« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 17 octobre 2014

T'es d'où ?

Ah !!! Je ne sais jamais quoi répondre quand on me pose cette question. En général elle est posée tout à fait innocemment, mais depuis que je fais de la généalogie, ça me plonge dans des abîmes de réflexions terribles.

T'es d'où ?


Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Je suis née à Angers (49), mais je n'y est pas vécu. J'ai grandi en Creuse (avec une parenthèse de six ans en Val d'Oise). Mais j'ai habité en Haute-Vienne la majeure partie de ma vie (études comprises).

Alors : je suis d'où ?
Je suis de là où est mon adresse administrative ? Mais le lieu où j'habite aujourd'hui n'est pas celui où j'habitais hier.
Je suis de là où mon cœur bat plus vite ? Quand je reviens en Limousin après une absence et que, lorsque j'aperçois les premiers reliefs, je me dis "enfin je rentre chez moi" ? Mais j'éprouve aussi cet espèce d'étrange sentiment de bien-être lorsque j'arrive à Angers, bien que je n'y ai pas vécu.

La question "t'es d'où ?" sous-entend "tu es originaire d'où ?". Alors quand peut-on parler d'origine ?
On peut considérer que j'ai vécu (quasiment) toute ma vie en Limousin. Mais peut-on dire que je suis originaire du Limousin alors que je n'y ai pas de grands-parents, que je ne parle pas la langue locale (l'occitan), que je n'y ai pas hérité de maison possédée par ma famille depuis plusieurs générations ? Bref, que je n'y ai pas d'origine.

Et là, l'angoisse ! est-ce que je suis de nulle part ? Sans identité ?

Mais au fait, à quand fait-on remonter l'origine ? A mon vécu ? A ma naissance ? L'origine n'induit-elle pas quelque chose d'ancien, de profond ? Dans ce cas là, est-ce que l'origine s'arrête à moi ou... à mes parents ? Mes grands-parents ? Mais alors, à quelle génération faut-il s'arrêter pour parler d'origine ?

J'ai beaucoup d'ancêtres en Anjou [ 1 ] : je remonte jusqu'en 1592, avec l'acte de naissance de Charlotte Le Peintre à Jarzé. Mais il suffit d'une génération pour se retrouver :
  • dans l'Ain, grâce à Jules Assumel Lurdin, mon sosa 10 [ 2 ], 
  • en limite Vendée/Deux-Sèvres, avec Joseph Gabard, sosa 14, 
  • ou en Seine et Marne [ 3 ], par Marcelle Macréau, sosa 13
  • etc... 
Suis-je même Française, car le patronyme de ma mère vient de Suisse : Joseph Borrat-Michaud (sosa 24) passe en France probablement dans les années 1880, juste de l'autre côté de la frontière.

Bref, "t'es d'où ?" Je suis incapable de répondre à cette question.
Je peux dire où je suis née.
Je peux dire où j'ai vécu.
Je peux aussi dire où ont vécu mes parents, mes grands-parents et nombre de mes ancêtres.
Mais dire d'où je suis, c'est impossible ! Définitivement impossible.

Et vous ? Vous êtes d'où ? ...



[ 1 ] En particulier parce que les archives en ligne sont très bien faites et permettent de progresser très facilement.
[ 2 ] Système de numérotation des ancêtres. Les connaisseurs auront reconnu le père de ma grand-mère paternelle.
[ 3 ] Même si j'ai un peu plus de mal à m'identifier à cette branche car la Seine et Marne aujourd'hui c'est Disneyland (au propre comme au figuré), et la région ne ressemble en rien à celle qu'ont connu mes ancêtres depuis le milieu du XVIIème jusqu'au début du XXème siècle.

samedi 11 octobre 2014

#Généathème : 100 mots pour une vie

Pour rendre hommage à mes ancêtres meuniers [ 1 ], je relève le défi de raconter leur vie en 100 mots.

Je me lève en même temps que le soleil
Et je m'habille très vite
Je sors de la chambre
Tout seul je bois mon café
Sans bruit je rejoins le moulin
Tout est gris dehors
Je mets en marche les roues
Et la farine commence à couler
Je mets en sac la part de chacun
Et puis le jour s'en ira
Je vérifierais que tout est en ordre
Et je te rejoindrais dans la cuisine
Nous dînerons devant la cheminée
Les enfants égayeront notre soirée
Heureux du devoir accompli
Je reviendrais me coucher
Dans ce grand lit clos
Comme d'habitude

 Moulin Meunant, Le Poizat (01), coll. personnelle


Et merci à Gilles Thibaut dont je me suis inspirée, bien entendu (vous aurez reconnu la chanson française la plus célèbre du monde, Comme d'habitude).

