En ce mois de janvier 1758, je me rends à La Celle sur Morin (Seine et Marne actuelle), dans la demeure de Nicolas Fouchy, vigneron de cette paroisse. L’avant-veille son fils, aussi prénommé Nicolas, a épousé Marie Jeanne Thomeret.
L’ancien est alité près de l’âtre. Le vieil âge, mais aussi ses capacités physiques diminuées, ne lui permettent plus guère de se déplacer hors de la cuisine. Il me demande si j’étais à la noce et comment cela s’est passé.
- Parce que tu vois, hélas, à cause de ma vieillesse et de mon infirmité je n’ai pas pu me rendre à la paroisse voisine assister à la noce. J’ai néanmoins fait part de mon consentement ; ma chère épouse, Françoise Didier n’étant plus là pour parler en notre nom.
Je le rassure sur ce point : tout s’est bien passé. La cérémonie a eu lieu en l’église Guérard, la paroisse de fait de Nicolas fils (La Celle s/Morin restant sa paroisse de droit), après des fiançailles « en la manière acoutumée » et la publication des bans réglementaires. Son consentement a bien été transmis, mais afin que tout soit fait dans les règles, le curé de Guérard va se déplacer lui-même pour s’assurer qu’il l’a bien donné. D’ailleurs, il ne devait plus tarder maintenant.
Nous bavardons un moment, lorsqu’un petit groupe de personnes toque à la porte : mené par le curé de Guérard, il y a là aussi le clerc paroissial de Guérard François Moinet, Nicolas et Jacques Vion, vignerons, Jean Louis Gondart, laboureur, tous demeurant à La Celle. Les hommes s’installent autour de la table pendant que le curé sort un gros registre, une plume et de l’encre. Il commence la rédaction de l’acte : « je soussigné Curé de Guerard certifie que je me suis transporté au lieu et domicile de Nicolas Fouchy vigneron demeurant à la Celle. »
Il regarde Nicolas :
- Nous somme bien en votre domicile ?
- Oui, acquiesce le vieil homme.
- Bon ! Je continue : ledit Nicolas Fouchy « m’a confirmé le consentement quil a donné en présence des temoins mentionné en l’acte de Mariage entre Nicolas Fouchy son fils et Marie Jeanne Thomeret ».
Il regard à nouveau Nicolas :
- Vous avez bien consenti ?
- Oui.
- Bon ! Ledit Fouchy père « ma déclaré que sylle n’a pas paru audit Mariage son Grand age et son Infirmité l’en ont empêché ».
- C’est la vérité ?
- Oui.
- Bon ! Et il a « déclaré encorre quil a consenty et y consent. » C’est la vérité ?
- Oui, oui, bougonne le patriarche qui fatigue de ces consentements à répétition.
Le curé nomme et couche sur le papier les témoins présents. Il les appelle un par un et chacun se doit de répondre présent.
Nicolas n’écoute que d’une oreille cette litanie répétitive.
- « … et ont signé le present acte excepté ledit Nicolas fouchy père dudit marié qui a déclaré ne savoir signé de ce interpellé. » C’est la vérité : vous ne pouvez pas signer ?
- Ben non ! Comme je viens de vous le dire. Mon fils, lui, sait, mais moi…
- Bon, bon, bon ! Je termine. Ah ! la date ! J’ai failli oublier : « le dix neuf janvier 1758 ». Maintenant messieurs, signez au bas de l’acte s’il vous plaît.
Chacun à leur tour ils prennent la plume et apposent leurs signatures.
- Bon ! Je vais vous relire tout cela, pour être bien sûr que cela soit la vérité pleine et entière.
Et le curé de reprendre la lecture de l’acte en entier.
Consentement au Mariage de Nicolas Fouchy, 1758 © AD77
Nicolas est trop fatigué maintenant. Pendant la lecture monocorde du curé, ses pensées s’envolent : vers cette noces à la quelle il n’a pas pu assister, sa tendre épouse trop tôt disparue, ses enfants qui le quittent aujourd’hui et pour qui il a eu de la tendresse… et bien sûr les douleurs de la vieillesse. Lui qui a toujours eu une vie active, dans les vignes.
Je vois dans son regard s’exprimer les regrets que lui ont apportés ces infirmités, l’empêchant de faire son vin, comme il l’a toujours fait. Son fils a quitté la maison, la paroisse, mais aussi le métier et s’est fait charretier. Il aurait bien aimé que son Nicolas reprenne la vigne à son tour, mais les jeunes n’en font qu’à leur tête. Enfin, s’il est heureux, c’est déjà ça. La petite Marie Jeanne est fille de vigneron, alors peut-être qu’un jour il reviendra dans le métier.
Je pose doucement ma main sur le bras de Nicolas, pour le ramener à la réalité : le curé a terminé sa relecture et s’apprête à partir. Il faut dire au revoir à toute la troupe.
Une fois le calme revenu dans la maison, Nicolas se tourne vers moi :
- Eh ben ! Tout ce raffut pour confirmer ce que j’avais déjà dit ! Pfff… Mais ils veulent m’achever ou quoi ?
Je lui souris et remonte sa couverture qui avait glissé de ses genoux. Je m’en vais sur la pointe des pieds, le laissant trouver un sommeil réparateur. Je sais que cette petite séance, si répétitive et ennuyeuse qu’elle lui soit apparue, ne l’achèvera pas : Nicolas vivra encore un an et demi avant de quitter ce monde. Le curé de La Celle, qui rédigera son acte de décès en juin 1760, mentionnera que Nicolas était « agé d’environ quatre vingt neuf ans ».
89 ans, c'est un âge remarquable au XVIIIe siècle. Quelle bonne idée d'avoir ainsi rendu visite à cet aïeul qui prend vie grâce à ce Rendez-vous Ancestral bien sympathique.
RépondreSupprimer-Merci Mélanie.
RépondreSupprimer-Vous avez l'art de ressusciter ces tranches de vies !