« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

lundi 25 avril 2016

#Généathème : le plus ancien des ancêtres

Je m'en vais vous conter les mémoires du tronc de la Maison de Sales, comme ainsi Monseigneur de Sales son descendant le fit en MDCLIX [ 1 ]. Certaines personnes curieuses, savantes ou non, pourraient y voir là quelques sources de divertissement; et ce serait déjà une bien belle chose.
C'est ainsi mon cher lecteur que Pierre de Sales appartient à une belle et fort ancienne Maison. Si les envieux, les calomniateurs et les médisants en doutent, j'ai estimé tout faire pour en apporter l'affirmation. Grâce à de nombreux d'actes d'Œconomie il est facile de les tisser ensemble pour en faire tirer la preuve d'une existence.

Voici donc ce que l'on peut soutenir sans faille :

Il existe plusieurs familles de Sales car c'est là un nom répandu. Nous ne parlerons point de ceux qui ont lâchement usurpé le nom, mais nous intéressons à la famille de Sales de Thorenc (aujourd'hui Thorens-Glières en Haute-Savoie), en Genevois, du nom de la paroisse dans laquelle notre Maison est située.

Le château de Sales, première demeure de la famille, était situé à environ 200 mètres au-dessus du château de Thorens actuel. En 1630 Sales sera détruit pendant l'occupation française du duché de Savoie.

Château de Thorens, de nos jours © gpps.fr

La Maison désigne tout à la fois un bâtiment d'habitation, une famille, une race.

Les armes de la Maison de Sales se blasonnent ainsi : D'azur, à deux fasces d'or, chargées chacune d'une autre fasce de gueules, accompagnées d'un croissant d'or en chef et de deux étoiles à six rais d'or en cœur et en pointe.
Blason de la Maison de Sales

Inféodés, originellement, aux seigneurs de Compey, les Sales passèrent ensuite au service des Princes de Luxembourg-Martigues. Plusieurs générations de Sales occupèrent la prestigieuse charge de maître d'hôtel de la maison du Prince.

Mais revenons à notre sujet de préoccupation : C'est à savoir premièrement que Pierre serait le fils de Garnier de Sales et de Marmette de Balleyfon. Cependant les archivistes qui ont mis en lumière les représentants de cette illustre Maison ne peuvent s'en assurer avec certitude.

Il est parfois nommé Peronnet ou Pierre le Second (son supposé arrière-grand-père étant aussi prénommé Pierre). Il serait né vers 1323 ou 1324. De sorte qu'il appartient à la vingtième génération de ma généalogie. Il n'aurait qu'un seul frère, Etienne.

En 1335 il est fait mention de Peronnet en qualité de "damoiseau".

Pierre "le Second du nom" était "seigneur de Sales et de Montpitton, vidomne [*] de la Roche".

Il épouse Peronne (ou Pernette) de Chiffé environ en l'an 1353. Elle était la fille de "noble, puissant et spectable [*] Girard de Chiffe, chevallier et thresorier general de Savoye". La Maison de Chiffé était fort nombreuse mais ses titres ont été brûlés dans le château de Polinge par les Huguenots de Genève. De fait, comme cet écrit est destitué de preuve, je ne veux rien assurer. Néanmoins cette union n'était pas une petite gloire pour la Maison de Sales. La mort leur enleva les premiers fruits de leur heureux mariage. Jordan (ou Jordain) porte la qualité d'aîné sur trois autres frères.

Pierre a acquis de nombreuses terres, comme le grand et noble vignoble de Vignier dans la paroisse de Faucigny, sous le château à la vue de la rivière d'Arve et de toute la plaine de la Roche, aux héritiers de Girod N. Ce territoire donna bien de la jalousie, ou de l'envie à plusieurs gentilshommes du voisinage; c'est pourquoi Pierre de Sale a souffert de grands procès.

Lui et ses futurs descendants possédaient, outre le domaine de Sales, la terre autour de Thorenc avec titres de fief et d'hommage et, par conséquent, de juridiction. Ils avaient le pouvoir d'imposer des tributs, cens, services et tailles sur plus de 80 feux [*]. Quatre générations plus tard, les seigneurs de Sales étaient à la tête de plus de 800 sujets taillables et juridiciables. En cas de guerre, lorsque le Prince souverain commandait le ban ou l'arrière-ban, ledit seigneur de Sales devait lui donner un homme armé et entretenu à cheval, selon l'ordinaire taxe de la milice. La chasse, la pêche, le bois pour la bâtisse et pour l'affouage [*] appartenaient en pleine liberté audit seigneur de Sales dans toutes l'étendue de la terre de Thorenc.

