« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 14 février 2014

Toile peinte et balustrade

Un article d'Arnaud Lefevbre intitulé Pourquoi les personnes ne souriaient pas sur les photos d’époque  m'a rappelé une conférence très intéressante sur l'histoire de la photo à laquelle j'ai assisté en 2011 * .
Avant de vous en livrer quelques extraits, un rapide résumé de l'histoire de la photo en quelques dates : 

1812 
Premières recherches par Joseph Nicéphore Niepce. 

1826 
Niepce réalise la première photographie grâce à une plaque d'étain recouverte de bitume de Judée placée dans une chambre noire, face à une fenêtre de sa propriété. Temps de pose : huit heures.

1839 
William Herschel produit sa première photo et invente le mot de photographie. Invention officielle de la photographie. 

1839 
Le daguerréotype est une image positive obtenue grâce à une couche d'argent appliquée sur une plaque de cuivre précédemment polie. Grâce aux vapeurs d'iode, l'argent est sensible à la lumière. Temps de pose : 15 minutes. Le daguerréotype est une image positive unique non duplicable. L'utilisation du procédé s'arrêtera en 1860. 

1840
Le calotype ou talbotype est breveté par Henri Fox Talbot. La surface d'une feuille de papier est enduite d'une solution de nitrate d'argent. Temps de pose : entre une et plusieurs minutes. Après la prise de vue, on développe le négatif obtenu qui permet - au contraire du daguerréotype - de tirer plusieurs épreuves positives à partir d'un seul et même négatif. 

A partir des années 1840
Engouement pour le portrait. La photographie permet d'avoir une représentation de soi, jusque là réservée aux riches, avec le portrait en peinture. Un nouveau métier apparaît : photographe. C'est le début de l'industrialisation de la photographie.

J'ai la chance d'avoir un certains nombre de clichés anciens des membres de ma famille. Et après avoir suivi cette fameuse conférence, j'ai fait la comparaison avec lesdits clichés. 

Dans la seconde moitié du XIXème l'engouement pour la photo se fait sentir. On fait des portrait dans les moments importants de la vie (diplôme, mariage), ou plus simplement pour le souvenir. Elles peuvent prendre la forme d'un portrait sous verre ou d'une carte postale. Mais quoi qu'il en soit, cela reste un événement : on se déplace chez le photographe (photo prise en atelier). On soigne son apparence (vêtement, coiffure).

Au début le temps de pause est assez long : on trouve des parades pour éviter la fatigue et le changement de position qui rendraient le cliché flou.
- siège pour s'assoir (souvent un fauteuil à accoudoirs),
- élément de mobilier pour s'accouder (souvent un fausse balustrade, ou une console), 
- enfant tenu fermement pour éviter qu'il ne bouge

Après avoir suivi cette conférence, j'ai regardé les clichés de ma collection personnelle et j'y ai retrouvé ces éléments.


1871
Photo la plus ancienne de nos ancêtres en notre possession (il s'agit d'une reproduction). Elle représente la famille Rols : Rols Alexandre, Puissant Marie-Anne son épouse et Rols Élisabeth, leur fille aînée (alors âgée de trois ans). 
C'est un portrait fait en atelier. La famille est assise, devant une toile tendue (elle ne semble pas peinte). Le temps de pause est alors encore relativement long : près d'une minute. C'est sans doute pourquoi ils sont assis. Le plus souvent, un repose-tête était habilement dissimulé afin d'aider à tenir la pause. On remarque que chacun des deux parents tient fermement les bras de la petite fille afin qu'elle ne bouge pas et que le cliché soit net. Ce cliché a sans doute été pris à Angers car le couple y habite, au moins depuis 1868. 

1917
Portrait de la famille Lejard. 
C'est aussi un portrait fait en atelier. La famille est disposée devant une toile tendue peinte. Pour aider à la pause, des accessoires sont disposés : fauteuil à accoudoirs pour l'aïeule, fausse balustrade pour d'autres. Le petit Daniel est lui aussi tenu fermement par sa mère afin qu'il ne bouge pas. Chacun a revêtu son plus beau costume pour immortaliser ce moment. 

Années 1930
Portrait de Marcelle Macréau, épouse Borrat-Michaud, et son fils André.
Portrait fait en atelier. Une toile tendue peinte sert de décor : faux rideau de théâtre et fausse balustrade. La mère tient son fils afin qu'il ne bouge pas, mais d'une façon un peu plus lâche que sur les clichés précédents : l'enfant est plus grand et/ou le temps de pause est désormais mois long. Chacun est bien habillé et bien coiffé. 

Début XXème ? (date non connue)
Portrait de Célestin Félix Gabard et son épouse Marien Henriette Benetreau. 
C'est aussi un portrait fait en atelier. Le couple est disposé devant une toile tendue peinte, un décor en perspective, et une plante. Il n'y a pas d'accessoire pour aider à la pause, si ce n'est la chaise sur laquelle est assise Marie. Celle-ci porte sa coiffe vendéenne qui ne la quittait pas. Elle tient une paire que gants qu'elle ne devait pas, contrairement à la coiffe, porter quotidiennement (elle était fermière).

