« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 31 octobre 2014

#Centenaire14/18 pas à pas : octobre 1914

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois d'octobre sont réunis ici. 

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées en notes. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas directement Jean François.

Sa fiche militaire indique une période "Intérieur" après sa mobilisation et avant d'aller "Aux armées". J'en déduis que c'est la période où il fait ses classes.
Tous les éléments détaillant l'instruction militaire sont issus de "L'infanterie en un volume, Manuel d'instruction militaire" (Librairie Chapelot, 1914) trouvé sur Gallica.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 


1er octobre :
- Après la journée d'exercices, la vie à la caserne est plutôt tranquille.
Caserne Chambéry, Actuacity

2 octobre :
- On s’exerce aux mouvements élémentaires sur des mannequins : déplacements, attaques, parades, emploi de la baïonnette et de la crosse.

- Plus on devient habile, plus les points d’attaque sur le mannequin se resserrent et deviennent précis.

3 octobre :
- Attaque. Parade. Attaque. Parade. De plus en plus vite. D’abord en terrain plat, puis en terrains variés.

4 octobre :
- Le dimanche, nous avons repos. On part un peu en goguette avec les copains, ça nous fait sortir de la caserne !

5 octobre :
- Y a un gars, Jean Emile [ 1 ], il arrive pas à tenir sa place dans la formation en ligne sur deux rangs qu’on a apprise aujourd’hui.
- Il est jamais correctement aligné sur les autres. Ça énerve drôlement l’instructeur.
- Il a dit que tant que tout le monde n’y arriverai pas ce soir, on restera là à recommencer. Pff ! Il fait déjà nuit. On n’en peut plus.

6 octobre :
- Quand on demande aux gradés de la caserne des nouvelles du front, ils répondent toujours que tout va bien !
- Pourtant, les gars du 97è qui sont au front nous glissent que les tranchées sont violemment canonnées et les pertes quasi quotidiennes.

7 octobre :
- Raoul, l’étudiant de Cluny, a du mal avec les exercices physiques, surtout s’agenouiller, se coucher et se relever rapidement.
- On l’aide de notre mieux.

8 octobre :
- Aujourd’hui la section au combat. Le chef a étudié la zone d’attaque sur la carte du capitaine, a vérifié les armes et donné ses ordres.
- C’est parti.

9 octobre :
- J’aime les exercices de marche d’approche. Même lourdement chargé, les longues marches dans la nature sont toujours un plaisir pour moi.

10 octobre :
- Le soir venu, dans la chambrée, je révise les formations de marche d’approche sur mon manuel : en triangle, en tête de porc, en losange

11 octobre :
- Cette nuit, des exercices très difficiles, dans le noir et le froid. Désiré et moi sommes devenus très proches. A la vie à la mort !

12 octobre :
- Lors des opérations extérieures, on nous fait marcher en différentes unités, chacune à distance respectable.
- Et cela pour éviter les influences morales (peur, panique) et matérielles (feu ennemi).

13 octobre :
- Lorsque nous marchons en opération, le chef de section nous apprend à nous « mouler » sur le terrain, comme il dit.

14 octobre :
- En l’absence de cheminement naturel, on nous apprend à marcher en colonne de demi-section, en file indienne.

15 octobre :
- Le feu est conduit par le chef de section, d’après les indications données par le capitaine.

16 octobre :
- Série d’exercices où le chef de section détermine de « faire ouvrir » ou « faire cesser le feu », à sa volonté.
Manœuvres militaires 1913, Gallica

17 octobre :
- On nous martèle le message selon lequel une troupe qui n’obéit pas strictement aux ordres donnés s’expose à subir un échec grave.

18 octobre :
- Message du jour : Pour que le feu soit efficace il faut réunir 3 conditions : surprise, rapidité, intensité.

19 octobre :
- Le feu s’exécute le plus généralement par rafales, courtes, subites et violentes. Plus exceptionnellement il s’effectue par slaves.
- La nature du feu est donnée par le chef de section.

20 octobre :
- Les différents feux sont : le feu à cartouche comptées, le feu à volonté, le feu à répétition, le feu à slaves.

21 octobre :
- Le chef de section proportionne la consommation des munitions.
Grenades prises aux Boches, Gallica

- Et ceci afin que la troupe ne reste pas désarmée.

22 octobre :
- Une bonne infanterie ne doit s’attacher à ne tirer de loin que dans les occasions favorables.

23 octobre :
- Lorsque le combat par le feu est commencé, le soldat charge son fusil de lui-même après avoir pris position.
- Il attend pour tirer l’indication de la nature du feu et le commandement de « feu ! ».

24 octobre :
- Sauf nouveau commandement, le soldat doit conserver la nature du feu et le but visé précédemment.

25 octobre :
- Le feu doit être suspendu ou cesser immédiatement au commandement du chef de section.

26 octobre :
- Tout soldat qui a entendu le commandement de « Cessez le feu » ou celui de « Déchargez » a le devoir strict de le répéter à ses voisins.

27 octobre :
- A courte distance de l’ennemi, le chef entraîne sa section aux cris de « en avant ». « En avant » est répété par tous.
- Les soldats prennent le pas de course et abordent l’ennemi à la baïonnette.

