« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 11 février 2017

L'armée des ombres

Il en va ainsi en général : nous aimons les chiffres ronds. Et en la matière je viens d’en atteindre un. Un assez conséquent. Pour paraphraser une célèbre citation : "je partis seule et nous arrivâmes 10 000."

10 000 c’est un cap… « C'est un roc ! ... c'est un pic... c'est un cap ! Que dis-je, c'est un cap ? ... c'est une péninsule ! » dirait certain. Je répondrais juste : « non, ce n’est qu’un arbre ». Un arbre généalogique qui affiche aujourd’hui 10 000 individus, selon mon logiciel de généalogie : mes ancêtres directs et leurs frères et sœurs (quand je les ai trouvés : leur recherche n’a pas été systématique), quelques beaux-frères ou belles-sœurs  pour les plus proches parents.
9 999 sont donc derrière moi, clairement identifiés ou plus flous, « invisibles » (c'est-à-dire que j’ignore presque tout d’eux) ou mieux connus, voire carrément familiers à force de patientes recherches - et trouvailles.
Ils sont là, à veiller sur moi. Ou plus probablement à m’ignorer complètement, ne se doutant pas un seul instant que 600, 400, 100 ou même 50 ans un(e) de leurs descendant(e)s s’amuserait à les faire sortir de l’ombre où le temps les a patiemment installés.

Foule © via dreamstime.com

Ce travail (bien que le mot semble fort inapproprié en l’occurrence) a fait émerger pauvres gens et riches notables, fermiers laborieux et nobles familles, mort-nés vite ondoyés et vieillards chenus. Il m’a fait voyager dans plusieurs pays, au sens propre comme au sens figuré :
  • 4 pays : France, Suisse, Autriche, Belgique,
  • 18 régions (celles d’avant la réforme de 2016),
  • 31 départements français,
  • 305 paroisses et/ou communes.

Les généalogistes disent souvent (ou entendent dire) qu'il y a dans chaque arbre généalogique un roi et un pendu :
  • Je ne suis pas encore remontée assez pour trouver un roi, mais une belle famille noble qui m'a emportée jusque dans les années 1320 (sous le règne du roi Jean II) - les générations antérieures étant sujettes à caution. C'est la branche la plus longue et la plus ancienne de mon arbre. Elle me mème en (Haute-)Savoie (actuelle). Ma mère est à l'autre extrémité de cette longue branche...
  • De pendu, point non plus; mais un grand oncle assez tapageur qu'on a envoyé se calmer dans un bataillon d'Afrique au début du XXème siècle; ce qui n'a eu guère d'effet puisqu'il a été à nouveau condamné, cette fois par un tribunal militaire. C'est finalement la boue d'une tranchée de la Somme qui aura raison de sa rébellion (comme je l'ai raconté dans cet Hommage aux Poilus). 
  • Par contre j'ai un saint (ou presque) : saint François de Sales, fondateur de l'ordre de la Visitation, est le cousin germain de mon ancêtre direct Gaspard de Sales (la fameuse famille noble citée plus haut).
  • J'ai aussi dans mon arbre un "bastard", une fille "donnée" (à la naissance ?) et un fils illégitime, mon arrière-arrière-grand-père, qui m'a privé d'une grosse branche de mon arbre...

