« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 22 mai 2015

Villevêque, d'hier à aujourd'hui

Si le berceau de mes ancêtres éponymes est à Conques (en Aveyron), le plus grand nombre d'ascendants a été trouvé à Villevêque, commune située à une quinzaine de kilomètres d'Angers (49).

Vue générale de Villevêque © cparama

38 branches différentes de mon arbre y ont vécu, soit environ 450 personnes. L'ancêtre le plus lointain y est né vers 1570; le dernier l'a quitté en 1891. J'y ai recensé 545 événements (dans le jargon généalogique, cela désigne les naissances, mariages et décès). Le premier acte trouvé date de 1617 : je n'ai pas pu remonter plus loin parce que... il n'y pas de registre antérieur à 1616 !
Autrement dit près de quatre siècles d'histoire.

Extrait registre mariage, 1616, AD49


Ces ancêtres exerçaient des professions agricoles en majorité (définitions à consulter sur le lexique de généalogie) :
  • laboureurs, cultivateurs, métayers, fermiers, marchands et/ou marchands fermiers, closiers, propriétaire
  • vignerons, 
  • poulailler
Mais aussi d'autres types de professions :
  • drapier
  • tissier en toile
  • tailleurs d'habits
  • maréchal en œuvres blanches
  • couvreur d'ardoise
  • charpentiers
  • boulanger
  • syndic, procureur marguillier

La plus longue lignée villevêquoise est celle des Saulnier : 6 générations, depuis les années 1600 jusqu'à la Révolution; suivies de deux autres générations avec changement de patronyme (mariage par les femmes), jusqu'en 1813.

Aujourd'hui Villevêque compte un peu mois de 3 000 habitants (1 600 en moyenne au XIXème). Située sur la rive gauche du Loir, elle doit son origine à la résidence des évêques d'Angers, surplombant la ville. Forteresse élevée au XIIème siècle, elle perd son aspect défensif au milieu du XVème pour devenir une agréable résidence.

 
Ancienne résidence des évêques à Villevêque © bartko-reher-cpa.fr

Le musée-château aujourd'hui © businesspme.com

Aujourd'hui elle abrite la collection de Daniel Duclaux, industriel et amateur d'art éclairé qui a réuni des pièces du Moyen-Age et de la Renaissance. Son épouse a légué le château et la collection à la ville d'Angers. On peut y voir des tapisseries, des émaux limousins, des céramiques, une riche bibliothèque, etc... [ 1 ]

Mes ancêtres ont donc dû connaître :

Il est amusant de constater que, si les échanges et les rencontres sont nombreux avec la paroisse voisine de Corzé (12 branches cumulent des événements à la fois à Corzé et à Villevêque), ils sont beaucoup plus rares avec Soucelles (2 branches seulement), autre paroisse voisine, mais située en rive droite : le passage du Loir devait donc être beaucoup plus rare que les échanges rive gauche.

Mes ancêtres habitaient le bourg ou des lieux-dits, comme Craon, La Joulainerie, Les Humeaux, Reugnier et surtout l'Hôpitaux (le plus souvent cité).

S'il n'est pas toujours facile d'imaginer la paroisse du XVIème siècle, par manque de source précise, on peut en revanche faire quelques comparaisons avec son état du XIXème. En effet, pour cette période, il existe plusieurs cartes postales qui nous permettent de "voir" le Villevêque qu'a connu une partie de mes ancêtres. Et, si l'on excepte les inévitables quartiers de pavillons qui fleurissent de nos jours à proximité des grandes villes, on peut s'apercevoir que le centre bourg n'a pas beaucoup changé.

Tâchons de mettre nos pas dans les leurs...
  • La Rue Principale : cœur du village, où se tenaient probablement les foires autrefois, comme la foire de la Pentecôte.
Rue Principale © bartko-reher-cpa.fr

Rue Principale © GoogleMaps

On reconnaît très facilement la grande bâtisse blanche qui ferme la place et le bâti sur la gauche qui n'a guère changé, notamment la grande maison dont l'emprise au sol est un peu de biais.
  • La Rue Neuve: on donnait souvent ce type de nom aux artères percées lors d'une période d'expansion de la cité, signe de vitalité économique.

Rue Neuve © notrefamille.com

Rue Neuve © GoogleMaps
  • La Grande Rue : nom donné à l'artère principale, bien sûr, et souvent la plus commerçante.
Grande Rue © bartko-reher-cpa.fr

Grande Rue © Google Maps
  • Les moulins : Il y avait trois moulins à Villevêque dépendant du domaine propre de l’Évêché : le Moulin de Froment, le Grand Moulin, nommé ainsi car il possédait deux roues situé à proximité d'une porte marinière (aujourd'hui disparue) permettant la navigation sur le Loir et enfin le Moulin de Guichet, à l'emplacement du port actuel et détruit depuis. Les activités des moulins de Villevêque étaient surtout céréalières, il y avait également un moulin à foulon ainsi que des meules à papier et huile.[ 2 ]

