« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 31 août 2018

#Centenaire1418 pas à pas : août 1918

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois d'août 1918 sont réunis ici.

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 

1er août
[JMO Ière armée] Journée et nuit calme. Tirs de harcèlements habituels. La Ière armée est positionnée dans le secteur de Montgérain/Angivillers au Sud de Montdidier (Somme).
Carte Montdidier

2 août
[JMO Ière armée] Journée et nuit calme.

3 août
[JMO Ière armée] Nos patrouilles sont arrivées aux abords de Mesnil saint Georges. Les Allemands abandonnent leurs 1ères lignes après avoir fait sauter leurs abris ainsi que la plupart des ponts sur l’Avre.

4 août
[JMO Ière armée] Nous progressons toujours et occupons une partie de la rive gauche de l’Avre. Nous avons pris plusieurs localités mais les Allemands continuent de résister à l’Ouest de Montdidier.

5 août
[JMO Ière armée] Journée assez calme. La rive droite de l’Avre paraît fortement tenue. Le plan est de flanquer la gauche des Britanniques entre l’Avre et la route d’Amiens, reprendre Montdidier et faire tomber la ligne de l’Avre.

6 août
[JMO Ière armée] Journée calme. En arrivant sur l’Avre nous sommes accueillis par des rafales de mitrailleuses, mais l’activité de l’artillerie ennemie est faible.

7 août
[JMO Ière armée] Journée et nuit calme. Quelques tirs de harcèlement.

8 août
[JMO Ière armée] La Ière Armée française attaque, en liaison avec la IVème Armée britannique. En face de nous la IIème et XVIIIème Armée allemande. Avec la 47ème DI nous sommes dans le secteur de Berny sur Noyé. Les attaques françaises et britanniques sont coordonnées à la même heure (4h20) : artillerie pour nous, tanks pour les Britanniques. Les combats font rage toute la journée. La 3e bataille de Picardie a commencé.
Carte Berny sur Noyé

9 août
[JMO Ière armée] Les combats se poursuivent. A deux reprises (12h et 15h30) l’ennemi contre attaque. Il a amené dans ce but deux nouvelles divisions. Vers 16h ils paraissent faiblir. A 18h30 nous sommes maîtres d’Arvillers.
Carte Arvillers

10 août
[JMO Ière armée] La Ière Armée reprend l’attaque à 4h20, épaulée par la IIIème sur sa gauche. Au début la progression est assez facile, mais la résistance ennemie devient de plus en plus forte à mesure que nous avançons. Andechy tombe entre nos mains à 12h15. La résistance ennemie s’effrite peu à peu. Nos avancées sont importantes.
Carte Andéchy

11 août
[JMO Ière armée] Nous recevons l’ordre de poursuivre notre avancée. L’ennemi résiste énergiquement ; son artillerie est plus active. Notre progression dans le secteur de Roye est très difficile. Nous prenons le bois en Z à 6h15 mais une violente réaction ennemie nous fait reculer et la position nous est enlevée à 8h.
Carte Roye

12 août
[JMO Ière armée] Les Allemands ont conservé leurs anciennes positions à l’Ouest de Roye : en vue de reprendre ce secteur, notre artillerie est mobilisée. Finalement on apprend que l’attaque prévue demain n’aura lieu que le 15. Des relèves d’effectifs sont organisées.

13 août
[JMO Ière armée] Dans la nuit l’artillerie allemande bombarde violemment nos 1ères lignes. Nous ripostons par des tires d’artillerie, destructions d’ouvrages, brèches dans les fils de fer. La réaction ennemie ne se fait pas attendre.

14 août
[JMO Ière armée] Continuation des destructions de l’artillerie. L’ennemi répond par des tirs assez violents, notamment avec des obus toxiques. L’attaque prévue du 15 est reportée au 16. Depuis le début de la bataille (8 août) nous avons fait 8500 prisonniers, 200 canons, 2600 mitrailleuses. Nos pertes : 2575 hommes et 256 officiers.