10 000 en vrac, cela donne :
  • Villevêque (Maine et Loire) est le lieu qui compte le plus d’événements (naissance, mariage décès) : 593. 67 paroisses/communes n’en comptent qu’un seul.
  • 1381 patronymes ont surgi du passé. Le plus commun : Le Tessier (109 porteurs) : de braves pêcheurs, pontonniers, laboureurs, vignerons ou marchands des Pays de la Loire, assis sur la branche paternelle et angevine de mon arbre. Mon propre patronyme n’arrive qu’en 6ème position avec 54 porteurs ; 561 ne concernent qu'un seul ancêtre, 24 n’ont pas été identifiés (désignés sous le patronyme de Xxx).
  • 630 prénoms ornent mon arbre. La palme revient à Marie (1 136 porteuses), puis viennent Jean (797), Pierre (697), Jeanne (687), François et Françoise (975 à eux deux). Très classique en somme. 127 n’ont pas été transcrits (Xxx), 267 ont joué les originaux : porté par une seule personne – et heureusement parfois : Yolente, Premier, Rouph, Neymod, Miaz, Ildefonce (Ah ! non, tiens ! ils sont deux ceux-là en fait…), Felisonne, Etragie, Brenguier, Anoye. Quelques un(e)s ont adopté le nom de saints locaux, plus ou moins oubliés aujourd’hui : Vital (nom de plusieurs saints, en France et à l’étranger), Opportune (sainte normande), Maurille (saint évêque d’Angers, Maine et Loire), Fare (sainte de Seine et Marne), Barbe (sainte, grande martyre des églises orthodoxes et catholique)…
  • Ces ombres tutélaires ont, de leur vivant, exercé 207 métiers différents (à ma connaissance : nombreux n’ont pas livré leur secret sur ce point) : paysans, commerçants, artisans, marchands, notables, sans profession (ce qui recouvre de multiples situations : nobles, retraités, épouses de…). De laboureurs (164 personnes) à sarger - ouvrier fabriquant des étoffes ou tissus de laine, de la serge (1 seul) : une grande partie de la société, et de sa diversité, est représentée.
  • 315 ont signé au moins un document au cours de leur vie. Ce faible pourcentage s'explique par le fait que je n'ai enregistré que les signatures de mes ancêtres directs, et non les 10 000 en entier.

Au fait ! le n°10 000 est Benoît Monet, fils de Pierre (sosa n°718, ancêtre à la Xème génération, né vers 1677 dans l'Ain). Benoît fait partie des invisibles : cité dans plusieurs actes concernant sa sœur comme "frère", bien identifié comme fils de Pierre, je n'ai trouvé aucun acte le concernant directement. De plus sa mère n'est pas nommée; or Pierre a eu deux épouses : je ne sais donc même pas laquelle est sa mère. Benoît n'étant pas un ancêtre direct, mais un collatéral, il ne porte pas lui-même de numéro sosa... Mais c'est le n° 10 000 de mon arbre !



samedi 4 février 2017

#Généathème : généalogie côté insolite

Je n’ai pas souvenir d’en avoir rencontré après la Révolution, sans doute à cause des pages pré-remplies et à la rigueur des officiers d’État civil. Cependant, lorsque que c’était les curés qui tenaient les registres de baptêmes, mariages et sépultures (BMS), il n’est pas rare de croiser quelques digressions dans la marge ou carrément au sein du registre. Plus ou moins longues, cela peut être un dessin, le compte rendu d’une visite pastorale, le détail de travaux faits sur l’église. Très courantes sont les observations météorologiques (deux d'entre elles furent à l'origine de l'article L'effet papillon sur ce blog).

Je me rappelle avoir lu le récit d’une avalanche particulièrement destructrice, sur les hauts plateaux de l’Ain. Mais impossible de retrouver la date et la paroisse concernée ! Depuis, et sur les conseils de @gazetteancetres, à chaque fois que je rencontre une de ces mentions insolites, je l’enregistre dans un dossier dédié.

C’est ainsi que je peux aujourd’hui facilement ressortir celle-ci (parmi d'autres). Il s’agit d’une note d'un curé, nommé Récamier, en poste à Villes (Ain) dans les années 1730. La note commence sur l'avant dernier feuillet du registre BMS de la paroisse, à peu près au milieu d'une page (celle-ci débutant comme il se doit par les mentions de baptêmes et de décès, avant de laisser place audit commentaire). Sur le feuillet suivant, le début de la page concerne un acte de baptême, finalement rayé avec cette note dans la marge « il est écrit dans le registre suivant ». Tout le reste de la page est occupé par la fin de la fameuse note du curé. Ce qui suppose qu'elle a été écrite à postériori, là où il y avait de la place. Cette note est une véritable diatribe, au ton plutôt vif. Car, inutile de le cacher plus longtemps, M. le Curé est – de toute évidence – très en colère.
Un conflit l’oppose à l’un de ses paroissiens… pour une question d’argent.

