Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de février 1916 sont réunis ici.
Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.
Jean François disparaît "des radars" entre sa blessure (fin janvier) et son retour au front en septembre. J'ignore où il a été soigné et où il a passé sa convalescence. Il m'a donc fallu inventer un probable parcours, basé sur la consultation de différentes archives (vie à l'hôpital, autres batailles...).
Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
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1er février
L’ambulance alpine n°2/64 qui m’a évacué est celle qui est stationnée dans la mairie-école de Mittlach, à quelques kilomètres de Metzeral.
Ambulance alpine n°2/64 © ambulance-alpine-dna.fr
Suite à de très violents bombardements et à la destruction partielle des parties hautes, l’ambulance s’est retranchée au sous-sol du bâtiment.
Elle a aussi installé des infrastructures creusées dans le sol alentours.
Ce que le service des armées nomme « ambulance alpine » est un poste de secours qui accueille une cinquantaine de médecins, infirmiers, brancardiers…
Initialement conçu comme un lieu d’accueil des blessés venant du front, il a pour fonction de les trier, de remettre sur pieds ceux qui peuvent l’être et de stabiliser les plus gravement touchés avant de les transférer vers les hôpitaux de campagne situés à l’arrière.
Toutefois, en raison des conditions climatiques, notamment en hiver, le rôle de l’ambulance va évoluer. En effet, les cols devenant impraticables à cause de la neige, il est impossible de transférer les blessés. Les soins et les traitements sont donc administrés parfois directement sur place.
La météo le permettant, je ne suis resté qu’un seul jour à l’ambulance : j’ai été évacué dès le 29.
2 février
L’ambulance 2/58 m’a ensuite emmené à Krüth
J’y retrouve R. Gustave, du 23e bataillon de chasseurs alpins, entré à l’ambulance 2/58 le 25-12-15.
Il était considéré comme suspect, le rapport préliminaire concluant à un coup de feu tiré à courte distance.
Finalement il est considéré comme un blessé ordinaire et évacué à l’arrière.
3 février
J’en ai vu des gars, usés par la peur, le froid et l’horreur : certains cèdent à la panique et laissent leurs mains dépasser du parapet.
Ils espèrent être la cible d’un tireur isolé : un membre estropié vaut un retour au pays.
A condition de ne pas être reconnu comme blessure volontaire : c’est alors la cour martiale… ou pire.
Le vacarme incessant des bombardements, la saleté, les poux, la boue. Il faut avoir les nerfs solides pour résister à tout ça.
D’autres se sentent coupables à l’idée de détruire la vie d’un Allemand inconnu de leur âge, respirant le même air, riant, mangeant.
Ce n’est pas de la déloyauté ou de la lâcheté. C’est simplement le signe de leur humanité.
Soldat russe © legeekcestchic.eu
4 février
Me voici donc à l’hôpital [*]. Je découvre un nouvel univers.
En treize mois au front, c’est la première fois que je suis blessé.
5 février
La souffrance me fait oublier tout ce qui est étranger à cette salle commune dans laquelle on meurt ou on vit presque par hasard.
La nuit les plaintes des blessés interdisent un sommeil qui de toute façon ne vient pas.
6 février
La nuit, parfois, des souvenirs de mon enfance surgissent, bouleversants, chargés d’espérance.
Je n’ose m’y abandonner.
7 février
Ici on est plus loin du front, mais chaque assaut et bombardement se devine par l’afflux de blessés qui arrive parmi nous.
8 février
La pénurie, le rationnement, le manque de personnel est le lot commun de l’hôpital.
Celles et ceux qui se dévouent pour nous ont d’autant plus de mérite. Leur engagement est sans faille et leur tâche toujours plus lourde.
Soigner les blessés est un défi. Les nourrir une gageure.
9 février
Après le bruit, le froid, la peur, infirmières et médecins apparaissent comme un rempart aux drames du quotidien du front.
10 février
Ici on trouve des tuberculeux, syphilitiques, gazés. Mais 70% des blessés sont là à cause des obus, comme moi.
11 février
Parfois les blessés affluent en si grand nombre qu’il n’y a plus de lit disponible. On les met par terre, sur un matelas s’ils ont de la chance.
Dans ces cas-là les médecins opèrent de jour comme de nuit.
