« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 20 mai 2022

#52Ancestors - 20 - Jeanne Françoise Denarie

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 20 : Habillement

 

 

Tout comme les aliments et boissons de la semaine dernière, c’est un document notarié qui nous donne des informations sur l’habillement.

 

Lorsque Jeanne Françoise Denarie se marie avec Joseph Anthoine, en 1731 à Morillon (74), il lui est promis un certain nombre de vêtements dans son contrat de mariage. Elle appartient au milieu des notables de la ville. Ses parents lui promettent plusieurs centaines de livres (on parle d’argent ici, hein, pas de lecture !), des animaux, du linge de maison et des vêtements qu’on fait venir de loin.

 

  • En premier lieu, « un habit neuf de sarge de l'ondre noir ». La sarge, ou serge, est une étoffe présentant de fines côtes obliques, mince et légère, généralement de laine (mais peut aussi être en soie). Quant à « l’ondre », je me suis demandé ce que cela signifiait, jusqu’au moment…  où je l’ai prononcé à haute voix. L’ondre… Londres. Ce vêtement noir vient donc d’Angleterre ! Il a parcouru plus de 1 000 km.

Est-ce à cela que ressemblait la robe de Londres ?

  • « Un autre habit presque neuf en façon de l'ondre de coulleur bleue ». Un deuxième vêtement vient de Londres, de couleur bleue cette fois. On remarquera le « presque neuf » caractérisant l’état de l’habit. A-t-il été déjà porté par d’autres ? Par la future qui l’aurait eu par anticipation ?

 

  • « Un autre habit de sarge de [… ?] tout neuf ». Un mot n’a pas pu être déchiffré, sans doute était-ce la provenance de l’habit.

 

  • « Un autre habit moittie usé deux corps bas un de droguet et l'autre de sarge de l'ondre avec leurs manches de rattines presque neufs ». Encore un vêtement « moitié usé ». Cet habit est composé de deux parties (« deux corps »). Le corps bas, la jupe, est double : l’une est en droguet, une étoffe grossière, de peu de prix, de laine ou généralement de serge, moitié fil et moitié laine, formant une sorte de drap mince. On peu parfois y faire entrer aussi de la soie (droguet satiné), de l'or ou de l'argent - et n'a plus rien à voir avec le mauvais droguet. La deuxième est en sarge. Le tout a été fabriqué à Londres. La partie haute est caractérisée par ses manches de ratine, qui est une étoffe de laine ou drap croisé dont le poil est tiré en dehors par cardage et frisé de manière à former comme de petits grains. C'est un tissu épais et chaud, servant à la confection des vêtements d'hiver.

 

  • « Une camisolle de sarge de vallence presque neuf ». La camisole est un vêtement court ou long et à manches, qui se portait sur la chemise. Cette fois, sa provenance est Valence à l’Ouest du massif du Vercors (aujourd’hui dans le département de la Drôme), à 280 km de Morillon.

 

  • « Une [reliure étroite] usée de toisle drapt neuve ». Le vêtement suivant n’a pas été identifié à cause d’une reliure trop étroite.

 

  • « Deux cotillons de toisle drapt, un neuf et l'autre le [reliure étroite] tier usé ». Viennent ensuite deux cotillons, qui sont des jupes de dessous (jupons). Ils sont en drap, étoffe résistante de laine (pure ou mêlée à d'autres matières) dont les fibres sont feutrées (foulage) et le tissu est lainé. L’un est neuf, l’autre usé au tiers ( ?)

 

  • « Une dousaine de chemise scavoir huit neuves et les autres quattre d'indienne presque neufs et les autres huit presque neuf ». Bon, je ne comprends pas trop le calcul du lot suivant : 8 + 4 + 8 = 12 (sic). Ceci dit mis à part, ces chemises sont neuves ou presque neuves. Quatre sont d’indienne, une toile de coton peinte ou imprimée à décor de fleurs, feuillages et oiseaux provenant à l'origine des Indes, puis fabriquée en Europe.

 

Aucune chaussure n’est mentionnée.

 

Le futur marié donne à sa promise « un habit droguet dangleterre pour marque d’amour et d’amitié qu’il a pour ladite Jeanne Françoise Denarie » [ce qui confirme l’hypothèse de la provenance anglaise de ces vêtements].

 

Au total, la future mariée reçoit plus d’une vingtaine de pièces de vêtements, dont certains viennent de très loin.

