« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 18 février 2017

#RDVAncestral : Louise, mariée à 12 ans

Les petites sautillaient autour de Louise, admiratives. Marie 8 ans, Estiennaz 5 ans et même Claudine 2 ans, sur ses petites jambes malhabiles, imitant ses grandes sœurs. C'est la nouvelle robe de Louise qui suscitaient ainsi l'admiration. Clauda, leur mère, les surveillait du coin de l’œil, occupée aux tâches quotidiennes de l’entretien de la maison. Je ne sais pas où est Benoite, la sœur aînée âgée de 16 ans. Depuis le décès du petit Jean Antoine qui n'a vécu que 3 mois, il n'y a que des filles dans la maison.

Je regarde Louise. La nouvelle robe lui plaît, bien sûr. C'est pas tous les jours que sa mère lui confectionne une nouvelle robe. Mais en même temps elle a l'air un peu triste. Elle regarde le coffret en bois qui l'attend. C'est son père Benoît, laboureur, qui l'a fabriqué après ses journées de travail, dans le plus grand secret. Il est petit et ne contient que quelques rares effets : sa robe de tous les jours, une aune de toile et deux serviettes un peu usées. Mais c'est le sien. Ça lui a fait bien plaisir quand son père le lui a donné hier soir.
Mais ce coffre et cette robe, c'est aussi le signe du départ. Aujourd'hui Louise quitte sa famille. Elle va dans la vallée voisine, autant dire le bout du monde ! Reverra-t-elle ses proches ?

Et surtout... Ce voyage n'est pas ordinaire, comme quand on va à la foire ou dans un autre village pour une veillée. Non, cette fois Louise s'en va pour suivre son mari. Ce Claude qu'elle a épousé ce matin en l'église de Lantenay. Elle ne le connaît pas ce Claude. Elle sait juste qu'il est tailleur d'habits. En plus il est vieux ! Il a au moins 20 ans, voir plus ! Du haut de ses 12 ans, pour Louise, c'est un vieillard... Car, oui, Louise n'a que 12 ans et vient de se marier.


Jeune fille vintage © via littlepinkstudio.typepad.com sur Pinterest

- Bon allez, ça suffit maintenant !
Clauda met fin au chahut des petites.
- Le charriot est prêt : c'est l'heure.

Louise sent les larmes lui monter aux yeux. Il faut dire que sa mère n'en mène pas large non plus. C'est sa petite qui la quitte aujourd'hui, tout de même. Je crois qu'au dernier moment, le courage lui manque. Je propose donc d'accompagner Louise : d'un signe de tête Clauda me remercie.
Je prends le coffret sous le bras et Louise par la main. Nous sortons de la maison sans un mot et nous nous dirigeons vers le charriot qui attend la jeune épousée.

J'essaie de la réconforter comme je peux, mais il est vrai qu'avec ma mentalité du XXIème siècle j'ai un peu de mal à me réjouir d'une mariée de 12 ans ! On dit en général que le mariage est le plus beau jour dans la vie d'une femme. Mais à 12 ans... Ces usages ne sont plus dans nos habitudes et sont presque devenus choquants pour nous. Cependant Louise tient fort ma main dans la sienne, accrochée à moi comme un noyé à une bouée. Alors j'essaie de lui parler, de la rassurer.

- Ne t'inquiète pas Louise : il n'est pas si vieux ce Claude. Il n'a que 21 ans [Bon, c'est le quasiment le double de ton âge, mais ça pourrait être pire... : décidément, il y a des choses qui ne sont pas bonnes à dire]. Tu vas avoir ta maison à toi. Et bientôt des enfants. Et puis Brenod, n'est pas si loin.

Nous sommes déjà arrivées au charriot. Je pose le coffret et j'installe confortablement Louise, une couverture autour des épaules : à près de 1 000 m d'altitude en plein mois de novembre il peut faire très froid sur les routes. Elle semble un peu réconfortée. Je sais que son inquiétude va passer avec le temps. Et puis, dès l'année prochaine elle mettra au monde un fils; suivi de trois autres enfants. Après le décès de Claude, elle se mariera à nouveau. Elle aura cette fois 27 ans et déjà presque toute une vie derrière elle. Encore deux enfants. La vie qui continue. Finalement Louise s'éteindra à 59 ans.


Louise Baland, mon ancêtre à la 13ème génération (sosa n°5371) est à ce jour la plus jeune épousée de ma généalogie : mariée le 13 novembre 1657 à Lantenay (Ain) à 12 ans seulement avec Claude Massonet (âge probable : 21 ans).

Pour les curieux : afin de se rappeler de la différence entre nubilité (âge à partir duquel on peut se marier) et majorité matrimoniale (âge à partir duquel on peut se marier sans le consentement parental ni celui d’un tuteur) au cours du temps, voir le récent article du blog de Stefieh Ils étaient une fois... bienvenue chez mes ancêtres "N comme nubilité et majorité matrimoniale").


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