28 octobre :
- Une section ne doit jamais abandonner le terrain dont la défense lui est confiée.
- Seule l’autorité supérieure peut prescrire un mouvement de repli.

29 octobre :
- La section se regroupe au commandement de « ralliement ». Les ralliements sont d’un usage très fréquent au combat.
- Les soldats doivent se regrouper vivement, en ordre et silence, et sans souci de leur place normale.

30 octobre :
- L’infanterie conquiert et conserve le terrain. Elle chasse définitivement l’ennemi de ses positions.
- C’est à elle qu’incombe la tâche la plus rude mais aussi la plus glorieuse de la bataille. 

31 octobre :
- Les exercices sur le terrain se succèdent.
Avant poste belge, 1914, Gallica



[ 1 ] Il s'agit de Jean Emile Berger, incorporé au 97è RI depuis le 6 septembre 1914.

vendredi 24 octobre 2014

Combien de temps faut-il pour faire 50 km ?

Réponse : en Haute-Savoie, il faut 74 ans (ou 5 générations) !

En effet, entre André Perrière et Vulliez Louise Françoise, sa descendante à la 5ème génération, il a fallu tout ce temps pour faire connaissance, nouer des alliances et déménager de loin en loin. Un peu moins de 75 ans pour que mes aïeux quittent Reyvroz et s'installent durablement à Samoëns.

André Perrière réside à Reyvroz lorsqu'il décède en 1681. On ignore son métier. Son fils Nicolas s'installe à Anthy sur Léman, la paroisse de son épouse Claudine Chevalier, après leur mariage en 1666. Une erreur tragique de géographie puisqu'Anthy se trouve plein Ouest, c'est-à-dire complètement à l'opposé de Samoëns ! Leur fils Jean Pierre réside à son tour à Anthy. Il y est maître cordonnier (1709). C'est sa fille, Peronne (ou Pierrette), qui franchit un nouveau cap en s'installant au Biot après son mariage avec un notaire royal, Jean Pierre Vulliez (1729). Ils sont cette fois à 38 km de Samoëns. Et c'est finalement leur fille Louise Françoise qui s'installe à Samoëns, paroisse de son époux, lors de son mariage avec Pierre Joseph Moccand en 1755 (un cordonnier, lui aussi !). Leur fille va ensuite s'unir à la famille Jay et rester à Samoëns jusqu'à la Première Guerre Mondiale.


Google Maps personnelle

Pourquoi nos ancêtres ont déménagé ainsi ? On peut émettre quelques hypothèses.

Dans cet exemple, les déménagements se font au moment du mariage. Du moins, c'est à cette occasion qu'on les constate. Plusieurs cas de figure : l'époux emménage chez son épouse (comme Nicolas Perrière) ou, plus souvent, l'inverse (comme Peronne Perrière).

D'autres familles, au contraire, sont immuables : les Jay, identifiés dans ma généalogie, résident à Samoëns depuis au minimum le XVIème siècle (les précédents se perdent dans les méandres de l'histoire) et jusqu'au début du XXème siècle, soit 10 générations. Un bel exemple d'endogamie villageoise.

Celle-ci n'est pas "folklorique" : elle est avant tout économique. Trouver un conjoint au village, c'est mettre en valeur son avoir, agrandir ses terres. Mais il est difficile de respecter totalement cette endogamie, notamment à cause des interdits de parenté : au bout d'un certain temps on est obligé d'aller "voir ailleurs" afin de trouver un conjoint qui n'appartienne pas à sa propre famille.

Un autre facteur pour briser cette endogamie, est d'ordre social. Bien souvent, on se marie entre "gens du même monde". Or, si trouver un cultivateur dans une communauté rurale ne pose pas trop de problème, cela devient vite beaucoup délicat pour certaines professions : notaires, apothicaires, etc. On va alors chercher le conjoint dans une communauté voisine. Cette recherche est facilitée par le fait que, souvent, ces professions entretiennent des relations sociales inter-villageoises. On se connaît donc déjà, malgré la distance. Ce comportement homogame se retrouve en particulier dans les couches les plus aisées de la population (bourgeoisie), mais aussi les plus faibles (domestiques, manouvriers); même si cette dernière est plutôt subie tandis que la première est plutôt choisie. Pour le reste de la population (la classe moyenne), ces considérations de métier sont moins importantes et l'union plus libre.

C'est pourquoi les déménagements se font par "sauts de puce", de communauté villageoise en communauté villageoise. On notera toutefois que, dans une très grande majorité, cette exogamie se fait à une échelle relativement réduite : les conjoints étrangers sont rarement trouvés dans des paroisses éloignées de plus de 10/15 km. Dans le cas qui nous occupe, si le premier mariage respecte cette règle (Reyvroz/Anthy : 17 km), les deux autres unions inter-villageoises sont un peu plus éloignées (Anthy/Le Biot 26 km, Le Biot/Samoëns : 38 km). Quelle audace !

En général, les garçons sont plus aventureux : ils se déplacent davantage que les femmes pour chercher leurs conjointes en dehors des limites paroissiales.