[ 1 ] J'en ai identifié 11 dans ma généalogie :
Pierre Noury à Noëllet (49)
Pierre et son fils Jean Benetreau à Nueil les Aubiers (79)
Jean Coconier à Aviré (49)
Olivier Cadoux à Loudéac (22)
Charles et son fils René Gilberge à Candé et Loiré (49) 
François Assumel-Lurdin au Moulin Meunant commune du Poizat (01) - photo ci-dessus
Jean Mingard à Angrie (49)
Joseph Romand à Viry (39) 
Thuau Michel à Saint Sylvain d'Anjou (49) 
et ceux que je ne connais pas encore... 
 

vendredi 3 octobre 2014

Félicissime et Prudence

En 1772 à Foudon (aujourd'hui Le Plessis Grammoire, 49) on procède à une "translation des reliques" entre les églises du Plessis Grammoire et celle de Foudon, pour être exposées à la vénération des fidèles :

Translation reliques, AD49


Le vingt cinquieme jour de juillet mil sept cent
soixante douze, en consequence de la
permission pour [?] nous accordée par Monseigneur
L’evesque L'illustrissime et revérendissime evesque
d'angers d'exposer a la veneration publique
Les reliques des sts felicissime et prudence
comme il appert par la copie d'icelle
rapportée de l'autre [... ?] et pouvoir
par ledit Seigneur evesque d'enfaire la
translation solennelle de l'église du plessis
en cette église aussi accordé le dix huit
du présent et signé l'abbé de Mougon vic. gen.
nous nous sommes transportés processionellement
a huit heures du matin dans ladite eglise
dudit plessis au grammoire d'ou après
La grande messe des sts martyrs le lettré
par Messire françois rené Suchet curé
cardinal de la paroisse st Michel de
La palude d'angers, Lesdits stes reliques
a nous remises par messire rené bailli curé
dudit plessis ont étés par nous et tous nos confreres
Messieurs les curés et vicaires soussignés
après avoir observé la ceremonie accoutumée
rapportées processionellement dans cette eglise
et exposées a la veneration publique, a Laquelle
translation ont assisté nos peuples avec une
piété et un respect exemplaire qui nous donne
une joyeuse esperance des secours que
les saints Morts daigneront leur obtenir
ces faveurs Leur [?] foy vive de Leur ferme
sermon prononcé fort eloquemment ensuite
de ladite procession par Messire
fleury prêtre vicaire dudit plessis au grammoire

[suivent les signatures]


La translation des reliques est le déplacement des restes d'un saint ou d'objets saints depuis un lieu vers un autre. Elle donne lieu à une cérémonie solennelle d'autant plus fastueuse que la relique est jugée importante. C'est un moment privilégié (et relativement peu courant) dans la vie du chrétien.


Il semble que Sainte Félicissime soit, selon le martyrologe romain, martyrisée à Todi, Ombrie, en Italie (✝ 303). Ayant consacrée sa virginité à Jésus Christ, fut frappée à la bouche avec des cailloux et ensuite décapitée [ 1 ]. Prudence Castori rejoignit les ermites de saint Augustin à Milan. Elle devint abbesse-fondatrice d'un nouveau couvent à Côme, en Italie (✝ 1492). Comment leurs reliques (si ce sont bien les leurs) sont arrivées au Plessis Grammoire avant d'être transférées à Foudon reste un mystère.

Certains de mes ancêtres ont dû connaître cet événement, et peut-même y assister : les familles Peullier, Moreau, le Tessier et Flon qui résident au Plessis et à Foudon à cette époque.

On remarque dans ce texte la phrase suivante, assez savoureuse : "nos peuples (sic) [ont assisté à cette translation] avec une piété et un respect exemplaire qui nous donne une joyeuse espérance du secours que les saints morts daigneront leur obtenir".

Célestin Port, dans son Dictionnaire historique de Maine et Loire, précise que ces reliques ont été "apportées de Rome par Duret, de Foudon" (est-ce le Duret qui fait l'objet d'une notice dans le même dictionnaire, chirurgien de marine né à Montreuil Bellay ?).


L'église actuelle date de 1865. La paroisse de Foudon a été réunie à celle du Plessis en 1791.

Une dizaine d'années plus tard, un autre événement majeur similaire a lieu dans la même paroisse de Foudon, mais cette fois ce sont des reliques de la Vraie Croix.



