« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 9 janvier 2015

Luxure en Vendée ?

Comme je l'ai déjà dit sur ce blog, la généalogie, c'est comme une boîte de chocolats : on ne sait jamais sur quoi on va tomber. C'est ce qui m'est arrivé récemment : une recherche (que je croyais) innocente et qui a suscité beaucoup de questions et des découvertes inattendues.

Poursuivant l'exploration des registres paroissiaux à la recherche des actes concernant mes aïeux, je feuilletais (virtuellement) ceux de Vendée. Je n'avais que peu d'information sur Jacques Gendronneau et son épouse Jeanne Cosset, les parents de Jeanne (qui, elle m'est assez bien connue). J'ignorais où et quand ils sont décédés et mariés, par exemple.

Après une recherche sur Noms de Vendée (rappelez-vous, j'en ai parlé ici), je vois qu'ils ont au moins un enfant né au Vieux Pouzauges. Je me rends donc directement à la page indiquée et trouve en effet la naissance de Louis :


Registre du Vieux Pouzauges, AD85

"Le vingt quatre du mois de mars mil sept cent trente neuf est né et
baptisé le lendemain par moy soussigné loüis fils naturel de Jacque
gendronneau et de Jeanne cosset, a été parrain sans marrain
mathurin blanchard qui ne sait signer au lieu de loüis heriau et de
jeanne pequin qui ont été refuzés pour parrain et marraine.
Moreau prêtre"

Dans cet acte, plusieurs éléments m'interpellent :
  • Le fait que le parrain et la marraine choisis aient été refusés : c'est la première fois que je trouve cette mention. Malheureusement la raison de ce refus m'est inconnue. C'est la légère frustration qui accompagne parfois le généalogiste lors de ses découvertes.
  • Le fait que l'enfant est dit "enfant naturel". Rappelons qu'un enfant naturel est un enfant conçu hors mariage. Cet état n'est pas définitif, puisque les parents peuvent reconnaître officiellement leur(s) enfant(s) naturel(s) lors de leur mariage [ 1 ]. J'ignore en effet la date de mariage du couple : d'après cet acte, il doit être postérieur à 1739.
Est-ce que ces deux éléments sont liés ? Je reste sur ma faim.

Ce qualificatif de "naturel" est assez rare, surtout dans des époques où on ne plaisantait pas avec le mariage et les relations extra conjugales. C'est pourquoi cette mention retient mon attention.

Ignorant le lieu de naissance de mon ancêtre Jeanne (sœur de Louis), je poursuis mon exploration des registres du Vieux Pouzauges pour voir si elle y est née quelques années avant ou après son frère.

 Et là, je m'aperçois que les enfants naturels sont légions dans ces registres. Ainsi, sont qualifiés de "naturels" :
  • 15 enfants sur les 29 actes de naissance enregistrés en 1737, 
  • 13 sur 34 en 1738,
  • 10 sur 36 en 1739,
  • 16 sur 31 en 1740,
  • 18 sur 37 en 1741,
  • 9 sur 31 en 1742.
Soit environ 40% des naissances sur ces cinq années. Et cette expression n'est pas une lubie du rédacteur, car on la retrouve indifféremment sous la plume du curé Coursin, du prêtre Moreau et du diacre Touchault.
On notera aussi quelques naissances illégitimes, mais beaucoup plus rares (une en 1741, un autre en 1742 par exemple), de mère seule ou de couple.
Certains couples ont plusieurs enfants naturels. On trouve parfois la mention "fille de non légitime mariage". Les parrains/marraines refusés se retrouvent dans la plupart des autres actes d'enfants naturels, mais ils ne sont pas systématiques.

Alors je me demande ce qui a bien pu pousser les braves habitants de ce coin paisible de Vendée à tomber ainsi dans la luxure et à faire des enfants hors mariage à tour de bras !

Bon, soyons honnêtes, vu l'ampleur du phénomène, il y a peu de chance que ce soit une question de luxure. Je commence donc à explorer le monde merveilleux du Net à la recherche d'une piste expliquant ce phénomène.