 

Selon Saor alba, association écossaise, « la Grande-Bretagne demeurait plutôt puritaine dans ses mœurs et cela se voyait sur les vêtements. Rares étaient les robes à motif, les Anglaises préféraient les teintes unies et une faible présence de passementeries. » Mais est-ce à dire que la robe de l’ondre obéissait à ces caractéristiques de sobriété ? Hélas, difficile de répondre. Le contrat de mariage est assez détaillé… mais pas encore assez ! Il ne nous permet pas de savoir clairement à quoi ressemblaient ces tenues.

 


vendredi 13 mai 2022

#52Ancestors - 19 - Geraud Turlan

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 19 : Aliments & Boissons

 

Geraud Turlan est paysan à Entraygues (12) en 1687. Comme pour le laboureur (voir l’article de la semaine dernière), le paysan recouvre des réalités bien différentes selon les régions et les époques. Difficile, parfois, d’apprécier la réalité de sa vie à partir de ce simple mot. D’ailleurs, Geraud est aussi parfois qualifié de laboureur (en 1702).

Je ne sais pas si Geraud était propriétaire ou non de ses terres, mais sa famille demeure au village de Mejanasserre depuis plusieurs générations, tous dits paysans. 

Je pense que la famille était plutôt aisée, au vue des donations faites dans les contrats de mariage et testaments (plusieurs centaines de livres par enfants). De plus, ils fréquentent des notables (maître tourneur, docteurs en théologie, marchand, maître chirurgien, bourgeois). Le père de Geraud apparaît comme donateur dans le rôle des aumônes pour deux quarts de seigle. En 1724 il est lui-même dit marchand.

 

Dans ces documents, on y apprend ce que mangeaient (en partie) les membres de la famille. En effet, dans son testament de 1721 Géraud prévoie une « pension viagère » à son épouse, Hélix Soulié, si elle lui survit. Elle devra être, sa vie durant, logée dans sa maison, habillée « selon sa condition » et nourrie. Hélas, si d’aventure une mésentente survenait avec les héritiers du défunt, le testateur prévoit une pension pour sa veuve. Celle-ci est assez bien détaillée et nous donne une idée de son alimentation ordinaire.

 

La pension prévoit d’abord « trois setiers de blé seigle ». Le setier est une mesure de capacité pour les grains. Mais il y avait un grand nombre de setiers différents en usage en Aveyron (sans parler du reste du royaume). A Entraygues le setier valait environ 70 litres (d’après l’édition de 1841 du Tableaux de conversion en mesures métriques des anciens poids et mesures du département de l’Aveyron), ou un peu plus de 5 boisseaux, soit un total de 210 kilos annuels.

Le « blé seigle » désigne le seigle, par opposition au « blé froment » par exemple, le meilleur blé pour la production de la farine (les termes de blé ou froment peuvent être utilisés indifféremment), ou le « blé meteil » qui est un mélange de blé et de seigle. Le seigle donne une farine plus foncée que le blé, au goût plus prononcé et aux rendements moindre, mais il est plus rustique plus, résistant au froid, plus précoce et surtout mieux adapté aux terres froides. Bref, c’est le blé des terrains pauvres et des climats rudes.

 

Geraud donne ensuite à son épouse « quatre setiers de châtaigne, trois sèches et un vert ». La châtaigne est une production majeure en Rouergue, en parallèle du seigle, avoine et prés. On estime d’un tiers des surfaces est occupé par les châtaigneraies. Cela en fait un arbre essentiel pour les ressources de la région. « La châtaigne est vue comme une ressource nutritive de base : 2 kg de châtaignes fournissent 4 000 calories, soit davantage qu’une terre labourée en céréales. Pour couvrir la consommation d’une famille de 4/5 personnes pendant 7 mois, 2 hectares de châtaignes suffisent. »* Et la châtaigne nourrit aussi les animaux. Cette culture est l’une des seules plantes qui permet raisonnablement la mise en valeur des terres froides pour y produire des subsistances (E. Le Roy Ladurie).

En Limousin, autre grande terre de châtaignes, elles ont longtemps été la base de l’alimentation en remplaçant souvent le pain. On les mange en plats sucrés ou salés : châtaignes simplement bouillies, grillées, blanchies ou bien en crème de marrons, gâteaux de châtaignes, farci de volaille, boudin aux châtaignes, soupe aux marrons… et même en liqueur. Un dicton disait : « La châtaigne c’est le pain du pauvre, le dessert du riche et le bonbon de l’enfant. »

On remarque que Geraud donne davantage de châtaignes que de seigle. 