Translation reliques de la Vraie Croix, AD49

[Précédé d'un acte de décès]

Le quatorze septembre de la présente année
mil sept cent quatre vingt trois, a été faite solennellement
La translation de La vrays croix exposée dans
cette eglise ; de La chapelle de La bouteillere jour
de dimanche, a laquelle ont assistés Messieurs
L’archyprêtre d’andard, les curés de Corné, bauné
St Sylvain, du plessys, qui a prêché de pellelouaille
de Ste croix d’angers qui a fait la ceremonie
de Sarigné, et Messieurs Leurs vicaires, et une
multitude de peuples des environs, qui ont tous
contribués a rendre Ladite ceremonie aussi celebre
qu’elle a été edifiante.
Ladite relique a été offerte a nôtre eglise ainsi
que celle de L’hopital de beaufort et celle de St
Laurent de la plenne, par messire jean baptiste
charles de Meaussé commandeur de malthe
et dame Marie françoise pulcherie Martineau
veuve de Messire .          .              .   .. de Meaussé
chevallier seigneur deft Laurent de La plenne,
dame de foudon ; comme un monument de leur
pieté et de Leur zele pour l’edification du peuple
de cette paroisse et des environs ; qui Leur merite
un droit imprescriptible à Leur reconnaissance
et a Leur prières. trois mots rayés nuls deux mots
interlignes approuvés. dinan curé de Foudon


On le voit, cette translation a lieu sous l'impulsion de Charles de Meaussé, commandeur de Malte et Dame Marie Françoise Pulchérie Martineau, seigneurs locaux, afin d'y exprimer leur piété et leur zèle "pour l'édification du peuple".

L'événement est visiblement plus important que la translation précédente : d'abord par la nature des reliques, puis par les paroisses concernées (la Bouteillerie [ 2 ], paroisse d'origine de ces reliques, puis Foudon, Le Plessis Grammoire, Saint Sylvain, Andard, Corné, Bauné, sainte Croix d'Angers, Sarrigné notamment sont citées).

La Vraie Croix, dite également Sainte Croix, serait la croix sur laquelle Jésus-Christ a été crucifié. C'est l'une des principales reliques de la chrétienté, faisant l'objet d'une vénération particulière. 


Authentification des reliques de la Vraie Croix, AD49


copie de l’ordonnance de Monseigneur L’evesque
d’angers, concernant La translation d’une relique de
La vraye croix deposée dans la chapelle du château de
La bouteillerie paroisse de Brain sur L’authion en l’eglise
paroissiale de foudon de ce diocèse.

Michel françois couet viviers de Lorry, par La misericorde
de dieu et du St Siege apostolique, evêque d’angers conseiller
du roy en tous ses Conseils et [ ?] aux fideles et habitants de la
paroisse de foudon de notre diocese Salut et benediction en notre
Seigneur jesus christ, crucifié et mort pour notre redemption.
vu L’authentique que cy joint par laquelle Mgr Le cardinal
corradin, atteste que La particule du bois sacré de La croix
de notre Seigneur est veritable.
nous après avoir examiné attentivement La boete et la croix
de chrystal dans lesquelles cette precieuse relique êtoit
contenüe et l’ayant trouvée munie de ses sceaux, qui ne
nous permettent pas de douter, qu’elle nous soit parvenue
sans alteration, nous L’a vous avec Les ceremonies accoutumées
retirée de ladite boete, placé et scellé dans une croix d’argent
sciselée de La hauteur d’environ un pied, pour être par le
Sieur curé de la paroisse de foudon, transférée precessionelle-
ement de La chapelle du château de La bouteillerie en son
eglise paroissiale, afin qu’elle soit dans les tems par nous
indiqués exposées à la veneration des fidels.
après la translation de La vraye croix de La chapelle de la
bouteillerie en ladite eglise paroissiale de foudon, qui se fera
avec La solennité requise par une procession et Le sermon
ensuite, le jour de l’exaltation de Ste croix, ou le dimanche
suivant qui sera libre, nous avons permis et par les presentes
pemettons a perpetuité L’exposition de ladite vraye croix
le dimanche de La passion, procession a l’issue de vespres,
adoration et benedictions.
L’exposition et adoration Le matin du jour du vendredy saint


Grâce à la copie de l'ordonnance de l'évêque, on voit comment s'est déroulé l'authentification des reliques ; comment l'évêque a retiré les reliques de la boîte et croix de cristal où elles étaient conservées pour les placer dans un reliquaire en argent ciselé; et enfin les dispositions prises pour les offrir à la vénération des fidèles, exposées "à perpétuité".

L'authentification des reliques obéit à des rituels bien codifiés. On retrouve ce type de cérémonie aujourd'hui encore, lors des Ostensions limousines par exemple, où l'on ouvre les reliquaires afin de vérifier que les sceaux n'ont pas été brisés (garantissant ainsi cette identification) avant de les exposer aux fidèles.

On remarque que l'Anjou attire particulièrement les reliques de la Vraie Croix : en plus de celle du Plessis/Foudon, Bauné, Baugé et Villevêque en conservent aussi (voir les articles que Feuilles d'ardoise a consacré au sujet de la translation des reliques de la vraie croix de Villevêque ou à la vraie croix de Bauné).






[ 1 ] Vies des saintes femmes, des martyrs et des vierges
[ 2 ] Canton de Brain sur l'Authion, à 12 km du Plessis Grammoire.