a été recopiée à la suite dans le registre. L’Église en effet interdisait les mariages au sein de la même parenté, mais il existait des dispenses, lorsque les liens n’étaient pas trop proches. Ici, nous avons affaire à une dispense « du tiers au quart » ou autrement dit du troisième au quatrième degré. En droit canon on compte un degré par génération jusqu'à l'ancêtre (ou aux) ancêtre(s) commun(s). Un frère et sœur sont considérés du 1er degré ; des cousins germains du 2ème degré ; des cousins issus de germains du 3ème degré, etc... A l'origine l’Église interdisait les unions entre parents jusqu'au 7ème degré mais au XIIIème siècle la limite a été abaissée au 4ème degré. Une consanguinité du troisième au quatrième degré signifie que le parent commun n’est pas de la même génération pour les deux fiancés : pour l’un c’est un arrière grand parent, pour l’autre un arrière arrière grand parent.
L’affinité est autre motif d’interdiction de mariage : celle-ci est reconnue lorsque qu'il y a un rapport entre l'un des conjoints par mariage et les parents de l'autre conjoint. Ce que, de nos jours, on appelle communément la parenté par alliance ; quand un oncle veuf veut épouser une nièce de sa défunte femme par exemple.
Ici c’est une dispense un peu particulière, dite « pauperibus in contrahendis ». L’évêque disposait d'un droit pour dispenser ses ouailles qui étaient trop pauvres pour pouvoir payer, et obtenir, l'autorisation de mariage directement auprès du pape. C’est pourquoi ce fait est mentionné dans le document. Ces dispenses particulières devaient être recopiées dans les registres, ce qui nous permet aujourd'hui d’en prendre connaissance.
En effet, de nos jours les dispenses ordinaires sont conservées en série G aux archives départementales, ce qui nécessite un déplacement sur place pour pouvoir les consulter. Chacune est un véritable dossier d’enquête comprenant la « supplique » des fiancés (noms, prénoms professions, domiciles), la nature et le degré de l'empêchement, et pour les cas d'affinité et de consanguinité, un tableau de cousinage où figurent les ascendants de la lignée menant à l'ancêtre commun. Des témoignages viennent appuyer ces informations. Enfin, elle se clôt par l'accord de l’Évêque.
Cette dispense est datée du 26 février 1688 : elle autorise le couple à se marier, à reconnaître légitimes leurs enfants et à se passer des deux derniers bans avant le mariage officiel. Elle a dû avoir son petit effet car la proclamation du premier ban est restée « sans opposition ».

Outre l’intérêt des ces trois types d’actes, c’est la situation qui y est décrite qui est inédite et… assez cocasse je trouve, notamment à cause de l’ignorance des deux fiancés de leur « état consanguin » et la mention des cancans qui ont déclenchés toute l’affaire.


Extrait des registres BMS de Mûr de Bretagne © AD22

Transcription des actes :
Fiançailles en jaune
Mariage en rouge
Dispense en bleu
Erreur de transcription en vert 