 


Est donné ensuite « un quart huille ». Étant donné le lieu où l’on se trouve, c’est forcément de l’huile de noix. Quant au « quart », ne s’agit-il pas de la « quarte », soit environ 17,5 litres (mesure d’Entraygues) ?

 

Il prévoit aussi « quinze livres de lard salé », soit environ 7 kg.

 

Vient ensuite « un ledier de sel ». Le sel (ici nommé) et le lard salé (vu précédemment) indiquent non seulement que c’était une denrée utilisée dans ces hautes terres mais qu’elle était précieuse puisqu’on prend la peine de la nommer dans des documents aussi importants que les testaments ou contrats de mariage. Quant au « ledier », il s’agit peut-être de la mesure appelée «  ladière » ou « liadère » qui vaut 1/6ème de setier, soit une douzaine de kilos. Rappelons que cette denrée n’était pas utilisée seulement en accompagnement comme aujourd’hui, mais aussi en moyen de conservation.

 

Enfin, le testament prévoit « quatre setiers de demy vin et deux setiers de bon vin ». Le demy vin est vin de pressurage, c'est-à-dire un jus résultant du pressurage du marc (restes solide de la vendange) donnant un vin plutôt ordinaire, moins coloré et moins fruité. Le total est d’un peu plus de 450 litres.

 

Le testament prévoit aussi l’habillement et la literie, mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui. On pourra néanmoins noter que Geraud permet à son épouse « la faculté de prendre du jardinage et du bois pour son chauffage ». Je ne sais pas à quoi correspond le « jardinage » : potager peut-être ?

 

Pour l’anecdote, ce passage du testament est la copie conforme du testament de son père (prénommé aussi Geraud, bien sûr), rédigé 28 ans plus tôt, dans une autre étude notariale. Mon hypothèse est qu’il a conservé le testament de son père et lorsqu’est venu le temps de rédiger le sien propre il a suggéré au notaire de reprendre ce passage mot à mot. E t trois ans plus tard, il reprend le même thème dans le contrat de mariage de son fils Joseph pour assurer la subsistance de la mère du futur, Hélix Soulié. Dans ce document il existe quelques différences minimes, comme la précision de la nature de l’huile, qui est bien de l’huile de noix.


Et voilà Hélix bien protégée et sa survie assurée !

 

* Y. Truel : La châtaigne, une denrée oubliée dans les rentes seigneuriales et les dîmes ecclésistiques du Haut-Ségélé quercynois (Persée)

 

 

 

vendredi 6 mai 2022

#52Ancestors - 18 - Claude Joseph Robin

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 18 : Quelle était leur vie en société ?

 

Quand je rencontre Claude Joseph Robin, il est laboureur à Martignat (01). Né en 1717 (et mort en 1784), il est fils de François, lui-même laboureur. Il est son probable fils aîné, bien que les registres étant lacunaires, il est difficile de l’affirmer avec certitude.

 

Ce métier de laboureur recouvre des réalités un peu floues, différentes selon les régions et les époques :

  • Le laboureur peut être un simple traceur de sillons, n’ayant d’autre moyens de travail que ses bras et son savoir-faire, mais ne possédant pas d’attelage ; il est alors dit « laboureur à bras ».  Ce savoir-faire est néanmoins complet : « préparer la terre (essarter, épierrer, aménager des fossés), labourer (avec bœuf, cheval, mulet, âne), fumer la terre, semer, sarcler, moissonner, conserver les blés »*.
  • Il peut aussi être propriétaire d’une charrue et d’animaux de labour, se louant avec ses bêtes de ferme en ferme pour les travaux agricoles ; il peut alors être qualifié de « laboureur à bœufs ».
  • Mais il peut être aussi locataire ou même propriétaire de ses terres, et donc placé plus haut dans l’échelle sociale. Ce laboureur n’a plus rien à voir avec l’indigence car il implique un certain capital afin d’entretenir les bestiaux en plus des investissements liés aux instruments, aux semences, fourrages, etc… Il est entrepreneur mais aussi pourvoyeur d'emplois, puisqu’il entretient une domesticité permanente ainsi que, durant les gros travaux agricoles, des travailleurs saisonniers. C’est un paysan qui s’est enrichi. Il est aisé. Il a un statut reconnu dans la communauté, considéré comme un notable des campagnes, très présent dans les assemblées villageoises. Il peut prétendre à des unions avec la noblesse locale. On leur donne alors le qualificatif d’"Honorable" ou de "Maître".  Certains sont très riches, d’autres moins, ils représentent néanmoins l'élite de la paysannerie.

