« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 29 avril 2023

L'héritage d'Antoine Astié

En 2020 sur ce blog j’avais raconté comment j’avais retrouvé les maisons de mes ancêtres Astié à Conques (12) – voir ici.

Grâce aux recherches effectuées aux archives de Rodez j’ai trouvé des informations complémentaires.

 

Rappel des protagonistes :

- Antoine Astié (1732/1809), marié en 1769 avec Marguerite Paul (1741/1816), dont :

  • Pierre Astié (1772/1836), marié en 1797 avec Marianne Frances (1772/1840), dont :

- Marianne Astié (1800/1847) mariée en 1827 avec Jean Antoine Dujou (1800/1872)

- Marie Jeanne Astié (1802/1840) mariée en 1827 avec Jean Antoine Marty (1800/1882)

- Christine (1804/1853) mariée en 1833 avec Geraud Roux (1809/1881)

  • Augustin Astié, mon sosa 64 (1774/1861), marié en 1805 avec Catherine Chivalié (1784/1866)

  • Marie Anne Astié (1776/1843), mariée en 1799 avec Jean Pierre Barbes (1772/1836)

 

Arbre Antoine Astié et ses enfants

 

Lors de la création du cadastre napoléonien dans les années 1840 Antoine Astié et son épouse sont décédés, de même que Pierre (le fils aîné) et son épouse Marianne. Comme expliqué dans l’article précédent, la fille cadette d’Antoine, Marie Anne, quitte Conques avec son mari et n’est donc plus concernée par le patrimoine conquois. Christine, la fille cadette de Pierre, fait de même dans les années 1830. Sur le cadastre apparaissent donc les deux premiers gendres de Pierre, Jean Antoine Dujou et Jean Antoine Marty, ainsi que mon ancêtre Augustin Astié.

Le premier possède les parcelles 138 et 141, le second la 135 et mon ancêtre la 96.

 

Cadastre Conques © AD12

 

J’avais émis l’hypothèse que Jean Antoine Dujou avait hérité sa maison (et des terres) de son beau-père puisqu’il était originaire d’une autre paroisse.

 

Ce patrimoine se trouvait-il déjà en possession des Astié lors de la génération d’Antoine ?

 

J’ai d’abord trouvé aux archives une donation passée le 1er fructidor an XIII (19/8/1805) devant Me Pierre Paul Flaugergues, notaire à Conques (3E31246) entre les époux Astié et leur fils aîné Pierre : les premiers "voulant donner à pierre Astié leur fils ayné des marques de leur affection" donnent "purement et simplement par donation entre vifs a jamais valable et irrevocable audit Pierre Astié ici présent et acceptant, le quart de la totalité de leurs biens meubles, immeubles présents [...] par preciput* avantage avec dispense de toute imputation sous la réserve de l'usufruit leur vie durant".

Lesdits biens sont situés en totalité dans la commune de Conques. Le document les détaille : "scavoir ceux dudit Astié en maison, jardin, vignes, prés, nogaretes**, terres, bois dans toute leur contenance, évalué le tout quatre mille francs, et revenant pour le quart à mille francs". 4 000 francs, c’est tout de même une certaine somme : les Astié étaient aisés.

La donation comprend en outre "le quart du mobilier dont le détail suit : deux tonneaux, deux cuves vinaires, deux barriques, une grande chaudiere et deux autres moyennes, une conche***, un seau, une marmite le tout cuivre, douze assiettes, trois plats, dix ecuelles, dix cuillères à bouche, deux pots le tout étain, douze serviettes, quatre nappes, quatre linceuls****, trois armoires et autres meubles ordinaires". La présence des cuves et tonneaux s’expliquent par le fait qu’Antoine et Pierre étaient vignerons. On remarque que le mobilier ordinaire (table, lit…) n’est pas détaillé précisément.

Enfin, la donation concerne aussi les biens de Marguerite Paul, qui est "expressement autorisée » par son mari à donner à son fils « le quart [de ses] biens consistant aux reprises**** qu'elle a sur les biens dudit Astié son mari à deux cents francs".