Mathieu le denmat et Guillemette le tilly espousés
Lesquels [ ?] les fiancailles doubment faites dentre Mathieu le denmat et Guillemette le tily tous de la même paroisse de mur evesché de quimper ledit le denmat agé d’environ vingt quatre ans et ladite le tily d’environ trante ans, une bannie ausy estante faite sans opposition dans l’Eglise paroissiale dudit mur le denier Jour de fevrier mil six cente [sic] quatre vingt huict vue aussy la dispense de deux autres bannies par Monseigneur levesque de quimper Et apres avoir veu la dispense du quart degré qui est entre eux apres dont il sensuit une coppie apres aussy avoir veu le decret [ ?] du mariage dudi le denmat en datte du vingt et deuxiesme jour davril mil six cente quatre vingt sept y signé M. Lestrat commis vers moy soubsigné curé [… ?] lesdits fiances ont estes par parolles de presant conioints en mariage et ont receus la benediction nuptialle pendant le St Sacrifice de la messe par m[ess]ire Julien le mort en presance de Jacques quendiaz le vieulx, Louis le bruyant, Jan de la Crecholin le Jeune yves le bihas lesquels interpelles fors lesdits Crecholin denmat et bihas ont declares ne signer lesdits jour et an que devant et lesdites nopces ont estes faites le premier jour de mars audit an mil six cente quarte vingt huict Icy suit la coppie de la dispense
François de Coetlogon par la grace de dieu et du St Siege Evesque de quimper et compte de Cornouaille à tous ceux qui les presantes voyront…
Apres les fiancailles doubment faites dentre Mathieu le denmat et Guillemette le tily tous deux de la même paroisse de mur evesché de quimper ledit le denmat agé d’environ vingt quatre ans et ladite le tily d’environ trante ans, une bannie ausy estante faite sans opposition dans lEglise paroissiale dudit mur le denier Jour de fevrier mil six cente quatre vingt huict vue aussy la dispense de deux autres bannies par Monseigneur levesque de quimper Et apres avoir veu la dispense du quart
Voyront, scavoir faisons que suivant le pouvoir à nous concedé de dispenser du tiers au quart degré de consanguinité et daffinité simple et mixte cum pauperibus in contrahendis, par rescript Expedié à Rome le saiziesme avril mil six cente quatre vingt sept valable pour cinq ans signé a Episcopus portuen[sis ?] card[...]lis Ibo et scellé, Mathieu le denmat et Guillemette le tily tous eux de la paroisse de mur de nostre diocèse nous ayant deposé quils se veulent espouser non obstant l’empechement du tiers au quart degré d’affinité entre eux, quils nont sceu qu’apres les bannies faites pour cause qu’Ignorante ledit empechement, ils se sont frequenté familièrement et ont donné lieu de malparler d’eux, et quils sont pauvres n’ayant les moyens de recourir à Rome Nous apres avoir veu et receu les dispositions des tesmoins gens dignes de foy sur le contenu cy dessus avons donné et donnons permission auxdits Mathieu et guillemette le tily de contracter legitimement, et validement publiquement mariage ensemble en face d’Eglise non obstant l’empechement du tiers au quart degré d’affinité qui est entre eux dont nous les dispensons pour les raisons cy dessus et autres à nous connues et en vertu du mesme pouvoir Apostolique declarons leurs enfants legitimes et irreprochables (observant dailleurs les constitutions canoniques et ordonnances royaux) et ordonnons que la presante soit enregistrée sur le livre des mariages de leur paroisse à permis de nullité. fait à quimper ce jour Jour vingt sixiesme febvrier mil six cente quatre vingt huivt. De plus dispensons lesdits denmat et le tily de deux bannies signé sr Evesque de quimper et plus bas Jacques le furir p[rê]tre secretaire et scellé du sceau loriginal [… ?] vers moy soubsigné curé lesdits jour et an que devant rature dix lignes et demie du [… ?] au milieu de la page de lautre part escrit et renvoyé à la page neuf à veu [ ?] [… ?] lesdits jour et an que devant
[suivent les signatures]


[1] Le texte entre crochets a été « modernisé » pour faciliter la lecture et la compréhension.


samedi 7 avril 2018

Etranges naissances

J’avais dans l’idée de rédiger cet article depuis un moment déjà. Et puis @lulusorciere a fait part de la première publication de l’archiviste Sylvie Boudaud (@deedee8586) dans laquelle elle raconte comment Pierre Proust et sa sœur Mathurine sont nés à un intervalle très particulier (voir ici).

Je protestais aussitôt sur Twitter de ce plagiat inopportun (même s’il est vrai que mon article n’était pas encore écrit, mais quand même : j’avais eu l’idée avant, c’est sûr) :

Hélas, on ne se débarrasse pas des sorcières comme ça et c’est ainsi qu’après avoir renoncé à vous expliquer « mon » cas, j’acceptais finalement de le faire.

Voici donc l’histoire de Modeste Boissinot et son deuxième époux François Bertrand. Ils se sont mariés à Saint-Amand-sur-Sèvre (Deux-Sèvres) quelques années après la Révolution, mais à une époque où le calendrier révolutionnaire est encore en place.

Pour cette affaire de calendrier, il suffit de se rappeler qu’au cours de notre histoire nous avons changé plusieurs fois de calendrier : calendrier julien (dont le nom vient de Jules César), puis grégorien (venant du pape Grégoire XIII qui réforma le précédent au XVIème siècle) et enfin le fameux calendrier républicain. Si les deux premiers faisaient commencer l’année le 1er janvier, le premier jour du troisième est placé au 22 septembre 1792, date de la proclamation de la République, et donc départ d’une nouvelle année/nouvelle ère (même si ledit calendrier n’est entré véritablement en vigueur que le 6 octobre 1793 – 15 vendémiaire an II).
Mais les petits rigolos qui ont décidé de changer le calendrier ont aussi décidé de faire véritablement table rase du passé (c’était dans l’ère du temps faut dire) et ils ont tout changé : le début d’année, donc, mais aussi le nom les mois, des jours, des années. Et c’est là que ça rigole moins pour tous ceux qui ont à faire avec les dates de cette période.

