« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 19 août 2017

#RDVAncestral : le vieillard

En ce mois de janvier 1758, je me rends à La Celle sur Morin (Seine et Marne actuelle), dans la demeure de Nicolas Fouchy, vigneron de cette paroisse. L’avant-veille son fils, aussi prénommé Nicolas, a épousé Marie Jeanne Thomeret.

L’ancien est alité près de l’âtre. Le vieil âge, mais aussi ses capacités physiques diminuées, ne lui permettent plus guère de se déplacer hors de la cuisine. Il me demande si j’étais à la noce et comment cela s’est passé.
- Parce que tu vois, hélas, à cause de ma vieillesse et de mon infirmité je n’ai pas pu me rendre à la paroisse voisine assister à la noce. J’ai néanmoins fait part de mon consentement ; ma chère épouse, Françoise Didier n’étant plus là pour parler en notre nom.
Je le rassure sur ce point : tout s’est bien passé. La cérémonie a eu lieu en l’église Guérard, la paroisse de fait de Nicolas fils (La Celle s/Morin restant sa paroisse de droit), après des fiançailles « en la manière acoutumée » et la publication des bans réglementaires. Son consentement a bien été transmis, mais afin que tout soit fait dans les règles, le curé de Guérard va se déplacer lui-même pour s’assurer qu’il l’a bien donné. D’ailleurs, il ne devait plus tarder maintenant.

Nous bavardons un moment, lorsqu’un petit groupe de personnes toque à la porte : mené par le curé de Guérard, il y a là aussi le clerc paroissial de Guérard François Moinet, Nicolas et Jacques Vion, vignerons, Jean Louis Gondart, laboureur, tous demeurant à La Celle. Les hommes s’installent autour de la table pendant que le curé sort un gros registre, une plume et de l’encre. Il commence la rédaction de l’acte : « je soussigné Curé de Guerard certifie que je me suis transporté au lieu et domicile de Nicolas Fouchy vigneron demeurant à la Celle. »
Il regarde Nicolas :
- Nous somme bien en votre domicile ?
- Oui, acquiesce le vieil homme.
- Bon ! Je continue : ledit Nicolas Fouchy « m’a confirmé le consentement quil a donné en présence des temoins mentionné en l’acte de Mariage entre Nicolas Fouchy son fils et Marie Jeanne Thomeret ».
Il regard à nouveau Nicolas :
- Vous avez bien consenti ?
- Oui.
- Bon ! Ledit Fouchy père « ma déclaré que sylle n’a pas paru audit Mariage son Grand age et son Infirmité l’en ont empêché ».
- C’est la vérité ?
- Oui.
- Bon ! Et il a « déclaré encorre quil a consenty et y consent. » C’est la vérité ?
- Oui, oui, bougonne le patriarche qui fatigue de ces consentements à répétition.
Le curé nomme et couche sur le papier les témoins présents. Il les appelle un par un et chacun se doit de répondre présent.
Nicolas n’écoute que d’une oreille cette litanie répétitive.
- « … et ont signé le present acte excepté ledit Nicolas fouchy père dudit marié qui a déclaré ne savoir signé de ce interpellé. » C’est la vérité : vous ne pouvez pas signer ?
- Ben non ! Comme je viens de vous le dire. Mon fils, lui, sait, mais moi…
- Bon, bon, bon ! Je termine. Ah ! la date ! J’ai failli oublier : « le dix neuf janvier 1758 ». Maintenant messieurs, signez au bas de l’acte s’il vous plaît.
Chacun à leur tour ils prennent la plume et apposent leurs signatures.
- Bon ! Je vais vous relire tout cela, pour être bien sûr que cela soit la vérité pleine et entière.
Et le curé de reprendre la lecture de l’acte en entier.

Consentement au Mariage de Nicolas Fouchy, 1758 © AD77

Nicolas est trop fatigué maintenant. Pendant la lecture monocorde du curé, ses pensées s’envolent : vers cette noces à la quelle il n’a pas pu assister, sa tendre épouse trop tôt disparue, ses enfants qui le quittent aujourd’hui et pour qui il a eu de la tendresse… et bien sûr les douleurs de la vieillesse. Lui qui a toujours eu une vie active, dans les vignes.

Je vois dans son regard s’exprimer les regrets que lui ont apportés ces infirmités, l’empêchant de faire son vin, comme il l’a toujours fait. Son fils a quitté la maison, la paroisse, mais aussi le métier et s’est fait charretier. Il aurait bien aimé que son Nicolas reprenne la vigne à son tour, mais les jeunes n’en font qu’à leur tête. Enfin, s’il est heureux, c’est déjà ça. La petite Marie Jeanne est fille de vigneron, alors peut-être qu’un jour il reviendra dans le métier.

Je pose doucement ma main sur le bras de Nicolas, pour le ramener à la réalité : le curé a terminé sa relecture et s’apprête à partir. Il faut dire au revoir à toute la troupe.
Une fois le calme revenu dans la maison, Nicolas se tourne vers moi :
- Eh ben ! Tout ce raffut pour confirmer ce que j’avais déjà dit ! Pfff… Mais ils veulent m’achever ou quoi ?