Pierre et son frère Etienne ont suivi à la guerre le Comte Vert Amédé VI de Savoie (dans le conflit qui l'opposa au marquis de Saluces dans le Piémont). Le généreux Prince récompensa le chevalier Pierre de Sales en lui donnant de nouveaux titres, reflétant sa fidélité ainsi que les grands et insignes services qu'il lui avait rendu.
Les deux frères assistèrent ensuite à l'institution de l'Ordre du Collier (ordre de chevalerie savoyarde) créé par ledit Comte en 1362. Revenu du Piémont, avec de grands deniers, Pierre fit plusieurs autres acquisitions rière [*] Thorenc & la Roche, dont la désignation se voit par le menu dans le livre des Reconnaissances.

Peronne de Chiffé, son épouse bien-aimée, mourut vers 1372 et fut enterrée dans l'église de Thorenc. Âgé d'environ 50 ans, Pierre crut devoir se remarier pour la meilleure conduite de la famille : il épousa donc en secondes noces Rolette du Bochet, une vertueuse matrone, veuve de Jacques de Bessonais, écuyer et bourgeois d'Annecy - alliance moins illustre que celle avec la Maison de Chiffé, bien que fort noble. Ils n'eurent point de descendance.

La Maison de Sales a été régulièrement en conflit avec celle des Compey, seigneurs de Thorenc. Après plusieurs affaires, usant partout de la violence et abusant des grâces de la Duchesse de Savoie, se faisant des ennemis partout, les Compey furent obligé de fuir en France. Par une sentence de 1451 ils furent bannis des États de Savoie, leurs biens confisqués. La Maison de Savoie récupéra le château, qui sera finalement racheté en 1559 par le seigneur de Sales.

Pierre de Sales mourut sans doute avant 1389, date à laquelle son fils passa acte devant notaire en qualité de seigneur de Sales. Sa sépulture fut probablement en la place de ses ancêtres dans l'église de Thorenc.

Pierre de Sales est l'heptayeul de Saint François de Sales (ancêtre à la 7ème génération).

D'après ma source principale, Pierre ne serait pas le plus ancien de la lignée : Garnier, Guigues (ou Guy), Pierre Ier, Jacques, Henry, Raoulet (ou Rodolphe), Guichard, Gerard l'auraient précédé. Mais le silence de l'antiquité ne permet pas d'en être parfaitement assuré : "l'archiviste qui, en l'an 1642, mit en lumière l'échantillon généalogique de la maison de Sales, ignoroit les générations de Jacques à Gérard, parce qu'il n'avoit rien trouvé plus haut que Pierre Ier dans les archives de Sales; mais les archives de la Roche, de l'église cathédrale St Pierre de Genève, les mémoires de Pierre Saillet et quelques autres ont donné ces plus hautes lumières". Hélas, tous les historiographes ne sont point d'accord. C'est pourquoi Pierre II figure dans ce chapitre aujourd'hui en tant qu'ancêtre le plus ancien de mon arbre et que les générations précédentes, connues ou inconnues, restent pour l'heure dans l'ombre. 



Source : Le pourpris historique de la Maison de Sales de Thorenc en Genevois, par Charles Auguste de Sales, Évêque et Prince de Genève.

A noter : Un pourpris est une enceinte, un enclos et parfois une demeure, dans la France de l'Ancien Régime. La réalité désignée par le mot « pourpris » dépasse celle d'un simple jardin en ce qu'elle recouvre les différents éléments d'un domaine physiquement bien délimité et fermé.
L'auteur de l'ouvrage le définit ainsi : c'est pour prendre, actif, prendre tout à bout, ainsi dit-on de la racine d'un arbre pour prendre quelque place.