Les Révolutionnaires sont des poètes, c’est bien connu, et c’est ainsi que les nouveaux noms s’inspirèrent des saisons, de la végétation et de la plume de Fabre d’Eglantine, écrivain et homme politique à qui l’on doit cette nouvelle nomenclature :
- mois d’automne :
Vendémiaire (22 septembre/21 octobre) : mois des vendanges ;
Brumaire (22 octobre/20 novembre) : des brouillards et brumes ;
Frimaire (21 novembre/20 décembre) : du froid sec ou humide ;
- mois d’hiver :
Nivôse (21 décembre/19 janvier) : de la neige qui blanchit la terre ;
Pluviôse (20 janvier/18 février) : des pluies qui tombent avec plus d'abondance ;
Ventôse (19 février/ 20 mars) : des giboulées et du vent qui vient sécher la terre ;
- mois du printemps :
Germinal (21 mars/19 avril) : de la germination et de la montée de la sève ;
Floréal (20 avril/19 mai) : de l'épanouissement des fleurs ;
Prairial (20 mai/18 juin) : de la récolte des prairies et de la fécondité ;
- mois d’été :
Messidor (19juin/18 juillet) : des moissons dorées qui couvrent les champs ;
Thermidor (19 juillet/17 août) : de la chaleur solaire et terrestre qui embrase le sol ;
Fructidor (18 août/16 septembre) : des fruits que le soleil dore et mûrit.

La semaine ne comporte plus 7 jours, mais dix, d’où le nom de décade. Pour chaque jour, là franchement, on s’est pas foulé :
1er jour     : primidi ;
2ème jour : duodi ;
3ème jour : tridi ;
4ème jour : quartidi ;
5ème jour : quintidi ;
6ème jour : sextidi ;
7ème jour : septidi ;
8ème jour : octidi ;
9ème jour : nonidi ;
10ème jour : décadi (jour de repos - dimanche).

Néanmoins chaque jour de l'année a reçu un nom en propre, les noms des saints du calendrier grégorien ayant été remplacés par des noms de fruits, de légumes, d'animaux, d'instruments, etc… Ainsi, par exemple, je suis née un jour nommé « crible » - une passoire, un tamis quoi (pas terrible, mais bon, on ne choisit pas…).

Cependant, il reste une période bissextile, parce que décidément les calendriers ne s’entendent jamais bien avec la rotation de la Terre et du Soleil. Du coup, on hérite d’une « Franciade » (période de quatre ans au bout de laquelle il faut ajouter un jour pour qu'elle reste alignée avec l'année tropique) et de « sanculotides » (5 ou 6 jours selon les années qui s’ajoutent à l’année ordinaire qui est composée de 12 mois de 30 jours chacun, soit 360 jours au total). Les sanculotides, aussi appelés « jours complémentaires », sont ajoutés  afin que les années comportent plus ou moins 365 jours (365,242 25 jours en moyenne exactement) [1] ; ce que vous n’avez pas manqué de remarquer en lisant le présent article, un peu plus haut : le calendrier commence le 22 septembre et se termine le 16 : les sanculotides viennent donc combler ce trou.

On notera que certains ont fait de la résistance : dans les registres d’état civil on utilise parfois toujours « l’ancienne date ». Ou bien on met les deux : celle du nouveau calendrier et celle de « l’ancien style ». En tout cas « l’ère vulgaire », comme la nomme le décret instituant ce nouveau calendrier, est abolie ; ce qui, avouons-le, ne nous facilite pas le travaille tous les jours.

Par ailleurs, le nouveau découpage de la journée qui faisait aussi partie du package révolutionnaire, n’a jamais eu de succès et fut rapidement abandonné. [2]

Enfin, des esprits censés ont décidé de l’abrogation de ce calendrier le 1er janvier 1806 (11 nivôse an XIV). On est alors revenu à notre bon vieux calendrier grégorien, toujours en usage aujourd’hui.

Bon, heureusement, pour éviter les maux de tête, des convertisseurs de calendrier existent, ce qui nous évite d’avoir à apprendre par cœur tout le calendrier républicain (sauf si le cœur vous en dit…). Personnellement, j’utilise celui-ci

Mais pourquoi ces précisions quant à ce calendrier républicain ? Et bien parce que si l’on n’y prend pas garde, on peut passer à côté de situations assez cocasses. Ainsi, pour en revenir à Modeste et François mes ancêtres, je leur ai très vite trouvé deux enfants. La première, Marie Françoise (mon ancêtre directe) est née le 21 thermidor an XI. Son frère, Pierre, est né le 5ème jour complémentaire An XI (déclaré le 6). S’il est facile de discerner que les deux naissances sont rapprochées (car la même année), j’ai mis une fraction de seconde de plus pour m’apercevoir que le 6ème jour complémentaire suit d’environ un mois et demi le 21 thermidor (soit en bon français grégorien respectivement le 22 septembre et le 8 août 1806). Morale de l’histoire : il faut toujours faire les conversions de calendriers. Toujours.


Vu la période, le lieu, les remous de l’histoire, j’ai bien sûr pensé à une erreur de déclaration, mais il semble bien que non (celle de Pierre en tout cas est confirmée dans son acte de mariage ; celle de Marie Françoise n’apparaît pas et l’âge qui lui est donné est plus ou moins fluctuant selon les actes). Quoi qu’il en soit aucune mention particulière ne signale un événement qui expliquerait ce délai peu ordinaire, ou bien une erreur de date, entre les deux naissances.

