« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 20 janvier 2018

#RDVAncestral : les deux cousines

Je m’apprête à rencontrer Perrine Le Seigneur, épouse Georget. Il y a 10 jours elle a mis au monde une petite Toinette. Quand j’arrive dans la maison d’Echemiré (Maine et Loire), une surprise m’attend : ce n’est pas seulement une jeune mère et son bébé qui sont là, mais une autre femme enceinte est présente aussi.

C’est la belle-sœur de Perrine et visiblement elle est proche du terme : il va y avoir deux naissances rapprochées chez les frères Georget. On est en février 1634 et, en plus de la période hivernale, il n’y a pas beaucoup de travaux que ces deux femmes peuvent entreprendre vu leurs situations : bébé à allaiter pour l’une, tour de taille conséquent pour l’autre. Néanmoins d’un œil elles surveillent les enfants, de l’autre le repas qui mijote. Les mains ne restent pas inactives : elles sont occupées à des travaux de couture, notamment pour les bébés. Comme les mains, les langues ne se reposent pas non plus : je distingue leurs murmures, leurs rires, leurs espérances prochaines.

Mathurin, l’époux de Perrine, qui m’a accueilli dans sa demeure, a un sourire indulgent mais lève les yeux au ciel :
- Mon Dieu ! C’est comme ça depuis qu’elles ont appris qu’elles étaient grosses toutes les deux en même temps ! Depuis, impossible de les tenir !
Il les gratifie d’un nouveau regard amicale.
- C’est pourtant pas la première fois. Tiens, ma Perrine, par exemple, c’est son huitième enfant. Mais toutes les deux ensemble, ça oui, c’est bien la première fois…
La journée avance : Françoise regagne sa chaumière. Perrine se lève et couche le bébé dans son petit lit, pour m’accueillir, en s’excusant de ne pas l’avoir fait convenablement plus tôt. Je la rassure et l’engage à se rassoir aussitôt, mais elle insiste pour me servir une collation. Tout en s’occupant dans la cuisine, elle me raconte ce fameux jour où, sûre de sa grossesse, elle s’est précipitée chez sa belle-sœur pour lui annoncer la bonne nouvelle. Celle-ci a alors éclaté de rire en doublant la bonne nouvelle. Elles n’en revenaient pas. Toutes les deux ensemble !

Autour de la table, nous discutons de choses et d’autres sans voir le temps passer puis, tout d’un coup, un jeune garçon fait irruption dans la pièce comme une tornade :
- « Françoise va avoir le bébé ! Françoise va avoir le bébé ! » crie-t-il.
Avant que nous soyons revenus de notre surprise, il est déjà reparti. Reprenant ses esprits, Perrine se lève et s’apprête à aider sa belle-sœur. Je m’étonne alors de la voir si active et prête à sortir, alors que les 40 jours traditionnels après la naissance ne se sont pas encore écoulés et que la cérémonie des relevailles n’a pas encore eu lieu. Elle sourit et hausse les épaules :
- « Ici, à la campagne, on ne respecte pas toujours le délais de 40 jours, surtout quand il y a du travail ou des enfants à s’occuper ! ». [1]
Je propose alors de l’accompagner et de m’occuper du bébé, ce qui la soulage. Bien emmitouflés, nous partons tous chez Etienne, le frère de Mathurin.

Françoise est en travail. Mathurin tient compagnie à son frère Etienne, à l’écart, tandis que Perrine a accompagné plusieurs voisines au chevet de la parturiente. Je fais des allées et venues entre les deux groupes, jette un œil sur les enfants, rassure le futur père. Le soir est tombé et les cris de Françoise sont de plus en plus rapprochés.

Assise dans un coin, au calme, je pense aux conditions d’enfantement : ici, dans cette ferme, en 1634, tout se fait sur place bien sûr. Les naissances ont lieu à la maison dans l’espace de vie quotidien. L’accouchement, tout comme la mort, se passe là où on vit au jour le jour, souvent dans la ferme familiale transmise de génération en génération. La naissance a lieu dans la pièce la plus utilisée, la salle commune, dont le sol est habituellement en terre battue. Chez les plus humbles, c’est aussi la seule pièce à posséder une cheminée : un grand feu de bois permet de maintenir la chaleur, essentielle à la mère et à l’enfant.
La parturiente est assistée par un entourage uniquement féminin : la mère, les voisines, une sage-femme si on a de la chance, l’assistent. La sage-femme, qu’on appelle la matrone, est en général âgée, et donc plus disponible. Elle a appris son métier sur le tas, sans étudier. Elle est souvent la fille ou la nièce d’une autre matrone. Il lui a suffi de réussir quelques accouchements pour avoir la confiance des villageoises ; elle ne sait en général ni lire ni écrire et le curé qui surveille ses compétences ne lui demande que de savoir réciter les formules du baptême, au cas où elle devrait ondoyer un nouveau-né en danger de mort. Elle doit donc au préalable prêter un serment devant lui pour être agréée « officiellement ». [2]
Rien à voir avec les conditions actuelles. Bien sûr, la mortalité en couches et la mortalité infantile ont aujourd’hui largement diminuées, et c’est tant mieux, mais à quel prix ? Sans vouloir céder au c’était mieux avant », on peut se poser la question : « est-ce que c’est mieux maintenant ? ».
Les réelles formations des sages-femmes d’aujourd’hui sont un gage de maîtrise des gestes et d’efficacité. Mais le milieu ultra médicalisé de nos jours connaît aussi ses dérives : tout y est aseptisé, on y abuse facilement des déclenchements d’accouchements à la date choisie (par le médecin ou la patiente), des épisiotomies imposées, des césariennes de confort, etc… Des plaintes concernant l’absence d’information, des propos culpabilisants, voire des gestes non expliqués, ou même non souhaités, sont hélas devenues récurrentes. L’accouchement devient alors un traumatisme, avec un sentiment d’humiliation, voire pour les femmes l’impression d’avoir été dépossédées de leurs propres corps. [3]

