« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

dimanche 24 septembre 2023

Passer la Révolution

GABARD est le patronyme de ma grand-mère maternelle. Pendant plus de deux cents ans sa famille occupa la même ferme, située au lieu-dit La Gidalière, à Saint-Amand-sur-Sèvre (Deux-Sèvres, commune frontalière avec la Vendée).

Signature d'un de "mes" Gabard, 1813 © AD79

Selon la légende familiale ils en étaient propriétaires, mais je ne serai pas aussi catégorique. En effet, j’ai trouvé aux archives la mention de baux (par exemple en 1821 : acte passé devant Me Bellin notaire à Châtillon par M. Augustin Dumoutiers propriétaire à Loudun tant pour lui que pour M. Joseph Jerome Dumoutiers son frère à Jean Gabard et Françoise Paineau sa femme [mes sosas 112 et 113] de la métairie de la Gidalière commune de St Amand pour trois, six ou neuf années à grée respectif qui ont commencé à la St George dernière 1820, moyennant 600 fcs, 146 décalitres seigle, la filature d'un kilogramme et demi de fil, de 6 kg de beurre et les contributions.

Les Dumoustier sont une famille de seigneurs locaux, comptant des gardes du corps du roi, président du baillage de Loudun, légion d'honneur, etc. Qui dit bail dit locataire. Qui dit locataire dit pas propriétaire. Il faudra que je creuse cette question.

Bref, ce n’est pas vraiment le sujet du jour. Non, moi ce qui m’intéresse c’est le avant « les deux cents ans ». Car avant, c’est le trou noir.

 

Les GABARD sont nombreux dans la région. Sur Geneanet, en 1800, on recense plus de 650 porteurs du nom rien qu’à saint-Amand. Dans mon arbre j’en ai enregistré au total 144.

 

Selon Tosti ce patronyme aurait pour origine le nom d’une personne d'origine germanique, Gebhard (geba = don et hard = dur). Autre possibilité, selon Morlet, ce serait un dérivé de l'ancien français gab (= moquerie, plaisanterie), surnom d'un joyeux drille.

Le nom est surtout porté en Poitou-Charentes (avec un gros noyau en Deux-Sèvres/Vendée), dans le Centre et dans le Bourbonnais.

 

Côté prénom, mes GABARD ne sont guère imaginatifs : dans mon arbre 16% sont des Marie, 12% sont des Jean, 11% des Pierre et 9% des Jacques. Ça fait beaucoup d’homonymes.

 

Depuis longtemps je cherche à remonter l’ascendance de Jacques GABARD (sosa 224), marié à Anne GOBIN (ou GAUBIN). Il est né vers 1735 et est décédé en 1798 à St Amand sur Sèvre. C’est lui le « premier » aïeul, cultivateur à La Gidalière.

 

Je reprends sporadiquement ces recherches, mais deux difficultés s’offrent à moi :

  • Les registres paroissiaux ont disparus.
  • L’existence de nombreux homonymes.

 

Cette région a en effet subi de plein fouet les guerres de Vendée. Comme le raconte l’abbé Gabard (un de nos lointains cousins) : « les paysans vendéens accueillirent assez mal les changements qui se succédèrent rapidement en France, à partir de 1789. Bientôt la constitution civile du clergé*, le serment des prêtres, la vente des biens ecclésiastiques, les poursuites exercées contre les prêtres fidèles changèrent cette défiance en une vive irritation. Quelques désordres éclatèrent à Châtillon ; ils furent réprimés avec une rigueur imprudente qui ne fit qu'exciter les esprits. En février 1792, la levée de trois cent mille hommes ordonnée par la Convention amena un soulèvement universel; les jeunes gens refusent d'aller défendre à la frontière un gouvernement qui emprisonnait leur roi et opprimait leur conscience. Bientôt toute la Vendée est en insurrection. » Les révoltes paysannes se transforment alors en mouvement contre révolutionnaire. Ce sont les « Blancs ».

D’abord maître de tout le territoire, les Vendéens doivent bientôt faire face aux soldats envoyés depuis Paris (que l’on appelle les « Bleus »). Victoire et défaites marquent les deux camps. « Au mois de janvier [1794], les colonnes infernales commencèrent à sillonner le pays dans tous les sens, brûlant, pillant, massacrant tout ce qu'elles rencontrent sur leur passage. » Loin de pacifier le pays, ces exactions provoquent de nouveaux soulèvements. Plusieurs tueries marquent l’année jusqu’à ce que la Convention rappelle leurs chefs. En décembre 1794 les républicains engagent des négociations qui aboutissent au printemps 1795 à la signature de traités de paix. Quelques désordres perdurent en 1795 et les années suivantes mais globalement la paix est rétablie.

Néanmoins, le bilan est lourd dans le pays : on estime le nombre des victimes à environ 170 000 (dont près de 50 000 rien que pour les colonnes infernales), soit entre 20 et 25 % de la population du territoire insurgé. D’après l’historien Reynald Secher, « les troupes républicaines, et notamment les colonnes infernales, seraient responsables de la destruction de 35 % des maisons du département. »

 

A Saint-Amand on note des troubles dès l’hiver 1789. À la mi-janvier 1794 la garnison de Mallièvre s’abat sur Saint-Amand-sur-Sèvre à la recherche, selon la tradition orale, du camp des partisans de Charette.

Quelques jours plus tard, les 24 et 25 janvier 1794, c’est la colonne infernale de Boucret, ralliant Châtillon-sur-Sèvre (Mauléon) aux Épesses qui incendie Saint-Amand au passage. Le même 25 janvier, la colonne de Grignon marchant entre Cerizay et La Flocellière ravage l’ouest de la commune dans les parages de La Pommeraie. C’est ainsi que Saint-Amand devint sans doute la seule commune à avoir subi deux colonnes le même jour. La mémoire locale désignait ces événements sous le nom de « Grand Brûlement ». Selon les estimations la population de Saint-Amand passa de 1 220 habitants en 1790 à 767 en 1800. Et que les registres paroissiaux ont disparus, hélas pour nous généalogistes.

Saint-Amand reprendra les armes encore en 1799, puis brièvement en 1815.

 

Comme on l’a vu plus haut, les GABARD aiment beaucoup les prénoms Pierre, Jean et Jacques. Au début de ces (nouvelles) recherches, la famille serait composée du père (peut-être prénommé Jacques), qui a deux fils prénommés Jacques, un petit-fils Jacques, trois petit-fils Pierre, et encore des Jean (3), Jacques(5) ou Pierre (5) aux générations suivantes. Bref, un joli sac de nœuds à démêler.

 

Sur Geneanet on retrouve cette famille. Plusieurs généanautes donnent l’identité du père :

- Selon soubise307 il se prénommerait Jacques, marié à Marie BREMAUD (pas de source).

- Selon beraud86 il se prénommerait aussi Jacques, né au Pin en 1699 mais aurait eu deux épouses : 
  • Marié avec une première épouse dont le nom n’est pas connu, dont : 
    • Jacques GABARD /1735-1798 notre ancêtre 
  • Marié avant 1738 avec Marie BREMAUD †, dont : 
    • Mathurin GABARD ca 1735-1797, marié avec Jeanne Marie COUDRIN 
    • Jacques Jean GABARD 1738-1822, marié avec Marie COUDRIN 
    • Pierre GABARD 1740-1812, curé de Chambretaud, 
    • Jean GABARD 1743-1803, marié avec Louise MORISSET 
 
- Selon babbouff il se prénommerait Jean, mariée le 19 janvier 1734, Treize-Vents, avec Perrine ECHASSERIEAU. 
 
- Selon jeangodet il se prénommerait Jacques, marié avec Anne GABORIT, dont : 
  • Jean GABARD ca 1763-1839, marié vers 1789 avec Marianne MORISSET, puis marié avec Marie Jeanne CHARRIER 
  • Marie GABARD ca 1768-1827, mariée vers 1800 avec Louis MARTINEAU 
  • François Marie GABARD 1782-1836, marié le 18 février 1813 avec Jeanne RONDEAU 
  • Jacques GABARD †1798, marié avec Anne GOBIN †1813 
  • Jean GABARD ca 1778-1827, marié avec Jeanne Françoise PAINEAU

 

Bref, on a le choix !

 

Pour ma part, je sais de façon avérée qu’il y a trois frères : deux Jacques et un Mathurin (mon sosa 1012 car je descends de deux des frères). L’un des Jacques n’est qu’un demi-frère. En effet, lors du décès de Mathurin assistent deux Jacques : l’un "frère propre" et l’autre "frère de père".