 Les Moulins © Mme Lemée

Les Moulins © panoramio
  • L'église : L’église St Pierre présente une nef unique du début du XIème siècle. Elle est couverte d’une voûte de lambris datée de 1771. La porte sud a été refaite au XIXème. Un beau et haut clocher fut accolé à la nef à la fin du XIème : trois étages dont deux décorés de fausses arcades, le troisième à baies géminées (doubles). Le chœur à chevet plat et à fenêtres ogivales est du XIIIème. L'église était entourée par une galerie extérieure sur deux côtés, au sud et à l’ouest, qui servait de porche à l’entrée principale et de lieu de rassemblement pour la "communauté des habitants" avant la Révolution. Celle-ci fut détruite en 1903 par le curé Budan avec l’accord de la municipalité de l’époque, afin d’en utiliser les matériaux pour la reconstruction des sacristies et la restauration du chœur. [ 1 ]
L'église © bartko-reher-cpa.fr

L'église © Google Maps

Cette église qui a vu le baptême de tant de mes ancêtres...

Villevêque aujourd'hui :

Vue générale de Villevêque © Mairie Villevêque

Peut-être qu'un jour j'irai moi aussi à Villevêque...


[ 1 ] Source : villeveque.fr 
[ 2 ] Source : moulindevilleveque.fr


vendredi 15 mai 2015

#ChallengeAZ : des sources pour une vie

Je ne sais pas si vous le savez, et si vous ne le savez pas c’est normal parce que je n’ai encore rien dit, mais cette année je participe à nouveau au ChallengeAZ au mois de juin 2015. Le principe est simple : un article par jour et par lettre (sauf les dimanches), suivant le fil de l'alphabet.

Et puisque je suis joueuse, et pour ma deuxième participation au ChallengeAZ, j’ai décidé d’ajouter une difficulté supplémentaire ! Comme si le défi du Challenge n’était pas suffisant en soi, j’en remets une couche. J’ai ajouté un fil conducteur (et même un double fil conducteur) : explorer la vie de Jules Assumel Lurdin à travers les sources ; ou comment exploiter un faisceau de sources pour éclairer la vie d’un aïeul.

Jules Assumel-Lurdin est mon sosa n°10. Pour les lecteurs avertis, vous aurez compris qu’il s’agit du père de ma grand-mère paternelle [ 1 ], mon bisaïeul donc.

Il apparaît dans les sources traditionnelles de la généalogie comme les actes d’état civil, mais aussi dans des sources plus variées : si je n’ai pas (encore) trouvé son contrat de mariage, je l’ai vu mentionné dans la presse, le Journal Officiel, les archives départementales de l’Ain, sa fiche militaire, et d'autres sources encore...

Des sources pour découvrir une vie...

Donc ça donnera à peu près ça :  


(Cliquez sur les flèches pour faire défiler le diaporama)


[ 1 ] Pour les autres voyez le système de numération en généalogie

Merci à toutes ces institutions qui mettent en ligne des informations nous permettant de retrouver ainsi notre mémoire perdue.
Clin d’œil à S. de Groodt dont je me suis inspirée pour les entames de ce Challenge.


vendredi 8 mai 2015

#Généathème : M comme militaire

Jean Maurice Borrat-Michaud est un des derniers représentants Suisse de ma généalogie [ 1 ]. Étant Française, je n'ai pas eu accès à l'état civil suisse. Mais je le connais grâce à l'AVEG (Association Valaisanne d’Étude Généalogique) qui m'a fourni l'ascendance complète de cette branche, basée sur leurs relevés - qu'elle en soit remerciée.

Jean Maurice est donc né en 1785 à Champéry, dans le Valais suisse (dizain [ 2 ] de Monthey). En tapant son patronyme dans le moteur de recherche de Geneanet, un article de Louiselle Gally de Riedmatten est ressorti [ 3 ]. D'après cette source, Jean Maurice est enregistré comme soldat valaisan au service de l'empereur Napoléon, sous le nom de Borrat (comme son frère aîné Jean Louis né en 1783). Cet ouvrage recense les soldats du Bataillon valaisan qui ont pu être identifiés dans les registres baptismaux (hors officiers).

En 1798, le Valais (région bilingue de Suisse à la fois de langue française et allemande) est occupé par l'armée française. En 1802 il devient une "République libre et indépendante", sous le protectorat des républiques française, cisalpine et helvétique; sa capitale est Sion. Dès cette époque, Napoléon pense à recruter des Valaisans, qui viendraient renforcer l'Armée française. Ce n'est en fait qu'en Octobre 1805 (16 Vendémiaire an 14) qu'une Capitulation (c'est-à-dire un contrat) est signée entre l'Empire français et la République suisse pour fournir un Bataillon d'environ 660 hommes, que l'on réunirait à Turin. 