Si vous avez vous aussi des clichés anciens, pris en atelier, amusez-vous à déceler ces détails :
- la toile peinte qui sert de décor en arrière-plan, 
- des accessoires qui aident à tenir la pause : le fauteuil à accoudoirs, la console sur laquelle on s'appuie, la fausse balustrade, la canne ou le prie-Dieu
- les parents qui tiennent les enfants pour éviter le flou
- les vêtements du dimanche et la coiffure soignée

* Conférence organisée lors de l'exposition "Limoges révélée, une ville et l'art photographique (1839-1914)" à la Galerie des Hospices.
 

lundi 10 février 2014

Restons groupés !

René Roy et Mathurine Guitton se sont mariés à Treize-Vents (85) le premier février 1712. Neuf enfants vont naître de cette union, durant les treize années suivantes :
     - Pierre né le 31/5/1713
     - Marie née le 13/3/1714
     - Perrine née le 1/7/1716
     - François né le 17/9/1717 (notre ancêtre)
     - René né le 5/12/1720
     - Perrine née le 17/2/1722
     - Jean né le 15/5/1724, décédé le 28 (d'après mention marginale)
     - Perrine née le 15/2/1726 (baptisée à la maison en danger de mort)
     - Marie Anne (naissance non trouvée)

Leur première fille Marie se marie dès 1727 (donc âgée de 13 ans seulement), avec un futur âgé de 33 ans déjà.

Mais c'est un autre mariage qui nous intéresse aujourd'hui : celui de 1746. En effet, ce n'est pas un mais trois mariages qu'on célèbre aux Châtelliers-Châteaumur ce 5 juillet.
 
 

François, Perrine et Marie Anne se marient le même jour. 
François est âgé de 29 ans. 
Perrine de 30 ou 20 ans (deux sœurs portant le même prénom de Perrine dans la fratrie, on ignore laquelle se marie en 1746). 
Quant à Marie Anne, son acte de naissance n'a pas été trouvé; on ignore donc également son âge). 

Mariage Roy, AD85

Mariage de françois Roi et jeanne proux
je soussigné ay ce jourdhuy cinquieme juillet de
lan 1746 donné la benediction nuptiale
apres les trois publications faites par trois
dimanches ou fetes consecutifs sans quil nous soit
parvenu aucun empechement canonique vu les
certificat fournis par Monsieur le curé de St Mesmin
et par Monsieur le Prieur [?] de la flocelliere pour
la contractante, a françois Roy fils de René Roy
et de Mathurine Guitton ses pere et mere de cette 
paroisse et a jeanne Proux fille de deffunt pierre
Proux et de renée boismoreau de la paroisse de st
mesmin en presence de françois pasquier et antoine
Bideau lun son oncle et lautre parrein et rené Roy
pere du contractant de pierre Proux frere de la
contractante jean Roy son cousin qui ont declare
ne scavoir signer
Mariage de michel Moreau et de perrine Roy
je soussigné ay ce jourdhuy cinquieme juillet de lan 1746 
donné la benediction nuptiale apres les trois publications 
faites par trois dimanches ou fetes consecutifs sans 
quil soit parvenu a notre connaissance aucun 
empechement canonique vu le certificat fourni 
par Monsieur le curé de St mars de la reorte pour le
contractant, a michel moreau fils mineur de deffunt
Mathurin Moreau et de Marie agneau
ladite marie agneau et michel moreau sont
authorisés par charles auves leur mari et beau pere
demeurant a la peulie paroisse de St mars de la
reorte, et a perrine Roy fille mineure de René Roy
et de Mathurine Guitton demeurant a la brechouere
de cette paroisse en presence de charles auves beau
pere du contractant, d'andre Poupin son oncle,
de René Roy pere de la contractante de 
françois pasquier son oncle qui ont declare ne 
scavoir signer
Mariage de Mathurin Moreau et Marianne Roy
je soussigné ay cejourdhuy cinquieme juillet de lan 
1746 donné la benediction nuptiale apres les 
publications faites par trois dimanches ou fetes 
consecutifs sans quil soit parvenu a notre connaissance 
aucun empechement canonique et vu le certificat 
fourni par Monsieur le curé de St mars de La reorte pour 
le contractant a Mathurin Moreau fils mineur 
de deffunt Mathurin Moreau et de Marie agneau
demeurant a La brechouere de cette paroisse
ladite marie agneau et Mathurin Moreau sont
authorisés par charles auves leur mari et beau pere
demeurant a la peulie paroisse de St mars de la
reorte, et a Marie anne Roy fille mineure de René 
Roy et de Mathurine Guitton demeurant a la metayrie
de la brechouere de cette paroisse en presence de 
charles auves beaupere du contractant, 
d'andre Poupin son oncle, de René Roy pere 
de la contractante, françois pasquier son oncle 
qui ont declare ne scavoir signer

On remarque au passage que les deux filles Roy épousent deux fils Moreau : restons groupés !
Les deux familles habitaient l'actuel hameau de la Bréchoire, aujourd'hui composé d'une dizaine de maisons et bâtiments agricoles. Facile d'imaginer où les futurs couples se sont connus. François a, quant à lui, parcouru davantage de distance : il est allé chercher sa promise à 11 kilomètres.

mercredi 5 février 2014

Exploit ou fantôme ?