[ 1] Ne voulant point mettre mon lecteur dans l'embarras, je lui offre ici une table afin qu'il convertisse la date citée, si c'est selon ses désirs :
[*] Voir la définition dans la page lexique de ce blog.

mercredi 13 avril 2016

Défi 3 mois : le livre d'or

Le « défi 3 mois pour ma généalogie » a été lancé par la Gazette des ancêtres. Le principe : je me donne 3 mois pour travailler sur un thème particulier de ma généalogie. Or récemment, je viens d’hériter d’une masse importante de documents conservés par ma grand-mère maternelle. J’en avais repéré et mis de côté certains, d’autres sont arrivés dans mon carton par une main anonyme ; mais quoi qu’il en soit, difficile de résister. Alors, même si ce moment j’ai en un peu moins de temps à consacrer à la généalogie [1], je me lance…

Quand votre grand-mère garde tout, c’est qu’elle garde tout ! Les stylos qui ne fonctionnent plus, des emballages divers (vides), les montres et les horloges (dont aucune ne donne la même heure !)… Dans les papiers de famille qu’elle a conservé il y a aussi :
- des relevés bancaires des années 1960 (et même les enveloppes qui ont permis de les recevoir – pleines ou vides),
Avis de crédit, Banque Régionale Anjou-Vendée, 1963 © coll. personnelle

- des devis de la « nouvelle » maison (années 1690), les papiers relatifs au prêt bancaire permettant la construction de ladite maison, la correspondance avec les entrepreneurs, du maçon au chauffagiste,
- des déclarations d’impôts, des factures d’eau,
- des talons de chèque,
- des bulletins de paye,
Bulletins de paye, 1949, 1959, 1960 © coll. personnelle

- des reconnaissances de dettes (à sa sœur),

Reconnaissance de dette, 1961 © coll. personnelle

- les horaires SNCF (La Bourboule/Nantes, 624 kms, 5, 46 francs en première classe),
Horaires de trains © coll. personnelle

- les papiers divers et variés au dos desquelles elle faisait ses additions.

Mais il y a aussi les cartes postales écrites il y a 20, 30 puis 50 ans – d’abord celles des enfants, puis les générations suivantes : petits-enfants, arrière-petits-enfants. Les photographies, les cahiers de notes divers.

Elle écrivait beaucoup mamie. C’est ainsi que dans ses papiers nous avons retrouvé un livre. Il est recouvert d’une couverture de papier qui se déchire de tous côtés et n’est solidaire à l’ouvrage que par miracle. Si on l’enlève on découvre une couverture verte avec un arbre gravé en doré et l’inscription « livre d’or de la famille ».
Livre d'or de la famille © coll. personnelle

Daté de 1940, c’est un ouvrage pré-imprimé, une sorte de journal que tu peux remplir au fur à mesure. Sur la première page, une citation de Lamartine : « le souvenir c’est l’âme de la vie ».
L’avant-propos prévient : « L’auteur [H. Hermouet] ne présente pas ici une œuvre littéraire mais plutôt un guide dont le but est de faciliter la tenue d’un "livre de raison" moderne. […] Sa publication comblera le désir imprécis d’un grand nombre de personnes […] et permettra dans chaque famille de réunir [...] les renseignements concernant la vie familiale domestique ; d’établir, avec la généalogie des familles des deux époux, une nomenclature des ascendants, descendants et collatéraux ; de rappeler par des tableaux les anniversaires, fêtes, mariages […]. Excellente occasions de se retrouver nombreux et de favoriser les réunions familiales. ; de constituer des annales […] qui réserveront plus tard, au rédacteur, la satisfaction d’avoir écrit l’histoire de sa famille ; de léguer ce « mémorial » […] les générations suivantes […] se transmettant ce trésor de famille. »

C’est donc le « Livre d'or de la famille : Borrat-Michaud André et Gabard Christiane ; commencé le [2] 1er et 2 octobre 1945 ; adresse : 15 rue Michel de la Boulaye – Angers. »

Ière partie : tableau généalogique des ascendants directs
Une double page se déplie, laissant découvrir un arbre généalogique semi-circulaire de la famille de Monsieur Borrat-Michaud André ; il est partiellement rempli (parents et grands-parents, avec quelques erreurs de noms : Gay au lieu de Jay, Séraphine au lieu d’Antoinette Adélaïde – à moins que c’était son prénom d’usage ?).

Arbre Borrat, extrait du Livre d'or © coll. personnelle

Les feuillets suivants, consacré à la famille de Monsieur (père, mère, frères, belles-sœurs, neveux, souvenirs personnels du mari antérieurement aux fiançailles…) sont restés vides.

Plus loin, le modèle se reproduit pour Madame. Le tableau généalogique est davantage rempli.