Mais le Valais est assez pauvre (en particulier de dizain de Monthey qui se trouve dans une grande détresse économique) et fournit déjà des hommes à d'autres unités suisses en Europe : le recrutement s'avère difficile. Les recruteurs utilisent alors tous les moyens pour remplir leurs contingents : l’enrôlement se fait parfois "sur un verre de vin", quand ce n'est pas sur des méthodes plus radicales encore (mise aux fers ou au secret); on considère que près de la moitié des recrues est enrôlée sous la contrainte. Cependant cela ne suffit pas : les effectifs sont alors réduits à cinq Compagnies de 83 hommes chacune. Et c'est finalement à Gênes, un an plus tard, que l'on commence à voir arriver par petits groupes des contingents de Valaisans.

La formation du Bataillon s'y déroule de septembre à novembre 1806. Jean Maurice s'y engage le 13 novembre 1806, sous le n° de matricule 144, à l'âge de 21 ans. Le Bataillon est formé à la fin du mois de novembre, sous le commandement de Charles de Bons (nommé dès le 10 juillet 1806).

L'uniforme est composé d'un habit de drap rouge foncé, avec un collet, revers et parements blancs. La doublure, la veste et les culottes sont également de couleur blanche. Le rouge était une des couleurs traditionnelles des troupes suisses au service français, et le rouge et le blanc celles de la République valaisanne. Des boutons jaunes émaillent l'uniforme, gravés des mots Bataillon valaisan au centre et Empire français sur le contour. L'uniforme est complété par un shako français de feutre noir (couvre-chef en forme de cône tronqué avec une visière) à bande du haut, bourdalou (tresse) et renforts en V de cuir noir orné d’un aigle de laiton. L'équipement et l'armement seront identiques à ceux des soldats de l'infanterie de ligne française.
Uniforme de grenadier et officiers du Bataillon valaisan, © D. Davin

Le Bataillon est, évidemment, composé uniquement de Valaisans. Les engagés doivent être âgés au minimum de 18 ans et au maximum de 40. La taille minimum requise est de 1,68 m (5 pieds 2 pouces). Aucune infirmité n'est tolérée. L'hygiène buccale est aussi contrôlée. Ils prennent un engagement de 4 ans. A l'issue, ils pourront quitter le Bataillon ou en contracter un nouveau. Le prix d'engagement est de 180 francs par recrue.

Ces troupes servent une puissance étrangère, tout en restant soumises à la juridiction de l’État d'origine : ils ont donc un statut assez proche de l'immunité diplomatique, avec leur propre justice, leur liberté de culte et leurs propres officiers (contrairement aux mercenaires, par exemple).

Selon l'article de Louiselle de Riedmatten, Jean Maurice est dit baptisé à Val d'Illiez (ville distante de moins de 4 km). A noter : aucune recrue ne déclare être de Champéry (d'ailleurs elle affirme qu'il n'existe plus de registre de baptême entre 1782 et 1786). Cependant, après vérification, les sources ne sont pas révélées très fiables : le soldat pouvait ainsi donner comme lieu de naissance le chef-lieu du dizain et avoir été en réalité baptisé dans une autre paroisse. 16 recrues originaires de Val d'Illiez s'engagent dans le Bataillon (selon l'estimation, il y a entre 11 et 12% de la population du dizain de Monthey nés entre 1782 et 1786 qui s'engagent).

Le 29 mai 1808, le Bataillon quitte Gênes pour Perpignan. Il y arrive le 13 juillet. Mais il n'y reste pas puisqu'il prend aussitôt la direction de l'Espagne. Il y est incorporé dans l'armée de Catalogne, au 7ème Corps.

Lors du siège de Gérone le Bataillon perd un tiers de ses effectifs. Les batailles se succèdent : Bascara (11 avril 1809), La Jonquière (octobre 1810). Pierre Blanc devient le nouveau chef de corps en février 1810. Peu de sources décrivent précisément la vie de corps, selon Louiselle Gally de Riedmatten, et encore moins s'intéressent à la vie de ces soldats, de leurs origines et de leur destin à l'armée (hormis les "rolles ou revues de compagnies" qui recensent les soldats, lorsqu'ils existent ou ont été conservés; ce qui n'est pas toujours le cas). 

De fait, difficile de savoir pourquoi Jean Maurice s'est engagé : emprise de l'alcool, après une dispute avec les parents ou la petite amie, échapper au mariage ou aux ennuis judiciaires, ou encore motif économique (subvenir à ses besoins ou à ceux de sa famille, fuir la misère du pays...), envie d'être soldat, de voir du pays ?

Fin 1810, alors que le Bataillon est cantonné à La Jonquière, les soldats apprennent qu'ils font désormais partie intégrante de l'Empire français et qu'ils doivent prêter serment de fidélité à l'Empereur. Le Valais vient en effet d'être annexé à l'Empire, formant le nouveau département du Simplon (par décret du 12 novembre 1810). Ce département existera jusqu'en 1813 seulement. Devenu français, une troupe étrangère n'a plus lieu d'être : le Bataillon valaisan est dissous le 16 septembre 1811 et intégré au 11ème régiment d'infanterie légère nouvellement créé. Il quitte l'Espagne à destination de l'Allemagne.