Les statistiques d'exogamie sont un peu plus élevées pour les communautés urbaines, mais le mariage d'époux issus de la même ville reste majoritaire. Plus la ville est petite, plus l'exogamie se développe. Lorsque la ville est très grande on va moins chercher son conjoint dans une autre ville, mais on retrouve ce schéma à l'échelle des paroisses urbaines : on se marie entre personnes de paroisses différentes mais appartenant à la même ville.

Les déplacements spectaculaires, c'est-à-dire à très grande échelle, comme les Savoyards ou les Bretons émigrant à la capitale, ont, elles, souvent pour origine non un mariage, mais un manque de travail. La ferme est reprise par l'aîné, la boutique ne peut plus accueillir de co-gérant, etc. Devant un avenir bouché, on part tenter sa chance ailleurs. Souvent on tâche de rejoindre une communauté de "pays" déjà installée et l'entraide est alors précieuse. C'est l'occasion de changer de métier, bien souvent, et de faire souche, dans une région totalement différente.

Hélas, on ignore bien souvent les causes de ces déménagements, les actes d'état civil restant muets à ce sujet. On peut toujours essayer, entre les lignes, d'en deviner les raisons. Ici, par exemple, on retrouve bien deux fois des cordonniers, mais espacés de deux générations. Les paroisses sont assez éloignées les unes des autres. Il est donc difficile de trancher et de dire pourquoi nos ancêtres ont ainsi migré, peu à peu, de Reyvroz à Samoëns...




vendredi 17 octobre 2014

T'es d'où ?

Ah !!! Je ne sais jamais quoi répondre quand on me pose cette question. En général elle est posée tout à fait innocemment, mais depuis que je fais de la généalogie, ça me plonge dans des abîmes de réflexions terribles.

T'es d'où ?


Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Je suis née à Angers (49), mais je n'y est pas vécu. J'ai grandi en Creuse (avec une parenthèse de six ans en Val d'Oise). Mais j'ai habité en Haute-Vienne la majeure partie de ma vie (études comprises).

Alors : je suis d'où ?
Je suis de là où est mon adresse administrative ? Mais le lieu où j'habite aujourd'hui n'est pas celui où j'habitais hier.
Je suis de là où mon cœur bat plus vite ? Quand je reviens en Limousin après une absence et que, lorsque j'aperçois les premiers reliefs, je me dis "enfin je rentre chez moi" ? Mais j'éprouve aussi cet espèce d'étrange sentiment de bien-être lorsque j'arrive à Angers, bien que je n'y ai pas vécu.

La question "t'es d'où ?" sous-entend "tu es originaire d'où ?". Alors quand peut-on parler d'origine ?
On peut considérer que j'ai vécu (quasiment) toute ma vie en Limousin. Mais peut-on dire que je suis originaire du Limousin alors que je n'y ai pas de grands-parents, que je ne parle pas la langue locale (l'occitan), que je n'y ai pas hérité de maison possédée par ma famille depuis plusieurs générations ? Bref, que je n'y ai pas d'origine.

Et là, l'angoisse ! est-ce que je suis de nulle part ? Sans identité ?

Mais au fait, à quand fait-on remonter l'origine ? A mon vécu ? A ma naissance ? L'origine n'induit-elle pas quelque chose d'ancien, de profond ? Dans ce cas là, est-ce que l'origine s'arrête à moi ou... à mes parents ? Mes grands-parents ? Mais alors, à quelle génération faut-il s'arrêter pour parler d'origine ?

J'ai beaucoup d'ancêtres en Anjou [ 1 ] : je remonte jusqu'en 1592, avec l'acte de naissance de Charlotte Le Peintre à Jarzé. Mais il suffit d'une génération pour se retrouver :
  • dans l'Ain, grâce à Jules Assumel Lurdin, mon sosa 10 [ 2 ], 
  • en limite Vendée/Deux-Sèvres, avec Joseph Gabard, sosa 14, 
  • ou en Seine et Marne [ 3 ], par Marcelle Macréau, sosa 13
  • etc... 
Suis-je même Française, car le patronyme de ma mère vient de Suisse : Joseph Borrat-Michaud (sosa 24) passe en France probablement dans les années 1880, juste de l'autre côté de la frontière.

Bref, "t'es d'où ?" Je suis incapable de répondre à cette question.
Je peux dire où je suis née.
Je peux dire où j'ai vécu.
Je peux aussi dire où ont vécu mes parents, mes grands-parents et nombre de mes ancêtres.
Mais dire d'où je suis, c'est impossible ! Définitivement impossible.

Et vous ? Vous êtes d'où ? ...



[ 1 ] En particulier parce que les archives en ligne sont très bien faites et permettent de progresser très facilement.
[ 2 ] Système de numérotation des ancêtres. Les connaisseurs auront reconnu le père de ma grand-mère paternelle.
[ 3 ] Même si j'ai un peu plus de mal à m'identifier à cette branche car la Seine et Marne aujourd'hui c'est Disneyland (au propre comme au figuré), et la région ne ressemble en rien à celle qu'ont connu mes ancêtres depuis le milieu du XVIIème jusqu'au début du XXème siècle.