Fratrie Gabard avérée avant le début de ces recherches

Le premier Jacques et sa descendance est cultivateur à la Gidalière (ce sont mes ancêtre directs), Mathurin est installé au Poux (ferme voisine) et l’autre Jacques au Puy Jourdain (à moins de 2 km), toutes des fermes de Saint Amand s/Sèvre.



Mais je ne parviens pas à remonter plus avant : pas de registre paroissiaux, donc, mais aussi pas de notaire avant l’an IV (1796) et rien dans les successions qui n’indiquerait une quelconque ascendance.

 

Après vérification, je ne valide pas l’arbre de jeangodet : si François Marie est bien le fils des parents indiqués, il comporte par ailleurs trop d’erreurs (Jean donné pour frère de Jacques alors qu’il est bien dit fils dans son acte de mariage par exemple).

L’arbre de babbouff, bien que très complet, n’est pas assez sourcé : je ne parviens pas à suivre ses filiations.

 

L’hypothèse la plus probable est la parenté avec Jacques GABARD et Marie BREMAUD. J’ai travaillé un moment sur ce couple. Trois enfants sont identifiés de façon certaine :

  • Pierre, le curé de Chambretaud décédé en 1812,
  • Jacques, son frère témoin au décès,
  • Jean, époux de Louise MORISSET, dont la parenté est signalée lors de son décès.
Arbre Gabard/Bremaud

Ce couple de parents aurait vécu à St Amand, décédé dans les années 1740/1750.

 

Leur fils Pierre est bien identifié car il apparaît dans le Dictionnaire des Vendéens : Fils de Jacques GABARD et de Marie BREMAUD, il était curé de Chambretaud depuis mai 1780, succédant à René LOIZEAU (décédé en 1780). Au début il ne se montra pas hostile au mouvement émancipateur né de la Révolution : il est nommé électeur du canton des Herbiers, envoyé à Fontenay en 1790 pour élire les députés à l’Assemblée législative. Mais il refusa de prêter le serment constitutionnel imposé au clergé*. Caché à Saint-Malo-du-Bois (à 3 km de Chambretaud), il prit part à l'insurrection. Il rédigea un dernier acte sur le registre de sa paroisse en août 1792 mais, en mars et avril 1793, on le voit rebaptiser sous condition** les enfants nés depuis la cessation de ses fonctions. En effet, régulièrement il revient à Chambretaud (où aucun curé n’a été nommé pour le remplacer), afin d’assurer les fonctions de son ministère de manière officieuse. Plusieurs fois il failli se faire prendre par les Bleus (soldats républicains). Il tint un registre clandestin à Chambretaud de mars à octobre 1793, puis de juin 1794 à septembre 1797. Il prononça finalement le serment de fidélité par écrit en 1803 en tant que desservant de Chambretaud. Il reprit son registre en juillet 1803. Il décéda en 1812 en tant que « prêtre et desservant de Chambretaud », dit âgé de 73 ans ; la déclaration en a été faite par son frère Jacques et son neveu aussi prénommé Jacques. L’office aurait été célébré par Macé, curé des Herbiers. La notice précise qu’il serait né le 20 juin 1740 bien qu’il n’y ait pas de registre antérieur à l’an VI.

En fait, j’ai retrouvé dans les registres notariés un acte de notoriété, passé devant Me Bellin, notaire à Chatillon en l’an VI, attestant qu’il était né au Poux de St Amand mais la date diffère légèrement : le 29 juin 1730 (au lieu du 20/6/1740).

 

L’hypothèse est donc que le Jacques, frère du curé Pierre, serait un de « mes » Jacques. Il est vrai que dans l’acte de décès de son frère il est dit de St Amand. Cela exclue toutefois mon ancêtre direct, qui est décédé en 1798 et ne peut, par conséquent, pas être témoin du décès de Pierre en 1812. Reste la possibilité qu’il soit le Jacques époux de Marie COUDRIN (qui ne meurt qu’en 1822).

Le lien reste mince. J’ai donc cherché une autre preuve.

 

Parmi les enfants de Jean et Louise MORISSET d’abord : nés à St Jouin sous Chatillon (aujourd’hui Mauléon), ils se sont installés côté Vendée ensuite (Les Châtelliers Châteaumurs, Les Epesses, Treize Vents). S’ils sont très présents entre frère et sœurs, jamais je ne les vois chez leurs « cousins ». A contrario, les « cousins » Deux Sévriens sont aussi très présents les uns pour les autres mais « ne passent pas la frontière ».

 

Carte des Gabard

 

En cherchant du côté de Marie BREMAUD, j’ai la confirmation que le couple GABARD/BREMAUD demeurait bien à Saint-Amand (confirmé lors du mariage de la nièce de Marie, Jeanne JANNEAU, en 1746). Marie y est dite veuve : Jacques est donc décédé cette date.

Ce fait est confirmé par ailleurs : Jacques GABARD, le père du curé, demeurait au Poux de St Amand de son vivant, selon l’acte de notoriété de son fils Pierre. Ledit curé étant lui-même né au Poux.

Le Poux est une ferme où ne vit qu’une seule famille : le fait que « mon » Mathurin GABARD y vivait, de façon certaine, tendrait à confirmer la filiation entre Jacques et Mathurin.

Marie BREMAUD semble encore vivante en 1797 lors de l’établissement de cet acte de notoriété ; mais elle est décédée en 1806 (décès de son fils Jean). Malheureusement son acte de décès n’a pas été trouvé. Je ne l’ai pas trouvée non plus sur les différentes tables de l’enregistrement (décès, testament, succession) du bureau de Châtillon – dont dépend Saint-Amand.

 

Pendant les guerres de Vendée, on l’a vu, dans la plupart des paroisses il n'a pas été tenu de registres paroissiaux ou bien ils ont été détruits. Ainsi à Saint-Amand il n’existe pas de registre antérieur à 1798. Françoise de Chabot, dans son ouvrage « un canton du bocage vendéen », cite néanmoins un registre paroissial de Saint-Amand rédigés pendant cette triste période, de façon plus ou moins officieuse. « A l'avant-dernière page de cet intéressant registre nous trouvons [la mention suivante] : N. B. Plusieurs actes sont transposés ou imparfaits, parce que je n'ai pu, dans la persécution, les faire à heure et à temps, je les ai recueillis au milieu des déroutes et des combats. Cependant j'ai copié sur des feuilles volantes les noms, les dates fort exactement, et j'ai toujours appelé des témoins dignes de foi, et quand j'en ai manqué, je n'ai mis dans les actes que ce qui est de notoriété publique.... ma connaissance. Signé Feuille ». Elle en a tiré notamment la liste de ceux qui sont morts les armes à la main ou massacrés par les Républicains entre 1793 et 1800.

J’ai eu accès à quelques actes appartenant vraisemblablement à ce registre et à un relevé dactylographié (transmis par un de nos cousins, Robert ***). J’y retrouve deux GABARD : « Gabard, Jean-Mathurin, du Poux, 16 ans, des témoins affirment l'avoir vu sabrer près Chemillé, le 10 mai. Gabard, Mathurin, du Poux, 21 ans, mort de ses blessures, le 10 juillet ». Il s’agit des fils de Jean et de Mathurin; peut-être des cousins ?

On trouve des GABARD dans d’autres listes :

- Listes générales des individus condamnés par jugements ou mis hors la loi par décrets, et dont les biens ont été déclarés confisqués au profit de la République) : « Gabard Pierre, brigand de la Vendée, commission militaire Savenay, 4 nivôse. Gabard Jean, id. 6 nivôse. »

- Contrôle nominatif des Vendéens qui ont servi dans l'armée Royale entre 1793 et 1800 : « Gabard, Jacques, né à Saint-Amand, 1740, commissaire en 1794, 1795 et 1799. Gabard, Mathurin, né à Saint-Amand, 1776, capitaine, 4 ans de guerre, action d'éclat, pris un drapeau. Gabard, Jean, né à Saint-Amand, 1781, 3 ans de guerre. Gabard, Jean, né à Saint-Amand, 1756, 4 ans de guerre. Gabard, Pierre, né à Saint-Amand, 1760, 4 ans de guerre. Gabard, Pierre, né à Saint-Amand, 1778, s'est battu en1799. Gabard, Jacques, né à Saint-Amand, 1780, id. »

Encore beaucoup de Jean, de Pierre et de Jacques. Cependant, compte tenu des homonymies, il est difficile de les identifier avec certitude, encore moins de les utiliser pour en dresser des liens.

 

Grâce à ce registres, je sais que Pierre Mathurin, fils de Jacques GABARD et Marie COUDRIN, et sa sœur Marie Jeanne, se marient le même jour en 1800. Et c’est Pierre, le curé de Chambretaud qui officie lors de la cérémonie. Un des rares liens qui uni les deux familles.