On ne sait pas à quelle date Jean Maurice quitte le Bataillon. Est-il parti à la fin de son engagement de 4 ans ? On constate toutefois que 21 % des enrôlés ont été congédiés avant le délai légal, pour inaptitude, blessure ou plus rarement pour conduite morale douteuse. D'autres sont rayés du contrôle des troupes, prisonniers ou déserteurs. On estime que, en fait, la durée moyenne passée au corps est d'un an et huit mois seulement (chiffre à relativiser, car la mort d'un grand nombre de soldats - 40% de l'ensemble du Bataillon en 5 ans - fait baisser considérablement cette durée). Rares sont ceux qui ont prolongé leur contrat. La brève période d'engagement suggère sans doute que le service dans le Bataillon valaisan n'est pas envisagé comme une carrière militaire à suivre, mais plutôt comme une étape de courte durée, une expérience momentanée. De retour on pays on "reprend le cours de sa vie", son métier (ou celui de son père).

Une chose est sûre, Jean Maurice se marie à Val d'Illiez le 3 décembre 1811 avec Milleret Patience. Soit il est rentré de façon temporaire, soit de façon définitive. Sa fille Marie Justine naît le 14 novembre 1814 à Champéry. Elle est la mère de Joseph Auguste (le père n'est pas connu).

J'ignore tout du reste de sa vie, sinon qu'il s'éteint à Champéry le 8 décembre 1848.


[ 1 ] Il est le grand-père de Joseph Auguste, celui qui a franchi la frontière et s'est installé en Haute-Savoie. C'est donc l'arrière-grand-père de Jean François Borrat-Michaud, autre soldat bien connu de ma généalogie dont je suis le parcours pas à pas lors de la Grande Guerre.
[ 2 ] Dizain : division territoriale du Valais, en quelque sorte l'ancêtre du district actuel.
[ 3 ] Article paru dans Vallesia (le bulletin annuel de la Bibliothèque et des Archives cantonales du Valais, des Musées de Valère et de la Majorie)


jeudi 30 avril 2015

#Centenaire1418 pas à pas : avril 1915

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois d'avril 1915 sont réunis ici. 

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 

1er avril
Séjour à la Bresse.
Matin : revues, travaux de propreté. Soir : exercice à rang serré.
Ordre de Bataillon n°19 : nouvelles promotions.
Avec l’inaction, reviennent les visions de corps déchiquetés, les bruits de canonnades, la peine des amis disparus…
Je ne sais pas ce qui est le pire : le feu ? Les camarades qui ne sont plus là ? L’attente avant d’y retourner ?
Serai-je capable de remonter au front ? 

2 avril
Séjour à la Bresse.
Matin : exercice à rang serré. Soir : préparatifs de départ.
Le bataillon va quitter la Bresse pour gagner par étape Granges. Étape : 26 km.
Ordre de Bataillon n°20 et 21 : nouvelles nominations et citations.

3 avril
Départ 6h. Grand’halte à 4 km de Granges.
Arrivée à Granges à 14h15.
 
Trajet La Bresse/Granges

Le Bataillon se partage le cantonnement avec le 24ème Bataillon de Chasseurs.

4 avril
Jour de Pâques. Repos pour tout le monde. Les cantonnements sont déconsignés toute la journée.
Ordres de Bataillon n°22 et 23 : nouvelles nominations.
Notre cher et regretté Fabry a été nommé Chevalier de la Légion d’Honneur.

5 avril
Séjour à Granges.
Matin : école de section, rang serré. Soir : exercices de tir.
Ordre de Bataillon n°24 : promotions et mutations.

6 avril
Séjour à Granges.
Matin : travaux de propreté, revue. Soir : exercice sur le tir, rang serré.

7 avril
Séjour à Granges.
Matin : travaux de propreté, douches. Soir : le Bataillon est passé en revue
par le Général de Pouydraguin Commandant la 47ème Division et par le Colonel Lacapelle Commandant la 4ème Brigade.
Le Général remet la croix de chevalier de la Légion d’Honneur au Capitaine Vergez.
Télégramme du Commandant Fabry en réponse à celui adressé par la Capitaine Vergez au nom de tous les officiers et chasseurs du 23ème BCA :
"Très touché par l’affection que vous me témoignez, tous, je vous remercie et vous dit bon courage. Ma pensée vous accompagne partout."
Le Commandant est heureux de faire connaître au Bataillon, qu’après la terrible opération qu’il vient de subir,
le Commandant Fabry est en bonne voie de guérison.
Il est sûr d’être l’interprète de tous en formant les vœux les plus cordiaux pour son prompt rétablissement.

8 avril
Séjour à Granges.
Matin : revues, douches. Soir : marche sur route, déploiement.
Ordre de Bataillon n°25 : nouvelles citations.