Barbot Marie, épouse de Pillet Jacques, décède au Plessis Grammoire (49) le 18 frimaire an VIII (soit le lundi 9 décembre 1799).
Décès Barbot Marie, AD49

"Aujourdhuy octidi dix huit frimaire lan huitieme de la republique
francaise une et indivisible sur les huit heures du matin
Par devant moy laurent flon agent minicipal de la commune
du plessis grammoire canton de pellouaille departement de maine et loire
ont comparu en la maison commune le citoyen jean barbot cultivateur agé de
quarante neuf ans, et louis gougeon aussi cultivateur, tous les deux domiciliés de
foudon en cette commune ledit gougeon agé de quarante huit ans, ledit barbot
pere de la defunte marie barbot, et ledit gougeon oncle deladitte deffunte, lesquels
m'ont declaré que marie barbot femme de jacques pillet, agée de vingt deux ans
est decedée d'hyer sur les sept heures du soir dans son docimile sis a foudon, sur
cette declaration apres mettre assuré dudécès deladite marie barbot femme dudit 
jacques pillet jay redigé le present acte, que les dits jean barbot et louis
gougeon ont declaré ne scavoir signer
fait en la maison commune du plessis grammoire les jours mois et an
cy dessus"

Jusque-là, rien d'anormal, si ce n'est le jeune âge de la défunte.

Mais là où cela se corse, c'est qu'elle donne encore naissance à deux filles en 1800 et 1803 !

- Marie née le 17 brumaire an IX (soit le 8 novembre 1800) :


Naissance Pillet Marie, AD49

"Du dix septieme jour du mois de brumaire l'an neuf
de la République française.
Acte de naissance de marie pillet née le
seize brumaire a quatre heure du matin fille
de jacques pillet cabaretier et de marie barbot sa femme 
demeurant a Ingrande
Le sexe de l'enfant a été reconnu être femelle
Premier témoin, Pierre maurice chabain aubergiste agé de
quarante ans domicilié a Ingrande
Second témoin, perrine avrillaud veuve mathurin davy agé de cinquante
six ans demeurant commune de la chapelle grande tante de lenfant
Sur la requisition à nous faite par ledit jacques pillet pere de lenfant
Et ont declarés ne scavoir signer fors ledit chabain qui
a signé avec Nous
Constaté suivant la loi, par moi jacques jean du dieu richard maire de la
commune d'Ingrandes faisant les fonctions d'officier public de l'était civil."

- Félicité née le 24 germinal an XI (soit le 14 avril 1803) :

Naissance Pillet Felicité, AD49

"Du vingt quatrieme jour du mois de germinal l'an onze
de la République française.
Acte de naissance de felicité pillet née le
jour d'hier a quatre neuf heure du soir fille
de jacques pillet cabaretier et de marie barbot son
epouse de cette commune
Le sexe de l'enfant a été reconnu être femelle
Premier témoin, jean pellé aubergsite de la commune de montrelais
Second témoin, felicité mercier fille majeure proprietaire de cette
commune
Sur la requisition à nous faite par marie jeanne denion epouse rené rousseau
[...] pour absence du pere
Et ont signes fors laditte femme rousseau qui ne le sait
Constaté suivant la loi, par moi jacques jean du dieu richard maire de
Ingrandes faisant les fonctions d'officier public de l'était civil."

C'est pas fort, ça peut-être ??? 

Bon, l'histoire se complique encore car en 1808 Jacques a (encore) déclaré le décès de Marie Barbot; mais elle est qualifiée de cousine (et non d'épouse) et "fille de confiance" (= gouvernante, servante attitrée selon D. Chatry).

De plus, lors du décès de Jacques Pillet (en 1810), il est dit "mary de Marie Barbot"; ce qui laisse supposer qu'elle est toujours vivante. D'ailleurs elle l'est toujours en effet lors du mariage de Marie Pillet (celle née en 1800).


Bon je ne crois pas trop aux fantômes qui ressuscitent, donc on serait plutôt en présence d'homonymes (de nombreux homonymes). Mais la coïncidence est troublante, tout de même : deux couples homonymes à quelques kilomètres de distance. Cela prête à confusion. 
Je me suis d'ailleurs laissée avoir, heureuse de trouver l'acte de décès de Jacques Pillet longtemps cherché sans succès. Mais il faut bien se rendre à l'évidence. En rédigeant cet article, je m'aperçois enfin que les parents dudit Jacques sont mentionnés dans son acte de décès de 1810 et ne correspondent pas à ceux de "mon" Jacques. Comme quoi, on ne lit jamais assez les actes qu'on a sous les yeux. Les deux "filles posthumes" n'appartiennent donc pas à "mon" couple Barbot/Pillet.

Adieu exploit ! Adieu fantôme !
. . . Il ne me reste plus qu'à chercher à nouveau le décès de Jacques.