 

Mais je trouve mieux encore, grâce à la transcription dactylographiée récemment confiée par Robert. Il s'agit de la naissance de Marie Victoire GABARD, fille de Pierre et Marie DIGUET, en 1804 (petite-fille de Mathurin). J’avais trouvé en ligne son acte, daté du 1er jour complémentaire an XII (18/9/1804). Sur ce document étaient cités comme témoins « Pierre Gabard, 27 ans et Marie COUDRIN, 31 ans ». Je n’étais pas parvenue à déterminer qui étaient exactement ces témoins. Et j’avais oublié cet acte. Or, dans le relevé des « actes révolutionnaires » de Saint-Amand la transcription de cette naissance est bien différente :

« Le 24-12-1803
GABARD Marie Victoire enfant légitime de sexe féminin, née ce jour, fille de GABARD Pierre, taillandier au Poux et de DIGUET Marie
Parrain : GABARD Pierre, curé de Chambretau, grand oncle
Marraine : COUDRIN Marie Victoire, grand-mère
Acte rédigé par Nicolas LE FRANÇOIS prêtre desservant de St Amand »

La date est différente, ce qui n’est guère étonnant : les actes en ligne sont souvent des actes rédigés à postériori, après les troubles. J’ai ainsi pour sa cousine Marie Anne j'ai deux actes de mariages : un en 1796 et un en 1801.

Les témoins ne sont plus de simples témoins, mais un parrain et une marraine. L’acte est dirigé par le prêtre desservant la paroisse et non par le maire ; là encore ce n’est pas étonnant l’acte de 1804 est fait à la mairie, selon les nouvelles directives post-révolutionnaires, tandis que l’autre a été fait devant le prêtre (d’où les parrains).

Mais ce qui est frappant ce sont les témoins, qui n’ont plus d’âge mais des liens familiaux indiqués sans ambigüité.

 

Le lien entre les deux parties de la famille, la Vendéenne et la Deux-Sévrienne, est ici attesté de façon formelle (si on considère que cette transcription est bien correcte ; ce que j’ai très envie de croire). Je n’ai, hélas, pas eu accès au document original de cet acte (si jamais un lecteur en a une copie et qu’il veut bien me la transmettre, j’en serai ravie), mais c’est la  preuve de la parenté de mes ancêtres directs avec le couple Jacques GABARD et Marie BREMAUD qui est enfin avérée.

Sauf élément contraire, j’ai enfin brisé le plafond de verre de la Révolution et j’ai gagné une génération supplémentaire. Voire plus...

Nouvel arbre Gabard (cliquez pour agrandir)

 

En effet, tant qu’à faire, j’ai tenté de remonter la piste des ascendants de Jacques GABARD, époux BREMAUD : il serait le fils de Jean et Perrine PEHILIPPON, couple installé au Pin (à une quinzaine de kilomètres à l’Ouest de Saint-Amand – et où les registres vont jusqu’au milieu du XVIIème siècle). Il aurait eu 5 frères et sœurs, tous décédés en bas âge ou jeune, hormis une sœur – mais il n’apparaît pas de son côté. Les généalogies en ligne déroulent les générations de GABARD jusqu’au début du XVIIème siècle avec un couple fondateur demeurant à Nueil les Aubiers, 10 km plus loin, Jean GABARD et Françoise VIOLLEAU.



De mon côté, il me reste à prouver que Jacques est bien le fils de Jean…

 

 

* La Constitution civile du clergé est créée en 1790 par l’Assemblée constituante, réorganisant unilatéralement le clergé français, instituant une nouvelle Église, l'Église constitutionnelle. Cette réorganisation est condamnée par le pape Pie VI, ce qui provoque la division du clergé français en clergé constitutionnel (les « jureurs ») et clergé réfractaire. La Constitution civile du clergé est finalement abrogée en 1801 par Napoléon Bonaparte.

** Baptisé sous condition : Le baptême efface le pêché originel. Un enfant mort sans baptême est condamné à errer éternellement dans les limbes. C’est pourquoi il faut le baptiser au plus vite (en général le jour même) : quelque soit le temps, il faut se rendre à l'église la plus proche. Un enfant mort-né ou en danger de mort à la naissance est "ondoyé" par la sage femme ; acte qui lui ouvre le ciel en cas de décès (C’est l’une des raisons pour lesquelles la sage-femme était nommée par le curé et prêtait serment). Ensuite, le prêtre baptise le nouveau-né « sous condition » : il suffit que les témoins attestent qu’ils ont aperçu un mouvement du cœur, un semblant de respiration, le tressaillement d’un doigt, un souffle … L’enfant mort, retrouve la vie quelques instants, le temps de recevoir le baptême.

*** Que je remercie d’avoir partagé ses découvertes avec moi.

 

 

samedi 19 août 2023

L'enfant surprise

Cécile Rols, épouse Astié, est mon aïeule à la Vème génération (sosa 17). Avec son époux, elle a eu 11 enfants : 4 sont morts en bas âge, 3 sont Morts pour le France lors de la Première Guerre Mondiale (j’ai raconté cette triste histoire dans un article du blog – un de mes préférés je vous le conseille si vous ne l'avez déjà lu, voir ici). Il en reste 4 (dont mon AGP Augustin).

Étant un peu en panne de nouvelles fraîches concernant mes ancêtres directs sur les sites des archives départementales, je me suis intéressée à mes collatéraux. Et en particulier aux deux frères et à la sœur de mon AGP Augustin. Il me manquait quelques actes de décès ou de mariages les concernant. J’ai tenté de les pister entre Ivry (94) et Paris 13e où je savais qu’ils avaient habité. Pour cela, j’ai mobilisé toutes les ressources à ma disposition : état civil, recensements, registres d’inhumation des cimetières, arbres et relevés en lignes (Geneanet, Filae…)…

Et c’est là, dans les tables d'état civil, que j’ai fait une curieuse découverte : Benoit, l’un des frères Morts pour la France d’Augustin (auquel je ne m'intéressais pas particulièrement ce jour-là), a eu un enfant hors mariage ! J’ai aussitôt abandonné Louis, François, etc... pour examiner cet enfant surprise.

 

Benoit est né en 1892 à Angers (49). Il suit ses parents lorsqu’ils déménagent en région parisienne au tout début du XXème siècle. C’est le vaurien de la famille. J’ai raconté ses « méfaits » dans un article du défi #52Ancestors sur ce blog (voir ici).

En résumé, le jeune Benoit (alors âgé de 18 ans) a de mauvaises fréquentations. En 1910 il est arrêté dans l’affaire de la « caverne aux huit voleurs ». Il n’a pas été condamné, mais a eu chaud. Cela ne lui a pas servi de leçon : en 1911 il est condamné par le tribunal de la Seine à deux mois de prison pour vol.

Lors de sa mobilisation dans l’armée il est envoyé dans un Bataillon d’Afrique, histoire de le mater. Les « bat d’af » recevaient les civils ayant un casier judiciaire non vierge ou recyclaient les militaires condamnés à des peines correctionnelles. Utilisés initialement pour écarter les fortes têtes, ils sont conçus pour redresser « ceux qui ont failli ». Considérant le type de soldats qui les composent, il y règne une discipline bien plus forte que dans les autres unités de l'armée.

Là encore, Benoit fait des siennes : condamné par le conseil de guerre de Tunis le 11 août 1914, coupable d'abandon de poste étant de garde, à un mois de prison ; puis à nouveau en 1916 comme on le verra plus bas.

 

Or, les registres d’état civil m’indiquent que le 5 décembre 1916, en pleine Guerre Mondiale, il reconnaît pour son fils un garçon né le 17 juin 1916 au domicile de sa mère, Louise Caroline Rosala, 30 ans, journalière demeurant 68 rue de Clisson, Paris 13e, prénommé Alexandre Benoît.

 

Reconnaissance Astié Alexandre Benoit, 1916 © AD75

D’abord affecté en Tunisie, où les Bat d’Af étaient chargés d’assurer « l’intégrité des colonies », Benoit est rappelé en France, « contre l’Allemagne », après la déclaration de guerre de 1914. Pour la durée de la guerre trois bataillons de marche d'infanterie légère d'Afrique (BMILA) ont été formés par prélèvement de compagnies dans les 5 Bataillons d’Afrique et engagés en métropole : ce sont les 1er, 2e et 3e BMILA. Benoit est affecté au 3e, le 3 janvier 1915. Embarqué pour la métropole fin décembre, Benoit et son bataillon arrivent dans le secteur d’Ypres en Belgique. Tranchées, bombardements, pluies diluviennes puis gel implacable sont l’ordinaire de ces soldats. Au printemps, ils succombent à l’étouffement et l’asphyxie d’un « nouveau et barbare moyen de combat » poussé par les vents : le gaz moutarde. C’est pourtant un bon vieil éclat de shrapnel qui blesse Benoit le 30 avril 1915 (plaie à la jambe gauche, hémorragie). Combien de temps a-t-il été hospitalisé ? A-t-il eu une permission après son rétablissement ? Je l’ignore.Toujours est-il qu’en septembre 1915 il devait bien se trouver en région parisienne puisque c’est à cette époque qu’a été conçu l’enfant !