Finalement on me sort de ma rêverie. Je m’aperçois que la lumière du matin filtre à travers la fenêtre. Un pâle rayon de soleil éclaire la face ravie d’Etienne. Il me tend un petit paquet : soigneusement serré dans ses langes, le nouveau-né fait une drôle de grimace. J’effleure son petit visage fripé de la main :
- « Bienvenue dans ce monde…
- … Catherine, nous avons décidé de l’appeler ainsi. Je m’en vais de ce pas aller la faire baptiser à l’église de la paroisse. »
Il sort, accompagné de son frère Julien qui sera le parrain. En chemin ils passeront prendre la marraine. Ils ne savent pas encore que, dans les registres de baptême, les deux naissances ne sont séparées que par un seul acte : une naissance d’une autre petite fille Georget (tous trois orthographiés Jeorget) – mais qui ne semble pas avoir de liens familiaux proches avec les deux petites qui nous concernent.

Extrait du registre de baptême d'Echemiré © AD49

Perrine, toute joyeuse, sort de la chambre où on a installé Françoise :
- « Tout s’est bien passé : elle se remettra vite ! »
Françoise, la mère, oui. Mais je n’ose pas dire que la petite Catherine qui vient de naître ne vivra que 7 ans. Perrine est toute excitée :
- «  A dix jours près nous avions nos filles ensemble ! Bien que cousines, elles sont presque sœurs  finalement ! Nous allons les élever ensemble. Et qui sait : peut-être épouseront-elles des frères ou des cousins ? Perrine pouffe de rire. C’est une belle journée : allons fêter ça ! 

Je décline l’invitation et laisse Perrine et Françoise à leur joie et à leurs projets d’avenir. Avenir qui sera de courte durée, hélas…


samedi 13 janvier 2018

La guerre de la Vandée

Nombre de mes ancêtres habitaient de part et d’autre de la limite entre la Vendée et les Deux-Sèvres. Pour le moment, je n’ai trouvé aucune preuve que l’un ou l’une d’entre eux ait pris une part active dans le conflit dit des « guerres de Vendée ».

Pour mémoire, les guerres de Vendée est le nom donné à la guerre civile qui opposa, dans l'Ouest de la France, les républicains (les bleus) aux royalistes (les blancs), entre 1793 et 1796. Comme partout en France, la Vendée a connu des manifestations paysannes entre 1789 et 1792. Mais c'est au moment de la levée en masse, en 1793, que la révolte ou rébellion vendéenne, aussi appelée insurrection vendéenne, s'est déclenchée, dans un premier temps comme une jacquerie paysanne classique, avant de prendre la forme d'un mouvement contre-révolutionnaire.

Étalée sur trois années, la guerre a connu plusieurs phases, avec une brève période de paix au printemps 1795. Elle s'est terminée au début de l'année 1796, après avoir fait plus de 200 000 morts et causé de nombreuses destructions. [*]

Au plus fort des combats, on distingue notamment la mise au point d’un plan de campagne dans lequel vingt colonnes mobiles, ultérieurement rebaptisées « colonnes infernales », sont chargées de dévaster et d'appliquer la politique de la terre brûlée dans les territoires insurgés des départements du Maine-et-Loire, de la Loire-inférieure (aujourd’hui Loire Atlantique), de la Vendée et des Deux-Sèvres qui forment la « Vendée militaire ». Seules quelques villes indispensables à la marche des troupes doivent être préservées. La consigne est de passer au fil de la baïonnette tous les rebelles « trouvés les armes à la main, ou convaincus de les avoir prises, » ainsi que « les filles, femmes et enfants qui seront dans ce cas. » Il ajoute que « les personnes seulement suspectes ne seront pas plus épargnées, mais aucune exécution ne pourra se faire sans que le général l'ait préalablement ordonné. » En revanche les hommes, femmes et enfants dont le patriotisme ne fait pas de doute devront être respectés et évacués sur les derrières de l'armée.
D’où les nombreuses destructions et disparitions de personnes (insurgées ou non) de ce territoire. Au cours de cette période, plusieurs dizaines de milliers de civils vendéens ont été massacrés, des centaines de villages brûlés (et de multiples archives ont disparues !). [**] Un accord de paix est signé en février 1795, assortie d’amnisties et d’indemnités compensatoires. Mais la paix reste bien fragile, l’insécurité demeure et le conflit ne tarde pas à reprendre de la vigueur. De nouveaux accords de paix sont finalement signés en janvier 1800. Le traumatisme de ces violentes destructions perdurera longtemps dans le paysage et les mentalités de la Vendée.