9 avril
Séjour à Granges.
Matin : confection de piquets pour réseaux de fil de fer, travaux divers, douches. Soir : exercice sur le tir, rang serré.
Ordre général n°27 : par décision du Général Commandant en Chef du 2 avril, le Détachement d’Armée des Vosges
est transformé en une armée qui prend le nom de VIIème Armée.
Le Général de Maud’huy prendra le commandement de cette VIIème Armée (5 avril).
Général de Maud'huy © scoutwiki.org

Au moment de quitter les troupes des Vosges pour aller commander un autre détachement, le Général Putz tient à leur exprimer
sa satisfaction pour l’endurance et la vaillance dont elles n’ont cessé de faire preuve depuis le début de cette rude campagne.
"Soldats de la VIIème Armée, je prends le commandement  aujourd’hui. Je connais votre dévouement, votre ténacité, votre bravoure.
Je compte que vous en donnerez de nouvelles preuves. Votre récompense sera la Victoire définitive de Notre France. Signé de Maud’huy"
Ordre général n°2 : le Colonel Lacapelle a pris à la date du 7 avril le Commandement de la 4ème Brigade de Chasseurs.
"Chasseurs, malgré les épreuves d’une dure campagne d’hiver et de combats incessants, j’ai pu constituer avec joie que vous étiez toujours l’élite de notre armée.
Sur tous les visages on voit la fierté d’être chasseur, l’énergie et la volonté de vaincre.
Vos bataillons donnent une impression de rigueur morale et physique, de force offensive qui ne demandent qu’à s’employer pour assurer la victoire.
Les rudes combats du Reichackerkopf n’ont en rien affaibli le moral de la 4ème Brigade. Il est intact et elle saura le prouver. 
Employons le repos momentané qui nous est accordé pour renforcer la cohésion indispensable de nos unités, développer nos aptitudes au combat et au tir. Que tous, Chefs et chasseurs unis dans un même sentiment du devoir s’efforcent de développer la camaraderie de combat, basé sur une confiance et une amitié réciproque. Que tous élèvent leur cœur par la volonté de vaincre coûte que coûte, d’avancer et de joindre à la baïonnette cet ennemi qui vous a surnommé "les diables bleus" qui vous redoute et auquel vous ferez bientôt repasser le Rhin.
Chasseurs de la 4ème brigade, la France peut compter sur vous. 
Je suis fier de vous commander.
Signé Lacapelle"
Colonel Lacapelle © appl

10 avril
Séjour à Granges.
Matin : travaux de propreté, douches.
Je crains de m'habituer à ce luxe...
Soir : le Général de Maud’huy, Commandant la 7ème Armée, passe en revue les 23ème et 24ème Bataillons de Chasseurs.
Le 23ème Bataillon est formé en ligne  de colonnes sur la place de l’église face à l’Ouest.
Après avoir défilé au son d’Alsace-Lorraine les Compagnies regagnent leurs cantonnements.

Chanson "Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine" © Youtube Memoria

11 avril
Séjour à Granges.
Dimanche : repos.

12 avril
Séjour à Granges.
Matin : Confection des piquets pour réseaux de fil de fer, revues d’astiquage, douches.
Soir : Marche d’approche sous le feu de l’Artillerie, puis sous les feux combinés de l’Artillerie et de l’Infanterie. Déploiement.
Ordre de Bataillon n°26 : Le Peloton de Mitrailleuses forme une unité à part, sous le Commandement du Sous-Lieutenant Durand
et mutations diverses.
Ordre de Bataillon n°27 : nominations diverses.

13 avril
Séjour à Granges.
Matin : travaux de couture et de propreté. Soir : rang serré, exercices sur le tir.
Ordre de Bataillon n°28 : citations diverses.

14 avril
Séjour à Granges.
Matin : revues, travaux de couture. Soir : marche par Compagnie (16 km environ).

15 avril
Séjour à Granges.
Matin : répartition d’outils, distribution d’effets.
On a enfin reçu des uniformes neufs !
 
Chasseurs, habillement, 1915 © Gallica 
Soir : exercices de tir, rang serré, école de section et de compagnie.
Ordres de Bataillon n°29 et 30 : nouvelles promotions et citations.

16 avril
Séjour à Granges.
Matin : revues, travaux de propreté. Soir : manœuvre de Bataillon sur la route de Le Tholy jusqu’à Champ de Luxel.
Ordre de Bataillon n°31 : nominations de 81 chasseurs qui se sont illustrés pendant les combats de mars.

17 avril
Séjour à Granges.
Matin : travaux de couture et de propreté. Soir : école de section, tir au stand.

18 avril
Séjour à Granges.
Dimanche, matin et soir - repos.

19 avril
Séjour à Granges.
Matin : rang serré. Soir : manœuvre de Bataillon, route de Le Tholy, Berchigranges, le Haut du Pré, Renaudfaing.