En octobre 1915 il est de retour sur le front, transféré au 4e BILA.

Benoit ne s’est toujours pas assagi : il est condamné en février 1916 par le tribunal de guerre de Tunis à un mois de prison pour coups et blessures volontairement porté sur le chasseur Vasse le 21 novembre 1915. Ayant trop peu d’informations sur cet épisode, je n’ai pas pu retrouver ce soldat ni quel rôle il a joué dans cette bagarre.

Après avoir reçu la médaille coloniale avec agrafe « Tunisie » en 1917, Benoit est finalement tué sur le champ de bataille le 5 avril 1918 à Cantigny (Somme), attaque qui compte parmi les combats les plus durs et les plus meurtriers auxquels le bataillon ait pris part. Mort pour la France, sa sépulture est à la nécropole nationale de Montdidier. Il avait 25 ans.

 

Mais revenons à son fils : Alexandre Benoit est donc né le 17 juin 1916 au domicile de sa mère, Louise Rosala, journalière demeurant 68 rue de Clisson, Paris 13e. La naissance est déclarée par Cécile Rols, veuve Astié, journalière de 60 ans, qui demeure à la même adresse, « ayant assisté à l'accouchement » ; en présence de Louise Bodin, femme Astié, journalière demeurant à la même adresse. Ladite Louise est l’épouse de François Astié, fils de Cécile et frère de Benoit.

Un peu plus tard, le 29 juin, Louise Caroline Rosala se présente à la mairie du 13e pour reconnaître son enfant. En effet, d'après le Code napoléonien, naissance ne vaut pas reconnaissance pour un enfant d'une femme non mariée : celle-ci doit le faire reconnaître par un acte officiel. Elle est accompagnée dans sa démarche par Louise Bodin-Astié notamment.

Enfin, en décembre, c’est autour de Benoit de venir reconnaître officiellement son fils – il doit bénéficier d’une nouvelle permission pour ce faire.

Mais qui est cette Louise Rosala ?

Née à Ivry en 1887 d’un chauffeur/journalier originaire de Suisse, Louis Auguste, et d’une matelassière/blanchisseuse, Pauline Luxembourg ; couple non marié qui aura deux autres enfants, Auguste et Henriette.

En cherchant des informations sur Louise, je découvre d’autres surprises : elle a eu 4 autres enfants de « père non dénommé » :

- Marcelle née à l’hôpital de la Pitié, Paris 5e, en 1910 qui n’a vécu que « un mois vingt et un jours »,

- Raymond, « fils naturel » né au domicile de sa mère à Ivry en 1912, décédé à l’hôpital Trousseau en 1913 (hôpital spécialisé dans le traitement des enfants malades),

- Raymonde née à la maternité de Port Royal, Paris 14e, en 1914 et décédée trois mois plus tard à l’hôpital Necker,

- un enfant sans vie né en 1915 à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière (nouveaux bâtiments inauguré après la destruction de l’ancienne Pitié devenue vétuste en 1912).

On le voit, Louise était grande consommatrice d’hôpital. C’était sans doute parce que les femmes qui venaient à l’hôpital pour accoucher étaient principalement des filles-mères ou des femmes de milieux très pauvres.

Sa sœur Henriette a eu, elle aussi, deux enfants nés illégitimes et son frère Auguste un : les enfants naturels, une histoire de famille quoi !

Au fil des naissances et décès de ses enfants, on voit Louise déménager : d’abord à Ivry, 56 rue du Liégat en 1910, 13 rue Grand Gord en 1912, 51 route de Choisy en 1913, 29 rue Fontainebleau en 1914 ; puis à Paris 13e : 15 rue Damesme en 1914, 25 rue des Cinq Diamants en 1915, 68 rue de Clisson Paris 13e de 1916 à 1926.


Route de Choisy © AD94

Apparemment le 51 route de Choisy devait être une petite maison (d’après le recensement de 1936 : un seul couple y vit) – aujourd’hui remplacée par un immeuble moderne. 

Or certaines de ces adresses me sont connues : Cécile Rols demeure elle aussi au 51 route de Choisy en 1913, au 11 rue Damesmes en 1914 et au 68 rue de Clisson en 1916/1926.

Donc en 1913 Louise devait habiter chez Cécile, son mari et ses fils… Est-ce là qu’elle a connu Benoit ? En 1916 elle habite avec Cécile, son fils François et son épouse Louise Bodin qui est témoin de plusieurs actes des enfants de Louise Rosala. En 1926 les deux femmes habitent ensemble, toujours à la même adresse (son fils a déménagé).

Cécile et Louise entretiennent donc des relations étroites : elles demeurent ensemble durant une longue période. La première est témoin lors du décès du fils de la deuxième, Raymond, en 1913. Elle déclare aussi la naissance de son petit fils Alexandre Benoit, né chez elle comme on l’a vu plus haut. La « belle-fille » illégitime est donc acceptée par sa belle-mère. Elle est d'ailleurs qualifiée comme telle (« belle-fille ») dans le recensement de 1926, bien qu'elle ne soit pas mariée légitimement au fils de Cécile.

C'est au tout début des années 1930 qu'elles doivent se séparer. En effet, en 1931, Céclie habite désormais chez sa fille et son gendre, toujours dans le 13e. Je pers momentanément la trace de Louise et ne la retrouve qu’en 1936 : elle habite alors 33 rue Deparcieux, Paris 14e, avec un « ami », Henri Bootz (un livreur parisien né en 1901). Quels sont précisément les liens qui les unissent ? Je l’ignore.

Les deux femmes se sont-elles brouillées ? Est-ce simplement la vie qui les a séparées ? Pas de réponse là encore.

L'unique fils survivant de Louise, Alexandre Benoit, n’habite jamais avec elle. Je ne l’ai pas trouvé non plus avec sa grand-mère Cécile Rols. Et, bien sûr, pas avec son père puisqu'il est décédé. Alors où est cet enfant ?

Une mention en marge de son acte de naissance indique que suivant un jugement du tribunal de la Seine en date du 12 septembre 1919, Alexandre Benoit est déclaré « adopté par la Nation ». L'institution des pupilles de la Nation a été créée par la loi du 27 juillet 1917. Son but était d'apporter une protection morale et matérielle, jusqu’à leur majorité, aux nombreux orphelins de guerre et enfants de mutilés ou d'invalides. Cette demande a été acceptée en premier ressort, ce qui n’est guère étonnant puisque son père est Mort pour la France. Si le jugement (succinct) est en ligne, le dossier individuel complet a disparu (avec tous les dossiers de 1918 à 1940, dans l'incendie du Fort de Montlignon en 1974).

Une autre mention indique qu’il se mariera en 1946 avec Lucie Trichard à Paris 14e. Il décèdera finalement à Lapalud (Vaucluse) en 1977, à l’âge de 60 ans.

Louise Rosala meurt en 1946 à l’âge de 59 ans dans le 14e arrondissement de Paris… à l’hôpital Broussais. Encore un hôpital.
Cécile, pour sa part, meurt en 1937 à l'âge de 79 ans, chez sa fille à Paris (13e arrondissement).

En rédigeant cet article, j’aperçois soudain une mention ajoutée au crayon de papier, à moitié effacée, sur la fiche matricule de Benoit : « Secours de 150 f le 20.7.1918 à Mme Rosala Louise mère de l’enfant mineur Astier ». 

Bon sang ! Cet enfant était là sous mes yeux depuis tout ce temps !

 


 

jeudi 29 juin 2023

L'insoumis

Louis Astié naît à Cransac (12) le 18 février 1857. C’est un collatéral pour moi mais il est néanmoins le petit-fils de mon ancêtre Augustin Astié, chapelier à Conques dont j’ai pisté la maison sur ce blog (voir ici).