15 août
[JMO Ière armée] Notre infanterie, devant laquelle la résistance ennemie semble moins vigoureuse, fait des progrès notables. Le bois de Damery est pris, en liaison avec le corps canadien.  Sous un bombardement violent le 54e attaque le bois en Z et l’enlève à l’ennemi.

16 août
[JMO Ière armée] Fléchissement dans les défenses allemandes : une série d’attaque vigoureusement menées nous permettent de progresser à l’Ouest de Roye. Nous occupons Goyencourt, défendu avec acharnement par l’ennemi qui a reçu l’ordre de tenir le village coûte que coûte. Nous essuyons des tirs d’obus toxiques et nombre de nos camarades sont intoxiqués.
Carte Goyencourt

17 août
[JMO Ière armée] Nuit très agitée avec une artillerie ennemie très active. Pendant la journée, notre progression a continué. Une citation à l’ordre de la Ière Armée récompense nos « héroïques efforts » pendant les combats de ces derniers jours. Nous faisons 200 prisonniers.

18 août
[JMO Ière armée] Nuit relativement calme. La lutte, très vive, reprends le reste de la journée. Nous progressons, mais à la nuit tombante l’ennemi déclenche de violentes contre attaques qui nous rejettent hors du bois de Bracquemont. Nous faisons 400 prisonniers.


19 août
[JMO Ière armée] Nous prenons connaissance de la lettre du Général Graig, commandant l’armée britannique, lors de son départ après la victoire sur Amiens, nous faisans part de son plaisir d’avoir été à la tête des nos armées pendant cette bataille. Il nous adresse ses félicitations pour les âpres combats que nous avons menés. L’artillerie ennemie, violente pendant la nuit, se calme pendant la journée. Mais son artillerie résiste avec énergie. Par ordre du Maréchal commandant en Chef les Armées Alliées, la Ière Armée relèvera les troupes britanniques sur le front actuel du Corps canadien.

20 août
[JMO Ière armée] Nuit calme. Les combats font rage autour de Roye. Là encore l’infanterie ennemie se défend très vigoureusement, soutenue par son artillerie. Ordre n°88 : « la bataille est gagnée. A côté de nos alliés britanniques vous avez rompu le front ennemi et dégagé Amiens […]. Vous avez pris Montdidier. […] 16 divisions allemandes ont laissés entre nos mains 10 000 prisonniers, 220 canons. […] Saluons en une pieuse émotion nos braves camarades tombés. […] » Signé Général Debeney
Carte Amiens-Montdidier

21 août
[JMO Ière armée] Pendant la nuit tirs de harcèlement par obus toxique et explosifs. Toute la région est ypéritée. Journée calme. Faible activité de l’artillerie ennemie, mais nous constatons que partout l’infanterie ennemie reste vigilante.

22 août
[JMO Ière armée] Pendant la nuit l’artillerie ennemie est assez active. L’ennemi résiste vigoureusement à Crapeaumesnil.

23 août
[JMO Ière armée] Nuit calme. Pendant la journée l’activité de l’artillerie reprend avec vigueur.

24 août
[JMO Ière armée] L’activité de l’artillerie ennemie se poursuit. Après les Vosges et l’Italie me revoici sous le feu violent de l’ennemi.
Bois, trou d'obus, Somme, 1916 © Gallica

25 août
[JMO Ière armée] Pendant la nuit l’ennemi a tenté plusieurs coups, dont un important au NO de Roye. Ils ont tous été repoussés avec des pertes sérieuses pour eux. Nous récupérons 26 prisonniers et une mitrailleuse. Pendant la journée grande activité des deux artilleries.

26 août
[JMO Ière armée] Au cours de la nuit tirs de harcèlement de l’artillerie ennemie. Pendant la journée nos troupes connaissent différents succès et avancent dans plusieurs secteurs.  Nous faisons 1100 prisonniers, de très nombreuses mitraillettes et un matériel important.