Donc, soit on a là la grossesse la plus courte de l’histoire. Soit c’est l’accouchement le plus long de l’histoire. Franchement, si c’est la deuxième hypothèse, je plains ma pauvre Modeste. Inévitablement, je me pose des questions : à cette époque, dans les campagnes, on accouchait à la maison. Mais qu’a pensé Modeste, mère de trois enfants, âgée de 36 ans, quand elle s’est rendu compte après la naissance du troisième qu’elle était encore enceinte ???? Parce que j’imagine que l’accouchement n’a pas duré un mois et demi (on n’a certainement pas entendu du « Poussez madame ! Poussez ! » pendant ce délai : même les sages-femmes les plus endurantes y aurait perdu leur latin). Alors, quoi ? Elle est repartie tranquille au champ moissonner un coup et puis au bout d’un moment elle s’est dit « Tiens, et si j’y retournais ? » !

Les commentaires ayant suivi la parution de l’article de Sylvie ont exploré quelques hypothèses médicales pour expliquer ce phénomène de naissances si rapprochées. Mais loin de la science, je ne peux m’empêcher de penser à mon ancêtre, à ce qu’elle a pu ressentir et/ou imaginer concernant cet double accouchement peu ordinaire.




[1] Pour les fans de chiffres, l’année tropique (ou année solaire, c'est-à-dire le temps que met la Terre à faire le tour du Soleil) comporte environ 365,242 189 8 jours ; bien loin de celle des calendriers juliens (365,25 jours) et grégoriens (365,2425 jours) !
Une année sextile désigne l'année qui avait un 6e jour complémentaire et ce jour lui-même. Tous les quatre ans, l'année républicaine comptait donc un sixième jour complémentaire, en plus des cinq jours complémentaires ordinaires. Le terme sextile a pour origine un terme d'astrologie : l’aspect sextil est l'aspect de deux planètes qui sont éloignées entre elles de soixante degrés, ou de deux signes entiers, qui font la sixième partie du zodiaque. Dans notre calendrier, cette année qui comporte un jour supplémentaire est nommée bissextile.
[2] Pour les plus curieux : la journée allait de minuit à minuit, comportait 10h, découpées en 10 parties, elles-mêmes décomposables en 10 parties et ainsi de suite.


samedi 24 mars 2018

Dis-moi dix mots 2018

C'est la Semaine de la Langue Française et de la Francophonie ! Dans ce cadre, l'édition 2018 de "Dis-moi dix mots" a pour thématique l'oralité et invite chacun à s'interroger sur les multiples usages de la parole : "Dis-moi dix mots sur tous les tons".  Ces dix mots sont choisis par les différents partenaires francophones : la France, la Belgique, le Québec, la Suisse et l'Organisation internationale de la Francophonie (qui représente 80 États et gouvernements).
Parler, c'est mobiliser la voix, le ton, l’accent : autant de ressources qui créent un espace de liberté où l’improvisation a toute sa place
Parler, c’est partager. La parole va de pair avec l’écoute.
Parler, c’est transmettre, par la voie de la littérature orale : mythes, légendes, contes… On a tous une histoire à raconter !
Parler, c’est parfois même parler pour ne rien dire, de tout et de rien, de choses et d’autres…
Parler, c’est surtout un plaisir : le plaisir de la réplique que l’on savoure au moment de la prononcer, du bon mot que l’on a sur le bout de la langue.

Bien sûr, j'ai adapté ce défi francophone à la généalogie !



Oralité et généalogie ? Impossible me répondez-vous. La généalogie ce n’est que de l’écrit : des actes, des vieux papiers, des plans… 

Mais non bien sûr ! Car le généalogiste qui étudie tous ces documents est dépositaire de la tradition mais ne la garde pas pour lui. Il la transmet et devient ainsi griot [1] – ou griotte (rien à voir avec la cerise… quoique la cuisine ancestrale se raconte tout aussi bien : suivez mon regard…).
Tantôt ce n’est que pauvre jactance [2] : des bavardages inutiles qui usent la patience du généalogiste chercheur de vérité. 

D'autres fois c'est un bruit infernal où les sources se mêlent en abondance. Le généalogiste devient alors volubile [3]. Il paraît même que certains crient leur bonheur dans la solitude de leur bureau ou exécutent une folle danse de la joie. Et pour ne pas continuer à se parler à eux-mêmes, isolés dans leur coin, ils peuvent même leur arriver d’ouvrir un blog pour raconter leurs trouvailles et les partager. Ils deviennent alors passeurs d’histoires. 