Arbre Gabard, extrait du livre d'or © coll. personnelle

Sur les pages suivantes s’égrènent les dates de naissance, mariages et décès.
Curieusement, elle se trompe d’année dans les décès de son père et son grand-père paternels (à un an près) et carrément 4 ans pour son grand-père maternel (1918 au lieu de 1914).
Concernant son frère elle écrit :
« Daniel Gabard, né le 4 octobre 1941 à 8h30. Un samedi. Je suis sa marraine mais le jour de son baptême, malade, Renée [NDLR : sa sœur] m’a remplacée.
Varicelle le 1/7/1947.
14 mars 1948 communion privée (le menu est détaillé, jusqu’aux vins).
Porte des lunettes depuis la rentrée de 1947. »
Entre patronage et maladie sont mentionnés son mariage et la naissance de ses enfants et petits-enfants. Quelques notes complètent sa vie professionnelle ou ses déménagements.

La page consacrée à sa sœur Renée est similaire : naissance, « pleurésie jour de Noël 1942 », communion, vacances (où elle rencontre un certain Paul Barreau), fiançailles et mariage avec Paul le 12 avril 1950 (les menus du 11, du déjeuner et du dîner du 12 sont soigneusement consignés). Puis les naissances des générations suivantes.

Son autre sœur Michelle, ne fait l’objet d’aucune mention.

Par contre, les oncles, tantes, cousins et cousines sont recensés : noms, prénoms, mariages.

Elle n’a écrit qu’une seule page dans la catégorie Notes et souvenirs personnels de la femme antérieurement à ses fiançailles. Mais la petite histoire rejoint parfois la grande : « novembre 1943 entrée à la préfecture. Février 1943 départ de M. Blanchard (déporté en Allemagne). […] Mai 1943 bombardements d’Angers. » Quelques brèves notes sur ses changements de services. Puis : « avril 1ère sortie avec André Borrat aux Ponts de Cé. [...] 5 juin 1943 première sortie seule avec André. »

IIème partie : les fiançailles, le mariage, le journal des époux, les enfants
Les fiançailles d’André et Christiane ont eu lieu le 6 mai 1945. Ils demeuraient au 20 rue Leroy à Angers.
Les invités sont listés (en fait la famille proche), avant le détail du menu.

Menu fiançailles, extrait livre d'or © coll. personnelle

Les deux rubriques suivantes n’a pas été consignées : Le relevé des dépenses importantes pour l’établissement [des fiancés], journal des fiancés : date et circonstances de leur rencontre, fêtes, soirées, promenades, etc...
Le mariage civil a eu lieu le 1er octobre 1945 à la mairie d’Angers. Le mariage religieux le lendemain à l’église Saint Antoine. Les témoins étaient deux oncles des époux. Il y avait aussi 6 garçons et 6 demoiselles d'honneur. Et 92 invités ! Les menus du déjeuner et du dîner comportaient chacun une dizaine de plat, plus les vins, champagne et liqueurs.
Menus mariage, extrait livre d'or © coll. personnelle

Les cadeaux reçus, ainsi que leurs donateurs, ont été enregistrés : service de table, fer à repasser, ménagère en argent, bonbonnière, monnaie… et pas moins de trois services à café plus une douzaine de cuillères à café supplémentaires !

Dans le Journal des époux, 21 pages ont été noircies, relatant les événements de la vie, de 1945 à 2010 :
- voyages,
- vol des vélos,
- cadeaux donnés et reçus par les époux (souvent des vêtements),
- prédiction de la cartomancienne qui lui promet 4 enfants (elle en aura 5) dont 2 garçons (un seul finalement) dont une qui sera musicienne et un autre ingénieur, puis un départ au-delà des mers et un retour en France vers 59 ans. Une note postérieure a été ajoutée entre parenthèse : « quelle erreur » ! Et en effet… Ce qui ne l’empêche pas de continuer à aller revoir la cartomancienne régulièrement.
- maladies,
- augmentations ou diminution de salaire d’André (alors représentant de commerce),
- état de santé d’André qui connaît des périodes régulières de congés maladie suite à deux accidents en 1947 et 1949,
- achats d’électroménagers… et d’un ordinateur en 1998 !