 

Je pense de Claude Joseph appartient à cette dernière catégorie. Son père est ainsi qualifié d’Honorable.

Pour confirmer cette hypothèse de paysan aisé, il faudrait trouver un inventaire après décès mais les inventaires et registres notarial de Martignat ne sont pas en ligne.

Cependant ma « cousine » Bernadette a trouvé un document en allant sur place, qui semble confirmer cette hypothèse. Une lettre extraite de l’étude de Me Andrea, signée de Claude Joseph et rédigée en 1748. Par cette lettre il « confesse avoir reçu du sieur Benoist Picquet [...] la somme de quinze livres deux sols six deniers ». Or, dans ce document, il se présente comme « scindic de la paroisse de martignat » pour l’année 1747.

 

Le syndic est un notable chargé de représenter, d'administrer et de défendre les intérêts d'une paroisse ou d'une communauté rurale. « Il fait & reçoit les mémoires qui regardent les affaires ou les intérêts de la communauté ; il contrôle & corrige les actions & les fautes des particuliers qui dépendent de la communauté, ou du-moins il les fait blâmer ou réprimander dans les assembles publiques. » **.

Dans le cas d'une paroisse, il est généralement élu par une assemblée constituée des hommes considérés comme les « chefs de famille » de la paroisse. Les modalités d’élection/nomination sont variables et changent plusieurs fois pendant le XVIIIème siècle. Ordinairement, la communauté d'habitants se réunissait “dans la manière ordinaire à la sortie de la messe de dimanche” pour élire, pour un ou deux ans, un habitant pour les représenter comme syndic.***

L’administration royale précise peu à peu leur rôle et nomination. On préconisait ainsi que les syndics soient choisis parmi les “personnes intelligentes et qui sachent écrire”***, la population qualifiée de « la plus saine, la plus compétente »****. Les habitants proposaient plusieurs personnes aptes à remplir la fonction et leurs noms étaient mis aux voix par la communauté réunie. Étaient élus (ou cooptés : souvent ce sont les même hommes qui exercent cette fonction à tour de rôle) celui ou ceux qui en remportaient le plus. Ladite communauté n’est composée que des hommes, comme ont l’a dit plus haut. Normalement la présence de tous était obligatoire. Ces réunions avaient lieu tous les ans (ou deux ans) et élisaient donc des « syndics annuels ». Au début du XVIIIème siècle, la monarchie créa la charge de « syndic perpétuel » qui devait représenter non seulement la communauté d'habitants mais aussi l'administration royale.*** La charge fut éphémère (supprimée en 11717), mais on le trouve parfois dans nos archives familiales. Les syndics sont donc élus parmi les notables de la ville ; c’est pourquoi Claude Joseph s’est retrouvé dans cette fonction en 1747.

 

Le rôle du syndic se précise peu à peu : il peut convoquer l'assemblée de la communauté et veiller aux réunions de ces assemblées ; il gère les affaires fiscales de la communauté ; il est chargé de fonctions relatives à la levée des impôts et à l'adjudication et la réparation des églises et des presbytères ; il s'occupe du recrutement de la milice ; il gère la garnison des troupes dans le village ; il administre les corvées; il préside aux affaires légales qui pouvaient intéresser la communauté. Néanmoins, les attributions des syndics continuent à rester variables selon les endroits et les époques.***

 

Pieter Brueghel, Le collecteur des tailles, 1617 - détail - Wikimedia commons


Je n’ai malheureusement pas plus d’exemples concrets concernant l’activité de syndic de Claude Joseph Robin. Par la suite il deviendra « hobergiste » : en tant qu’aubergiste il a dû avoir aussi une « vie en société » importante. Mais ça, c’est une autre histoire…

 

 

* Olivier de Serres : Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs, publié en 1600.

** Encyclopédie, 1751

*** Cynthia Bouton : Les syndics des villages du bassin parisien des années 1750 à la Révolution

**** Les Syndics - Conférence présentée par Claude R. en janvier 2005 à Saint Méard de Dronne