 

Pourquoi cette donation très privilégiée au fils aîné au détriment du cadet (et de la fille) ? Est-ce juste au nom du droit d’aînesse ou y avait-il un attachement particulier des parents à ce fils ? Impossible de répondre à cette question, bien sûr. Quoi qu’il en soit, cet acte donne un premier aperçu du patrimoine familial, qui est plutôt confortable.

 

La succession d’Antoine en 1809 (tables de succession du bureau de Conques 50Q252 et registres de mutation 50Q139), trouvée elle aussi aux archives, est très précise puisque ses biens sont inventoriés.

 

Pierre Astié, propriétaire, comparait tant pour lui que pour Augustin et Marie Anne Astié ses frère et sœur. Il déclare que son père est décédé dans sa maison de Conques (sans préciser le lieu de cette maison, hélas pour moi, mais son acte de décès dit qu’elle est située « Au Palais »). Une autre donation au comparant est citée dans ce document, faite à l’occasion de son contrat de mariage en date du 6 germinal an VII - 26/3/1799 (ce qui est curieux car le mariage de Pierre est daté, lui, du 28 prairial an V, soit deux ans auparavant) ; je n’ai pas encore pu vérifier s’il y a bien un document à cette date. Cette donation était composée d'un tiers des biens du défunt. Ce qui signifierait que Pierre a reçu un tiers des biens parentaux lors de son mariage puis un quart 6 ans plus tard.

 

Selon la succession il est échu aux trois enfants les terres suivantes :

"- une châtaigneraie et bois taillis dit de feifreley de 10 sétérées; revenu 10 [?] fcs, capital 400 fcs
- un pré à la Salesse, 1 sétérée 29 quarte; revenu 30 fcs, capital 600 fcs.
- un lopin de terre dite canteserp, contenance 2 premires [ ?]; revenu 50 fcs; capital 10 fcs.
- terre et vigne au terroir de las combes, 1 sétérée; revenu 10 fcs, valeur 200 fcs.
- autre vigne las combes, 15 journées; revenu 40 fcs, valeur 800 fcs.
- une nogarete* à las combes, 1 quarte; revenu 7,50 fcs, valeur 150 fcs.
- un petit jardin audit lieu, 2 premières; revenu 6 fcs, valeur 120 fcs.
- terre rocher et brassier à rocassou, 6 sétérées; revenu 15 fcs, valeur 300 fcs.
- châtaigneraie et bois à catet, 14 sétérées; revenu 40 fcs, valeur en capital 800 fcs.
- autre châtaigneraie au méja, 8 sétérées; revenu 10 fcs et valeur au capital 200 fcs"
.

Le capital c'est ce que l’on touche si on vend (ou paye si on achète), le revenu c'est ce que cela rapporte (par an le plus souvent) – merci à @cecile_kza pour cette précision.

 

J’ai pu situer la majorité de ces terres sur une carte. Et je les ai retrouvées (toutes sauf deux) dans les possessions des héritiers probables d’Antoine sur le cadastre napoléonien : son fils Augustin et ses gendres Dujou et Marty.

 

Tableau des possessions d’Antoine transmises aux héritiers

 

Reste la question de la maison. La succession mentionne "une petite maison-séchoir à Conques non affermée, d'un revenu de 25 fcs et valeur en capital de 500 fcs". Le quartier n’est pas mentionné. Parmi les maisons des héritiers, j’écarte celle d’Augustin, située dans le bas de Conques et non « Au Palais » comme le précise l'acte de décès d'Antoine.

Dans le cadastre napoléonien, Augustin possède bien une petite maison et un séchoir, mais ces bâtiments sont situés près du pont romain, sur le Dourdou (en fond de vallée) et il ne les obtient qu’en 1911 : ce ne peut absolument pas être la maison d’Antoine. 

Dans mon article précédent j’avais émis l’hypothèse que cette maison était la parcelle 138, appartenant à Jean Antoine Dujou. Mais elle fait 1,40 are et compte 4 portes et fenêtres : c’est la plus grande de toutes les maisons familiales. Dujou dispose aussi de la parcelle 141 qui mesure 27 centiares (soit 27m²) et n’a que 2 portes et fenêtres. Elle est donc beaucoup plus petite. Elle est qualifiée de maison en 1840, mais il n’y a pas de séchoir. Le seul séchoir du quartier est situé en bas de la rue du Palais, parcelle 143. Il appartient à Jean Pierre Servieres (folio 501).