Je lui souris et remonte sa couverture qui avait glissé de ses genoux. Je m’en vais sur la pointe des pieds, le laissant trouver un sommeil réparateur. Je sais que cette petite séance, si répétitive et ennuyeuse qu’elle lui soit apparue, ne l’achèvera pas : Nicolas vivra encore un an et demi avant de quitter ce monde. Le curé de La Celle, qui rédigera son acte de décès en juin 1760, mentionnera que Nicolas était « agé d’environ quatre vingt neuf ans ».


dimanche 6 août 2017

Pris sous la poussière

J'ai pris de mauvaises habitudes : à force de dépouiller des sources diverses (fiches militaires, recensement, actes notariaux...), j'ai donné corps à mes ancêtres. Une poêle à frire un peu "uzée", un habit de noce neuf, des terres à labourer... Ces mentions donnent chaire au squelette d'un arbre qui, autrefois (quand j'ai commencé ma généalogie), ne comportait que - au mieux - les trois actes qui rythment la vie : baptême, mariage, sépulture. Depuis, il faut bien l'avouer, je ne peux difficilement m'en passer.

L'autre jour, je "feuilletais" mon arbre à la recherche d'une mention insolite, d'un événement qui pourrait donner matière à un article.
Et plus je furetais de branche en branche, plus les informations recueillies se raréfiaient : plus d'acte notarié d'abord, mais aussi des fiches de plus en plus courtes. Ce sont souvent les métiers qui disparaissent en premier : j'ignore alors si mes ancêtres sont de simples laboureurs ou de riches notaires. Et puis la paroisse d'origine qui reste obscure. Et enfin le nom qui m'échappe.

Le curé est moins bavard, les registres ont disparus : les raisons sont multiples à cette désertification progressive. Mais force est de constater que mon arbre se couvre de poussière. La poussière du temps. La poussière de l'oubli.

Arbre qui disparaît via sergeychubarov.ru

Combien sont-ils concernés ? Des centaines, des milliers peut-être...
Ils me font penser à ces corps momifiés par les cendres à Pompéi : on distingue leur silhouette, leur position, mais la poussière s'est déposée sur ces ancêtres, créant à la fois une gaine protectrice les fixant pour l'éternité mais brouillant leur image.

Les ai-je perdu à jamais ou parviendrai-je à les sortir de l'ombre un jour ? L'avenir le dira...


lundi 31 juillet 2017

#Centenaire1418 pas à pas : juillet 1917

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de juillet 1917 sont réunis ici.

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 

1er juillet
La 125e DI relèvera la 47e DI dans les nuits des 3, 4 et 5 juillet.

2 juillet
Travaux d’organisation.

3 juillet
Le Bataillon est relevé dans le quartier B par le 5e bataillon du 76 RI. Aucun incident.

4 juillet
Le Bataillon cantonne au camp de Bourgogne.

5 juillet
Départ par voie de terre pour Arcis Le Ponsard à 5h. Itinéraire : Romain, Breuil s/Vesle, Unchair, Courville. Cantonnement : camp d’Arcis Le Ponsart.

Carte Ventelay-Arcis le Ponsart

6 juillet
Stationnement. Repos. Douches.
Ordre de bataillon n°157.

7 juillet
Départ à 5h par voie de terre. Itinéraire : Dravegny, Cohan, Coulonges, Cierges, Fresne. Cantonnement : Fresne.

Carte Arcis le Ponsart-Fresne

8 juillet
Départ de Fresne à 6h par voie de terre. Itinéraire : Le Charmel, Jaulgonne. Cantonnement : Jaulgonne.
Ordre de bataillon n°158.

Carte Fresne-Jaulgonne

9 juillet
Le bataillon embarque en deux trains à la gare de Mezy : 10h30 et 14h30. Nous sommes dans le second.

10 juillet
Débarquement de nuit à Gondrecourt (Meuse).
Cantonnement du bataillon : Mauvages.

Carte Mézy-Gondrecourt

11 juillet
Installation dans les cantonnements.

12 juillet
Travaux de propreté. Échange d’effets.

13 juillet
La 47e Division est chargée « d’informer » l’armée américaine au camp de Gondrecourt.

14 juillet
Le Général de Division passe en revue la 47 DI et le Bataillon américain de Gondrecourt, sur la croupe située à l’Ouest de Delouze.

15 juillet
Repos.

16 juillet
Échanges avec les Américains.

Soldats américains © centenaire.org

17 juillet
Aucune note pour ce jour.

18 juillet
Reconnaissance de travaux d’aménagement d’un terrain d’exercices.

19 juillet
Le 51e Bataillon est chargé d’informer deux Bataillons américains.

Camp américain © cheminsdememoire.gouv.fr
Travaux : 100 travailleurs chaque jour à l’organisation d’un centre de résistance. Le reste du Bataillon est affecté aux corvées.

20 juillet
Ordre de bataillon n°160.

21 juillet
Par décret du Président de la République le capitaine Montignier est promu capitaine de réserve à T.D.

22 juillet
Ordres de bataillon n°161 et 162.

23 juillet
Aucune note pour ce jour.

24 juillet
Ordre de bataillon n°163.

25-31 juillet
Aucune note.