De temps à autre c’est l’ancêtre lui-même qui nous interpelle, lors de curieux rendez-vous intertemporels : « Ohé ! » [4] et, sans transition, le (ou la) voilà qui se met à raconter sa vie avec plus ou moins de bagou [5]. Il faut alors être attentif, car son accent [6] peut vous faire perdre le fil de son babillage si vous n’êtes pas familier de sa langue. Mais pour lui/elle, peu importe : il/elle continue à placoter [7], avec un plaisir particulier pour les anecdotes insolites ou les épisodes de la grande histoire, c’est selon… Leurs souvenirs sont truculents [8], joyeux, sombres parfois. Mais ce sont leurs histoires. Leurs vies.

Tantôt, enfin, il faut tendre l’oreille pour saisir ce que nous susurrent [9] nos ancêtres : l’encre a pâlie, une tâche obscurcit la page du registre tant convoitée ou bien les actes sont très mélangés. Il est alors fort difficile d’entendre leurs voix [10]. Celles-ci ne sont plus que de minces filets, des murmures. Murmures d’ancêtres, évidemment ! ;-)

Mais bruyants ou plus discrets, nos ancêtres ont bien des choses à nous dire. Alors écoutons-les. Et transmettons à notre tour leur parole.


Source des définitions, Le Petit Robert 2017 :

[1] Griot, Griotte
[gʀijo, gʀijɔt] nom
étym. vers 1680 ; guiriot 1637 ◊ peut-être portugais criado, de criar « nourrir, éduquer »
  En Afrique, Membre de la caste de poètes musiciens, dépositaires de la tradition orale. « Les griots du Roi m'ont chanté la légende véridique de ma race aux sons des hautes kôras » (Senghor).
 homonyme : Griotte.

[2] Jactance
[ʒaktɑ̃s] nom féminin
étym. 1876 « parole » ◊ de jacter
  FAM.,VIEILLI Bavardage.

[3] Volubile
[vɔlybil] adjectif
étym. 1812 ; « changeant » début xvie ◊ latin volubilis
1  Bot. Se dit d'une tige grêle qui ne peut s'élever qu'en s'enroulant autour d'un support.
▫ Plante volubile, à tige volubile. Le sens d'enroulement des plantes volubiles peut être dextre (liseron) ou sénestre (houblon).
2  (1897 ; voluble 1824) Courant. Qui parle avec abondance, rapidité.  bavard*, loquace. Être volubile (cf. Avoir la langue* bien pendue). « Éloquente, grandiloquente, volubile, […] agitant autour d'elle des paroles nombreuses » (Colette). « Elle se lança dans une volubile explication » (Martin du Gard).
▫ Adverbe volubilement. « une voix de femme qui parlait volubilement » (Le Clézio).
 contraire : Silencieux

[4] Ohé
[ɔe] interjection
étym. 1834 ; 1215 ◊ latin ohe
  Interjection servant à appeler. Ohé ! là-bas ! Venez ici. Ohé, les gars !

[5] Bagou
[bagu] nom masculin
étym. fin xviiie ; bagos xvie ◊ de bagouler « parler inconsidérément » (1447) ; de 2. goule
  Loquacité tendant à convaincre, à faire illusion ou à duper.  faconde, loquacité,
fam. tchatche, volubilité. Avoir du bagou, un bon bagou ( baratineur).
▫ On écrit aussi bagout. « Elle ne le cédait à aucune marchande du carreau pour le bagout » (Nerval).

[6] Accent
[aksɑ̃] nom masculin
étym. 1265 ◊ latin accentus
 I.
3  (1549) Signe graphique qui note un accent (langues anciennes ; espagnol, langues slaves, etc.).
▫ Signe qui, placé sur une voyelle, la définit (en français). E accent aigu [aksɑ̃tegy] (é : fermé) ; grave (è : ouvert), circonflexe (ê : ouvert ; plus long à l'origine).
▫ Signe diacritique analogue (à ; où).
▫ Caractère typographique correspondant à un accent graphique.
 II.
1  (1559) Ensemble des inflexions de la voix (timbre, intensité) permettant d'exprimer un sentiment, une émotion.  inflexion, intonation. « L'accent est l'âme du discours » (Rousseau).
III.
 (1680) Ensemble des caractères phonétiques distinctifs d'une communauté linguistique considérés comme un écart par rapport à la norme (dans une langue donnée). L'accent lorrain, du Midi, normand. Avoir l'accent italien, anglais (en français) ; l'accent français (en espagnol). « C'est ce qu'elle me dit en français, avec son accent de rocaille et de chant, cet accent italien des films qu'on aimait » (V. Olmi).
▫ Absolument Prononciation qui diffère de la norme et qui est rattachée à un fait géographique. Avoir un léger accent. Perdre son accent. Spécialement L'accent du sud de la France (pour les locuteurs du Nord). Parler avec l'accent ([avelasɑ̃]).