Le qualificatif de "petite" maison dans la succession me ferait pencher vers la 141 plutôt que la 138 comme maison d’Antoine. Mais après tout cet adjectif n’est-il pas subjectif ? Ou était-elle réellement petite ? Comment savoir ? Antoine habitait-il une maison de 27m² ? Ou est-ce en fait le séchoir, plus tard qualifié de maison ?

 

"Les meubles existants dans sa maison, effets et cabaux*****" sont évalués à 300 francs.

Le document précise : "le tout étant détaillé article par article dans un état estimatif certifié par le comparant joint à ladite présente déclaration". Hélas cet état ne nous est pas parvenu.

 

Le total de la succession s’élève à 4 080 francs (soit un montant équivalent à celui évalué lors du partage en 1805). Lors du décès de Marguerite Paul, l’épouse d’Antoine, en 1816 il est échu aux trois enfants 750 francs, montant des reprises que la défunte avait sur les biens de feu Antoine Astié son mari, plus son linge et habits déclaré d'une valeur de 30 francs.

Je n’ai pas trouvé la succession d’Augustin (la page du registre étant déchirée), mais celle de son épouse Catherine Chivalié a été déclarée en 1866 par leur fils Louis Etienne. Celui est le troisième fils dans l’ordre de la fratrie, mais le premier survivant (ses deux frères aînés étant décédés en 1850 et 1864). Il a bénéficié lui aussi d’une donation d’un quart des biens parentaux, en 1859.

On notera que l’un des fils d’Augustin, qui se fit ouvrier d’usine a Cransac (à 22 km de Conques), n’avait pas d’actif lors de sa succession : trois générations après Antoine, le patrimoine familial a nettement fondu !

 

Bon, je n’ai pas résolu de façon absolue la question de la maison d’Antoine, mais grâce à mes recherches aux archives j’en sais un peu plus sur son patrimoine et la façon dont il a été distribué.

 

 

 

 

* Preciput = Désigne une disposition successorale avantageant l'un des héritiers en excluant sa part de la succession du défunt.
** Nogarette = Noyeraie.
*** Conche = Sans doute une bassine.
**** Linceul = Drap de lit, généralement en lin.
***** Reprise = Opération par laquelle, à la dissolution de la communauté, chaque époux reprend ses biens propres en nature ou en argent.
****** Cabau = Avoir, ce que l'on possède, bien, fortune, cheptel.
Un mot de vocabulaire vous manque ? N’hésitez pas à consulter la page lexique de ce blog !


 

samedi 25 mars 2023

La grange de Conques

Au début de ce mois j’ai été porter mes pas dans les pas de mes ancêtres : sur leurs traces, j’ai arpenté le village de Conques en Rouergue (suivi de trois jours au archives départementales), ce village aveyronnais que mes ancêtres ont habité pendant un peu plus de deux cents ans. Préparant ma visite, j’ai repéré les propriétés de mes ancêtres sur le cadastre napoléonien. Une fois sur place, j’ai vu la chapellerie de pépé Augustin, la maison du Palais (voir ici comment j’ai reconstitué l’emplacement de ces maisons) et les maisons de Jean Pierre Rols situées non loin de l’abbatiale.

 

Celui-ci, né en 1784, cultivateur propriétaire, apparaît sur les états des sections du cadastre napoléonien de Conques : il possède une vingtaine de parcelles dans la commune (1 bois, 3 châtaigneraies, 2 jardins, 2 sols et cours, 5 pâtures, 1 pré, 1 séchoir, 1 terre, 3 vignes, 3 bâtiments; pour un total imposable de 42,01 francs). Trois bâtiments sont construits :

- une grange et écurie, sur la parcelle 239 ;

- sa maison, parcelle 251, qui a 4 portes et fenêtres, classée dans la 8ème catégorie, elle vaut 4 francs.