20 avril
Séjour à Granges.
Matin : marche d’approche, déploiement de la compagnie.
Soir : rang serré, exercices de tir.
Soldats en position de tir © Gallica
  
21 avril
Séjour à Granges.
Matin : tir au stand, école de section. Soir : marche d’approche sous le feu de l’artillerie, puis sous les feux combinés de l’artillerie et de l’infanterie.

22 avril 
Séjour à Granges.
Matin : marche sur route d’une vingtaine de kilomètres (Bruyères aller-retour). Soir : tir au stand, école de compagnie.
Ordre de Bataillon n°32 : Cassation du caporal Prat pour négligences répétées dans le service et indiscipline.

23 avril 
Séjour à Granges.
Une manœuvre à double action avec le 24ème Bataillon de Chasseurs devait avoir lieu aujourd’hui, renvoyée par suite du mauvais temps.
Matin : exercices de détail. Soir : travaux de propreté et de couture, revues, douches.
Ordre de Bataillon n°33 : nouvelles citations.

24 avril
Séjour à Granges.
Matin : marche par Compagnie, 22 km, Corcieux (aller-retour). Soir : travaux de couture et de propreté.

25 avril
Séjour à Granges.
Matin : exercice de détail. Soir : école de Compagnie, école de section.
Ordres de Bataillon n°34 et 35 : mutation et affectation.

26 avril
Séjour à Granges.
Matin : exercice de détail. Soir : déploiement, manœuvre sous les feux de l’artillerie et de l’infanterie combinés.

27 avril
Séjour à Granges.
Matin : exercice de détail. Soir : école de Compagnie.
Ordre de Bataillon n°36 : affectations et mutations.

28 avril
Séjour à Granges.
Matin : manœuvre de Bataillon. Départ 5h30, rentré 11h15. Soir : travaux de propreté et de couture.

29 avril
Séjour à Granges.
Matin : école de Compagnie, rang serré. Soir : exercice de tir, école de section.

30 avril
Séjour à Granges.
Matin : marche d’une vingtaine de km dans les environs de Granges, route de Le Tholy, Berchigranges, le Haut du Pré, Renaudfaing. Soir : exercices de détail.
Ordre de Bataillon n°37 : mutations.
Un mois de repos : ça va pas durer. Les gars disent qu'on va bientôt repartir au front...


vendredi 24 avril 2015

#Généathème : A comme ancêtre le plus ancien

L'acte le plus ancien en ma possession est l'acte de naissance de Ryondel Jean, datant de 1570 à Samoëns (Haute-Savoie). 
J'ai déjà parlé de lui lors du ChallengeAZ dans l'article M comme mil cinq cent soixante dix. Dans cet article j'abordais notamment :
  • l'époque moderne, 
  • le roi régnant à ce moment, Charles IX,
  • les grands noms de l'architecture, poésie, peinture...
  • un rappel historico-géographique : la Haute-Savoie n'était pas française à cette époque.
Par cet acte de naissance, je connais ses parents : Louis et ... (aïe ! L'acte est en latin : je sèche sur le prénom de la mère que je ne parviens pas à situer ! [ 1 ]). Tous les deux portent le même patronyme, Ryondel.

 Acte de naissance de Ryondel Jean, 1570, coll. personnelle

Je n'ai aucune date ou événement pour ces parents. Je n'ai que l'acte de naissance de leur fils Jean : pas d'autre événement. J'ignore l'origine et ce que veut dire leur nom. Peu d'informations en somme. Que dire, alors ? Que dire de ces ancêtres qui sont quasi invisibles.

Je me reporte à l’article d'Elise 3 étapes pour raconter l'article d'un ancêtre invisible.

  • Etape 1 : mettre en place une trame de vie.
N'ayant quasiment aucun événement les concernant, c'est un peu mince pour faire une ligne de vie.
Les archives de cette période n'étant pas en ligne, impossible d'explorer leurs proches.
Pas de recensement non plus, pour aider à les localiser.
Donc, pas de cartographie, pas de trame de vie. 

  • Etape 2 : comprendre et intégrer l'environnement de sa vie
J'ignore quel métier ils pratiquaient. 

  • Etape 3 : donner de la couleur au récit
Histoire locale, habitat, événements climatiques... restent assez mystérieux pour moi, à cette époque tout au moins. Une des rares informations en ma possession est que la famille réside à Vallon (aujourd'hui village de la commune de Samoëns).

On y devine, de nos jours encore, un espace voué dès l'origine à l'agriculture : l'habitat a gardé la marque de l'exploitation intensive d'un milieu rude, structurée autour d'une fruitière où se travaillait le lait récolté chaque jour, l'hiver dans les fermes, l'été dans la montagne du Criou. Des bassins rassemblaient les habitants, pour se rafraîchir, ou faire boire le troupeau (mais de quand datent-ils ?). 