Mais notre curé colérique ne manque pas d’ironie, commençant son texte par cette formule savoureuse « J’aurais laissé dans un entier oubli ce qui suit ». Il explique comment Pierre Bernard, orphelin de père, avait été placé en apprentissage chez un marchand toilier durant six ans. Le curé pense qu’il y a simplement « perdu son temps ». De retour chez sa mère et ses sœurs, il porte des accusations contre le curé, sans toutefois lui en parler directement mais en répandant des commérages « dans ce vilage ». Il prétend en effet « que ses parents avaient contribué aux réparations de l’église » ; « quoy que cela est très faux » rétorque le curé, insistant sur la « sotte vanité » dont fait preuve son paroissien. Il précise même que le père, feu Claude Bernard, « n’a jamais fourny ny un sol ny la valleur dicelluy pour la batisse en réparation de notre église ». Contrairement à « tous les autres habitants [qui y ont] contribué », chacun selon leurs capacités : « les uns en naydant à creuser les fondations », les autres en fournissant « les matériaux comme sable et pierre », voire en « faisant un four à chaux ». Et tous ces travaux ont été réalisés les jours de fêtes (normalement chômés), grâce à une autorisation spéciale de l’évêque. En lisant cette note, on perçoit la tension du curé crisser sous sa plume, à tel point que, tellement énervé contre son paroissien, il se refuse même à écrire de nouveau son nom, disant simplement « de l’autre part nommé ». On sent sous cette mention que des insultes, bien peu chrétiennes, auraient pu se libérer d’un coup. Quand à l’argent fourni, car il y a bien eu des dons en argent, « le curé soussigné […] en remercie Dieu de luy en avoir donné la pensé [= de s’en être rappelé ?] […] il est vray que il y a eu environ 130 livres qui ne sont pas de mon bien mais que je ne déclare pas non [plus] quelles proviennent d’aucune restitution mais elles sont venue d’une bourse dont le propriétaire n’en a pas scu l’employer, pieux et legitime. »

Non mais !

Diatribe à Villes, registre paroissial de Villes, 1734 © AD01

[première page] « J’aurais laissé dans un entier oubli ce qui suit mais
la sotte vanité de Pierre fils de feu Claude Bernard et
qui appres avoir perdu son temps  chez un marchand
toilier où il avait été mis pendant six ans par ses
parents pour y apprendre ce negoce, s’est venu revivre
dans sa maison a villes avec sa mere et ses sœurs , disoit
dans ce vilage, que ses parents avaient contribué aux
réparations de l’église de ce lieu quoy que cela est très
faux, je déclare que claude bernard enfant de feu Pierre
Bernard et qui socupoit à faire valoir son moulin
n’a jamais fourny ny un sol ny la valleur dicelluy
pour la batisse en réparation de notre église quoy que
tous les autres habitants y ayant contribué chacun [?]

[seconde page] comme il a pû les uns en naydant à creuser les
fondations les autres a fournir les matériaux comme
sable et pierre et tous a lexclusion dudit [… ?] qui est
de lautre part nommé, en faisant un four à chaux 
et le tout les jours de fetes par la permission
accordée par le seigneur eveque et tout largent fourni
par le curé soussigné qui remercie Dieu de luy
en avoir donné la pensé et le pouvoir de leffectuer
Il est vray que il y a eu environ 130 livres qui ne sont
pas de mon bien mais que je ne déclare pas non quelles
proviennent d’aucune restitution mais elles sont
venue d’une bourse dont le propriétaire n’en a pas
scu l’employer pieux et legitime ny pu le scavoir
cest tout ce que jassure en me signant
Recamier curé »

mardi 31 janvier 2017

#Centenaire1418 pas à pas : janvier 1917

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de janvier 1917 sont réunis ici.

