« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 2 juin 2015

#ChallengeAZ : B comme brigadier

Je ne sais pas si vous le savez, et si vous le savez c’est tant mieux, mais différentes sources peuvent indiquer le métier exercé par nos ancêtres.

Extrait du recensement de Martignat, 1911 © AD01

Ainsi, on peut retracer la carrière tout au long d’une vie. Dans le cas de Jules Assumel Lurdin, on le voit successivement être :
  • lapidaire (recensement de 1896 – 20 ans). Sous entendu "ouvrier lapidaire" : tailleur de pierres précieuses (sauf le diamant : travail réservé au diamantaire). Pour en savoir plus sur ce métier voir l’article Mes arrière-grands-parents étaient lapidaires. C’est une activité saisonnière.
  • lapidaire et patron (recensement de 1901  – 25 ans). Plus étonnant, en 1901 il est dit patron : il semble employer son jeune frère, de six ans son cadet.
  • cultivateur (fiche militaire 1896 – 20 ans ; acte de mariage de 1902 – 26 ans).
  • scieur (acte de décès de sa première épouse et liste électorale de 1905 – 29 ans ; recensement et acte de mariage de 1906 – 30 ans). C’est peut-être aussi une activité annexe au métier agricole qu’il exerce avant et après.

A partir de 1905 on le voit évoluer comme garde forestier, avec différents grades ou appellations :
  • garde communal des eaux et forêts (J.O. de 1908 – 32 ans). 
Le garde des eaux et forêts est responsable d’une circonscription territoriale appelée "triage". Il y surveille et aménage la forêt. Il s’occupe du marquage des arbres à couper, de leur coupe même et replante des arbres. Gardiens de la nature, il veille à la protection de la faune et la flore. Ainsi il lutte contre le braconnage, le vol de bois, ou la cueillette d'espèces protégées ou menacées. Il veille à la bonne application des lois concernant la gestion et la protection des forêts. Il assure la police de la nature et de l’environnement en qualité d’agent assermenté. À ce titre, il est habilité à constater les infractions en forêt (procès-verbal). Il travaille sous l’égide du ministère de l'agriculture (ou aujourd’hui de l’ONF). Les qualités nécessaires à cet emploi sont l’endurance physique pour se déplacer dehors par tout temps (ce qui fera défaut à Jules, comme on le verra dans l’article S : rendez-vous le 22 juin !), le sens de l’observation et le sens des relations humaines pour s’entretenir avec les usagers de la forêt (propriétaires, chasseurs…) et les autorités locales.
  • garde communal (fiche militaire 1909 – 33 ans).
  • garde forestier (acte de mariage et liste électorale de 1910 – 34 ans ; recensement de 1911 – 35 ans ; liste électorale de 1913 et 1914 – 37 et 38 ans ; acte de décès de 1929 – 53 ans).
  • garde domanial des eaux et forêts (J.O. de 1920 – 44 ans ; fiche militaire 1921 – 45 ans).
  • brigadier domanial (J.O. de 1921 – 45 ans).
  • garde des eaux et forêts (presse de 1928 – 52 ans).

Merci aux Archives Départementales de l’Ain, Wikipedia et à Gallica pour toutes ces trouvailles.
Sources : recensements, fiche militaire, état civil, JO, presse en ligne, listes électorales.

lundi 1 juin 2015

#ChallengeAZ : A comme Assumel-Lurdin

Je ne sais pas si vous le savez, et si vous ne le savez pas ce n’est pas très grave, mais Jules Assumel Lurdin est donc le fil conducteur de ce ChallengeAZ.

Jules Assumel Lurdin, années 1920 © coll. personnelle


Il est né le 15 février 1876 au Poizat (Ain). Son père, François, est cultivateur. Il est alors âgé de 32 ans. Son épouse et mère de Jules, Marie Antoinette Zélia Berrod, est aussi dite cultivatrice. Quelques années plus tard, en 1896, François est dit meunier au Moulin Menant, hameau du Replat, commune du Poizat.

Moulin Meunant © coll. personnelle


Le couple a déjà trois enfants lorsque Jules voit le jour :
- Louis Xavier, né en 1867.
- François Emilien, né en 1870.
- Marie Justine, née en 1873.
A son baptême Jules porte aussi les prénoms de Joseph Eugène.
Un dernier enfant viendra compléter la famille : Joseph Eugène né en 1882.