Dans les années 1970/1990 la rédaction est plus brève : il s’agit surtout des mariages des enfants et des naissances des petits-enfants (dont certains ont été oubliés). A partir de 2004 elle redevient plus prolixe et reprends les petits événements de la vie (déménagements, maladies, visite des enfants…). Le 3 août 2005 une cousinade est organisée. « J’ai demandé pour chaque cousin ou cousine quel était leur nombre d’enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants : cela fait un total de 535 descendants directs de mes grands-parents qui se sont mariés en 1896 [NDLR : en 1892 en réalité - ce couple « originel » a eu 9 enfants]. Dans ce nombre je ne compte pas les conjoints et conjointes. Comme seulement 30 sont décédés, nous sommes encore 500 descendants vivants. »  

Viennent ensuite les pages dédiées aux enfants. La petite enfance de l’aînée (ma mère) est détaillée : premiers mots, premières dents, premiers pas…
Apparition des dents de Marie-Catherine, extrait livre d'or © coll. personnelle

Les descriptions des enfances des frères et sœurs sont beaucoup moins développées.

IIIème partie : les amis et relations, les adresses, les faire-part, les serviteurs
16 personnes et adresses sont signalées, dont 4 sont rayés (décès ?).
Entre 1947 et 1957 plusieurs visites chez des amis sont inscrites ; les menus y sont systématiquement précisés.
Les faire-part (enregistrements par ordre chronologique des naissances, mariages et décès) sont consciencieusement notés de 1945 à 1951.

IVème partie : mémorandum - partie destinée à être utilisée selon les idées et les attitudes personnelles de chacun ; elles pourront toutefois servir à noter les dates et des événements sensationnels (visite de personnalités, fêtes et réunions notoires, etc…), les renseignements divers (nom d’un médicament, titre d’un ouvrage, désignation d’une recette, etc…).
Seule deux mentions sur les deux premiers baptêmes des deux aînées sont notées.
Suit un tableau (un mois par page) où l’on peut indiquer les anniversaires que l’on souhaite ne pas oublier.

Finalement, ce livre d'or a parfaitement rempli son office : garder en mémoire ces moments de l'existence, sur plusieurs générations. Ces petits rien qui font la vie. Et qui s'oublient si vite avec le temps. Un de ces documents appartenant à sa trisaïeule (ou autre) qu'on rêve de compulser. Aujourd'hui toutes les personnes nommées dans l'ouvrage nous sont connues, mais dans quelques temps ?
Que deviendra ce livre après moi ? Objet usuel pour ma grand-mère, à partir de quand deviendra-t-il une "archive" ? Est-ce que dans quatre ou cinq générations, un(e) passionné(e) de généalogie le trouvera dans un grenier et le verra comme un trésor ? Je l'espère en tout cas.
Un tout petit rien. Une grande richesse.

Retrouvez les autres épisodes :
Défi 3 mois : les papiers de famille
Défi 3 mois : la sœur missionnaire 
 

[1] A cause de la création de mon entreprise Chemin d’émail !
[2] Les éléments en italiques sont pré-imprimés, le reste a été rempli par ma grand-mère.

jeudi 31 mars 2016

#Centenaire1418 pas à pas : mars 1916

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de mars 1916 sont réunis ici. 

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Jean François dispart "des radars" entre sa blessure (fin janvier) et son retour au front en septembre. J'ignore où il a été soigné et où il a passé sa convalescence. Il m'a donc fallu inventer un probable parcours, basé sur la consultation de différentes archives (vie à l'hôpital, autres batailles...).

Cependant, n'ayant pas assez de matière (et d'imagination), je suis obligée de faire une pause dans le suivi journalier de mon arrière-grand-père, jusqu'à son retour au front. Rendez-vous en septembre...
 
Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 


1er mars
Une revue générale est organisée ! Dans un pré voisin les véhicules de secours sont mis en bon ordre.
Tous ceux qui peuvent tenir debout ont revêtus leurs uniformes (nettoyés au mieux !) et sont alignés superbement.
Les locaux ont été nettoyés au mieux.

2 mars
Dans le relatif silence de l’hôpital, on ne cesse de ruminer la même pensée : comment cette guerre est-elle possible ?
Et pourtant, on y retourne encore et encore.

3 mars
Il paraît qu’un nouveau général, Pétain, a été nommé pour défendre Verdun. Il détesterait les offensives à l’ancienne menées pour la gloire.
Si ça peut éviter des sacrifices inutiles…

4 mars
Qu’est-ce qui nous pousse toujours à rejoindre le front : défendre la patrie ? Nos femmes ? Nos maisons ?