Vallon © Hier à Samoëns

On y craignait deux dangers : les risques liés au feu et à l'eau. L'imbrication des fermes et de leurs dépendances, les vastes volumes habillés d'épicéa, expliquent comment un incendie s'étend rapidement et devient désastre. Le beau mantelage [ 2 ] aux teintes grises ou mordorées s'enflamme facilement car les fermes abritent d'importantes réserves de foin. L'inondation, autre danger, revenait régulièrement et nécessitait des corvées de surveillance jusqu'à ce que l'endiguement du Giffre et du Clévieu atténue les risques.

L'architecture traditionnelle est marquée par une variété dans les galeries, aux barreaux rectangulaires ou aux balustrades découpées, l'alternance de la pierre et du bois, et celle des ouvertures d'aérations dans les fenils qui surmontent les habitations. Deux virgules accolées dessinent des cornes de taureau, des cœurs, des flammes, quatre forment un svastika curviligne. Ailleurs se déclinent les symboles des jeux de carte. En s'approchant davantage des portes d'entrée, les colonnes, les linteaux sculptés révèlent le goût des habitants, qui, derrière une apparente austérité, recherchent une esthétique simple et discrète marquée par la tradition.

La vie de Vallon a un autre centre : la chapelle, édifiée en 1636, au clocheton à section octogonale, coiffé d'une coupole aux courbes outrepassées. L'influence baroque y est présente. Sous la protection des Saints Jacques, Philippe et Joseph. Elle fut bâtie à l'initiative de Joseph de Gex, baron de Saint-Christophe, seigneur de Vallon et des communiers du village, en remerciement d'une protection accordée lors d'une épidémie de peste qui resurgit en ce début du XVIIème siècle "désirant accomplir et effectuer la dévotion par eulx prinse au mois de décembre de l'année 1630 auquel temps, il pleut à la miséricorde divine visiter une partie du peuple du présent lieu et mandement de Samoên du fléau de peste et contagion". [ 3 ]

 Chapelle de Vallon © dimoiou

Jean Ryondel ne l'a sans doute pas connue (il semble être décédé lors du mariage de sa fille en 1635); ses parents probablement pas non plus.

Bref, si la date ancienne est satisfaisante du point de vue néalogique, la vie quotidienne et historique de ces lointains ancêtres semble bien difficile à saisir véritablement.
 

[ 1 ] S'il y a parmi vous des latinistes qui s'ennuient, je suis preneuse d'une traduction...
[ 2 ] Mantelage : habillage en bois d'un chalet.
[ 3 ] Source : Samoëns.com

vendredi 17 avril 2015

Des enfants exposés

Le berceau de mes ancêtres éponymes se situe à Conques en Rouergue (aujourd'hui département de l'Aveyron). En feuilletant les registres, j'ai rencontré un phénomène inédit (pour moi en tout cas) : la présence d'enfants exposés.

Ces enfants sont abandonnés à proximité de l’hôpital. De pères et de mères inconnus, on leur trouve des parrains/marraines et ils sont alors baptisés. Ces actes se ressemblent beaucoup en général, mais on peut distinguer quelques variantes : en voici quelques exemples, sur une décennie prise au hasard (1771/1782).

 Abandon d'enfant © Geneancetre

Lieu de dépôt de l'enfant : le plus souvent c'est l'hôpital de Conques
  • "a été trouvé exposé devant la porte de l'hôpital un enfant de père et mère inconnus" 
  • "a été trouvée exposée dans la rue de l'hôpital une fille à père et mère inconnus"
  • "a été trouvé exposé devant la porte de l'église un enfant à père et mère inconnus"
  • "a été trouvée devant la porte de l'hôpital une fille à laquelle nous avons donné le baptême"
  • "a été baptisé sous condition un enfant trouvé à nous présenté par l'hôpital" (cf. plus bas)
  • "a été baptisé un enfant trouvé de père et mère inconnus à nous présenté par l'hôpital de Conques" 
  • "trouvée devant la porte de l'hôpital de Conques"

Parfois les enfants sont trouvés plus loin :
  • "un enfant à père et mère inconnus qui a été trouvé exposé devant la porte de l'église"
  • "a été trouvé exposé dans la rue"
  • "fille trouvée au delà du pont de Conques"
  • "a été trouvée exposée au fond du faubourg une fille à père et mère inconnus"
  • "a été trouvée exposée au delà du pont de Dourdou une fille à père et mère inconnus"
  • "fille a père et mère inconnus exposée à la porte de monsieur le curé de Saint Marcel [paroisse voisine] dans la nuit du vingt et un au vingt deux [...] et a été remise et portée à l'hôpital de cette ville ledit vingt deux"
  • "fille a père et mère inconnus exposée à Calviguière [ ? ] paroisse de Saint Marcel [...] remise à l'hôpital de Conques"

Les parrains et marraines ont souvent des liens avec l'hôpital :
  • ce sont des pauvres dudit hôpital : Jeanne Chauri, Anne Gaillac, Joseph Calmel, etc...
  • des filles de l'hôpital ou "fille associée audit hôpital" : Marie Vidal, Marie Albespy
  • une femme veuve demeurant à l'hôpital [marraine non nommée]
  • des servantes audit hôpital : Marie Anne Garric, Anne Morisset
  • des marraines dites "restantes à l'hôpital de Conques" : Marie Jeanne Vidal, Jeanne Delagnes

Plus rarement, parrains et marraines n'ont aucun lien avec ledit hôpital :
  • Louis Carles, "de la présente paroisse"
  • Delphine Doumergue, "du faubourg"
  • Catherine Fraysse, "de la paroisse de Grandvabre"
  • et d'autres dont les liens ne sont pas précisés : Jean Teissonier, Marie Anne Planhol, Pierre Fabre...