 Le Bataillon Carré, Affaire de Fougères, 1793 © Julien Le Blant, Wikimedia Commons

Tout cela explique les nombreux trous de ce côte-ci de mon arbre, notamment à cause de la disparition des archives, mais aussi à cause des « trous de mémoire ». Ainsi par deux fois dans des actes on évoque ce conflit pour justifier le fait qu’on ignore le lieu et la date de la disparition de certaines personnes. [***]

Prenons l’exemple de Jean Jadaud et son épouse Marianne Fuzeau. De Jean, je ne sais presque rien. On le dit originaire de Montravers (Deux-Sèvres) mais je n’ai pas trouvé le document qui l’atteste de façon certaine. Son épouse est peut-être de Saint-Amand-sur-Sèvre (Deux-Sèvres), commune limitrophe de la Vendée qui a elle aussi perdue ses archives anté-révolutionnaires. J’ignore leur date de mariage, probablement dans les années 1750. Je leur connais 10 enfants, tous nés avant la Révolution. Pour aucun d’eux je n’ai pu trouver d’acte de naissance. Par contre j’ai retrouvé six actes de mariage et quatre actes de décès, attestant de leur filiation. Un seul acte donne une date de naissance précise : le mariage de Marie Anne, née en 1778 à St Amand. Ces actes se situent tantôt en Vendée tantôt dans les Deux-Sèvres.

Cherchant le décès de Jean, je m’aperçois qu’il est dit déjà décédé en l’an V/1796 (mariage de son fils Jean à La Flocellière, 85) et en l'an IX/1801 (mariage de sa fille Marie Anne à La Verrie, 85). Mais il n'est pas dit décédé au mariage de son fils Joseph en l’an VIII/1800 à St Amand, 79. Ce dernier élément ne prouve pas véritablement qu’il soit encore vivant : ce peut être un simple oubli, comme cela arrive régulièrement pour ce genre de mention.

En 1826 le mariage de son 9ème enfant, son fils Alexis, à St Amand (79) nous apporte davantage de précisions : Alexis est dit âgé de 48 ans, mais il a fallu un acte de notoriété passé devant un juge de paix cantonal pour le confirmer ; ce qui nous laisse supposer que les registres anciens ont disparus. Le fait que je juge de paix soit du canton de St Amand nous porte à croire qu’il est né dans cette commune, vers 1778 donc ; ce qui est d’ailleurs prouvé un peu plus loin : « né et domicilié en cette commune ». Ce qui lui faisait une quinzaine d’années durant les fameuses guerres de Vendée. En 1826 il est dit majeur (à 48 ans, c’est logique) et exerçant la profession de domestique.  Cet acte de mariage donne sa filiation : il est le « fils légitime de feu jean jadaud, cultivateur, et de feue marie anne fuzeau, les deux décédés en cette commune en les temps des guerres de la vandée sans pouvoir en préciser le jour ».

Si vous vous rappelez le début de l’article, les guerres de Vendée ont lieu entre 1789 et 1796 puis, malgré des accords de paix, se prolongent jusqu’en 1800. Ce qui place donc vraisemblablement les décès des parents Jadaud dans la décennie 1789/1799. Malheureusement il n’y a pas de registre de décès à St Amand antérieur à l’an VI, et encore sont-ils très lacunaires : an VI, VII, IX, X, 1802 ; 18 pages en tout.
Je n’y ai pas trouvé le décès de Jean Jadaud. Par contre, j’ai trouvé celui de son épouse Marianne Fuzeau ! Et là, surprise : elle est décédée en novembre 1807, « confortablement installée » - si je puis dire - dans la ferme de ses fils Jacques et Joseph, au lieu-dit La Ruffinière, commune de St Amand. Ce sont ces/ses deux fils et l’un de ses gendres qui déclarent son décès au maire François Guetté (un autre de mes ancêtres soit-dit en passant…). Elle est alors dite âgée de 77 ans. Ledit Jacques est mon ancêtre direct.

Ces deux actes (décès de Marianne et mariage d’Alexis) m’inspirent deux réflexions :
- tout d’abord novembre 1807 c’est un peu tard pour parler encore des guerres de Vendée, même si le conflit « officiel » s’est prolongé par de nombreuses escarmouches.
- et surtout comment Alexis a-t-il pu oublier le décès de sa mère ? Il avait alors environ 29 ans lorsqu’elle a été inhumée et lors de son mariage en 1826 cela faisait à peine 20 ans que sa mère était décédée, chez ses frères, dans la ferme familiale ! D’autant plus que Jacques était présent au mariage d’Alexis : pourquoi n’a-t-il pas lui aussi mentionné le décès de sa mère, qu’il a lui-même déclaré ?

Vu l’âge d’Alexis, l’hypothèse du trou de mémoire me semble peu probable. Une brouille familiale « escamotant » les parents n’est pas envisageable puisque Jacques était présent au deux événements. Est-ce que l’officier d’état civil a voulu s’épargner la peine de consulter ses registres ? Ou est-ce simplement dû au fait que les dates de naissance et de décès étaient moins suivies autrefois ? Nous ne le saurons probablement jamais. Peut-être a-t-on ici la preuve que les guerres de la « Vandée » ont laissé des traces inaltérables dans les mémoires… et dans les registres.


[*] On notera toutefois que ce chiffre varie beaucoup d’une source à l’autre en raison de la difficulté à différencier et comptabiliser les militaires, les civils, les "insurgés", les exilés, etc...
[**] Source : Wikipedia
[***] L’autre couple concerné est Jean Rabaud et Renée Marolleau dont les décès n’ont pas été retrouvés formellement.


samedi 6 janvier 2018

La généalogie est un voyage

  • La généalogie est un voyage...

Malles © marketmoquette.wordpress.com

Un voyage dans la vie de sa famille.
Un voyage dans son histoire. Et donc un voyage dans l’Histoire : les petites histoires de nos ancêtres rejoignant parfois la grande Histoire.
Un voyage dans la géographie : nos ancêtres sont souvent issus de régions, voire de pays différents [1] : un voyage au pays des plaines, des montagnes, de la mer, des climats, des langues…

  • La généalogie est un sentiment...