Il hérite d’ailleurs de cette fameuse maison, parcelle 96 au cadastre. En 1870 il reçoit, en indivision avec sa sœur Julie, ladite parcelle. Pépé Augustin est mort 9 ans auparavant, mais les impôts ne semblent pas s’en être aperçu tout de suite…
Bref, ce n’est pas le sujet du jour. En 1877 Louis a 20 ans. Physiquement, il est très ordinaire : Il mesure 1,60 m, a les cheveux et sourcils châtains, un front large et un menton rond sur un visage ovale, une bouche et un nez moyens. Il demeure avec sa mère, Victoire Issalis, à Aubin (entre Decazeville et Conques) où elle est journalière. Lui-même travaille dans les mines de ce bassin minier qui voit son essor à cette époque-là. Sa sœur cadette, Julie, n’est pas avec eux ; peut-être est-elle déjà en région parisienne où on la retrouve en 1893. Son père, cantonnier, est décédé en 1864, ainsi qu’une sœur aînée qui n’a vécu que 10 mois en 1854/1855.

20 ans, pour Louis, c’est l’heure du tirage au sort de l’armée

Rappelons quelques grandes dates concernant le service militaire en France :

  • 23 août 1793 : un décret de la Convention instaure une levée en masse. C’est une première forme de service obligatoire.
  • 5 septembre 1798 : loi Jourdan-Delbrel indique que "tout Français est soldat et se doit à la défense de la Patrie" ; elle crée la Conscription et le service militaire universel : inscription et conscription sur les tableaux de recrutement pour les hommes de 20 ans révolus ; création des classes, tous les Français nés la même année formant une même classe ; service militaire obligatoire de 5 ans pour les hommes de 20 ans révolus.
  • 1802 : loi qui instaure le tirage au sort désignant ceux qui partent sous les drapeaux et le remplacement qui permettent à ceux-ci d'échapper à la conscription en achetant un homme.
  • 1818 : loi Gouvion-Saint-Cyr qui réinstaure la conscription. Le recrutement militaire se fait désormais par volontariat et par tirage au sort, avec possibilité de remplacement. Les jeunes gens qui ne sont pas tirés au sort sont immédiatement libérés de leurs obligations militaires.
  • Loi Soult du 21 mars 1832 : Inverse les principes de la loi Gouvion-Saint-Cyr. Le recrutement se fait sur la base de l’appel, complété par le volontariat ; conserve le tirage au sort et la possibilité de remplacement.
  • De 1818 à 1868 diverses lois reviennent sur la durée obligatoire du service militaire (6, 8, 7, 5 ans dans l’armée active).
  • La loi Cissey du 27 juillet 1872 institue le service militaire universel avec la suppression du remplacement. Toutefois, de nombreuses dispenses sont encore accordées. Des registres matricules départementaux sont établis (ce qui nous intéresse bien en généalogie : ce sont souvent ceux-là qui sont mis en ligne en priorité). La durée du service est fixée à 5 ans d’armée d’active, puis 4 ans en réserve et 11 ans en territoriale. Les hommes sont donc susceptibles de passer 20 ans sous les drapeaux.

Louis, appelé en 1877, est concerné par cette dernière loi.


Mais comment cela se passe concrètement à cette époque-là* ?

Chaque année, les maires dressent un tableau de recensement des jeunes gens ayant atteint l'âge de vingt ans révolus dans l'année précédente et domiciliés dans la commune. Ces tableaux sont publiés et affichés dans chaque commune au plus tard le 15 janvier. Ils sont accompagnés d’un avis qui indique le lieu et le jour où il sera procédé à l'examen desdits tableaux et à la désignation, par le sort, du numéro assigné à chaque jeune homme inscrit.

La force du contingent appelé est fixée chaque année par une loi spéciale. Il est réparti entre les départements et les cantons, proportionnellement au nombre des jeunes gens inscrits sur des tableaux de recensement.

 

Louis Astié, dont le patronyme commence par un A et demeure dans une commune qui commence aussi par un A (Aubin, près de Decazeville), avait-il plus de chance qu’un autre de se retrouver en haut de la liste ? Toujours est-il que, ce jour-là, il se retrouve avec tous les jeunes gens de sa classe au chef lieu du canton, à Aubin. Sans doute a-t-il rejoint son cousin qui est de la même classe que lui, qui est mineur comme lui et qui s’appelle… Louis Astié !

(Il va de soi que je les ai confondu plusieurs fois !)

 

L’examen des tableaux et les opérations de tirage au sort pour le canton d’Aubin a lieu le 2 février 1878. La séance commence à 10 h dans la salle de la mairie. C’est le sous-préfet de l’arrondissement de Villefranche, assisté des maires des 11 communes du canton, qui procède au tirage au sort. 10 gendarmes ont été appelés pour maintenir le bon ordre. C’est le sort (sans mauvais jeu de mot) de 312 hommes qui se joue ce jour-là. L’ordre des communes appelées au tirage est lui-même tiré au sort. Aubin est la 3ème des 11 communes.

 

Le sous-préfet compte publiquement les numéros et les dépose dans l'urne, après s'être assuré que leur nombre est égal à celui des jeunes gens appelés à y concourir. Aussitôt, chacun des jeunes gens appelés dans l'ordre du tableau prend dans l'urne un numéro qui est immédiatement proclamé et inscrit. Les parents des absents ou, à défaut, le maire de leur commune tirent à leur place. L'opération du tirage achevée est définitive. Elle ne peut, sous aucun prétexte, être recommencée, et chacun garde le numéro qu'il a tiré ou qu'on a tiré pour lui. 

 

Le premier Louis, celui qui nous occupe aujourd’hui, n’a pas eu longtemps à attendre : il est le n°1 sur la liste ! Son cousin, le second Louis, a patienté un peu plus longtemps : n°186.

 

La liste cantonale, par ordre de numéros, est dressée à mesure que les numéros sont tirés de l'urne. Il y est fait mention des cas et des motifs d'exemption et de dispenses que les jeunes gens ou leurs parents, ou les maires des communes se proposent de faire valoir devant le conseil de révision. S’il n’y a aucun motif à présenter, on inscrit la mention SR (Sans Raison). C’est le cas du second Louis qui, sans raison valable à faire valoir, est donc directement incorporé au service actif. La liste du tirage est ensuite lue, arrêtée et signée. Elle est publiée et affichée dans chaque commune du canton. La séance à Aubin est levée à 14h30.

 

Le premier Louis est donc le n°1 de la liste. Pour échapper au service militaire, il lui reste le conseil de révision et une éventuelle dispense.


 

Il existe différents motifs d’exemption et de dispense :

  • Sont exemptés du service militaire, les jeunes gens que leurs infirmités rendent impropres à tout service actif ou auxiliaire dans l'armée.
  • Sont dispensés du service d'activité, en temps de paix, l'aîné d'orphelins de père et de mère; le fils unique ou l'aîné des fils d'une femme veuve ou d'une femme dont le mari a été légalement déclaré absent, ou d'un père aveugle ou entré dans sa 70ème année ; un jeune homme dont un frère est dans l'armée active; celui dont un frère est mort en activité de service ; etc…
  • Sont, à titre conditionnel, dispensés du service militaire les membres de l'instruction publique, les professeurs des institutions nationales des sourds-muets et des institutions nationales des jeunes aveugles, les artistes qui ont remporté les grands prix de l'Institut ou les élèves ecclésiastiques…

 

Après le tirage au sort a donc lieu le conseil de révision. Les opérations du recrutement sont revues, les réclamations auxquelles ces opérations peuvent donner lieu sont entendues, les causes d'exemption et de dispenses sont jugées en séance publique. Le conseil de révision est composé du préfet, d'un membre du conseil général du département, d'un officier général ou supérieur désigné par l'autorité militaire, le commandant du recrutement, un médecin militaire, etc...

Le conseil de révision se transporte dans les divers cantons. Les maires des communes auxquelles appartiennent les jeunes gens appelés devant le conseil de révision assistent aux séances et peuvent être entendus. Tous les conseils de révision doivent se tenir avant le 1er juillet, date du début officiel du service.

Le conseil de révision qui nous occupe a lieu le 3 avril 1878 au chef lieu de canton, Aubin. Il est composé du Préfet, Louis Assiot, un conseiller de préfecture, le Conseiller général Urbain Austry, un conseiller d’arrondissement. Sont aussi présents divers militaires, dont le commandant du dépôt de recrutement et le médecin militaire ; ainsi que les maires des communes du canton. Le conseil est déclaré ouvert à 8h20.

Les jeunes gens portés sur les tableaux de recensement sont convoqués, examinés et entendus l’un après l’autre. Ils peuvent alors faire connaître l'arme dans laquelle ils désirent être placés. Dans le cas d'exemption pour infirmités, le conseil ne se prononce qu'après avoir entendu le médecin présent. Les cas de dispenses sont jugés sur la production de documents authentiques et sur les certificats signés de trois pères de famille domiciliés dans le même canton, dont les fils sont soumis à l'appel ou ont été appelés. Ces certificats doivent, en outre, être signés et approuvés par le maire de la commune du réclamant. Les décisions du conseil de révision sont définitives.

