Le «
défi 3 mois pour ma généalogie » a été lancé par la Gazette des ancêtres. Le principe : je me donne 3 mois pour travailler sur un thème particulier de ma généalogie. Or récemment, je viens d’hériter d’une masse importante de documents conservés par ma grand-mère maternelle. J’en avais repéré et mis de côté certains, d’autres sont arrivés dans mon carton par une main anonyme ; mais quoi qu’il en soit, difficile de résister. Alors, même si ce moment j’ai en un peu moins de temps à consacrer à la généalogie [1], je me lance…
Quand votre grand-mère garde tout, c’est qu’elle garde tout ! Les stylos qui ne fonctionnent plus, des emballages divers (vides), les montres et les horloges (dont aucune ne donne la même heure !)… Dans les papiers de famille qu’elle a conservé il y a aussi :
- des relevés bancaires des années 1960 (et même les enveloppes qui ont permis de les recevoir – pleines ou vides),
Avis de crédit, Banque Régionale Anjou-Vendée, 1963 © coll. personnelle
- des devis de la « nouvelle » maison (années 1690), les papiers relatifs au prêt bancaire permettant la construction de ladite maison, la correspondance avec les entrepreneurs, du maçon au chauffagiste,
- des déclarations d’impôts, des factures d’eau,
- des talons de chèque,
Bulletins de paye, 1949, 1959, 1960 © coll. personnelle
- des reconnaissances de dettes (à sa sœur),
Reconnaissance de dette, 1961 © coll. personnelle
- les horaires SNCF (La Bourboule/Nantes, 624 kms, 5, 46 francs en première classe),
Horaires de trains © coll. personnelle
- les papiers divers et variés au dos desquelles elle faisait ses additions.
Mais il y a aussi les cartes postales écrites il y a 20, 30 puis 50 ans – d’abord celles des enfants, puis les générations suivantes : petits-enfants, arrière-petits-enfants. Les photographies, les cahiers de notes divers.
Elle écrivait beaucoup mamie. C’est ainsi que dans ses papiers nous avons retrouvé un livre. Il est recouvert d’une couverture de papier qui se déchire de tous côtés et n’est solidaire à l’ouvrage que par miracle. Si on l’enlève on découvre une couverture verte avec un arbre gravé en doré et l’inscription « livre d’or de la famille ».
Livre d'or de la famille © coll. personnelle
Daté de 1940, c’est un ouvrage pré-imprimé, une sorte de journal que tu peux remplir au fur à mesure. Sur la première page, une citation de Lamartine : « le souvenir c’est l’âme de la vie ».
L’avant-propos prévient : « L’auteur [H. Hermouet] ne présente pas ici une œuvre littéraire mais plutôt un guide dont le but est de faciliter la tenue d’un "livre de raison" moderne. […] Sa publication comblera le désir imprécis d’un grand nombre de personnes […] et permettra dans chaque famille de réunir [...] les renseignements concernant la vie familiale domestique ; d’établir, avec la généalogie des familles des deux époux, une nomenclature des ascendants, descendants et collatéraux ; de rappeler par des tableaux les anniversaires, fêtes, mariages […]. Excellente occasions de se retrouver nombreux et de favoriser les réunions familiales. ; de constituer des annales […] qui réserveront plus tard, au rédacteur, la satisfaction d’avoir écrit l’histoire de sa famille ; de léguer ce « mémorial » […] les générations suivantes […] se transmettant ce trésor de famille. »
C’est donc le « Livre d'or de la famille : Borrat-Michaud André et Gabard Christiane ; commencé le [2] 1er et 2 octobre 1945 ; adresse : 15 rue Michel de la Boulaye – Angers. »
Ière partie : tableau généalogique des ascendants directs
Une double page se déplie, laissant découvrir un arbre généalogique semi-circulaire de la famille de Monsieur Borrat-Michaud André ; il est partiellement rempli (parents et grands-parents, avec quelques erreurs de noms : Gay au lieu de Jay, Séraphine au lieu d’Antoinette Adélaïde – à moins que c’était son prénom d’usage ?).
Arbre Borrat, extrait du Livre d'or © coll. personnelle
Les feuillets suivants, consacré à la famille de Monsieur (père, mère, frères, belles-sœurs, neveux, souvenirs personnels du mari antérieurement aux fiançailles…) sont restés vides.
Plus loin, le modèle se reproduit pour Madame. Le tableau généalogique est davantage rempli.
Arbre Gabard, extrait du livre d'or © coll. personnelle
Sur les pages suivantes s’égrènent les dates de naissance, mariages et décès.
Curieusement, elle se trompe d’année dans les décès de son père et son grand-père paternels (à un an près) et carrément 4 ans pour son grand-père maternel (1918 au lieu de 1914).
Concernant son frère elle écrit :
« Daniel Gabard, né le 4 octobre 1941 à 8h30. Un samedi. Je suis sa marraine mais le jour de son baptême, malade, Renée [NDLR : sa sœur] m’a remplacée.
Varicelle le 1/7/1947.
14 mars 1948 communion privée (le menu est détaillé, jusqu’aux vins).
Porte des lunettes depuis la rentrée de 1947. »
Entre patronage et maladie sont mentionnés son mariage et la naissance de ses enfants et petits-enfants. Quelques notes complètent sa vie professionnelle ou ses déménagements.
La page consacrée à sa sœur Renée est similaire : naissance, « pleurésie jour de Noël 1942 », communion, vacances (où elle rencontre un certain Paul Barreau), fiançailles et mariage avec Paul le 12 avril 1950 (les menus du 11, du déjeuner et du dîner du 12 sont soigneusement consignés). Puis les naissances des générations suivantes.
Son autre sœur Michelle, ne fait l’objet d’aucune mention.