Passion, pour ceux qui ont attrapé le virus.
Patience, pour ceux qui font des recherches.
Humilité aussi, devant ce qui nous est offert, ou non.
Partage, pour ceux qui pensent que nos ancêtres ne nous appartiennent pas en propre.
Générosité, pour ceux qui pratiquent l’entraide sans rien attendre en retour.

  • La généalogie est une découverte...

Au fur et à mesure de la pratique on découvre des mondes inconnus, oubliés, disparus. Pour entrer dans ces mondes il faut une clé : le vocabulaire.
La généalogie est un voyage multiple :
Un voyage dans l’univers des monnaies : livre, sol, patagon…
Un voyage dans l’univers des tissus : serge, ritte, indienne…
Un voyage dans l’univers des titres : sieur, spectable, égrège…
Un voyage dans l’univers du parlé local : espued, serpentier, ruage…
Un voyage dans l’univers des mesures : sétérée, journal, bonnier…
Un voyage dans l’univers du vocabulaire administratif : feu, résidence, domicile…
Un voyage dans l’univers des métiers : notonnier, maréchal en œuvres blanches, grangier…
Un voyage dans l’univers des pratiques religieuses : ondoiement, extrême-onction, baptême sous condition…
Un voyage dans l’univers de l’écriture : paléographie, déchiffrage, devinette !
Un voyage dans l’univers des notaires : collégié, (ab) intestat, nuncupatif…
Un voyage dans l’univers des militaires : matricule, T.M., croix de guerre…
Un voyage multidisciplinaire, en somme. [2]

  • La généalogie est un apprentissage...

En permanence on apprend de nouvelles choses, des nouvelles notions, de nouvelles coutumes. Il suffit d’un document à déchiffrer, d’un article à rédiger, d’un billet lu qui aiguise la curiosité.
Un voyage dans le savoir.


Et après ça, qu’on ne me dise plus que la/le généalogiste ne se préoccupe que des morts !
Et après ça, qu’on ne me dise plus que la généalogie ne sert à rien !


[1] D’ailleurs, merci aux généablogueurs qui nous font découvrir les caractéristiques  - souvent inconnues pour moi - du pays basque, des hautes vallées des Pyrénées, de l’Alsace ou l’exotisme de la Réunion, du Québec, de l’Algérie, de la Russie... Je ne peux pas tous les citer : ils se reconnaîtront.
[2] Vous pouvez retrouver les définitions de ce vocabulaire varié sur la page Lexique de généalogie sur ce blog; page qui s'enrichit régulièrement au fur et à mesure de mes recherches...


dimanche 31 décembre 2017

#Centenaire1418 pas à pas : décembre 1917

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de décembre 1917 sont réunis ici.

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 

1er décembre
Départ à 7h. Itinéraire : Ca Vico, Nuove, Castello di Godego, Valla, Casella. On arrive à midi.

2 décembre
Départ à 9h. Itinéraire : Attivola, San Appolinare, Casella, Asolo, Posa, Castelcucco. Arrivée à 14h. Installation dans les cantonnements.
Carte Stroppari-Castelcucco

3 décembre
Départ à 8h45. Le village doit être de Castelcucco doit être évacué avant 9h : on bivouaque dans le vallonnement SO de Castelunga de 9h30 à 16h30 avant de pouvoir rejoindre notre cantonnement du soir à Pieve et Granigo.

4 décembre
Reconnaissance par les cadres des emplacements de leurs unités : le bataillon doit être en réserve de groupe.

5 décembre
Départ à 4h. Chaque unité gagne les emplacements qui lui sont assigné : des vallonnements orientés NS dans lesquels il n’existe aucune organisation. Nous construisons des abris légers et commençons des sapes.
Notre compagnie, la 8e et le SHR sommes assignés au Ravin de La Costa. La Division tient le secteur de Monte Tomba/Monte Monfenera. La 6e connaît des pertes.
Monte Tomba © magicoveneto.il

6 décembre
On améliore l’installation et les sapes. L’aviation ennemie se montre active : de nombreux appareils survolent la région.

7 décembre
L’activité de l’artillerie ennemie augmente. Plusieurs villages sont soumis à un tir de harcèlement assez conséquent entraînant des pertes. Un peloton va travailler chaque nuit en 1ère ligne où il va creuser le boyau de La Castella.

8 décembre
Recrudescence de l’activité de l’artillerie ennemie. Nous subissons des pertes, notamment un sergent de notre compagnie.

9 décembre
Quelques rafales, principalement sur le chemin Granigo-La Costa. Le lieutenant Henry, venu du 370e RI, est affecté à notre compagnie.

10 décembre
Assez grande activité de l’artillerie et de l’aviation ennemie. Fréquents tirs de harcèlement. Plusieurs pertes parmi les hommes.

11 décembre
Après une nuit assez calme, dès 7h des bombardements violents sur la Piave. De 15h30 à 16h de nouveaux tirs de harcèlement. Malgré la brume les avions ennemis survolent la région. De nombreuses pertes, dont 2 dans notre compagnie.
Panorama © frontedelpiave.info
Point rouge : Monte Tomba
Point orange : Monte Monfenera
Point vert : vallée de la Piave

12 décembre
En vue d’une relève prochaine, reconnaissance dans le secteur du 11e bataillon. Nuit nerveuse aux rafales fréquentes. Relève du 11e à la chute du jour ; terminée à 22h. Notre compagnie est affectée au sous quartier B à La Castella.
La ligne est constituée par une seule tranchée, discontinue par endroit, de La Castella au Monfenera. La Castella est la clé de la défense : les pentes N abruptes sur la Piave en interdisent l’accès. Les mitrailleuses sur l’arrête permettent de stopper l’ennemi sur le Monfenera.