Après que le conseil de révision a statué sur les cas d'exemptions et sur ceux des dispenses, ainsi que sur toutes les réclamations auxquelles les opérations peuvent donner lieu, la liste du recrutement cantonal du contingent est définitivement arrêtée par le conseil de révision. Elle mentionne les noms des hommes reconnus aptes avec le nom de l'unité d'affectation. La liste d’Aubin est signée et la séance levée à 16h.

Cette liste, divisée en cinq parties, comprend :

  • Par ordre de numéros de tirage, tous les jeunes gens déclarés propres au service militaire et qui ne doivent pas être classés dans les catégories suivantes;
  • Tous les jeunes gens dispensés du service;
  • Tous les jeunes gens conditionnellement dispensés, ainsi que les jeunes gens liés au service en vertu d'on engagement volontaire, d'un brevet ou d'une commission, et les jeunes marins inscrits;
  • Les jeunes gens qui, pour défaut de taille ou pour toute autre cause, ont été dispensés du service-dans l'armée active, mais ont été reconnus aptes à faire partie d'un des services auxiliaires de l'armée;
  • Enfin les jeunes gens qui ont été ajournés à un nouvel examen du conseil de révision.

L’étape suivante de la procédure est la création des registres matricules, dressés au moyen des listes cantonales du contingent sur lesquelles sont portés tous les jeunes gens qui n'ont pas été déclarés impropre au service militaire ou qui n'ont pas été ajournés à un nouvel examen du conseil de révision.

Ce registre mentionne l'incorporation de chaque homme inscrit et successivement tous les changements qui peuvent survenir dans sa situation, jusqu'à ce qu'il passe dans l'armée territoriale.

Tout homme inscrit sur le registre matricule, qui change de domicile, est tenu d'en faire la déclaration à la mairie de la commune qu'il quitte et à la mairie du lieu où il vient s'établir. S’il ne le fait pas, il peut être déféré aux tribunaux ordinaires et puni d'une amende de dix à deux cents francs; il peut, en outre, être condamné à un emprisonnement de quinze jours à trois mois.

Tout Français qui n'est pas déclaré impropre à tout service militaire fait partie:

  • De l'armée active pendant cinq ans; elle est composée de tous les jeunes gens déclarés propres à un des services de l'armée;
  • De la réserve de l'armée active pendant quatre ans; elle est composée des exemptés et des volontaires avec une durée de service de cinq ans et des jeunes gens qui, après un service de cinq ans dans l'active, sont également obligés de servir quatre ans dans la réserve.
  • De l’armée territoriale pendant cinq ans; elle est composée de tous les hommes qui ont accompli le temps de service prescrit pour l'armée active et la réserve ;
  • De la réserve de l'armée territoriale pendant six ans ; elle est composée des hommes qui ont accompli le temps de service pour cette armée.

Chaque année, au 30 juin, en temps de paix, les militaires changent de statut :

  • ceux qui ont achevé le temps de service prescrit dans l'armée active, sont envoyés dans la première réserve
  • ceux qui ont accompli le temps de service prescrit dans la réserve de l'armée active, sont envoyés dans l'armée territoriale
  • ceux qui ont terminé le temps de service prescrit pour l'armée territoriale, sont envoyés dans la deuxième réserve
  • ceux qui ont terminé le temps de service pour la deuxième réserve, reçoivent leur congé définitif.

En temps de guerre, ils reçoivent leurs affectations immédiatement après l'arrivée au corps.

 

Louis a fait valoir son état familial : son père est décédé en 1864. Il laisse une veuve et deux enfants, lui-même et sa jeune sœur Julie âgée de 18 ans. Il entre donc dans le cas de l’article 17 comme fils unique d'une femme actuellement veuve. Sans doute a-t-il produit des copies d’actes d’état civil (notamment l’acte de décès de son père) qui prouve son état et tout autre document nécessaire. Sa demande est reçue : il est dispensé. 

Conseil de révision © Genealanille

Il est inscrit dans la 2ème partie de la liste (celle des dispensés, donc). Néanmoins dispensé ne signifie pas qu’il est libéré complètement du service militaire : il ne fait pas de service actif, mais il reste mobilisable. Il suit le cours de sa classe (active, réserve, territoriale) tout en restant dans ses foyers. Si son motif de dispense disparaît, il rejoint sa classe.

Revenons au parcours normal du soldat : après l'armée d'active, il est versé dans la réserve. Napoléon III a souhaité instituer, dès 1866, une réserve militaire comparable à celle de l’armée prussienne. Cependant elle ne fut officiellement créée qu’en 1872. En effet les troupes de cette proto-réserve, peu formées, mal organisées et médiocrement commandées furent incapables de résister à l'invasion allemande et de défendre Paris en 1870. C'est donc après la chute du Second Empire que sont instituées les réserves telles qu’elles ont existé jusqu’à la fin du XXe siècle.

Les jeunes gens qui sont versés dans la réserve restent à la disposition du ministre de la guerre. Ils peuvent néanmoins se marier sans autorisation. Ils sont assujettis, pendant le temps de service de ladite réserve, à prendre part à des revues et à des exercices afin qu’ils restent opérationnels, même dix ans après la fin de leur service dans l’armée active.

Au début, les exercices de la première année duraient trois mois, après lesquels les jeunes gens étaient renvoyés provisoirement « en congé » (on ne disait pas encore réserve). La deuxième année, ils étaient rappelés dans les dépôts pour y être exercés de nouveau pendant deux mois, et la troisième année pendant un mois. Ensuite les exercices de la troisième année furent supprimés et la durée des manœuvres restantes progressivement réduite à un mois, voire 15 jours (après 1900).

Jusqu'au début du XXe siècle les hommes concernés sont avertis par le maire et par voie d'affichage en début d'année.

La première période d’exercices se déroule théoriquement la deuxième année après le passage dans la réserve de l'armée d'active. Elle dure 28 jours jusqu'en 1905, puis 23. Dans l'infanterie, la majorité est appelée fin août afin qu'ils participent aux grandes manœuvres qui se déroulent la première quinzaine de septembre. Une dispense ou un ajournement peut être accordé dans certains cas.

Lors de ces manœuvres, les jeunes gens étaient réunis dans l'un des dépôts d'instruction établis dans leur département. Une visite médicale peut être organisée. Ceux reconnus momentanément hors d'état d'accomplir leur période d'instruction sont ajournés et renvoyés immédiatement dans leurs foyers. Les autres y apprennent l'entretien de l'armement, le service de campagne (dont l'hygiène des hommes), l’entraînement au tir et à la marche, puis les manœuvres.

A l'expiration de chaque période d'instruction, la mention de l'accomplissement de cette période est inscrite sur le livret individuel du soldat et sur sa fiche matricule.

La deuxième période d'exercices se déroule entre quatre et six ans après leur passage dans la réserve. Son contenu est assez similaire à la première. 

Toute fraude dans les déclarations des jeunes gens, ou non présentation réglementaire, est soumise à différentes peines selon les cas (amendes ou emprisonnement), qu’ils soient dans l’armée active, engagé volontaire ou dans la réserve.

 

Tant que le motif de dispense existe, Louis n'a pas à revêtir l'uniforme. Mais si le motif disparait, ses obligations militaires reprennent. Il ne repart pas de zéro, c'est-à-dire qu’il ne rentre pas dans l’active comme tout nouvel appelé, mais suit le court normal de sa classe (1877 en l’occurrence), comme on l'a vu plus haut. Ainsi, avec sa classe, il est passé ("théoriquement") dans la réserve le 1er juillet 1883. Selon son statut, il a été dispensé de la première période d'exercices en 1884. 

Or la mère de Louis meurt en mai 1886 et avec elle disparaît la veuve dans l’équation « fils aîné de veuve ». Louis est donc rappelé à ses obligations militaires. Comme le reste de sa classe, on le convoque pour accomplir sa période d'instruction de réserviste, d'une durée de 28 jours (celle qui correspond à la deuxième période d’exercice puisque nous sommes 9 ans après l’appel). Pour cela il aurait dû se présenter le 6 septembre 1886 au chef lieu du département pour y être passé en revue avec son régiment d’infanterie à Rodez. Mais il ne « s’est même pas présenté un mois après ». Le 6 octobre il fait l’objet d’un signalement d’un réserviste de la classe 1877 (n’ayant pas servi) et déclaré insoumis.


Fiche de signalement d'un insoumis © AD12


D’après le Code Militaire**, est considéré comme insoumis tout jeune soldat appelé par la loi, tout engagé volontaire ou tout remplaçant qui, hors les cas de force majeure, ne s'est pas rendu à sa destination dans le mois qui suit le jour fixé par son ordre de route.

