« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 6 janvier 2018

La généalogie est un voyage

  • La généalogie est un voyage...

Malles © marketmoquette.wordpress.com

Un voyage dans la vie de sa famille.
Un voyage dans son histoire. Et donc un voyage dans l’Histoire : les petites histoires de nos ancêtres rejoignant parfois la grande Histoire.
Un voyage dans la géographie : nos ancêtres sont souvent issus de régions, voire de pays différents [1] : un voyage au pays des plaines, des montagnes, de la mer, des climats, des langues…

  • La généalogie est un sentiment...

Passion, pour ceux qui ont attrapé le virus.
Patience, pour ceux qui font des recherches.
Humilité aussi, devant ce qui nous est offert, ou non.
Partage, pour ceux qui pensent que nos ancêtres ne nous appartiennent pas en propre.
Générosité, pour ceux qui pratiquent l’entraide sans rien attendre en retour.

  • La généalogie est une découverte...

Au fur et à mesure de la pratique on découvre des mondes inconnus, oubliés, disparus. Pour entrer dans ces mondes il faut une clé : le vocabulaire.
La généalogie est un voyage multiple :
Un voyage dans l’univers des monnaies : livre, sol, patagon…
Un voyage dans l’univers des tissus : serge, ritte, indienne…
Un voyage dans l’univers des titres : sieur, spectable, égrège…
Un voyage dans l’univers du parlé local : espued, serpentier, ruage…
Un voyage dans l’univers des mesures : sétérée, journal, bonnier…
Un voyage dans l’univers du vocabulaire administratif : feu, résidence, domicile…
Un voyage dans l’univers des métiers : notonnier, maréchal en œuvres blanches, grangier…
Un voyage dans l’univers des pratiques religieuses : ondoiement, extrême-onction, baptême sous condition…
Un voyage dans l’univers de l’écriture : paléographie, déchiffrage, devinette !
Un voyage dans l’univers des notaires : collégié, (ab) intestat, nuncupatif…
Un voyage dans l’univers des militaires : matricule, T.M., croix de guerre…
Un voyage multidisciplinaire, en somme. [2]

  • La généalogie est un apprentissage...

En permanence on apprend de nouvelles choses, des nouvelles notions, de nouvelles coutumes. Il suffit d’un document à déchiffrer, d’un article à rédiger, d’un billet lu qui aiguise la curiosité.
Un voyage dans le savoir.


Et après ça, qu’on ne me dise plus que la/le généalogiste ne se préoccupe que des morts !
Et après ça, qu’on ne me dise plus que la généalogie ne sert à rien !


[1] D’ailleurs, merci aux généablogueurs qui nous font découvrir les caractéristiques  - souvent inconnues pour moi - du pays basque, des hautes vallées des Pyrénées, de l’Alsace ou l’exotisme de la Réunion, du Québec, de l’Algérie, de la Russie... Je ne peux pas tous les citer : ils se reconnaîtront.
[2] Vous pouvez retrouver les définitions de ce vocabulaire varié sur la page Lexique de généalogie sur ce blog; page qui s'enrichit régulièrement au fur et à mesure de mes recherches...


dimanche 31 décembre 2017

#Centenaire1418 pas à pas : décembre 1917

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de décembre 1917 sont réunis ici.

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 

1er décembre
Départ à 7h. Itinéraire : Ca Vico, Nuove, Castello di Godego, Valla, Casella. On arrive à midi.

2 décembre
Départ à 9h. Itinéraire : Attivola, San Appolinare, Casella, Asolo, Posa, Castelcucco. Arrivée à 14h. Installation dans les cantonnements.
Carte Stroppari-Castelcucco

3 décembre
Départ à 8h45. Le village doit être de Castelcucco doit être évacué avant 9h : on bivouaque dans le vallonnement SO de Castelunga de 9h30 à 16h30 avant de pouvoir rejoindre notre cantonnement du soir à Pieve et Granigo.

4 décembre
Reconnaissance par les cadres des emplacements de leurs unités : le bataillon doit être en réserve de groupe.

5 décembre
Départ à 4h. Chaque unité gagne les emplacements qui lui sont assigné : des vallonnements orientés NS dans lesquels il n’existe aucune organisation. Nous construisons des abris légers et commençons des sapes.
Notre compagnie, la 8e et le SHR sommes assignés au Ravin de La Costa. La Division tient le secteur de Monte Tomba/Monte Monfenera. La 6e connaît des pertes.
Monte Tomba © magicoveneto.il

6 décembre
On améliore l’installation et les sapes. L’aviation ennemie se montre active : de nombreux appareils survolent la région.

7 décembre
L’activité de l’artillerie ennemie augmente. Plusieurs villages sont soumis à un tir de harcèlement assez conséquent entraînant des pertes. Un peloton va travailler chaque nuit en 1ère ligne où il va creuser le boyau de La Castella.