Certains sont parrains ou marraines plusieurs fois :
  • Joseph Salesse et Jean Costes "pauvres de l'hôpital" - quatre fois
  • Pierre Chatelie "garçon à l'hôpital" (1774), "pauvre de l'hôpital" (en 1776 et 1777 : il n'est plus signalé comme tel les années suivantes) - cinq fois
  • Elisabeth Marc et Marguerite Garric, "servantes", puis "filles restantes audit l'hôpital" - trois fois
  • Catherine Selves "servante audit hôpital" - deux fois
  • Joseph Delagnes "demeurant audit l'hôpital" - trois fois
  • Catherine Landes "de la paroisse de Grandvabre" - deux fois

Lorsque l'enfant est une fille elle n'a pas de parrain, et inversement lorsque c'est un garçon il n'a pas de marraine.

Dans deux cas, les marraines sont elles-mêmes d'anciennes filles exposées, habitantes dudit hôpital.

Une seule fois, il est fait mention d'une lettre accompagnant l'enfant... mais comportant bien peu d'informations (sinon l'essentielle) : "avec un billet portant quelle n'était point baptisée".

En général deux témoins complètent l'assemblée; ce sont souvent Pierre Chatelie (lorsqu'il n'est pas lui-même parrain) et Antoine Lagarrigue. Ce dernier est cordonnier. Tous les deux signent les actes.

Trois enfants sont "baptisés sous condition". Le baptême efface le pêché originel. Un enfant mort sans baptême est condamné à errer éternellement dans les limbes. C’est pourquoi il faut le baptiser au plus vite (en général le jour même) : quelque soit le temps, il faut se rendre à l'église la plus proche. Un enfant mort-né ou en danger de mort à la naissance est "ondoyé" par la sage femme ; acte qui lui ouvre le ciel en cas de décès (c’est l’une des raisons pour lesquelles la sage-femme était nommée par le curé et prêtait serment). Ensuite, le prêtre baptise le nouveau né "sous condition" : il suffit que les témoins attestent qu’ils ont aperçu un mouvement du cœur, un semblant de respiration, le tressaillement d’un doigt, un souffle L’enfant mort, retrouve la vie quelques instants, le temps de recevoir le baptême. [ 1 ]

On ignore l'âge de la plupart de ces enfants exposés. Seuls deux actes précisent que l'enfant est "âgé d'environ trois ou quatre mois" et "d'environ un an". Ils n'ont sans doute en général guère plus de quelques jours car, lorsqu'ils décèdent, on compte à partir dudit baptême considérant qu'ils viennent de naître.

Exceptionnellement, ce sont des jumeaux qui ont été trouvés : ainsi "le 14 octobre 1777 ont été trouvés deux garçons de père et mère inconnus". Deux "pauvres dudit hôpital" leur ont été attribués comme parrains.

Entre 1771 et 1782 ces enfants exposés représentent 46 des 243 baptêmes enregistrés sur les registres, soit près de 19 % [ 2 ]; ce qui est tout de même assez conséquent.

Quel aura été l'avenir de ces enfants ? Difficile de le dire. On sait néanmoins que les enfants jumeaux exposés en 1777 "ont été donnés à l'hôpital".
L'un d'entre ne survivra pas, puisqu'à la date du 18 octobre de la même année il est signalé le décès "à l'hôpital d'un enfant [...] âgé de deux ou trois jours".
Sans doute les autres ont-ils suivis le même chemin, car, sur ces 46 enfants, sur la même période, 18 ont été retrouvés et signalés "décédés à l'hôpital"; ce qui nous laisse supposer que ces enfants y sont élevés. Une seule enfant est signalée "décédée au village de Camaly sur la présente paroisse"; âgée de deux mois et demi, était-elle placée en nourrice ?

Qu'est-ce qui fait qu'il y a tant d'enfants exposés à Conques ? Est-ce le fait que c'est un lieu réputé de pèlerinage ? Est-ce une histoire de climat rigoureux ou de disette particulièrement sévère à cet endroit, à cette époque ?
L'histoire ne le dit pas. Puissent certains d'entre eux avoir survécu et avoir eu une vie plus belle qu'elle n'avait commencé.


[ 1 ] Source : le blog de Geneanet.
[ 2 ] Ce chiffre ne prend en compte que les enfants exposés; les enfants illégitimes nés de pères inconnus ont été comptabilisés avec les naissances "normales".