Par contre, les oncles, tantes, cousins et cousines sont recensés : noms, prénoms, mariages.
Elle n’a écrit qu’une seule page dans la catégorie Notes et souvenirs personnels de la femme antérieurement à ses fiançailles. Mais la petite histoire rejoint parfois la grande : « novembre 1943 entrée à la préfecture. Février 1943 départ de M. Blanchard (déporté en Allemagne). […] Mai 1943 bombardements d’Angers. » Quelques brèves notes sur ses changements de services. Puis : « avril 1ère sortie avec André Borrat aux Ponts de Cé. [...] 5 juin 1943 première sortie seule avec André. »
IIème partie : les fiançailles, le mariage, le journal des époux, les enfants
Les fiançailles d’André et Christiane ont eu lieu le 6 mai 1945. Ils demeuraient au 20 rue Leroy à Angers.
Les invités sont listés (en fait la famille proche), avant le détail du menu.
Menu fiançailles, extrait livre d'or © coll. personnelle
Les deux rubriques suivantes n’a pas été consignées : Le relevé des dépenses importantes pour l’établissement [des fiancés], journal des fiancés : date et circonstances de leur rencontre, fêtes, soirées, promenades, etc...
Le mariage civil a eu lieu le 1er octobre 1945 à la mairie d’Angers. Le mariage religieux le lendemain à l’église Saint Antoine. Les témoins étaient deux oncles des époux. Il y avait aussi 6 garçons et 6 demoiselles d'honneur. Et 92 invités ! Les menus du déjeuner et du dîner comportaient chacun une dizaine de plat, plus les vins, champagne et liqueurs.
Menus mariage, extrait livre d'or © coll. personnelle
Les cadeaux reçus, ainsi que leurs donateurs, ont été enregistrés : service de table, fer à repasser, ménagère en argent, bonbonnière, monnaie… et pas moins de trois services à café plus une douzaine de cuillères à café supplémentaires !
Dans le Journal des époux, 21 pages ont été noircies, relatant les événements de la vie, de 1945 à 2010 :
- voyages,
- vol des vélos,
- cadeaux donnés et reçus par les époux (souvent des vêtements),
- prédiction de la cartomancienne qui lui promet 4 enfants (elle en aura 5) dont 2 garçons (un seul finalement) dont une qui sera musicienne et un autre ingénieur, puis un départ au-delà des mers et un retour en France vers 59 ans. Une note postérieure a été ajoutée entre parenthèse : « quelle erreur » ! Et en effet… Ce qui ne l’empêche pas de continuer à aller revoir la cartomancienne régulièrement.
- maladies,
- augmentations ou diminution de salaire d’André (alors représentant de commerce),
- état de santé d’André qui connaît des périodes régulières de congés maladie suite à deux accidents en 1947 et 1949,
- achats d’électroménagers… et d’un ordinateur en 1998 !
Dans les années 1970/1990 la rédaction est plus brève : il s’agit surtout des mariages des enfants et des naissances des petits-enfants (dont certains ont été oubliés). A partir de 2004 elle redevient plus prolixe et reprends les petits événements de la vie (déménagements, maladies, visite des enfants…). Le 3 août 2005 une cousinade est organisée. « J’ai demandé pour chaque cousin ou cousine quel était leur nombre d’enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants : cela fait un total de 535 descendants directs de mes grands-parents qui se sont mariés en 1896 [NDLR : en 1892 en réalité - ce couple « originel » a eu 9 enfants]. Dans ce nombre je ne compte pas les conjoints et conjointes. Comme seulement 30 sont décédés, nous sommes encore 500 descendants vivants. »
Viennent ensuite les pages dédiées aux enfants. La petite enfance de l’aînée (ma mère) est détaillée : premiers mots, premières dents, premiers pas…
Apparition des dents de Marie-Catherine, extrait livre d'or © coll. personnelle
Les descriptions des enfances des frères et sœurs sont beaucoup moins développées.
IIIème partie : les amis et relations, les adresses, les faire-part, les serviteurs
16 personnes et adresses sont signalées, dont 4 sont rayés (décès ?).
Entre 1947 et 1957 plusieurs visites chez des amis sont inscrites ; les menus y sont systématiquement précisés.
Les faire-part (enregistrements par ordre chronologique des naissances, mariages et décès) sont consciencieusement notés de 1945 à 1951.
IVème partie : mémorandum - partie destinée à être utilisée selon les idées et les attitudes personnelles de chacun ; elles pourront toutefois servir à noter les dates et des événements sensationnels (visite de personnalités, fêtes et réunions notoires, etc…), les renseignements divers (nom d’un médicament, titre d’un ouvrage, désignation d’une recette, etc…).
Seule deux mentions sur les deux premiers baptêmes des deux aînées sont notées.
Suit un tableau (un mois par page) où l’on peut indiquer les anniversaires que l’on souhaite ne pas oublier.
Finalement, ce livre d'or a parfaitement rempli son office : garder en mémoire ces moments de l'existence, sur plusieurs générations. Ces petits rien qui font la vie. Et qui s'oublient si vite avec le temps. Un de ces documents appartenant à sa trisaïeule (ou autre) qu'on rêve de compulser. Aujourd'hui toutes les personnes nommées dans l'ouvrage nous sont connues, mais dans quelques temps ?
Que deviendra ce livre après moi ? Objet usuel pour ma grand-mère, à partir de quand deviendra-t-il une "archive" ? Est-ce que dans quatre ou cinq générations, un(e) passionné(e) de généalogie le trouvera dans un grenier et le verra comme un trésor ? Je l'espère en tout cas.
Un tout petit rien. Une grande richesse.
[2] Les éléments en italiques sont pré-imprimés, le reste a été rempli par ma grand-mère.