8 décembre
Recrudescence de l’activité de l’artillerie ennemie. Nous subissons des pertes, notamment un sergent de notre compagnie.

9 décembre
Quelques rafales, principalement sur le chemin Granigo-La Costa. Le lieutenant Henry, venu du 370e RI, est affecté à notre compagnie.

10 décembre
Assez grande activité de l’artillerie et de l’aviation ennemie. Fréquents tirs de harcèlement. Plusieurs pertes parmi les hommes.

11 décembre
Après une nuit assez calme, dès 7h des bombardements violents sur la Piave. De 15h30 à 16h de nouveaux tirs de harcèlement. Malgré la brume les avions ennemis survolent la région. De nombreuses pertes, dont 2 dans notre compagnie.
Panorama © frontedelpiave.info
Point rouge : Monte Tomba
Point orange : Monte Monfenera
Point vert : vallée de la Piave

12 décembre
En vue d’une relève prochaine, reconnaissance dans le secteur du 11e bataillon. Nuit nerveuse aux rafales fréquentes. Relève du 11e à la chute du jour ; terminée à 22h. Notre compagnie est affectée au sous quartier B à La Castella.
La ligne est constituée par une seule tranchée, discontinue par endroit, de La Castella au Monfenera. La Castella est la clé de la défense : les pentes N abruptes sur la Piave en interdisent l’accès. Les mitrailleuses sur l’arrête permettent de stopper l’ennemi sur le Monfenera.

13 décembre
Quelques rafales, aviation active.  Bombardements violent sur La Castella à partie de 9h. Un chasseur de notre compagnie blessé par une balle.

14 décembre
Nuit calme. Pendant la journée l’artillerie este silencieuse mais l’aviation se montre toujours active.

15 décembre
Nuit calme. Dans la matinée rafales sur les tranchées du Mont Castella. Nous apprenons la catastrophe du chemin de fer de Saint-Michel-de-Maurienne : un train de permissionnaires revenant du front italien a déraillé. On compterait plus de 400 morts !Quelle horreur !

16 décembre
Notre artillerie et notre aviation se montre active. Faible activité de l’ennemi. Les travaux sont poussés très activement : on creuse des sape, relie des tranchées, approfondit des boyaux …

17 décembre
Nuit calme. Artillerie ennemie peu active. Il a neigé : cela complique les choses, notamment pour repérer les pistes de la rive gauche du Piave. Un autre blessé dans notre compagnie par éclat d’obus.
Front italien neige, 1917 © Gallica

18 décembre
A 6h30 deux soldats ennemis tentent de s’approcher de nos lignes : sous les coups de feu de nos chasseurs ils se rendent. Ils appartiennent au 1er Régiment Bosniaque de la 50e DI autrichienne.

19 décembre
Dans la nuit nos patrouilles déterminent un lancement de pétards et de grenades.

20 décembre
Nos patrouilles repèrent deux postes ennemis en avant du Monfenera. L’artillerie ennemie reprend de l’activité. Quelques rafales sur La Castella. Vers 21h le bataillon est relevé par le 11eme. L’emplacement de réserve attribué à notre compagnie est situé au ravin de La Costa.

21 décembre
Calme. Installation.

22 décembre
A 2h15 une rafale d’une cinquantaine d’obus, dont quelques uns toxiques s’abat sur le ravin de La Costa. Quelques camarades sont indisposés. On améliore les sentiers muletiers.

23 décembre
A 6h30 rafales analogues à celles de la nuit précédente. Ordre de bataillon n°175.

24 décembre
Quelques obus à nouveau. Reconnaissance par les commandants de compagnie du secteur du 12eme bataillon en vue d’une relève prochaine.

25 décembre
L’activité de l’artillerie ennemie est toujours faible mais l’aviation se montre active : plusieurs appareils survolent les ravins à très faible hauteur. Encore un Noël sur le front. Le troisième. Cette fois en Italie. On peut dire que je vois du pays.
Peut-être aurons-nous de l’oie pour fêter ça…
Soldat chassant l'oie, sans date ©  Gallica

26 décembre
Journée calme. A la nuit on relève le 12e, sans incident. On démarre déjà les travaux d’aménagement des tranchées. Chute de neige.

27 décembre
Il paraît qu’il y a des instructions secrètes du Général commandant la Division annonçant que 3 bataillons, dont le nôtre, attaqueront les positions ennemies avant la fin de l’année afin de reprendre le Monte Tomba. On nous envoie reconnaître les 1ères lignes et le terrain d’attaque.

28 décembre
Nouvelles chutes de neige. On procède à des réglages de tirs d’artillerie. On a fait un prisonnier du 37e RI Hongrois. Préparation du plan d’attaque et préparatifs de toutes sortes : constitution de dépôts, reconnaissances du terrain, etc…

29 décembre
L’ordre d’attaque est précisé.