Un faisceau d'indices me met alors sur une toute autre piste :
  • les parrains/marraines refusés par le curé
  • les mentions du "non légitime mariage"
  • l'acte de mariage de mes ancêtres non trouvé
Ces curiosités sont le signe de la religion protestante des parents. Bien qu'elle ne soit jamais mentionnée par les rédacteurs de ces actes, on le devine entre les lignes. Pour mémoire, en 1685 Louis XIV révoque l’Édit de Nantes (promulgué par Henri IV en 1598) accordant la liberté de culte aux protestants. Malgré une émigration massive, nombreux sont ceux qui restent en France. Ceux qui refusent d'abjurer leur foi entrent alors dans l'illégalité.

Concernant ce qu'on appelle aujourd'hui l'état civil, la seule source disponible, ou presque, pendant cette période est constituée par les registres paroissiaux catholiques. Ils enregistrent les baptêmes, mariages et sépultures, suivant les rites catholiques uniquement (le protestantisme étant, en principe, éradiqué du royaume). Malgré cela, on peut y discerner la présence des protestants. 

Le premier indice est le fait que le prêtre mentionne qu’il a refusé les parrains et marraines choisis par les parents. C’est lui qui désigne les remplaçants. Dans ce cas, en général, il n’y a alors pas de doute sur la religion des parents. Mais il arrive aussi que certains curés complaisants acceptent les parrains et marraines choisis par les parents : on l'a vu ici, le refus n'est pas systématique.

La mention de la naissance d’un enfant né d’illégitime mariage, ou né d'un non légitime mariage confirme qu’il y a eu mariage, mais hors de l’Église officielle (catholique). En effet dès la révocation de l’Édit de Nantes, certains protestants restés en France ont officialisé leur union devant un prêtre, bon gré mal gré; mais d'autres en revanche, malgré les risques, ont choisi de faire appel à des pasteurs clandestins itinérants. C'est ce que l'on appelle des mariages "au désert". Le problème majeur est que ces registres, s’ils ont existé, ne sont qu’exceptionnellement parvenus jusqu’à nous : illégaux, leurs propriétaires risquaient la prison pour eux et pour ceux qui y figuraient si ces registres étaient trouvés. Des "certificats" pouvaient être délivrés, lesquels ont eux-mêmes malheureusement souvent disparu au fil du temps. Parfois, les protestants ont simplement vécu en couple avec la seule bénédiction de leurs parents, puisque pour eux le mariage n’est pas un sacrement. La trace écrite dudit mariage protestant est donc la plupart du temps impossible à trouver.

Les protestants restés dans le royaume ont cherché à résister, de façon plus ou moins ouverte, à la "catholicisation" forcée qu'ils subissaient. Par exemple, le baptême, donné par un prêtre catholique aux enfants protestants était un baptême forcé, puisque les parents n’avaient pas le choix du "baptisant". Ils retardaient donc le plus possible le baptême (puisque la religion catholique recommande de le faire le plus vite possible). Ou bien ils choisissaient des prénoms dans l’Ancien Testament, comme Abraham, Esther, Judith, etc... trouvant leur inspiration dans la lecture assidue de la Bible, qu'ils pratiquaient régulièrement (ce qui n'a pas été constaté ici). Mais parfois, les prêtres, en réaction, refusaient de donner aux enfants ces prénoms bibliques choisis par leurs parents. En généalogie, les choses se compliquent alors car on peut trouver un enfant nommé Abraham par sa famille et identifié comme tel à son mariage après la Révolution, mais qui a été baptisé sous le nom de Pierre ! En conséquence, il est difficile de retrouver le bon acte de baptême.

Les protestants n’ont retrouvé officiellement un état civil propre qu’avec l’Édit de Tolérance, en 1787. Outre le fait que, désormais, les protestants peuvent légalement faire enregistrer leurs mariages, naissances et décès, ils peuvent aussi faire des "réhabilitations de mariages", grâce aux certificats produits par les mariés, et faire inscrire dans l’acte les enfants issus de leur couple, même quand ceux-ci ont été baptisés en leur temps au sein de l’Église catholique. On peut trouver également des registres particuliers aux protestants ouverts dans certaines paroisses; malheureusement ils sont rares.

