Je n’ai pas souvenir d’en avoir rencontré après la Révolution, sans doute à cause des pages pré-remplies et à la rigueur des officiers d’État civil. Cependant, lorsque que c’était les curés qui tenaient les registres de baptêmes, mariages et sépultures (BMS), il n’est pas rare de croiser quelques digressions dans la marge ou carrément au sein du registre. Plus ou moins longues, cela peut être un dessin, le compte rendu d’une visite pastorale, le détail de travaux faits sur l’église. Très courantes sont les observations météorologiques (deux d'entre elles furent à l'origine de l'article L'effet papillon sur ce blog).
Je me rappelle avoir lu le récit d’une avalanche particulièrement destructrice, sur les hauts plateaux de l’Ain. Mais impossible de retrouver la date et la paroisse concernée ! Depuis, et sur les conseils de @gazetteancetres, à chaque fois que je rencontre une de ces mentions insolites, je l’enregistre dans un dossier dédié.
C’est ainsi que je peux aujourd’hui facilement ressortir celle-ci (parmi d'autres). Il s’agit d’une note d'un curé, nommé Récamier, en poste à Villes (Ain) dans les années 1730. La note commence sur l'avant dernier feuillet du registre BMS de la paroisse, à peu près au milieu d'une page (celle-ci débutant comme il se doit par les mentions de baptêmes et de décès, avant de laisser place audit commentaire). Sur le feuillet suivant, le début de la page concerne un acte de baptême, finalement rayé avec cette note dans la marge « il est écrit dans le registre suivant ». Tout le reste de la page est occupé par la fin de la fameuse note du curé. Ce qui suppose qu'elle a été écrite à postériori, là où il y avait de la place. Cette note est une véritable diatribe, au ton plutôt vif. Car, inutile de le cacher plus longtemps, M. le Curé est – de toute évidence – très en colère.
Un conflit l’oppose à l’un de ses paroissiens… pour une question d’argent.
Mais notre curé colérique ne manque pas d’ironie, commençant son texte par cette formule savoureuse « J’aurais laissé dans un entier oubli ce qui suit ». Il explique comment Pierre Bernard, orphelin de père, avait été placé en apprentissage chez un marchand toilier durant six ans. Le curé pense qu’il y a simplement « perdu son temps ». De retour chez sa mère et ses sœurs, il porte des accusations contre le curé, sans toutefois lui en parler directement mais en répandant des commérages « dans ce vilage ». Il prétend en effet « que ses parents avaient contribué aux réparations de l’église » ; « quoy que cela est très faux » rétorque le curé, insistant sur la « sotte vanité » dont fait preuve son paroissien. Il précise même que le père, feu Claude Bernard, « n’a jamais fourny ny un sol ny la valleur dicelluy pour la batisse en réparation de notre église ». Contrairement à « tous les autres habitants [qui y ont] contribué », chacun selon leurs capacités : « les uns en naydant à creuser les fondations », les autres en fournissant « les matériaux comme sable et pierre », voire en « faisant un four à chaux ». Et tous ces travaux ont été réalisés les jours de fêtes (normalement chômés), grâce à une autorisation spéciale de l’évêque. En lisant cette note, on perçoit la tension du curé crisser sous sa plume, à tel point que, tellement énervé contre son paroissien, il se refuse même à écrire de nouveau son nom, disant simplement « de l’autre part nommé ». On sent sous cette mention que des insultes, bien peu chrétiennes, auraient pu se libérer d’un coup. Quand à l’argent fourni, car il y a bien eu des dons en argent, « le curé soussigné […] en remercie Dieu de luy en avoir donné la pensé [= de s’en être rappelé ?] […] il est vray que il y a eu environ 130 livres qui ne sont pas de mon bien mais que je ne déclare pas non [plus] quelles proviennent d’aucune restitution mais elles sont venue d’une bourse dont le propriétaire n’en a pas scu l’employer, pieux et legitime. »
Non mais !
Diatribe à Villes, registre paroissial de Villes, 1734 © AD01
[première page] « J’aurais laissé dans un entier oubli ce qui suit mais
la sotte vanité de Pierre fils de feu Claude Bernard et
qui appres avoir perdu son temps chez un marchand
toilier où il avait été mis pendant six ans par ses
parents pour y apprendre ce negoce, s’est venu revivre
dans sa maison a villes avec sa mere et ses sœurs , disoit
dans ce vilage, que ses parents avaient contribué aux
réparations de l’église de ce lieu quoy que cela est très
faux, je déclare que claude bernard enfant de feu Pierre
Bernard et qui socupoit à faire valoir son moulin
n’a jamais fourny ny un sol ny la valleur dicelluy
pour la batisse en réparation de notre église quoy que
tous les autres habitants y ayant contribué chacun [?]
[seconde page] comme il a pû les uns en naydant à creuser les
fondations les autres a fournir les matériaux comme
sable et pierre et tous a lexclusion dudit [… ?] qui est
de lautre part nommé, en faisant un four à chaux
et le tout les jours de fetes par la permission
accordée par le seigneur eveque et tout largent fourni
par le curé soussigné qui remercie Dieu de luy
en avoir donné la pensé et le pouvoir de leffectuer
Il est vray que il y a eu environ 130 livres qui ne sont
pas de mon bien mais que je ne déclare pas non quelles
proviennent d’aucune restitution mais elles sont
venue d’une bourse dont le propriétaire n’en a pas
scu l’employer pieux et legitime ny pu le scavoir
cest tout ce que jassure en me signant
Recamier curé »
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