13 décembre
Quelques rafales, aviation active.  Bombardements violent sur La Castella à partie de 9h. Un chasseur de notre compagnie blessé par une balle.

14 décembre
Nuit calme. Pendant la journée l’artillerie este silencieuse mais l’aviation se montre toujours active.

15 décembre
Nuit calme. Dans la matinée rafales sur les tranchées du Mont Castella. Nous apprenons la catastrophe du chemin de fer de Saint-Michel-de-Maurienne : un train de permissionnaires revenant du front italien a déraillé. On compterait plus de 400 morts !Quelle horreur !

16 décembre
Notre artillerie et notre aviation se montre active. Faible activité de l’ennemi. Les travaux sont poussés très activement : on creuse des sape, relie des tranchées, approfondit des boyaux …

17 décembre
Nuit calme. Artillerie ennemie peu active. Il a neigé : cela complique les choses, notamment pour repérer les pistes de la rive gauche du Piave. Un autre blessé dans notre compagnie par éclat d’obus.
Front italien neige, 1917 © Gallica

18 décembre
A 6h30 deux soldats ennemis tentent de s’approcher de nos lignes : sous les coups de feu de nos chasseurs ils se rendent. Ils appartiennent au 1er Régiment Bosniaque de la 50e DI autrichienne.

19 décembre
Dans la nuit nos patrouilles déterminent un lancement de pétards et de grenades.

20 décembre
Nos patrouilles repèrent deux postes ennemis en avant du Monfenera. L’artillerie ennemie reprend de l’activité. Quelques rafales sur La Castella. Vers 21h le bataillon est relevé par le 11eme. L’emplacement de réserve attribué à notre compagnie est situé au ravin de La Costa.

21 décembre
Calme. Installation.

22 décembre
A 2h15 une rafale d’une cinquantaine d’obus, dont quelques uns toxiques s’abat sur le ravin de La Costa. Quelques camarades sont indisposés. On améliore les sentiers muletiers.

23 décembre
A 6h30 rafales analogues à celles de la nuit précédente. Ordre de bataillon n°175.

24 décembre
Quelques obus à nouveau. Reconnaissance par les commandants de compagnie du secteur du 12eme bataillon en vue d’une relève prochaine.

25 décembre
L’activité de l’artillerie ennemie est toujours faible mais l’aviation se montre active : plusieurs appareils survolent les ravins à très faible hauteur. Encore un Noël sur le front. Le troisième. Cette fois en Italie. On peut dire que je vois du pays.
Peut-être aurons-nous de l’oie pour fêter ça…
Soldat chassant l'oie, sans date ©  Gallica

26 décembre
Journée calme. A la nuit on relève le 12e, sans incident. On démarre déjà les travaux d’aménagement des tranchées. Chute de neige.

27 décembre
Il paraît qu’il y a des instructions secrètes du Général commandant la Division annonçant que 3 bataillons, dont le nôtre, attaqueront les positions ennemies avant la fin de l’année afin de reprendre le Monte Tomba. On nous envoie reconnaître les 1ères lignes et le terrain d’attaque.

28 décembre
Nouvelles chutes de neige. On procède à des réglages de tirs d’artillerie. On a fait un prisonnier du 37e RI Hongrois. Préparation du plan d’attaque et préparatifs de toutes sortes : constitution de dépôts, reconnaissances du terrain, etc…

29 décembre
L’ordre d’attaque est précisé.

30 décembre
A 4h notre compagnie est relevée par le 12e. On retourne en réserve dans le haut de Comazzetto. Avant le jour les unités d’assauts font des brèches  dans les défenses accessoires, des gradins de franchissement du parapet. Des patrouilles reviennent avec de précieux renseignements sur les lignes ennemies particulièrement bien organisées. L’attaque est prévue à 16h5. Le tir de destruction commence à 12h. A l’heure H les compagnies d’assaut sortent des tranchées et marchent sur leurs objectifs. 16h15 : la 1ère ligne ennemie est enlevée. 150 prisonniers sont dirigés vers l’arrière.16h25 : tous les objectifs sont atteints. 16h50 : on s’organise sur la position conquise. Pertes : 13 tués, 45 blessés. La joie remplace la fatigue sur le visage des hommes. Nuit relativement calme, sauf une contre-attaque vers minuit rapidement dispersée par les feux des mitrailleuses.
A l’assaut du Mont Tomba © chemindememoire.gouv.fr

31 décembre
Journée calme. De minuit à 6h nous sommes relevé par le 54e. Plusieurs blessés. J’ai appris le décès de Lucien Isidore Beauchet, tombé hier sur les pentes du Monfenera. C’était un brave gars originaire de la Creuse.


dimanche 24 décembre 2017

Le Christ en frêne

Récemment en visite chez ma jeune sœur, elle me prête sa chambre pour dormir. Sur le mur j’aperçois un crucifix. Il est tout simple. En bois de frêne. Ce n'est même pas vraiment un crucifix : juste un Christ en croix. Ses bras sont relevés, ses jambes jointes. Ses membres sont très allongés. Il penche la tête sur le côté, comme si elle reposait sur son bras gauche. Les détails sont à peine esquissés : tête, côtes, perizonium. On voit encore les marques de l’objet qui a servi à le sculpter.