Dans le cas qui me préoccupe, cette hypothèse protestante est enfin confirmée lors du mariage de Jeanne, en 1766. Après une lecture attentive de l'acte quasi effacé, on peut deviner la mention suivante : "avec le consentement de la mère de la [contractante ?] comme étant de la religion protestante".

Et c'est la première protestante de ma généalogie.

Point de luxure, donc, bien au contraire !


[ 1 ] Dans ma généalogie, je connais par exemple le cas de Joseph Borrat-Michaud et Antoinette Jay qui, lors de leur mariage, reconnaissent Félicie, fille naturelle d'Antoinette (âgée de douze ans) et Marie Louise, fille illégitime de Joseph et d'Antoinette (âgée d'un an).




mercredi 31 décembre 2014

#Centenaire14/18 pas à pas : décembre 1914

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de décembre sont réunis ici. 

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas directement Jean François.

Sa fiche militaire indique une période "Intérieur" après sa mobilisation et avant d'aller "Aux armées". J'en déduis que c'est la période où il fait ses classes.
Tous les éléments détaillant l'instruction militaire sont issus de "L'infanterie en un volume, Manuel d'instruction militaire" (Librairie Chapelot, 1914) trouvé sur Gallica.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 


1er décembre
- Comment traverser un cours d’eau qui n’a plus de pont ?
- Évaluer la largeur du cours d’eau, mesurer la vitesse de l’eau, sa profondeur.
- Trouver des matériaux pour construire une passerelle de fortune : arbres, tables, charrettes

2 décembre
- Il n’y a pas de pont ? Débrouillez-vous, il faut traverser !
Manœuvres militaires 1912, Gallica 

3 décembre
- Au bivouac, on construit un abri léger à l’aide de branchage, planches, pailles… 
 
Construction belge, 1914, Gallica

4 décembre
- Route encaissée, fossé, haie d’arbres, muret : tous les types de couverts sont envisagés pour servir de protection.

5 décembre
- Le train de combat (TC) comprend, par compagnie, une voiture à munitions, une à vivres et bagages, une cuisine roulante.
- Il comprend, par bataillon, une voiture médicale, une voiture à viande.
- Le train régimentaire (TR) comprend 13 fourgons à vivres et une partie des chevaux haut-le-pied.

6 décembre
- En campagne, l’autorité militaire peut faire appel au zèle charitable des habitants pour recueillir des blessés ou malades.
- A ceux qui répondent favorablement à cet appel, il leur sera accordé une protection spéciale.

7 décembre
- L’exercice du jour (ou plutôt de la nuit) ne pose pas de problème : reconnaître le Nord grâce aux étoiles.
- Ça me rappelle le pays, ma vie d’avant

8 décembre
- L’exercice de tir à la mitrailleuse exige sérieux et concentration.
Mitrailleuse, 1914, Gallica

9 décembre
- On nous enseigne à déceler les indices indiquant une présence.
- La poussière signale une colonne en marche.
- Les reflets du soleil sur des objets brillants indiquent une troupe en mouvement.
- La fumée ou des feux supposent un bivouac (quand ils ne sont pas allumés exprès par l’ennemi).

10 décembre
- Le combat a pour but de briser par la force la volonté de l’adversaire.

11 décembre
- Je regarde mon copain Désiré.
- Puis tous les autres gars de la section.
- De nous tous, combien seront encore là après la guerre ?
Rueil classe 1917, Gallica

12 décembre
- Le soldat doit faire appel aux plus nobles inspirations de son cœur, à son énergie et à son instruction militaire.
- Confiant en ses chefs, il doit en toutes circonstances obéir aux sentiments d’honneur, de discipline et d’abnégation.

13 décembre
- L’éducation physique a pour objet le développement, l’entretien et le perfectionnement du soldat.

14 décembre
- Chaque soldat a une fiche individuelle où sont notés ses progrès en gymnastique.
Fiche individuelle gymnastique, Manuel instruction militaire, Gallica

15 décembre
- Les marches ont pour but de développer notre endurance.
Manœuvres militaires, 1909, Gallica

16 décembre
- On a retrouvé Henri Rattelier-Parchet et François Simond, des gars de Samoëns, qui viennent de nous rejoindre au 97è RI.
- Ils nous donnent un peu des nouvelles du pays. Des fraîches.