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 

1er janvier
Le chef de bataillon est rentré de permission et reprend le commandement du bataillon.

2 janvier
Un caporal de notre Cie est blessé en allumant une fusée éclairante : il a une brûlure au bras.

3 janvier
RAS

4 janvier
Démolition par une patrouille de la 9e d’une sape boche près de Lesseux. Activité plus grande de l’artillerie ennemie.
Reçu des renforts : 1 adjudant, 2 sergents, 4 caporaux, 30 chasseurs.

5 janvier
Légère activité de l’artillerie. Écoute du génie : faible activité de l’ennemi.

6 janvier
14h : une batterie tire une cinquantaine de coups sur Lesseux. 2 fusils brisés, 1 observatoire démoli, pas de blessé.

7 janvier
Une Cie en marche est signalée sur la route de Provenchères. Relève de la faction de chasseurs à cheval à la croupe de Lesseux.

8 janvier
De 11 à 12h 16 obus de 77 et 10 de 105 vers la ferme brûlée (NO de Lesseux).

Explosion © soldatsdelagrandeguerre.wordpress

9 janvier
Tir de destruction sur 607 : un seul blockhaus semble avoir été touché. Écoute du génie : travail actif à 9h dans la demi-lune de droite.

10 janvier
Les tirs de destruction prévus sont confirmés, entravés par le brouillard qui a gêné l’observation. Les boches ont riposté plus vigoureusement que la veille.

11 janvier
Continuation des tirs de destruction prévus sur 607. La riposte allemande n’est pas violente.

12 janvier
Écoute du génie : aucun bruit dans les deux demi-lunes.

13 janvier
Le matin à diverses reprises une quinzaine d’obus de gros calibre tombe sur le plateau de Lesseux.

14 janvier
Dans l’après-midi 3 avions allemands et 2 français survolent nos lignes.

Biplan allemand de reconnaissance © wintzenheim1418.free.fr

15 janvier
Une trentaine d’obus (105 et 77) tombent sur la croupe de Lesseux.
Écoute du génie : bruits irréguliers, variés (coups de masse, de mine, pistolets).

16 janvier
RAS

17 janvier
Faible activité de l’artillerie ennemie.

18 janvier
Assez grande activité d’artillerie. En réponse à notre artillerie, les boches envoient 10 obus de gros calibre sur Lesseux.

Obus allemand © militaria-14-18.fr

19 janvier
Comme la veille l’artillerie boche riposte tout au long de la journée. Écoute du génie : travail actif dans la demi-lune de droite.

20 janvier
De 11 à 13h une quarantaine d’obus tombent, faisant de faibles dégâts. Écoute du génie : de nombreux bruits indiquant un travail actif.

21 janvier
Relève de la section de cavaliers par la 9ème Compagnie.

22 janvier
En vue de la relève du bataillon qui doit s’effectuer le 24, le capitaine Bonnet vient en reconnaissance. Un avion boche survole nos lignes.

23 janvier
Légère activité d’artillerie de part et d’autre. Bruits de circulation assez intenses au cours de la nuit vers Provenchères.

24 janvier
Nuit et journée calme. Deux avions allemands survolent nos lignes. Relève des 3 Compagnies. Nous allons vers Couinches.

25 janvier
Étape de Couinches à Corcieux. Arrivée à 11h. Nous cantonnons à la caserne.

26 janvier
Nous allons enfin pouvoir profiter un peu de repos.

27 janvier
Lits, douches, repas chauds…

Corcieux, casernes © Delcampe

28 janvier
Aucune note pour ce jour.

29 janvier
Maman écrit : les pénuries de farine s’accentuent. Déjà que l'année dernière avait été une très mauvaise année de récoltes de céréales.

30 janvier
Aucune note pour ce jour.

31 janvier
Départ pour Dounoux. Itinéraire : Socelles, Champ le Duc, Laval, Lepanges. Cantonnement à Docelles.

Carte Corcieux-Docelles