- celle de la parcelle 252 en a 2 (10ème catégorie) et vaut 1 franc. 

 

Propriétés bâties de JP Rols sur le cadastre napoléonien de Conques, 1840 © AD12

 

Une fois dans l’ancienne rue Droite, j’ai facilement reconnu les maisons 251/252 et, de l’autre côté de la rue, la parcelle 239 qualifiée de grange en 1840.

 

Maison de la parcelle 251 ; sur la gauche on aperçoit la 252.

 

En face, la parcelle 239

 

Le village de Conques est installé sur un site très accidenté. De nombreuses maisons appartiennent ainsi à deux propriétaires : l’un possède le premier étage ouvrant sur une rue haute, l’autre possède le rez-de-chaussée donnant sur une rue basse. C’est le cas de parcelle 252 : Jean Pierre Rols ne possède que le rez-de-chaussée ; l’étage, que l’on devine à gauche sur la photo, appartient à un autre propriétaire, François Bousquet.

Les rues étant étroites, il y a peu de recul pour prendre des photos ! De solides murs étayent parfois les constructions, comme on le voit côté 239. Cette grange a manifestement été transformée en habitation.

 

Déjà heureuse de cette visite, je ne me doutais pas de ce que j’allais trouver le lendemain aux archives…

 

Mon temps était compté, j’avais donc fait plusieurs listes de recherches à faire en priorité sur les cotes qui ne sont pas sur le site internet des archives départementales : listes de tirage au sort militaire, successions et quelques contrats de mariage dont j’avais mention par exemple… Le nombre de cotes est limité à 10 par demi-journée. Afin, de rentabiliser au maximum cette précieuse visite, je ne me suis pas contentée de récupérer les contrats de mariage visés mais j’ai consulté les liasses notariales en entier à chaque fois que j’en demandais une. J’ai ainsi fait des découvertes au hasard dans ces liasses.

 

C’est le cas pour l’acte concernant François Rols. Celui-ci est le père de Jean Pierre. Il est tantôt qualifié de marchand, vigneron ou propriétaire.



Accord de François Rols © AD12

Le 9 messidor an XIII (28 juin 1805) il se présente devant Me Pierre Paul Flaugergues, notaire à Conques, avec Pierre Dalmon (est-ce le cultivateur né vers 1752, marié en 1800 avec Marie Servie ? Je pers sa trace après ce mariage – je n’ai pas trouvé d’autre Pierre Dalmon). Celui-ci possède la parcelle 237, qualifiée de "patus". Le patus désigne un terrain dépendant d'un bâtiment, destiné à ses commodités (cour intérieure, basse-cour, fumier, place) ; il peut être divis (appartenant à un seul propriétaire) ou indivis (plusieurs propriétaires en indivision, parfois la communauté des habitants). La parcelle 237 est donc une petite cour.

Souhaitant construire une bâtisse ou une grange sur une parcelle contigüe à celle dudit Dalmon, François Rols s'accorde avec son voisin pour avoir l’autorisation de "bâtir une muraille avec mortier, d'aplomb au roc, [au] nord, sur lequel ledit Rols élèvera la muraille à la hauteur qu'il jugera à propos, qui demeure et sera pour toujours à sa charge".

La question de l’eau étant de tout lieu et de tout temps une question cruciale, les deux parties s’accordent sur ce point :

Ledit Rols aura "toute faculté même de faire tomber les eaux du couvert du côté du patus dudit Dalmon qu'il recevra au moyen d'un canal pour les conduire dans la ruelle [...] qui sépare le patus sur lequel est bâti ladite grange d'avec d'autre patus restant audit rols. […] Ledit rols [pourra] recevoir [...] dudit dalmon les eaux qui découleront d'icelui sans aucune indemnité quelconque."

 

L’accord est très précis quant aux différentes possibilités des deux parties concernant cette muraille : ledit Rols "pourra faire placer des pierres saillantes dans le mur à construire du côté du patus de dalmon pour le soutien [dudit] canal ; et rols consent de son côté que dalmon ait la liberté de batir et faire construire un pilié sur la muraille du côté du patus de dalmon sur l'angle oriental de la grange dudit rols sur lequel il pourra placer des poutres et autres matériaux au cas il voulut augmenter sa maison sur ledit patus . Ledit dalmon sera tenu de laisser un jour pour l'emplacement [du] canal".