Christ sculpté, Jean Astié, 1956 © Coll. personnelle

Je ne suis pas croyante : ce Christ ne représente donc rien pour moi sur le plan spirituel. Par contre, il m’a beaucoup émue. En effet l’objet lui-même, par sa simplicité, par le travail de sculpture effectué, par sa forme, m’a touché. Je l’ai trouvé très beau. Il n’est pas d’or, n’est pas décoré de pierres précieuses et, d’évidence, il n’a pas été réalisé par un grand nom de la sculpture. Et pourtant. J’ai été émue. Véritablement.

J’ai fait part de mon émotion à mon père et ce qu’il m’a raconté m’a d’autant troublée : il possédait ce Christ depuis un long moment déjà et l’a offert à ma sœur lorsque, parvenue à l'âge adulte, elle s’est fait baptiser. Effectivement, si nos parents ont reçu une éducation religieuse (catholique), ils nous ont toujours, à mon frère, ma sœur et moi-même, laissé la liberté de croyance. Et plutôt que de nous faire baptiser (et par là « imposer » une certaine religion) lorsque nous étions nourrissons, ils ont préféré nous laisser faire nos propres choix, en toute conscience ; à l’âge adulte donc. C’est ainsi qu’il y a quelques années ma sœur s’est fait baptiser. C’est à cette occasion que mon père lui a offert le fameux Christ qui orne aujourd’hui sa chambre.

Or donc, mon père me raconte cette histoire et m’en apprend encore davantage sur son origine : c’est mon oncle Jean (frère aîné de mon père) qui l’a sculpté ! Les bras m’en tombent ! Je savais que mon oncle a toujours aimé travailler le bois et qu’il aurait souhaité devenir menuisier (la vie en ayant décidé autrement), mais j’ignorais ses talents de sculpteur !

Aussitôt je le contacte et lui relate cette anecdote. Et là il m’en raconte une plus belle encore : il a sculpté ce Christ alors qu’il était jeune homme ! Un jour qu’il était chez les scouts (toute la fratrie, ainsi que mon père bien sûr, y est passée), il pleuvait beaucoup. Tout l’après-midi. Alors pour s’occuper, il a pris un morceau de bois et a sculpté ce Christ. C’était en juillet 1956 croit-il se souvenir. Le camp scout tout entier était paralysé par le mauvais temps et ils envisageaient un retour précipité à Angers quand le soleil est revenu. Ils sont donc restés sur place et ont poursuivi le cours normal de leurs activités. Avec un grand feu ils ont tout de même pris de temps de fait sécher tous leurs vêtements « qui commençaient à sentir le moisi » (je cite).

Et voilà que ma première émotion née de la vision de ce Christ se trouve doublée d’une seconde, directement issue de l’histoire familiale : le fait de savoir que c’est mon oncle qui a fait de ses propres (jeunes) mains ce si beau crucifix.

Sans cette pluie, ce Christ n’aurait probablement pas vu le jour. A quoi ça tient finalement…


samedi 16 décembre 2017

#RDVAncestral : la centenaire

Le silence est quasi religieux dans la maison de Loudeac (Côtes d’Armor) où je viens d’arriver. Il y a là plusieurs amis et voisins ; et puis deux générations d’une même famille, les Jouneau ou Jouniaux. Ou plutôt trois : les deux premières étant ici pour assister à la fin d’une troisième, leur aïeule à tous. On chuchote pour ne pas déranger la malade qui repose à côté. Chacun leur tour ils viennent faire leurs adieux. Car il est certain désormais que Mathurine va s’éteindre. La maladie l’a épuisée. Le vicaire est avec elle en ce moment : il doit très certainement la confesser une dernière fois et lui administrer les Saints Sacrement de Pénitence Eucharistiques et l’extrême-onction.

Je me fais toute petite dans un coin. Yvonne, la bru de Mathurine, me propose une collation… en attendant. Non loin de moi, je repère Jean. C’est le plus jeune fils d’Yvonne ; et c’est aussi mon ancêtre direct. Il a alors 10 ans. Il semble un peu perdu. Je me rapproche de lui. S’il est clair que les aînés ont compris ce qui se joue aujourd’hui, rien n’est moins sûr pour Jean. Je lui serre le bras, mais n’engage pas la conversation : je vois bien que ses yeux sont pleins et qu’au moindre tremblement les larmes déborderont. Il fixe la porte de la chambre de sa grand-mère.

Elle a toujours été là, sa grand-mère. Il ne peut concevoir qu’il en soit autrement. Même si les adultes le lui ont dit. Même s’il sait qu’elle est très vieille. Beaucoup plus vieille que n’importe qui. Dans deux mois ce sera son anniversaire. Il lui a préparé un cadeau : il lui a fabriqué une croix dans un morceau de bois que lui a laissé son père. Oh ! ce n’est pas la plus belle qu’il ai vue, mais enfin il a mis du temps à la faire, à cause des douces volutes qui la décorent et qui lui ont donné du mal pour qu’elles soient bien régulières. Et puis c’est lui qui l’a faite tout seul. Il a hâte de la lui donner. C’est pour ça qu’il ne faut pas qu’elle meure avant le mois de mars. Mais on n’est que le 8 janvier ! Jean serre les poings. Je m’apprête à le consoler, lorsque Julien, le père de Jean, s’approche de moi :
- Vous pouvez y allez si vous voulez…