17 décembre
- Malgré son état de santé fragile, Alphonse Jay a (enfin) été mobilisé : il est parti au 22è bataillon de chasseurs.

18 décembre
- Ils ont mobilisé la classe 1915 ! Avec 10 mois d’avance ! Dire que nous, nous n’avons été appelés qu’avec un seul mois d’avance.

19 décembre
- Dire qu’ils nous avaient promis une guerre courte et efficace

20 décembre
- Les exercices succèdent aux exercices.
Soldat cherchant un espion, 1914, Gallica

21 décembre
- La présentation au drapeau est une cérémonie solennelle, faite au cours d’une revue passée en grande tenue de service.
- Le colonel évoque les souvenirs glorieux du corps et rend les honneurs au drapeau.
- Il fait appel aux sentiments élevés nécessaires au soldat pour l’accomplissement de son devoir en toutes circonstances.

22  décembre
- Les soldats ne peuvent écrire qu’après autorisation de leurs chefs.
- Ces écrits ne doivent concerner ni les affaires politiques ou religieuses, ni les puissances ou les armées étrangères.
- Ils ne doivent pas faire mention des fonctions spéciales qu’ils peuvent remplir au service.

23 décembre
- La belle tenue des troupes, la conduite digne des militaires témoignent de leur éducation, discipline et bon esprit.

24 décembre
- Ils paraissent si nombreux, ceux qui sont évacués blessés du front
Évacuation des blessés par train sanitaire, 1917, Gallica

25 décembre
- C’est mon premier Noël loin de la maison. Espérons que ce soit le seul

26 décembre
- La gymnastique éducative est continuée par la gymnastique d’application.
- Elle a pour objet d’apprendre au soldat à vaincre les difficultés qui se présenteront en campagne.

27 décembre
- Les exercices au gymnase (corde, équilibre, barres) succèdent à ceux sur le terrain (course, transport de fardeau, parcours d’obstacles).

28 décembre
- Tout militaire doit, en toutes circonstances, des marques extérieures de respect à ses supérieurs.
- L’inférieur s’adresse à son supérieur avec politesse et déférence, sans cependant se montrer timide ni obséquieux.
- Le tutoiement est interdit. Tout militaire doit le salut, de jour comme de nuit, à ses supérieurs.

29 décembre
- Les distinctions récompensent les efforts des soldats et stimulent leur zèle.
- En temps de guerre, après un combat, chaque commandant établit un rapport sur la journée et signale les hommes qui se sont distingués.
- Pour avoir pris un drapeau, un canon, pour sa belle conduite, sauvé son chef, un soldat peut être cité à l’ordre de l’armée.
- Bonnes notes, citation, promotion, certificat de bonne conduite, dispense de travaux sont les faveurs attribuées aux soldats méritants.

30 décembre
- Les manquements au devoir et faute contre la discipline sont punis, suivant leur gravité.
- Les punitions des soldats peuvent être la consigne au quartier, la prison, la rétrogradation de la 1ère à la 2è classe

31 décembre
- On nous donne quelques notions de premiers soins à donner à un blessé : le ranimer, le réchauffer, le mettre à l’abri derrière un arbre
- Stopper les hémorragies en appliquant un linge, fixé par une bande un peu serrée, ou un garrot si cela ne suffit pas.
- En cas de fracture, redresser le membre déformé, l’immobiliser (écharpe, attelle...) et attendre l’arrivée du médecin.




jeudi 25 décembre 2014

Un Noël à Noël

Il faisait froid ce soir-là. Le ciel cristallin était émaillé d'une myriade d'étoiles. L'air était fort vif. Toute la famille était dans la salle commune en train de s'habiller chaudement pour se rendre à la messe de minuit, fêter la naissance du Christ.

Charlotte peinait à habiller François, âgé de 5 ans, qui ne cessait de gigoter. Mais surtout, son gros ventre l'empêchait de se mouvoir comme elle le souhaitait. Son souffle était court, dès qu'elle faisait le moindre mouvement. Enfin, le garçonnet chaudement emmitouflé signala que toute la famille était prête à partir pour l'église. 