5 mars
Qu’est-ce qui nous fait tenir ? Les lettres de nos proches ? La camaraderie ? L’alcool ?

6 mars
La France est meurtrie. Les soldats humiliés.
Oublié le patriotisme joyeux des débuts.

7 mars
Se rappellera-t-on encore dans les temps futurs que chaque centimètre carré de cette terre de Verdun a vu des combats inimaginables ?

8 mars
Lors des grandes offensives, le débit des évacuations ici est très en-dessous du débit de l’arrivage.

9 mars
Parfois les blessés légers sont obligés d’attendre dehors, les pieds dans l’eau qui inondent les abords de nos locaux.

10 mars
Les brancards sont si serrés qu’il faut être très attentifs où on pose les pieds !

11 mars
La haine du boche fait place à l’humiliation chez nos soldats.
Sur les collines de Verdun, un soldat meure toutes les deux minutes.

12 mars
D’un coup, il n’y eu plus de blessé. En fait, c’est parce que les convois ont été bloqués sur la route.
Puis les convois d’évacuation ont pu reprendre leurs rotations et l’afflux de brancards a repris.

13 mars
Parfois ton voisin de lit reste suffisamment longtemps pour se lier avec lui. C’est alors un plaisir d’entendre parler de son pays, du réconfort d’être à côté d’un nouveau camarade.

14 mars
Les médecins changent de temps en temps, au gré des affectations. Certains sont prétentieux, d’autres gaffeurs ou consciencieux.

15 mars
L’odeur de certains blessés nous assaille. Ils sont rassemblés par tas dans des pièces ou directement sur le dallage des corridors.

16 mars
En entendant les récits de Verdun, je pense aux copains qui sont dans les Vosges : un peu plus à l’abri peut-être ?

17 mars
Pères, frères, maris laissent nombre de veuves et d’orphelins.

18 mars
Les lettres de ma mère me font presque plus de mal que de bien.
Elles m’apportent un peu d’air de chez moi, de mon Criou, mais aussi une nostalgie douloureuse.

19 mars
Chaque matin c’est la question rituelle : qui a survécu à la nuit ? Les infirmières font le tour des dortoirs pour s’en assurer.
Hôpital © cdh1418

20 mars
Les blessures par éclat d’obus s’infectent comme un rien, les éclats entraînant avec eux toutes sortes de saletés.

21 mars
Parfois l’infirmière tente de ne pas voir les larmes qui coulent sur les joues d’un mourant sachant qu’il ne reverra pas les siens.

22 mars
Mon voisin de lit dit au médecin : « Ne perdez pas votre temps avec moi, c’est inutile, je vais mourir. Je ne reverrai pas mes enfants. »
Le docteur essaye de le rassurer, mais ce n’est pas très efficace.

23 mars
Parfois un grand silence règne. On entend alors juste les instruments qui cliquètent, quelques chuchotements des soignants et enfin les roues des brancards qui sont évacués.

24 mars
Un soir, j’entends deux infirmières qui chuchotent : « moi aussi j’ai pleuré en apprenant la mort d’hommes dont je m’étais occupée et que j’aurais voulu voir guérir. Chaque fois j’étais prête à abandonner et retourner chez moi. Et pourtant, je suis encore là. ».

25 mars
J’ai vu le médecin : ma blessure est sérieuse et j’en aurai pour un bon bout de temps avant d’être rétabli.

26 mars
La nuit tombe. Si je suis ici en sécurité, je pense aux copains qui sont dans les tranchées et qui se demandent si c’est leur dernière nuit.

27 mars
Je vais être évacué pour ma convalescence, mais je ne sais pas encore où.

28 mars
J’entends encore le fracas des bombes, même dans le silence de la nuit, dans le silence de ma tête.
Braunkopf, 1915 © blog.osborneink

29 mars
J’ai encore mal, mais au moins j’ai gardé mes deux jambes, mes bras et mon visage intact…

30 mars
Nos têtes sont pleines de cauchemars.

31 mars
Installé sur un brancard, qui a visiblement déjà été utilisé de nombreuses fois, c’est aujourd’hui que je suis transféré.


Sources complémentaires :

Les infirmières dans les premiers temps de la guerre de 1914-1918 
De l'Enfer au Paradis, les hôpitaux de l'arrière en 1916 
Léon Jouhaud : Souvenirs de la grande guerre
B. Nicodème : D'un combat à l'autre les filles de Marie Curie