Il m’entraîne à la porte de la chambre. Je reste sur le seuil, hésitante. Il me pousse gentiment et referme derrière moi. Mathurine est seule. Dans son lit. Sa respiration est lente. Difficile. Mais, sentant ma présence, elle ouvre ses yeux et me sourit. Son visage, plus ridé qu’un vieux parchemin, s’éclaire soudain.
- Allons ! Approchez-vous, n’ayez pas peur de moi.
Je suis surprise que le son de sa voix soit aussi claire alors que l’instant précédent elle semblait si menue, si fragile dans le grand lit. Elle a dû deviner ma surprise, car elle sourit et ajoute :
- Et bien ! je ne suis pas encore morte, alors causons un peu…
Je m’installe à son chevet. Elle émet un étrange petit rire avant de redevenir sérieuse.
- Je n’ai pas peur de la mort vous savez. J’ai fait la paix avec Dieu ; le vicaire vient de m’en donner l’absolution. Et puis, la mort n’est-elle pas la promesse de temps meilleurs ? De plus j’ai eu une longue vie. Elle fut marquée, comme tout le monde, par ses malheurs (la disparition de mes proches) mais aussi par de nombreux bonheurs (les naissances puis les mariages de mes enfants et petits-enfants). Vous avez vu comme ils sont nombreux à côté, amis et parents, pour me dire adieu ? N’est-ce pas le signe que je fus appréciée dans cette vie ?
- Si on le mesure à leur chagrin, sans aucun doute, grand-mère.
Elle sourit encore.
- Et savez-vous quel âge on me donne ?
- Oui, bien sûr : vous avez passé le centenaire il y a presque quatre ans !
Elle s’esclaffe.
- N’est-ce pas incroyable ? Si on m’avait dit que je vivrais si longtemps, je ne l’aurais sûrement pas cru ! Dire que je suis née sous le règne du roi Charles IX, vous savez, celui qui aurait été empoisonné comme disent les rumeurs. J’étais trop petite pour avoir connu le massacre de la saint Barthélémy, mais elle a frappé les esprits, hélas, et j’en ai souvent entendu parler. Et j’ai connu encore… Elle réfléchit… quatre rois après lui. Le règne de son frère Henri III a été marqué par les suites des guerres de religion et de brefs épisodes de paix. Les temps étaient durs. Ce qui n’a pas empêché le roi, dit-on, de fréquenter fort assidûment les belles femmes… voire de jeunes mignons ! Mais cela ne lui a guère porté de chance : assassiné à 38 ans ! En tout cas cette mort tragique a mis fin à une dynastie de roi. Quand à son successeur, le Bourbon tantôt protestant tantôt catholique, c’était encore un roi qui aimait les guerres. Les petites gens comme nous ont bien souffert et ne l’ont guère apprécié. La prospérité des ports bretons et le commerce de la toile de lin, si florissants, ont bien souffert de ces conflits de religion incessants. Si j’en suis si sensible, c’est que les seigneurs de Pontivy dont nous dépendons ici ont embrassé la religion prétendue réformée et leur château est devenu un refuge de huguenots ! Heureusement Louis XIII, successeur d’Henri IV était un roi très pieux. On l’appelait « le Juste », le saviez-vous ? Il avait le souci du bien-être de ses peuples et du salut de ses États. On l’a gardé 42 ans à la tête du royaume tout de même. Louis le Quatorzième, qu’on appelle le Dieudonné, a succédé à son père alors qu’il n’était qu’un enfant. Cependant cela ne l’empêche pas de tenir le royaume d’une poigne de fer, décidant de tout. Mais il semble qu’il ne veuille pas mourir lui non plus. Il est toujours là. Comme moi !
Son rire léger tinte encore une fois.

Malgré son incroyable énergie, Mathurine est fatiguée. Après un silence, elle ajoute :
- Cette fois, je crois que Dieu en a assez de me voir sur cette terre. Je ne lui en veux pas et lui rend grâce de la belle vie qu’il m’a accordée. Je crois que j’ai été à peu près honnête toute ma - longue - vie. Si j’ai fais du mal à quelqu’un c’est sans le vouloir. C’est pourquoi je pars l’esprit en paix.
Un sanglot m’échappe soudain.
- Allons ! Allons ! Ne pleurez pas. Embrassez-moi plutôt et allez ! vous pouvez appeler mes enfants pour que je leur dise un dernier adieu.

Enfants, brus, gendres, petits-enfants et compagnes ou compagnons se serrent dans la chambre de la centenaire. Guillemette tient la main de sa mère en sanglotant silencieusement. Un peu plus tard, Mathurine serra légèrement plus fort la main de sa fille et ferma les yeux. Presque aussitôt, sa respiration cessa. C’était fini.

On me pria de rester pour la veillée de la défunte, mais je déclinais. Dans la nuit, je m’en retournais chez moi, heureuse d’avoir eu cette étrange et singulière rencontre avec la seule centenaire de mon arbre, même si c’était au soir de sa vie.


Acte de décès de Mathurine Le Floc, 1677 © AD22

Mathurine Le Floc aagée de cent quatre ans de cette ville est décédée en la communion de nostre mere Saincte Eglise l’huictiesme jour de janvier mil six cents septante et sept apres avoir reçu en sa derniere maladie les Saints Sacrement de penitence eucharistiques et extreme onction de moy soussigné vicaire de Loudeac Le corps de ladicte deffuncte a esté inhumé le lendemain dans le chœur de cette eglise. ont assisté au convoy Julien Jouneau fils Guillemette Jouneau fille et Pierre duault gendre de ladite deffuncte qui ne signent

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Mathurine avait-elle véritablement 104 ans ? Un acte de naissance, daté de mars 1573, semble être celui d’une Mathurine Le Floc.