Les jeunes soldats, les engagés volontaires et les remplaçants qui ont reçu leur ordre de route, mais qui ne sont pas encore réunis en détachement, ni arrivés au corps sont considérés comme étant justiciables des conseils de guerre. Cela inclus notamment les jeunes soldats laissés dans leurs foyers (la réserve) lorsqu'ils sont réunis pour les revues ou exercices prévus, exception faite des transports sous la conduite de la force publique, d’entrées dans un hospice ou de détentions dans une prison militaire. 

 

La désertion intervient lorsqu’un soldat s’absente sans autorisation, ou qu'il voyage isolément d'un corps à un autre, ou que son congé ou sa permission ont expirés.

En temps de paix, la peine prévue pour insoumission est un emprisonnement de six jours à un an ; en temps de guerre, elle est portée de un mois à deux ans d'emprisonnement.

 

Phénomène ancien, et récurrent, on commença par punir la désertion de la peine de mort; et cet état de chose subsista jusqu'en 1638. La peine capitale fut alors remplacée par les galères; puis elle fut ordonnée, de nouveau, pour disparaître encore. Elle était frappée, au moment de la Révolution, d'une punition corporelle et de la prolongation du service militaire. Les lois successives créèrent des juridictions et des pénalités diverses, selon les nécessités des temps.

 

L’autorité militaire a le devoir de prescrire toutes les mesures pour que les déserteurs et insoumis soient immédiatement recherchés et arrêtés. La prescription de ces faits ne commence à courir que du jour où l'insoumis ou le déserteur a atteint l'âge de 47 ans.

Les hommes qui, sans motifs légitimes, se présentent en retard dans les trois premiers jours de la période à laquelle ils sont convoqués, sont punis disciplinairement par l'autorité qui a constaté la faute. Ils sont, d'ailleurs, tenus d'accomplir immédiatement et intégralement leur période.

Ceux qui, à l'expiration des délais fixés ci dessus, n'ont pas rejoint le corps dans lequel ils devaient accomplir leur période (corps d'affectation ou autre) sont immédiatement signalés au commandant de recrutement de leur domicile. Ils sont, à cet effet, inscrits sur une liste nominative de signalement d’insoumis, établie par classe de mobilisation et adressée par le corps au commandant de recrutement intéressé dès le troisième jour de la période d'exercices. Celui-ci formule une plainte officielle qui énonce l'époque à laquelle l'insoumis aurait dû rejoindre son corps.

Sont annexés à la plainte :

  • La copie de la lettre de mise en activité ;
  • La copie des pièces énonçant que l'insoumis n'est pas arrivé à la destination qui lui avait été assignée;
  • L'exposé des circonstances qui ont accompagné l'insoumission.

Louis ne s’étant pas présenté au chef lieu de subdivision au jour fixé par son ordre de route, une plainte est portée à son encontre comme réserviste appelé pour accomplir une période d’exercices de 28 jours insoumis.

Le commandant de recrutement fait alors rechercher ces hommes par la gendarmerie. La police judiciaire militaire est en charge de rassembler les preuves, et de livrer les auteurs à l'autorité.

Louis a été déclaré insoumis le 6 octobre 1886, arrêté le 3 décembre 1886, écroué le 4. La plainte le concernant est officiellement adressée au Ministre de la guerre, au Préfet de l’Aveyron, au Chef d’escadron commandant la compagnie de gendarmerie de la Haute Garonne le 7 décembre 1886.

Une fois arrêté, le prévenu est interrogé par le rapporteur sur ses nom, prénoms, âge, lieu de naissance, profession, domicile, et sur les circonstances du délit; il lui présente toutes les pièces pouvant servir à conviction, et il l'interpelle pour qu'il ait à déclarer s'il les reconnaît. S’il y en a, les témoins de l’affaire sont auditionnés. S’ils résident hors du lieu où se fait l'information, le rapporteur peut requérir, par commission rogatoire le juge d'instruction ou le juge de paix du lieu dans lequel ces témoins demeurent, à l'effet de recevoir leur déposition. Toute personne citée pour être entendue en témoignage est tenue de comparaître et de satisfaire à la citation. A défaut une amende peut être ordonnée.

L'interrogatoire fini, il en est donné lecture au prévenu, afin qu'il déclare si ses réponses ont été fidèlement transcrites, si elles contiennent la vérité et s'il y persiste. L'interrogatoire est signé par le prévenu et clos par la signature du rapporteur et celle du greffier.

Après l'interrogatoire du prévenu, le mandat de comparution ou d'amener peut être converti en mandat de dépôt. Le commissaire rend compte au général commandant la division des mandats de comparution, d'amener ou de dépôt qui ont été décernés par le rapporteur.

L'instruction terminée, le rapporteur transmet les pièces, avec son rapport et son avis, au général commandant la division, qui se prononce sur la mise en jugement et, le cas échéant, ordonne de convoquer le conseil de guerre ; il en fixe le jour et l'heure de sa réunion. L'insoumis est jugé par le conseil de guerre de la division militaire dans laquelle il est arrêté.

Trois jours avant la réunion du conseil de guerre, le commissaire notifie cet ordre à l'accusé, en lui faisant connaître le crime ou le délit pour lequel il est mis en jugement, le texte de la loi applicable, et les noms des témoins qu'il se propose de faire citer. Si le prévenu ne fait pas le choix d'un défenseur, il lui en sera nommé un d'office par le président.

Le conseil de guerre est composé d’un colonel ou un lieutenant-colonel qui fait office de président, et plusieurs juges (officiers ou sous-officiers).

 

 

Le Conseil de guerre du XVIème corps d’armée qui a jugé Louis a eu lieu le 19 janvier 1887 à Montpellier. Il est présidé par le lieutenant colonel du 122e de ligne, M. Guasco.

 

Les séances conseil de guerre sont publiques, sauf s’il y a danger pour l'ordre ou pour les mœurs : elles se tiennent alors à huis clos. Dans tous les cas, le jugement est prononcé publiquement. Le président fait amener l'accusé, lequel comparait sous garde suffisante, libre et sans fers, assisté de son défenseur. Il est interrogé par le président sur son identité et lui fait connaître le crime ou le délit pour lequel il est poursuivi. Il l'avertit que la loi lui donne le droit de dire tout ce qui est utile à sa défense. 

Le président est investi d'un pouvoir discrétionnaire pour la direction des débats et la découverte de la vérité. Il peut, dans le cours des débats, appeler toute personne dont l'audition lui parait nécessaire; il peut aussi faire apporter toute pièce qui lui paraîtrait utile à la manifestation de la vérité. Le président procède à l'interrogatoire de l'accusé et reçoit les dépositions des témoins. Le commissaire impérial est entendu dans ses réquisitions et développe les moyens qui appuient l'accusation. L'accusé et son défenseur sont entendus dans leur défense. Une fois les débats terminés, le président fait retirer l'accusé. Les juges se rendent dans la chambre du conseil, ou, si les localités ne le permettent pas, le président fait retirer l'auditoire.

Les juges ne peuvent plus communiquer avec personne ni se séparer avant que le jugement ait été rendu. Ils délibèrent hors la présence du commissaire impérial et du greffier. Ils ont sous les yeux les pièces de la procédure. Le président recueille les voix, en commençant par le grade inférieur; il émet son opinion le dernier.

Les questions sont posées par le président dans l'ordre suivant pour chacun des accusés :

  • L'accusé est-il coupable du fait qui lui est imputé ?
  • Ce fait a-t-il été commis avec telle ou telle circonstance aggravante ?
  • Ce fait a-t-il été commis dans telle ou telle circonstance qui le rend excusable d'après la loi ?

Si l'accusé est déclaré coupable, le conseil de guerre délibère sur l'application de la peine.

Les peines sont graduées au vue des circonstances du crime ou du délit, et selon que la désertion  ou insoumission a eu lieu en temps de paix, de guerre ou de siège, à l'intérieur, à l'étranger, à l'ennemi ou en présence de l'ennemi. Des conseils de guerre spéciaux sont institués pour juger les déserteurs et insoumis.

Les peines qui peuvent être appliquées par les tribunaux militaires en matière de crime sont : la mort, les travaux forcés, la déportation, la détention, la réclusion, le bannissement, la dégradation militaire. Les peines en matière de délit sont : la destitution, les travaux publics, l'emprisonnement, l'amende.

Le jugement est prononcé en séance publique. Le président donne lecture des motifs et du dispositif.

