En effet, entre André Perrière et Vulliez Louise Françoise, sa descendante à la 5ème génération, il a fallu tout ce temps pour faire connaissance, nouer des alliances et déménager de loin en loin. Un peu moins de 75 ans pour que mes aïeux quittent Reyvroz et s'installent durablement à Samoëns.
André Perrière réside à Reyvroz lorsqu'il décède en 1681. On ignore son métier. Son fils Nicolas s'installe à Anthy sur Léman, la paroisse de son épouse Claudine Chevalier, après leur mariage en 1666. Une erreur tragique de géographie puisqu'Anthy se trouve plein Ouest, c'est-à-dire complètement à l'opposé de Samoëns ! Leur fils Jean Pierre réside à son tour à Anthy. Il y est maître cordonnier (1709). C'est sa fille, Peronne (ou Pierrette), qui franchit un nouveau cap en s'installant au Biot après son mariage avec un notaire royal, Jean Pierre Vulliez (1729). Ils sont cette fois à 38 km de Samoëns. Et c'est finalement leur fille Louise Françoise qui s'installe à Samoëns, paroisse de son époux, lors de son mariage avec Pierre Joseph Moccand en 1755 (un cordonnier, lui aussi !). Leur fille va ensuite s'unir à la famille Jay et rester à Samoëns jusqu'à la Première Guerre Mondiale.
Pourquoi nos ancêtres ont déménagé ainsi ? On peut émettre quelques hypothèses.
Dans cet exemple, les déménagements se font au moment du mariage. Du moins, c'est à cette occasion qu'on les constate. Plusieurs cas de figure : l'époux emménage chez son épouse (comme Nicolas Perrière) ou, plus souvent, l'inverse (comme Peronne Perrière).
D'autres familles, au contraire, sont immuables : les Jay, identifiés dans ma généalogie, résident à Samoëns depuis au minimum le XVIème siècle (les précédents se perdent dans les méandres de l'histoire) et jusqu'au début du XXème siècle, soit 10 générations. Un bel exemple d'endogamie villageoise.
Celle-ci n'est pas "folklorique" : elle est avant tout économique. Trouver un conjoint au village, c'est mettre en valeur son avoir, agrandir ses terres. Mais il est difficile de respecter totalement cette endogamie, notamment à cause des interdits de parenté : au bout d'un certain temps on est obligé d'aller "voir ailleurs" afin de trouver un conjoint qui n'appartienne pas à sa propre famille.
Un autre facteur pour briser cette endogamie, est d'ordre social. Bien souvent, on se marie entre "gens du même monde". Or, si trouver un cultivateur dans une communauté rurale ne pose pas trop de problème, cela devient vite beaucoup délicat pour certaines professions : notaires, apothicaires, etc. On va alors chercher le conjoint dans une communauté voisine. Cette recherche est facilitée par le fait que, souvent, ces professions entretiennent des relations sociales inter-villageoises. On se connaît donc déjà, malgré la distance. Ce comportement homogame se retrouve en particulier dans les couches les plus aisées de la population (bourgeoisie), mais aussi les plus faibles (domestiques, manouvriers); même si cette dernière est plutôt subie tandis que la première est plutôt choisie. Pour le reste de la population (la classe moyenne), ces considérations de métier sont moins importantes et l'union plus libre.
C'est pourquoi les déménagements se font par "sauts de puce", de communauté villageoise en communauté villageoise. On notera toutefois que, dans une très grande majorité, cette exogamie se fait à une échelle relativement réduite : les conjoints étrangers sont rarement trouvés dans des paroisses éloignées de plus de 10/15 km. Dans le cas qui nous occupe, si le premier mariage respecte cette règle (Reyvroz/Anthy : 17 km), les deux autres unions inter-villageoises sont un peu plus éloignées (Anthy/Le Biot 26 km, Le Biot/Samoëns : 38 km). Quelle audace !
En général, les garçons sont plus aventureux : ils se déplacent davantage que les femmes pour chercher leurs conjointes en dehors des limites paroissiales.
Les statistiques d'exogamie sont un peu plus élevées pour les communautés urbaines, mais le mariage d'époux issus de la même ville reste majoritaire. Plus la ville est petite, plus l'exogamie se développe. Lorsque la ville est très grande on va moins chercher son conjoint dans une autre ville, mais on retrouve ce schéma à l'échelle des paroisses urbaines : on se marie entre personnes de paroisses différentes mais appartenant à la même ville.
Les déplacements spectaculaires, c'est-à-dire à très grande échelle, comme les Savoyards ou les Bretons émigrant à la capitale, ont, elles, souvent pour origine non un mariage, mais un manque de travail. La ferme est reprise par l'aîné, la boutique ne peut plus accueillir de co-gérant, etc. Devant un avenir bouché, on part tenter sa chance ailleurs. Souvent on tâche de rejoindre une communauté de "pays" déjà installée et l'entraide est alors précieuse. C'est l'occasion de changer de métier, bien souvent, et de faire souche, dans une région totalement différente.
Hélas, on ignore bien souvent les causes de ces déménagements, les actes d'état civil restant muets à ce sujet. On peut toujours essayer, entre les lignes, d'en deviner les raisons. Ici, par exemple, on retrouve bien deux fois des cordonniers, mais espacés de deux générations. Les paroisses sont assez éloignées les unes des autres. Il est donc difficile de trancher et de dire pourquoi nos ancêtres ont ainsi migré, peu à peu, de Reyvroz à Samoëns...
Très intéressant comme article Mélanie.
RépondreSupprimerJe me suis également posé ces questions lors de mon dernier challenge AZ "ceux qui sont partis loin de chez eux". Pour la plupart je n'ai pas de raison, mais en s'y attardant, on trouve tout de même des pistes.
Benoît MesRacinesFamiliales
Le titre est accrocheur, le thème intéressant et bien traité. J'ai lu avec plaisir ton article, Mélanie.
RépondreSupprimerEn effet, on se pose souvent la question : "Pourquoi sont-ils partis ?" et "Pourquoi là-bas ?". Comme tu le dis très bien, on peut toujours essayer, entre les lignes, d'en deviner les raisons. Et tu nous donnes des pistes, entre la recherche d'un conjoint et la recherche d'un travail, qui doivent être, je crois, les principales raisons des déménagements.