Acte de naissance de Mathurine Le Floc ?, 1573 © AD22 (vue 49/386)

Hélas, le document est très large, l’écriture très petite et la numérisation de trop basse qualité pour être sûre qu’il s’agit bien de l’acte de naissance de Mathurine, d’une part, et que cela soit celui de « ma » Mathurine de l’autre ; son ascendance restant par ailleurs inconnue, faute de registre conservés.
Si quelqu'un peut confirmer (ou non) cet acte de naissance, je suis preneuse...


samedi 9 décembre 2017

#Généathème : Votre plus grand bonheur généalogique de l'année

La généalogie est parsemée de multiples sentiments : frustration de ne pas trouver ce que l'on cherche, découverte d'un document inconnu, excitation de la recherche. Mais les plus grands bonheurs sont ceux que l'on ressent lorsqu'on arrive à résoudre une énigme restée longtemps obscure, lorsqu'on trouve une nouvelle branche ignorée jusque-là ou lorsque l'on tombe sur une trace tangible de ses ancêtres.

La nouveauté c'est vraiment le kif : de nouveau ancêtres, de nouveaux métiers, de nouvelles régions... Mais tout cela reste immatériel, impalpable. Des noms sur des papiers (ou maintenant plus souvent sur des écrans d'ordinateur !). Des documents dématérialisés à l'ère du numérique. Au fur et à mesure cela se transforme en chiffres, noms, qui finissent par se mélanger, devenir flous, presque irréels.

Mais en de rares occasions, nos ancêtres renaissent à la vie. Ils (re)deviennent vivants, prennent corps et chair.
  • Lorsque l'on possède une photographie de nos ancêtres
Pas de doute ils sont là en chair et en os (ou presque). Mais en tout cas on découvre leurs visages, leurs vêtements, leur environnement. Récemment, j'ai découvert dans une pile de photos de gens non identifiés mais sans doute de ma famille (ou de proches ?), un cliché du père de mon arrière-grand-père maternel. Je ne possédais qu'une seule photo de lui, alors qu'il avait une cinquantaine d'années. Et là je le découvre en vénérable grand-père, cheveux et barbe blanche ! Émouvant.
Bien sûr, ces petits bonheurs sont limités en nombre (les clichés ne tombent pas du ciel tous les jours) et limités dans le temps puisque l'invention de la photographie est finalement assez récente.
  • Lorsqu'on découvre la signature d'un de ses ancêtres au bas d'un document
La signature d'un(e) ancêtre c'est tangible : c'est lui, c'est elle, c'est eux. Ils étaient au bout de la plume et ce fil invisible nous relie directement. Une écriture malhabile et l'on sent les difficultés de l'apprentissage ou la vieillesse qui fait son œuvre. Au contraire des fioritures qui décorent le paraphe et c'est la culture et le savoir qui se déroulent sous nos yeux.
Ces signatures font partie de mes plaisirs généalogiques les plus marqués.
  • Lorsqu'on hérite d'un objet ayant appartenu à nos ancêtres
Évidemment c'est plus rare : il existe en général peu d'objets qui se transmettent de génération ne génération. Des bijoux, des livres, des vêtements... Mais cela concerne quoi ? trois ou quatre générations, guère plus le plus souvent. A part un mouchoir qui a appartenu à la mère de mon arrière-grand-père paternel, brodé à son chiffre, qui m'a été brièvement confié (mais que j'ai dû rendre à sa propriétaire actuelle), je n'ai aucun objet appartenant au patrimoine intime de mes ascendants.

Pourtant, au moment où je m'y attendais le moins, j'ai récemment eu une belle émotion grâce à l'un de ces objets de famille. Enfin, quand je dis objet, ce n'est pas tout à fait le bon terme. Sur les traces de mon arrière-grand-père paternel, garde des eaux et forêts en Maine et Loire, je suivais le petit chemin qui menait à sa maison. Derrière la maison, la Loire : il y surveillait les saumons. De l'autre côté du chemin, des parcelles : il y plantait des arbres. Et si les saumons se sont sauvés, les arbres, eux, sont encore bien là. C'est ainsi qu'accompagnée de mon père et de l'une de ses sœurs aînées, nous avons découvert les arbres qu'il a planté. Lui nous a quitté depuis longtemps (1929), mais il a laissé sa trace, notamment une magnifique peupleraie. Aujourd'hui ce sont de beaux grands arbres. Bien sûr mon arrière-grand-père ne les a pas connu dans cet état, mais il était émouvant de l'imaginer, sillonnant la parcelle, avec ses petits plants, travaillant pour l'avenir. Et son avenir c'est notre présent. C'était d'ailleurs d'autant plus émouvant que j'étais entourée de ses petits-enfants, aussi troublés que moi par cette découverte.

Peupliers de la parcelle "les Ayraults", Les Ponts de Cé (49), 2017 © Coll. personnelle

Était-ce "mon plus grand bonheur généalogique de l'année" ? Non peut-être pas. Mais cela faisait partie assurément de ces beaux moments qui font la joie des généalogistes et qui constituent le moteur pour nous faire avancer, poursuivre nos recherches et, au hasard des rencontres, nous procurer de belles émotions qui font le sel de la généalogie.