 

Or, cet accord entre voisins a lieu parce que François Rols fait bâtir une grange. Cette grange que l’on retrouve dans l’état des sections napoléonien au nom de son fils. Et que j’ai photographiée au début de ce mois (du moins son emplacement).

 

Et voici comment l’émotion ressentie sur place, dans le village, s’est trouvée doublée d’une autre devant un papier vieux d’un peu plus de 200 ans qu’a tenu et signé mon aïeul.

 

 

 

 

 

vendredi 10 février 2023

Le mystère enfin résolu

Cet article fait suite au polar généalogique que j’ai commis lors du #ChallengeAZ 2020 (si vous ne l'avez pas encore lu, je vous conseille de suivre le lien parce que - spoiler - je vais résoudre le crime dans les lignes ci-dessous).

Cherchant vainement le décès d’Ursule Macréau, mon imagination s’est enflammée… au point de croire que – peut-être – son époux Henri l’avait assassinée.

 

Aujourd’hui j’ai enfin résolu ce mystère.

 

Pour vous resituer les protagonistes, Ursule est née en Bretagne en 1874. A la toute fin du XIXème siècle elle émigre en Seine et Marne où elle rencontre Henri Macréau. Ils se marient en 1900 à Tigeaux et auront 8 enfants. Ursule est l’arrière-grand-mère de ma mère. En 1948 Henri décède à Coulommiers : il est alors dit « veuf ». Mais d’Ursule, point de trace.

 

J’ai cherché en vain Ursule. Pendant des années j’ai tenté de la pister. Grâce aux actes de naissance de ses enfants, j’ai su qu’elle avait déménagé plusieurs fois dans des villages aux alentours de Tigeaux.

Mais après plus rien car il n’y avait plus de registre numérisé en ligne. Comme une éclipse, elle avait disparue. Je garde en tête cette image : où a bien pu disparaître Ursule ?


Longtemps je suis restée bloquée en 1902, « limite du temps » des documents en ligne. Puis, petit à petit, de nouveaux versements m’ont permis d’en savoir un peu plus sur l’entourage d’Ursule, comme sur sa fille, la tante Paulette, restée une épine généalogique obscure pendant plusieurs années (voir l'article Comment trouver la tante Paulette).

En récoltant les actes de mariage de ses enfants, je devine qu’Ursule est encore vivante en 1926, 1934 et peut-être même en 1937.

 

L’étau se resserre : 1937/1948. Les recensements arrivent en ligne : ils me confirment la présence d’Ursule à Mortcerf, où elle s’est fixée avec son mari depuis 1911 jusqu’en 1936.

 

A nouveau une période creuse pour mes recherches… C’est alors que je commence à délirer doucement : j’imagine tout et n’importe quoi pour expliquer cette « disparition ». Ce sera le polar généalogique du ChallengeAZ 2020 cité plus haut. Henri aurait-il quelque chose à voir avec la disparition de sa femme ?

 

Régulièrement je consulte le site des archives départementales de Seine et Marne. Les communes ne sont pas toutes logées à la même enseigne : l’état civil de certaines ne s’affiche que jusqu’en 1912 tandis que pour d’autres on peut consulter les décès jusqu’en 1962. Les recensements en ligne progressent; ainsi je découvre en écrivant ces lignes que celui de 1946 à Mortcerf est désormais affiché. Mais le couple Macréau n'y figure pas.

 

C’est finalement l’enregistrement qui va apporter la réponse tant souhaitée. Comme l’explique le site des archives « La Régie de l’Enregistrement a été créée en 1791 : les actes notariés doivent être enregistrés par un receveur des impôts, c’est-à-dire transcrits sur un registre public, contre la perception d’un droit d’enregistrement.
Des tables spécifiques des décès permettent de contrôler les successions. À partir de 1825, elles sont remplacées par les tables de successions et absences.
Tenues alphabétiquement, elles fournissent, avec des variations selon la date, des informations sur la personne décédée (nom, prénom, âge, profession, domicile, date du décès), ses héritiers (nom, prénom, profession, domicile), ses biens (détail et localisation, valeur), la date de déclaration et du paiement des droits, et des observations éventuelles. 
»

L’intérêt de ce document, dans le cas qui m’occupe, est évidemment de signaler le lieu et la date du décès.