Le Poizat est une petite commune de l’Ain, à une cinquantaine de kilomètres de Bourg en Bresse, haut perchée à un peu moins de 1200 m d’altitude. La commune est située sur un plateau incliné au Nord, largement boisé. Le lac de Silans forme sa limite Nord. On y cultive du blé, de l’orge, de l’avoine, du foin, un peu de chanvre. Le commerce de bois de sapin, de bois de chauffage et de construction occupe une place importante.
Les dictionnaires historiques étant précis, en 1907, « L’effectif moyen des animaux est d’à peu près 7 chevaux, 1 âne, 5 taureaux, 20 bœufs, 300 vaches, 70 élèves bovins, 4 béliers, 15 brebis, 10 moutons, 15 agneaux, 25 porcs, 15 chèvres. ». La commune comptait alors 519 habitants. Le bourg est dit « bien bâti ; l’église postérieure à la Révolution est belle, large et bien proportionnée. »

Jules a été principalement garde forestier. Il a vécu dans l’Ain jusqu’à l’âge de 45 ans, dans différentes communes, mais jamais guère éloignées de son lieu de naissance. Il se maria trois fois et aura sept enfants au total. Ensuite, il déménagera en Anjou  (on verra pourquoi dans des articles futurs) où il terminera sa vie, assez jeune, à 53 ans.

C’était mon arrière-grand-père.

Merci aux Archives Départementales de l’Ain pour ces trouvailles.
Sources : photo coll. personnelle, carte postale ancienne, dictionnaire historique Pommerol, état civil.


dimanche 31 mai 2015

#Centenaire1418 pas à pas : mai 1915

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de mai 1915 sont réunis ici. 

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 

1er mai 

Séjour à Granges. 
Matin : exercice de combat de la Compagnie, déploiement, attaque d’une position, sous le feu de l’Infanterie ou de l’artillerie. 
Soir : exercices de détails.

2 mai
Séjour à Granges.
Matin et soir : repos.
Ordre de Bataillon n°38 : citation à l’ordre de la Brigade pour le sergent Ruffier d’Epernoux pour courage et énergie.

3 mai
Séjour à Granges.
Matin : marche de 20 km environ, sac et tenue de campagne complète. Soir : exercice de détail.

4 mai
Séjour à Granges.
Matin : service en campagne. Soir : exercice de détail.
Ordre de Bataillon n°39 : mutations.

"Au champ d'honneur, les coquelicots
Sont parsemés de lot en lot
Auprès des croix; et dans l'espace
Les alouettes devenues lasses
Mêlent leurs chants au sifflement
Des obusiers.


Nous sommes morts
Nous qui songions la veille encor'
À nos parents, à nos amis,
C'est nous qui reposons ici
Au champ d'honneur.


À vous jeunes désabusés
À vous de porter l'oriflamme
Et de garder au fond de l'âme
Le goût de vivre en liberté.
Acceptez le défi, sinon
Les coquelicots se faneront
Au champ d'honneur."


JohnMcCrae a écrit «Au champ d’honneur» il y a 100 ans, le 3 mai 1915 au cours de la Deuxième bataille d’Ypres

5 mai
Séjour à Granges.
Matin : exercice de Bataillon. Soir : travaux de propreté.
Ordre de Bataillon n°40 : décorations d’un caporal et deux chasseurs pour leurs belles conduites au feu et leurs graves blessures.

6 mai
Séjour à Granges.
Matin : service en campagne, installation d’une grand’garde, sentinelles. Soir : exercices de détail.

7 mai
Séjour à Granges.
Matin : déploiement de la Compagnie, marche d’approche, attaque d’une position ennemie sous les feux de l’infanterie et de l’artillerie combinés. Soir : exercice de détail.

8 mai
Séjour à Granges.
Matin : service en campagne, école de compagnie, déploiement, formations diverses d’approche. Soir : travaux de propreté.
Ça y est ! On repart au front !
Le Bataillon doit se tenir prêt à quitter Granges demain dans la journée ; des ordres ultérieurs seront donnés.