12 février
Beaucoup d’infirmières sont de simples bénévoles. Elles ont reçu un enseignement de 2 à 6 mois, basé sur le « Manuel de l’infirmière ».
Dans la réalité, elles font beaucoup plus que des confections de pansements, bandages ou préparations des opérations.
13 février
La salle est pleine. Beaucoup sont gravement blessés.
Mon voisin de lit me dit, d'une extrême tristesse : "Tu vois petit, la guerre, c'est pas beau, c'est pas beau...".
14 février
Le soir la mélancolie du pays me prend.
Je fredonne alors un de ces airs dont la musique semble être en patois, évoquant vals, torrents et pics enneigés.
15 février
"Je suis dans l’abri. Près de la porte avec mon fusil. 5 balles dans chaque chargeur. Malheur au premier qui entrera !"
Je me réveille en sursaut : encore un cauchemar.
16 février
On essaye de se tenir au courant des événements, du moins quand on en a la force et la capacité.
En général, les nouvelles nous arrivent en pointillé.
17 février
Je me rends compte soudain que depuis quelques nuits je dors dans un vrai lit, chose que je n’avais pas connue depuis la caserne je crois.
Ça me change de la paille !
18 février
Mon voisin de lit a un énorme bandage qui lui mange presque tout le visage.
Un autre a été amputé d’une jambe. Celui-là d’un bras.
Au milieu des canons on ne se rend pas vraiment compte des conséquences du « retour du front ».
19 février
Soudain une alerte : les bombardements se rapprochent. Vont-ils nous toucher ?
Chacun retient son souffle. Le calme revient. Le soulagement aussi.
20 février
Notre quotidien ici ce sont des cris perçants des agonisants, des larmes amères mais aussi des gestes de réconfort des infirmières dévouées.
21 février
Il paraît qu’on se bat fort à Verdun, Souville, Vaux, Douaumont… Les boches sont passés à l’offensive, avec force et fermeté.
22 février
A Verdun les canons se sont déchaînés. Un million d’obus allemands ont été tirés le premier jour. Du jamais vu.
Verdun © lesfrancaisaverdun-1916.fr
Ensuite c’est l’assaut des troupes.
Encore un lieu où on meurt par paquets de dix.
Hachés par la mitraille avant même d’avoir pu combattre.
23 février
La noria des voitures sanitaires doit être incessante, d'un poste de secours aux grands postes de triage et aux hôpitaux d'évacuation.
Dans une ambiance de fin du monde, le découragement doit s’emparer des chefs comme des soldats.
24 février
Pour les chefs, la perte de Verdun est inenvisageable. L’ordre suivant est donné : « On meurt sur place en attendant les renforts ! »
25 février
Par la fenêtre j’entrevois le médecin-chef, le curé et un brancardier qui fument une cigarette. Ils ont l’air si désemparés, écœurés.
26 février
Les héros ici sont les blessés silencieux. Non que la douleur les assomme, mais tant de visions les occupent : luttes, fatigues, sang, boue.
27 février
Pour beaucoup des visions de passé et des inquiétudes d'avenir : le foyer retrouvé, mais par un invalide. Pour quelle vie ?
Le foyer demain ; ou peut-être la mort aujourd’hui…
28 février
Au début les médecins et officiers ne se trouvaient pas très bien cantonnés (dans une vieille ferme).
Maintenant ils n’ont plus le temps de s’en plaindre, n’importe quelle paillasse accueillant leur fatigue !
29 février
Certains chirurgiens hardis ne reculent devant rien avec leurs bistouris à la main.
Ils enregistrent parfois une mortalité effrayante, mais la chance aidant leurs quelques succès leur vaut le respect et considération.
[*] Le SAMHA (Service des archives médicales hospitalières des armées) n’a pas su me dire où il avait été évacué après le 29 janvier. Le Thilliot (l’hôpital le plus proche), Gérardmer, Epinal (où les hôpitaux sont les plus nombreux) ou ailleurs ?
Sources complémentaires :
A. Perry « au temps des armes »
Ch. Signol « Ils rêvaient des dimanches »
Léon Jouhaud : Souvenirs de la grande guerre
Document Arte : Verdun, ils ne passeront pas (réal. Serge de Sampigny)