Si l'accusé n'est pas reconnu coupable, le conseil prononce son acquittement, et le président ordonne qu'il soit mis en liberté. Si le conseil de guerre déclare que le fait commis par l'accusé ne donne lieu à l'application d'aucune peine, il prononce son absolution, et le président ordonne qu'il soit mis en liberté à l'expiration du délai fixé pour le recours en révision. S’il est condamné, le greffier en donne lecture à l'accusé et l'avertit du droit qu'il a de former un recours en révision dans les vingt-quatre heures. Le procès-verbal est dressé et signé.

S'il n'y a pas de recours en révision, le jugement est exécutoire dans les vingt-quatre heures après l'expiration du délai fixé pour le recours. Le commissaire impérial rend compte au général commandant la division du jugement du conseil de guerre pour qu’il requière l'exécution du jugement.

 

Louis a été condamné à 8 jours d’emprisonnement. Cela ne le changera pas beaucoup de son ordinaire car la raison pour laquelle il ne s’est pas présenté à sa période d’exercice c’est qu’il était… en prison !

Et oui, c’est là qu’il a été cueilli par les autorités : à sa sortie de la prison d’Albi.

C’est la presse qui nous raconte les motifs de son incarcération en détention civile.

Le XIXème siècle marque l’essor de la presse, notamment grâce à la modernisation des techniques, à l’alphabétisation et à l’augmentation de la publicité, qui permet la baisse des coûts de production (et donc de vente).

Mais à cette époque, je journalisme n’était pas ce qu’il était aujourd’hui. On est encore loin d’une écriture journalistique spécifique, avec ses codes propres (hiérarchie codifiée de l’information, rôle et place de l’anecdote, titre, chapeau). Les rédactions sont moins importantes, c'est-à-dire, qu’il y a moins de journaliste embauchés par journaux. La profession journalistique n’existe pas encore vraiment. On parle parfois d’écrivains de journal pour les désigner.

A l’époque, la frontière entre journalisme (information, chronique) et littérature (conte, fiction) est mince. Les journaux influencent la littérature (les écrits jusqu’alors principalement argumentatifs deviennent narratifs) et inversement. Des écrivains travaillent au sein des journaux. Certains d’entre eux se font connaître grâce aux feuilletons, histoire publiées par épisode dans les quotidiens. Si la partie « feuilleton » est clairement identifiée comme une partie imaginaire, des éléments fictionnels infusent aussi l’ensemble des écrits, dans le ton et le style des articles. De plus, ces écrivains signent aussi des articles où ils trouvent une tribune pour exprimer leurs idées politiques et artistiques au lecteur, de façon directe.

Les publications font souvent 4 pages à cette époque. Les pages 2 et 3 sont appelées le ventre mou du journal. On y trouve une série d’articles qui ne sont pas signés et qui sont souvent republiés dans plusieurs titres (ce que les lecteurs savaient pertinemment). Ils ont beaucoup de succès parce qu’ils sont poignants, émouvants ou a contrario parce qu’ils comblent nos besoins naturels de frissons et d’horreur, mais aussi parce qu’ils sont en prise avec les préoccupations de l’époque et font vendre.

C’est là que l’on retrouve l’histoire de Louis, publiée dans plusieurs titres comme c’est l’usage (le Journal de Toulouse, le Progrès libéral et Le Petit républicain de Toulouse et du Midi, articles identiques au mot près ; La Dépêche, article légèrement différent).

D’après le Journal de Toulouse, dans son édition du 18 juin 1886, les sergents de ville qui faisaient leur ronde de nuit en banlieue ont arrêté trois hommes. La Dépêche précise que cette ronde avait pour but de « parcourir les différents quartiers de la banlieue pour rechercher les vagabonds et les repris de justice qui infestent ces parages ». Ils ont trouvé, couchés dans une métairie à la Côte Pavée (quartier résidentiel bourgeois de Toulouse située sur les hauteurs de l'est de la ville) «  trois de ces chevaliers errant et à sinistre figure, qui dépouillent les arbres fruitiers de leur récolte et font main basse sur les volailles de nos basses cours. Ces parasites ont été désagréablement surpris par cette visite matinale qui les a mis dans la pénible situation d'abandonner la paille fraîche des étables où ils dormaient d'un si profond sommeil, pour aller s'étendre sur le lit de camp, beaucoup moins confortable, du violon du Capitole. Ces trois nomades, tous étrangers au département, n'ayant ni domicile fixe ni titre de voyage pouvant servir à établir leur identité, seront mis à la disposition de M. le procureur de la République comme prévenus de vagabondage. Ce sont les nommés François Naudy, âgé de 41 ans, sans profession, originaire d’Orlu (Ariège) ; Augustin Dallée, 42 ans peintre en bâtiments, né à Dijon (Côte d'Or) et Louis Astié, âgé de 28 ans, mineur, de Cransac (Aveyron) ».

On admirera au passage les « chevaliers à tristes figures » et autres tournures de l’article.

Mais qui sont ces trois hommes ? 

Deux François Naudy sont nés à Orlu ; un en 1844 et un autre en 1845 : difficile de dire lequel est notre protagoniste. Un homonyme, natif d’Orlu à la même période, vit à Toulouse en 1911 : est-ce que notre homme se serait finalement fixé dans la ville rose ?

Augustin Dallée est probablement celui qui naît le 7 septembre 1843 sous les prénoms d’Auguste Simon (aucun autre candidat ayant pu correspondre n’ayant été trouvé à Dijon). En 1908 une enquête est ordonnée par le tribunal de première instance de Dijon pour constater officiellement son absence : quelqu’un, au pays, doit l’attendre vainement depuis longtemps…

Sans oublier notre Louis, bien sûr. 

Les trois individus, n'ayant pu faire connaître leurs moyens d'existence, ont donc été incarcéré pour un mois. 

Mais ce n'est pas le seul séjour en prison pour Louis. En effet sa fiche matricule lève un coin de voile sur ce sujet car ce type de document comporte toujours... les condamnations du soldat. Louis a fait plusieurs séjours en prison :

  • à partir du 10 avril 1886 pour 8 jours (condamnation par le tribunal correctionnel de Perpignan); motif : vagabondage.
  • à partir du 23 juin 1886 pour un mois (tribunal de Toulouse); vagabondage. C'est la conséquence de l'épisode que l'on a vu relaté par la presse.
  • à partir du 4 novembre 1886 pour un mois (tribunal d'Albi); vagabondage.

C'est à la suite de cette troisième condamnation que Louis a été cueilli par la police à la prison civile d’Albi. L'année 1886 a été mouvementée pour Louis. Que s'est-il passé entre 1877 où il était mineur à Aubin et cette période de vagabondage multiple en 1886 ? Mystère.

Quoi qu’il en soit, la détention en prison civile n’est pas un des cas de force majeure prévue par le code de justice militaire qui exempte un jeune homme de se présenter à ses obligations militaires. Louis est donc arrêté le 3 décembre dès sa sortie de prison. Le lendemain il a été écroué. Arrêté à Toulouse, il a été jugé à Montpellier. Normalement il est envoyé à la prison militaire du lieu où siège le conseil de guerre, donc probablement en Hérault. Après la plainte portée officiellement contre lui le 7 décembre 1886, il est jugé en conseil de guerre quelques semaines plus tard.

A nouveau, la presse s’en fait l’écho : le même article est publié dans le Messager du Midi, édition du 20 janvier 1887, et Le Journal du Midi, du lendemain. Il fait état du conseil de guerre du XVIème corps d’armée qui a eu lieu le 19 janvier 1887 à Montpellier. Il est présidé par le lieutenant colonel du 122e de ligne, M. Guasco qui a condamné Louis, réserviste de la classe 1877 du recrutement de Rodez, à 8 jours de prison pour insoumission. Pour mémoire, en temps de paix, la peine prévue est de six jours à un an. Louis n’a pas eu le minimum ; il n’a pas eu le maximum non plus, loin de là.

 


Après cela les ennuis de Louis ne sont pas terminés. Il est re-affecté au Régiment d'Infanterie de Rodez. Et à nouveau condamné : cette fois c'est pour vol (le 2 février 1887 par le tribunal correctionnel de Montpellier, pour un mois). Et à nouveau déclaré insoumis le 12 novembre 1887 ! C'était peu après son passage dans l'armée territoriale (1er juillet 1887). Je n'ai pas de détail sur cette nouvelle affaire, mais le moins que l'on puise dire c'est que les relations de Louis et de l'armée sont assez délicates !

Pour le reste, je ne lui ai trouvé ni mariage ni décès. Un jour peut-être…

 

 

 

* Pour vous raconter cela, je cite la loi de 1872, accessible dans la Bulletin des lois sur Gallica
** Je me base sur la version de 1857
J’espère ne pas avoir mal interprété les textes parfois un peu obscurs…