9 mai
Le Bataillon a quitté Granges et a été transporté en automobile au Collet. Départ : 15h30. Arrivée au Collet : 18h.
Le Bataillon, sous le Commandement du Capitaine Loire, est rassemblé dans une prairie à l’Est du Collet.
Trajet Granges / Le Collet
Relève du 297ème Régiment d’Infanterie au Sillackerwasen. Relève effectuée sans incident.
1ère et 2ème compagnies montent en première ligne.
3ème et P.M. en 2ème ligne.
4ème, 5ème et 6ème compagnies : nous restons en réserve.
Nous revoici sur les lieux des terribles combats de mars.
La disparition de mon ami Désiré me revient en pleine figure.
Je me décide à écrire à sa mère. Je lui dis qu’il n’a pas souffert. Je n’en sais rien, bien sûr, mais je ne peux pas lui raconter l’horrible réalité telle que je l’ai vécue.

10 mai
Le 23ème Bataillon de Chasseurs coopère à la défense du Sillacker.
Mêmes emplacements que la veille.

11 mai
La 6ème compagnie est détachée à Schiessloch.
Un peloton au Sud Ouest de Steinabruck, une section à Burgkoepfle, une section en réserve.
Pour les autres unités du Bataillon, mêmes emplacements.

12 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements.

13 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements.
Ordres de Bataillon n°41 et 42 : promotion, mutation et nominations.

14 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements.
La 3ème Compagnie est désignée pour relever une compagnie du 63ème Bataillon de chasseurs sur les pentes de l’Altmattkopf (1 blessé).
Sommets autour de Metzeral © aak-ansichtskarten.de

15 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements.
1 blessé.

16 mai
Défense du Sillacker.
Relève des Compagnies.
Nous (ceux de la 5ème) nous relevons la 2ème Compagnie à 12h.
La 4ème compagnie relève la 1ère à 20h.
Relève effectuée sans incident.

17 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements.
Des tirs continus de mitrailleuses ou de canons ennemis.
Une grande attaque se prépare. Pour cela, on entreprend des travaux sur toute la ligne, du Braunkopf à l’Altmattkopf : parallèles de départ, boyaux, abris, etc.
C’est une tâche pénible, dangereuse, mais indispensable, malgré les pertes régulières. [ 1 ]
Cette nuit deux de nos camarades ont été tués.

18 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements.
Ordre de bataillon n°43 : décoration.
En venant ici, je croyais que je verrai des soldats en perpétuelle alerte…
Je ne vois en fait que des travailleurs, terrassiers, bûcherons, charpentiers, ne tirant que peu de coups de fusil.

19 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements.
Fureur des supérieurs qui ont surpris le chasseur 1ère classe Delord en train de dormir à son poste.

20 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. 1 blessé.
Ordre de bataillon n°44 : rétrogradation du chasseur Delord qui, étant guetteur, somnolait au lieu d’assurer rigoureusement son service.
La sanction ne s’est pas fait attendre !
Ordre de bataillon n°45 : nominations diverses. 

21 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements.
Ordre de bataillon n°46 : citation.
Entouré sur toute sa lisière par un important réseau de fils de fer, le bois très touffu dissimule entièrement les organisations ennemies.
D’après les observations faites de l’Altmattkopf, il est cloisonné intérieurement par d’autres réseaux et paraît insuffisamment organisé. [ 1 ]

22  mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. 1 blessé.

23 mai
Défense du Sillacker.
Relève des Compagnies.
La 1ère compagnie relève la 4ème à 20h.
La 2ème compagnie nous relève (ceux de la 5ème) à 12h.
Relève effectuée sans incident. Un blessé.

24 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. 

25 mai
Aucune note (jour non mentionné [ 2 ]).

26 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Un blessé.
On nous a promis du réconfort :
"Un quart de pinard tous les jours pour soutenir le moral des troupes" qu'il a dit le capitaine ! 

27 mai
Défense du Sillacker.
La 4ème compagnie relève la 3ème à 20h. Relève effectuée sans incident.
Mêmes emplacements pour les autres unités.
Ordre de bataillon n°47 : promotions et mutations.

28 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Un blessé.
Le courrier arrive. Le sait-il, ce soldat, qu'il porte dans sa sacoche le bien le plus précieux du champ de bataille ?
Bureau de poste sur le front champenois, 1915 © centenaire.org
29 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Deux blessés.

30 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Un tué, trois blessés.

31 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Deux blessés, un tué.


[ 1 ] A. Bohly
[ 2 ] Dans le JMO du 23ème BCA