 

Une première salve 1814/1907 avait d’abord été mise en ligne ; j’attendais la seconde qui était prévue couvrir la période jusqu’en 1968.

 

Enfin je m’aperçois que ces documents sont en ligne. Je cherche dans plusieurs bureaux autour de Mortcerf, dernier domicile connu d’Ursule. Et c’est finalement la table de succession du bureau de Coulommiers qui m’apporte la clé du mystère : Ursule Macréau, née Le Floch, est décédée à Coulommiers le 29 octobre 1943.

 

Sans trop y croire je vais voir l’état civil et là : joie ! Les registres de décès y figurent. Je peux donc dans la foulée consulter l’acte tant convoité.

 

Ça y est ! J’ai trouvé le Graal ! Ursule est clairement identifiée : ses parents, sa date et lieu de naissance, son époux Henri Macréau. C'est bien elle.

 

Il reste quelques incohérences et questions non résolues dans ce document (mais heureusement, sinon ce ne serait pas drôle !).

 

Henri n’est pas présent au décès de son épouse. Sa résidence « est inconnue ». En effet, je perds sa trace après 1936. Où est Henri entre 1936 et 1948 ? Les recherches ne sont pas toutes épuisées...

 

Les deux témoins/déclarants du décès d’Ursule sont Maurice Edouard Druelle, économe, et Gaston Bertier. Ce dernier est le maire de Coulommiers (de 1941 à 1944 puis de 1947 à 1955). Il est ici présent en tant qu’officier d’état civil. Né à Meaux en 1881, il a reçu la Croix de Guerre comme « officier de haute morale […] opposant une résistance opiniâtre aux efforts des Allemands qui disposaient de forces bien supérieures » et a été nommé Chevalier (1921) puis Officier de la Légion d’Honneur (1932). Le premier, Maurice Druelle, est plus intéressant pour découvrir l’histoire d’Ursule. Il est donc dit « économe ». Croix de Guerre lui aussi, il est rappelé à l’activité en 1939 où il est « classé en affectation spéciale pour une durée indéterminée au titre de l’hôpital de Coulommiers ». Il est considéré comme démobilisé en juin 1940 (soit après l’armistice signé par Petain).

Avec ces informations j’ai déjà une bonne piste pour savoir où est décédée Ursule.

 

Dans l’acte, elle est dite décédée « en son domicile 7 rue de la Ferté sous Jouarre ». Or, pendant que je laissais mon imagination divaguer pour rédiger le ChallengeAZ, je ne cessais de me baser sur la réalité. Ainsi, au chapitre I je raconte comment j’ai découvert à quoi correspondait cette adresse du 7, rue de la Ferté s/Jouarre car Henri lui-même y est décédé en 1948. Il s’agit de l’hôpital de Coulommiers. Donc, comme son époux 5 ans plus tard, Ursule s’est éteinte en milieu hospitalier. D’où la présence de Maurice Druelle, sans doute économe de l’hôpital ; les employés d’hôpitaux servant souvent de déclarants des actes de décès.

 

Reste une petite incohérence :

  • Le domicile : lieu où l'individu a son principal établissement, c'est-à-dire son habitation principale ; 
  • La résidence : en droit civil, c'est le lieu où l'individu se trouve en fait. Contrairement au domicile, la résidence se veut temporaire.


L’acte de décès dit qu’elle a son domicile (donc sa résidence permanente) à l’hôpital. Donc, soit c’est une erreur, soit elle vivait depuis suffisamment de temps pour n’avoir d’autre adresse.

 

Bref, Ursule s’est éteinte à l’hôpital de Coulommiers, âgée de 69 ans. Où était son mari ? Je l’ignore. Peut-être était-il déjà lui-même hospitalisé ? Ou pas.

Mais pas de meurtre, ça c’est sûr. Ou presque.