Embrassant tous ses enfants d'un regard, Charlotte eut une pensée émue pour le petit Jean, son premier-né, qui n'avait vécu que deux jours. Douze ans déjà étaient passés. Son second fils avait été aussi prénommé Jean, comme son père. Puis était venus René, François, Charles et la jeune Sébastienne, aujourd'hui âgée de deux ans et bien emmaillotée dans une chaude couverture. 

Alors que Jean, le père, avait une main sur la poignée de la porte, une violente douleur força Charlotte à s'assoir. Tout le jour elle avait eu mal au bas du dos. Reprenant son souffle, elle se releva et rassura son époux d'un regard. De toute façon, c'était bien trop tôt pour que le bébé arrive. Toute la famille sortit donc du logis et pris le chemin de l'église. Les enfants jouaient tranquillement le long du trajet, semblant ignorer le froid piquant. Au contraire, il sembla à Charlotte que l'église n'avait jamais été aussi loin. Elle avait l'impression de reculer au lieu d'avancer !

La messe de minuit était un moment qui plaisait beaucoup à Charlotte. La chaude voix du curé Pierre Michel qui s'élevait sous les voûtes de la vieille nef faisait naître chez elle une certaine émotion. Et elle attendait toujours l'instant où les enfants admireraient le petit Jésus enfin placé dans la précieuse crèche

Nativité, émaux de Limoges, vers 1500, © La Gazette de Drouot

Le curé parlait ce soir-là de la venue du Christ comme étant le plus beau des cadeaux qu'on pût recevoir. Mais Charlotte avait du mal à fixer son attention sur ses propos et la sainte messe toute entière. Même la joie des bambins de la paroisse eut du mal à lui arracher un sourire : au fil de la soirée, la douleur était devenue de plus en plus lancinante et rapprochée. Elle eut toute les peines du monde à regagner la maison, d'autant plus qu'elle devait porter sa fille tandis que Jean, lui, se chargeait de Charles qui s'était endormi sitôt le bout de la grand rue atteint.

A la maison, les enfants gagnèrent rapidement leurs lits, mais Charlotte ne se coucha pas. De toute évidence, l'heure était venue. Elle s'installa le plus confortablement possible devant la cheminée, tandis que Jean partit en quête de la sage-femme de la paroisse. Elle pensa un instant au berceau : celui que Jean avait fabriqué pour leur premier-né et qui avait accueilli ses six premiers enfants; il était désormais trop abîmé pour le septième. Jean devait en refaire un autre, mais ils pensaient qu'ils avaient encore un peu de temps pour cela. Où allait-on mettre ce petit pressé qui avait décidé d'arriver avant l'heure ?

Jean revint bien vite avec la sage-femme et heureusement tout se passa bien : même s'il était petit, le bébé était en bonne santé. Encore un fils, pensa Charlotte, en admirant le poupon tout fripé. A défaut de berceau, le petit garçon fut installé confortablement dans une caisse en bois garnie de linges.

Au petit matin, les enfants se réveillèrent. Jean et Charlotte leur présentèrent leur nouveau petit frère. Charles, du haut de ses trois ans, les mains agrippées à la caisse, son petit nez dépassant à peine du rebord du berceau improvisé, le regarda fixement. Puis il s'écria : "Mais ? C'est le petit Jésus !". Cela fit bien rire la famille et cette histoire se racontait encore à la veillée bien des années après. Chétif comme il était, on s'empressa d'aller le faire baptiser le jour même à l'église.

On ne l'appela pas Jésus, mais Noël... C'était bien le plus beau cadeau qu'ils pouvaient recevoir pour ces fêtes de la Nativité.


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Noël Le Boucher, 7ème fils (sur 15 !) de Jean Le Boucher et Charlotte Le Peintre, a été baptisé le 25 décembre 1625 à Jarzé (49). Il est mon ancêtre à la 11ème génération. Il fait parti des 12 ancêtres de mon arbre nés un 25 décembre (dont 5 ont été prénommés Noël).

390 ans après sa naissance, j'espère que vous avez passé un bon Noël (avec ou sans un Noël dans la crèche... vous me suivez ?) et je vous souhaite de joyeuses fêtes et une très bonne année 2015 !