30 décembre
A 4h notre compagnie est relevée par le 12e. On retourne en réserve dans le haut de Comazzetto. Avant le jour les unités d’assauts font des brèches  dans les défenses accessoires, des gradins de franchissement du parapet. Des patrouilles reviennent avec de précieux renseignements sur les lignes ennemies particulièrement bien organisées. L’attaque est prévue à 16h5. Le tir de destruction commence à 12h. A l’heure H les compagnies d’assaut sortent des tranchées et marchent sur leurs objectifs. 16h15 : la 1ère ligne ennemie est enlevée. 150 prisonniers sont dirigés vers l’arrière.16h25 : tous les objectifs sont atteints. 16h50 : on s’organise sur la position conquise. Pertes : 13 tués, 45 blessés. La joie remplace la fatigue sur le visage des hommes. Nuit relativement calme, sauf une contre-attaque vers minuit rapidement dispersée par les feux des mitrailleuses.
A l’assaut du Mont Tomba © chemindememoire.gouv.fr

31 décembre
Journée calme. De minuit à 6h nous sommes relevé par le 54e. Plusieurs blessés. J’ai appris le décès de Lucien Isidore Beauchet, tombé hier sur les pentes du Monfenera. C’était un brave gars originaire de la Creuse.


dimanche 24 décembre 2017

Le Christ en frêne

Récemment en visite chez ma jeune sœur, elle me prête sa chambre pour dormir. Sur le mur j’aperçois un crucifix. Il est tout simple. En bois de frêne. Ce n'est même pas vraiment un crucifix : juste un Christ en croix. Ses bras sont relevés, ses jambes jointes. Ses membres sont très allongés. Il penche la tête sur le côté, comme si elle reposait sur son bras gauche. Les détails sont à peine esquissés : tête, côtes, perizonium. On voit encore les marques de l’objet qui a servi à le sculpter.


Christ sculpté, Jean Astié, 1956 © Coll. personnelle

Je ne suis pas croyante : ce Christ ne représente donc rien pour moi sur le plan spirituel. Par contre, il m’a beaucoup émue. En effet l’objet lui-même, par sa simplicité, par le travail de sculpture effectué, par sa forme, m’a touché. Je l’ai trouvé très beau. Il n’est pas d’or, n’est pas décoré de pierres précieuses et, d’évidence, il n’a pas été réalisé par un grand nom de la sculpture. Et pourtant. J’ai été émue. Véritablement.

J’ai fait part de mon émotion à mon père et ce qu’il m’a raconté m’a d’autant troublée : il possédait ce Christ depuis un long moment déjà et l’a offert à ma sœur lorsque, parvenue à l'âge adulte, elle s’est fait baptiser. Effectivement, si nos parents ont reçu une éducation religieuse (catholique), ils nous ont toujours, à mon frère, ma sœur et moi-même, laissé la liberté de croyance. Et plutôt que de nous faire baptiser (et par là « imposer » une certaine religion) lorsque nous étions nourrissons, ils ont préféré nous laisser faire nos propres choix, en toute conscience ; à l’âge adulte donc. C’est ainsi qu’il y a quelques années ma sœur s’est fait baptiser. C’est à cette occasion que mon père lui a offert le fameux Christ qui orne aujourd’hui sa chambre.

Or donc, mon père me raconte cette histoire et m’en apprend encore davantage sur son origine : c’est mon oncle Jean (frère aîné de mon père) qui l’a sculpté ! Les bras m’en tombent ! Je savais que mon oncle a toujours aimé travailler le bois et qu’il aurait souhaité devenir menuisier (la vie en ayant décidé autrement), mais j’ignorais ses talents de sculpteur !

Aussitôt je le contacte et lui relate cette anecdote. Et là il m’en raconte une plus belle encore : il a sculpté ce Christ alors qu’il était jeune homme ! Un jour qu’il était chez les scouts (toute la fratrie, ainsi que mon père bien sûr, y est passée), il pleuvait beaucoup. Tout l’après-midi. Alors pour s’occuper, il a pris un morceau de bois et a sculpté ce Christ. C’était en juillet 1956 croit-il se souvenir. Le camp scout tout entier était paralysé par le mauvais temps et ils envisageaient un retour précipité à Angers quand le soleil est revenu. Ils sont donc restés sur place et ont poursuivi le cours normal de leurs activités. Avec un grand feu ils ont tout de même pris de temps de fait sécher tous leurs vêtements « qui commençaient à sentir le moisi » (je cite).

Et voilà que ma première émotion née de la vision de ce Christ se trouve doublée d’une seconde, directement issue de l’histoire familiale : le fait de savoir que c’est mon oncle qui a fait de ses propres (jeunes) mains ce si beau crucifix.

Sans cette pluie, ce Christ n’aurait probablement pas vu le jour. A quoi ça tient finalement…