[7] Placoter
[plakɔte] verbe intransitif  
étym. 1900 ◊ de placoter « patauger » et « s'amuser à des riens », métathèse de clapoter
  (Canada) Fam. Bavarder.  2. causer, converser, papoter ; régional jaser. Elle « placote avec bonheur, elle parle de tout ce qui se passe » (M. Laberge).
  Cancaner.  régional mémérer. « On a tellement placoté sur son compte dans la famille » (Y. Beauchemin).
▫ Nom masculin (1909) placotage.

[8] Truculent, ente
[tʀykylɑ̃, ɑ̃t] adjectif
étym. fin xve, repris xviiie ◊ latin truculentus « farouche, cruel »
1  Vieux. Qui a ou qui veut se donner une apparence farouche, terrible. « Des gaillards à mine truculente […] frappaient sur les tables des coups de poing à tuer des bœufs » (Gautier).
2  (1872) Mod. Haut en couleur, qui étonne et réjouit par ses excès. Un personnage truculent.  pittoresque.
▫ (Choses) La prose truculente de Rabelais.  savoureux.

[9] Susurrer
[sysyʀe] verbe
étym. 1539 ◊ bas latin susurrare, onomatopée
1  Verbe intransitif Murmurer doucement.  chuchoter. « Sa voix fade susurrait, comme un ruisseau qui coule » (Flaubert).
2  Verbe transitif « Elle susurre quelques mots que je n'entends pas » (C. Orban).

[10] Voix
[vwɑ] nom féminin
étym. fin xe ◊ du latin vox, vocis  vociférer
I. Phénomène acoustique
Son humain
1  Ensemble des sons produits par les vibrations des cordes vocales. Émission de la voix.  articulation, phonation, voisement ; vocal. Altération, modification de la voix (enrouement, extinction de voix, mue). Perte de la voix : aphonie, mutité, mutisme. Être sans voix : être aphone ; fig. rester interdit sous l'effet de l'émotion.  muet.
  la voix, organe de la parole. De vive voix : en parlant ; oralement. Je le remercierai de vive voix. Parler à voix basse, à mi-voix, à voix haute ; à haute et intelligible voix. Élever* la voix. Couvrir la voix de qqn, en parlant plus fort que lui. Baisser la voix. Reconnaître la voix de qqn, reconnaître qqn à sa voix. « L'inflexion des voix chères qui se sont tues » (Verlaine). Tousser pour s'éclaircir la voix. Par extension « Les énormes voix des haut-parleurs » (Camus).
▫ Cin. Voix dans le champ*, hors champ* ; voix in, off*.
▫ La voix, exprimant les sentiments, les émotions. D'une voix gaie, gouailleuse, autoritaire.  2. ton.
▫ Voix de synthèse, voix artificielle, reconstituée par des moyens informatiques.
IIII. Abstrait
1  Ce que nous ressentons en nous-mêmes, nous parlant, nous avertissant, nous inspirant.  appel, avertissement, inspiration. La voix de la conscience, de la nature. La voix du sang*. La voix de la raison.  avis, conseil. Les voix intérieures.


Retrouvez les billets rédigés dans la cadre de l'opération Dis-moi dix mots sur ce blog en 2017 et 2015.


jeudi 7 septembre 2017

La médaille mystérieuse

Tout commence par un sms de ma tante : ces deux photos et cette courte phrase « ça t’intéresse ? ».
 

Photo de la médaille mystérieuse et de la rosette © Coll. personnelle

Photo de sa boîte © Coll. personnelle

Quoi ? Un objet ayant appartenu à notre famille ! Je fais un bond sur ma chaise jusqu’à me cogner au plafond ! Bien sûr que ça m’intéresse… mais… heu… c’est quoi, au fait ?
Ma tante m’explique qu’elle a retrouvé cette boîte au fond de l’un de ses tiroirs, par hasard, et s’est dit : « tiens, ça pourrait intéresser Mélanie ». 
Pendant un instant, j’ai espéré que c’était la croix de guerre de mon arrière-grand-père Jean-François Borrat-Michaud, que je suis pas à pas durant la Première Guerre Mondiale (voir le détail de ce projet ici) et que j’aimerais bien voir un jour. 
Mais rapidement je distingue sur ladite médaille une femme tenant un enfant. Je pense donc plutôt à une médaille de la famille. Cependant, n’en ayant jamais vue, je pense tout d’abord que cela ne semble pas trop correspondre à l’inscription sur la boîte « Ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociales ».

Caractéristique de la médaille :
- RUBAN : Largeur de 32 mm. Rouge ponceau avec au centre une raie verticale vert lumière de 11 mm. Rosette, aux couleurs du ruban, traversée verticalement d’une bande verte, pour les médailles d’Argent et d’Or. Le diamètre de la rosette étant respectivement de 18 mm et 27 mm.
- INSIGNE (« ma » médaille fait partie du premier modèle, ensuite modifié en 1985) : Étoiles à huit branches en bronze, argent ou or suivant l’échelon et du module de 36 mm, avec une partie centrale ronde. Gravure de Léon Deschamps (« Léon Deschamps fecit »).
Sur l’avers : l’inscription  FAMILLE  FRANÇAISE  entoure une mère portant son enfant.
Sur le revers : l’inscription  LA  PATRIE  RECONNAISSANTE [1] surmontant un emplacement destiné à la gravure du nom du titulaire, est entourée par la légende  REPUBLIQUE FRANÇAISE et MINISTERE DE L’HYGIENE.

Je lance une bouteille à la mer Twitter pour essayer d’en savoir plus. La bouteille est vite trouvée et j’ai plusieurs pistes à explorer :
- envoyé par @ValdyLyly, sur le site france-phaleristique.com je retrouve le visuel de ma médaille, signalée "médaille de la famille française". Ma première intuition était bonne.
- envoyé par @gazetteancetres, des infos sur les médaille de la famille française via Wikipedia. Il n’y a pas d’illustration, mais des informations complémentaires au premier site, notamment sur l’historique de ces médailles, les conditions d’obtention et les bénéficiaires potentiels. Or la médaille d’argent dont je viens d’hériter est attribuée aux familles ayant 6 ou 7 enfants (cf. plus bas) : elle n’a donc pas pu être attribuée à ma grand-mère Borrat-Michaud qui n’en n’a eu que 5.
- @guepier92 me conseille d’aller faire un tour sur Gallica : il y a retrouvé son arrière-grand-mère médaillée de bronze.

Les bénéficiaires :
La médaille de la famille est une décoration créée par décret du 26 mai 1920 sous le nom de « médaille d’honneur de la famille française », pour honorer les mères françaises ayant élevé dignement plusieurs enfants. Ces médailles de la famille comportent trois échelons selon les nombre d’enfants élevés (bronze : quatre ou cinq enfants élevés ; argent : six ou sept enfants élevés ; or : huit enfants élevés et plus).
Il existe différentes catégories de personnes concernées :
- Celles qui élèvent ou ont élevé dignement de nombreux enfants ;
- Les personnes élevant ou ayant élevé pendant au moins deux ans un ou plusieurs orphelins de leur famille,
- Les veufs de guerre élevant ou ayant élevé au moins trois enfants,
- Les personnes qui ont rendu des services exceptionnels dans le domaine de la famille (responsables d’associations familiales par exemple).
- Etc...
A noter : La médaille peut être décernée à titre posthume si la proposition est faite dans les deux ans du décès de la mère ou du père. La médaille de bronze est attribuée aux veuves de guerre qui, ayant au décès de leur mari trois enfants, les ont élevés seules.
L’attribution peut se faire au profit de l'un ou l'autre des parents,  ou bien encore des deux parents ensemble s'ils en ont fait la demande.
Depuis le texte initial de 1920, ces médailles ont connu de nombreuses modifications : formes, noms, bénéficiaires, etc…

Le Ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociale :
C’est l’ancêtre du Ministère de la Santé. L'Assistance et de l'Hygiène publique dépendait tout d’abord du Ministère de l’intérieur et la Prévoyance sociale était rattachée à celui du Travail. Le ministère de la Santé publique est créé en 1930, réunissant ces deux branches. Par la suite il va connaître différentes évolutions d’attribution et de nom (on lui rattache ou lui enlève successivement, la Famille, l’Éducation Sportive, les Affaires sociales, etc…).
Au cours de son histoire, le Ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociale a décerné plusieurs types de décorations :
- la médaille de l’hygiène (destinée à récompenser les personnes bénévoles, ainsi que les personnels des hôpitaux, hospices, dispensaires et sanatoriums),
- la médaille de la prévoyance sociale (récompensant les services désintéressés rendus à la prévoyance sociale par les personnels des commissions et des conseils d’administration ou de direction des œuvres de prévoyance sociale)
- ainsi, entre autres, que la fameuse médaille de la famille française. Créée au lendemain de la Première Guerre Mondiale, elle visait à souligner le rôle joué par les femmes pendant le conflit, alors que les hommes étaient mobilisés : « La République doit témoigner d'une manière éclatante de sa gratitude et de son respect envers celles qui contribuent le plus largement à maintenir par leur descendance, le génie et la civilisation, l'influence et le rayonnement de la France » (selon le Ministre créateur de ladite récompense). Les candidatures et propositions se font à la mairie du lieu de résidence. Le dossier doit y être accompagné de diverses pièces administratives (notamment des extraits d’actes civils). Le maire de la commune doit porter un avis sur le formulaire de demande ; tout avis autre que favorable ne peut être pris en compte. Le dossier passe ensuite en commission et, s’il y a lieu, la médaille est attribuée par le Préfet.

Le Journal Officiel
Chaque bénéficiaire fait l’objet d’une publication dans le Journal Officiel. C’est ici que j’ai une chance de débusquer laquelle de mes ancêtres s’est vue attribuer la fameuse médaille. Ce JO est numérisé sur site de la Bibliothèque Nationale de France, Gallica. Or, si le site Gallica est merveilleux et contient des richesses insondables, son moteur de recherche est, hélas, insondable lui aussi. Ainsi, après plusieurs tentatives de recherches sur différents mots-clés, j’ai abandonné devant le résultat obtenu : 943 pages trouvées ! J'avoue ne pas avoir eu le courage de toutes les compulser...
Abandon par KO : je ne sais toujours pas à qui a été attribuée cette médaille.

Enfin la médaille…
Après plusieurs jours, la médaille arrive enfin entre mes mains. Je suis surprise par la petite taille de la boîte, notamment (9,3 x 4 cm). Cette boîte qui a vécu, c’est indéniable : elle est usée, mais l’écriture sur le couvercle reste lisible.
A l’intérieur la médaille, l’épingle pour l’attacher et la rosette assortie.

Mais un détail m’intrigue : à l’emplacement du nom de la bénéficiaire, il n’y a qu’un emplacement vide. Donc de deux choses l’une : ou cette médaille a été attribuée mais le nom de sa bénéficiaire n’a pas été gravé ou cette médaille n’a, en fait, jamais été décernée officiellement. Comme je ne sais pas quand et comment elle est arrivée dans ma famille, il m’est difficile de déterminer laquelle de ces affirmations est correcte.
Mais un jour peut-être…
 

Ma tante pense que la médaille lui vient de feue sa mère; mais comment celle-ci l'a eue, cela reste mystérieux ! De toute évidence, ce n'est pas grand-mère qui en a été bénéficiaire, puisqu'elle n'a eu que 5 enfants.

Alors, d’où lui vient-elle ?
- Ses parents à elle, le couple Gabard/Roy, n’ont que 4 enfants.
- Ses grands-parents paternels, le couple Gabard/Benetreau, ont eu 9, de 1893 à 1912; soit avant la première attribution de ces médailles, à partir de 1920 [2].
- Ses grands-parents maternels, les Roy/Bregeon n’ont eu que 5 enfants. Encore trop court !

Mon grand-père, son mari, était fils unique. La médaille n’était donc pas pour sa mère !
- Ses grands-parents paternels, les Borrat-Michaud/Jay, ont bien eu 6 enfants, mais 5 nés hors mariage (pour une médaille de la famille, c’est pas super super…) dont trois décédés avant l’âge d’un mois.
- Chez ses grands-parents maternels, les Macréau/Le Floch, je compte 8 enfants (au moment où  je rédige la première version de cet article, en 2017) : ce serait, en l’état de mes recherches, des candidats sérieux.
 
Sans preuve cependant, l'histoire s'arrête ici... Je n'ai pas résolu mon énigme : à qui a été attribuée cette médaille de la famille ?
 
___
 

Edit 2023 :

Les archives de Seine et Marne viennent de mettre en ligne plusieurs titres de presse ancienne : je fais donc une recherche avec le patronyme des mes AAGP, les Macréau. Et là, surprise ! Le premier résultat qui sort est la mention de la médaille de la famille attribuée à Ursule Le Floch, épouse Macréau !

Le Briard, édition du 20 mai 1924 © AD77

Pas de doute possible ! Même si je journaliste s'est trompé de prénom (lui attribuant, chose curieuse, celui de sa sœur jumelle Marie Rose qui vit en Bretagne), c'est bien du couple Macréau/Le Floch que provient cette fameuse médaille. 
 
Mais si l'énigme est enfin résolue, la surprise est de taille : car en continuant mes recherches dans la presse ancienne je découvre deux avis de naissance, portant la fratrie à 10 enfants et non 8 comme je le pensais alors ! L'une de ces enfants n'a pas vécu mais l'autre oui : Jeanne Louise, née en 1913, est décédée en  2002. J'en avais même une photo, dite par erreur à "Jeanne, cousine d'André" (c'était la tante de mon grand-père et non sa cousine). Cette enfant m'avais échappée, en particulier parce qu'elle n’apparaissait pas dans les recensements familiaux. Après quelques recherches je me suis aperçue qu'elle avait été élevée par une autre sœur d'Ursule, Marie Joseph Le Floch, épouse Chauvoix; que je peux suivre en Ile et Vilaine en 1921 et dans le berceau familial de Loudéac (Côtes d'Armor), en 1931.

Du coup, avec une date plus précise, je retourne sur Gallica : mon aïeule figure bien au Journal Officiel, édition du 15 mai 1924 (avec la même erreur de prénom).
 
 

Et voici comment, plusieurs années après l'enquête initiale, j'ai enfin résolu l'énigme de la médaille mystérieuse !




[1] Dans la version actuelle la « patrie reconnaissante » a été remplacée par « République française ».
[2] Décret officiel de création sur Gallica


Sources : Wikipedia, france-phaleristique.com, Gallica