27 août
[JMO Ière armée] A la suite de ses échecs de la veille l’ennemi se replie. Le bataillon, dont le capitaine adjudant-major Herbette a pris le commandement, reçoit l’ordre d’avancer. Roye tombe à 10h. La poursuite continue toute la journée, l’ennemi n’offrant qu’une faible résistance. Nous nous emparons du Bois de l’Abbaye, puis traversons sous le feu de l’ennemi la voie ferrée de Roye à Nesles. En fin de journée nous cantonnons entre Gruny et Carrépuis.
Carte Roye-Gruny

28 août
[JMO Ière armée] La progression reprend sur tout le front dès le lever du jour. L’ennemi continue à se replier, mais offre une résistance de plus en plus forte à mesure qu’on se rapproche de la Somme et du Canal du Nord. Roiglise tombe, puis Balatre, Rethonvillers. Nous sommes arrêtés à Languevoisin où l’ennemi offre une assez vive résistance ; mais à 17h30 le village est pris.
Carte Roye-Langueville

29 août
[JMO Ière armée] Réaction vive de l’artillerie ennemie au cours de la nuit. Pendant la journée l’ennemi fait front sur la ligne de la Somme et du Canal. Nous continuons néanmoins à progresser. Moyencourt est enlevé après une lutte acharnée pied à pied. Malgré une grande résistance, Breuil est pris à 17h.
Carte Moyencourt-Breuil

30 août
[JMO Ière armée] Durant la nuit l’ennemi exécute des tirs de harcèlement assez sérieux. Pendant la journée il continue à offrir une résistance vigoureuse : les bois et l’ouest de la Somme et du Canal sont disputés avec acharnement.

31 août
[JMO Ière armée] Pendant une partie de la nuit, les Allemands bombardent à obus toxiques la région de Languevoisin. La lutte est acharnée toute la journée. Malgré quelques incursions, nous ne sommes pas maîtres du secteur au-delà du Canal.



jeudi 23 août 2018

Entrez dans les coulisses

Cet article fait suite au précédent billet publié sur ce blog la semaine dernière : « #RDVAncestral : La fille déshonorée ». Il en raconte la genèse, les coulisses.


 
© Bigstockphoto.com

Pour mémoire, le #RDVAncestral est une série de billets où l’auteur part à la rencontre d’un de ses ancêtres, sans contrainte de temps ni d’espace ; idée lancée par Guillaume, du Grenier de nos ancêtres, il y a déjà deux ans.

Comme j’aime raconter des histoires, je me suis engouffrée dans la brèche et depuis octobre 2016 je n’ai pas raté un rendez-vous mensuel (vous pouvez retrouver tous ces articles ici).
Bien sûr, les puristes pourront dire que c’est du grand n’importe quoi, cependant, s’il faut un brin d’imagination pour écrire ces histoires (et se laisser emporter par leur lecture) je me base toujours sur des faits réels.

Ainsi, l’histoire de « La fille déshonorée » a commencé par un acte… en partie illisible.

Extrait BMS Guérard, 1657 © AD77
"Simone fille de Simone testard fille de … ? chemin demeurant à dagny bas le 6 juillet par. Nicolas guillard mar. Jeanne carrouget"

Par cet acte, je savais donc que Simone Testard était une fille-mère, ayant donné naissance à une fille aussi prénommée Simone. Mais je ne parvenais pas à lire ce qui venait après le nom de la mère et qui aurait dû, logiquement, me renseigner sur le père.

En fait, non, tout n’a pas vraiment commencé par là. Mais il y a bien longtemps lorsque j’ai trouvé l’acte de mariage de Simone (la fille). Car alors, elle se nomme Duchemin (et non Testard). Elle y est dite fille « extra matrimonium » : née hors mariage. Je sais donc déjà qu’elle « n’a pas de père » (enfin, pas de père légal en tout cas). Trouvant l’acte de naissance cité plus haut, je confirme cette illégitimité : Simone, née en 1657, est nommée Testard, du nom de sa mère (puisqu’il n’y a pas de père), mais lors de son mariage en 1675 elle est nommée Duchemin du nom du mari de sa mère.

Que s’est-il passé entre temps ?

Fatalement, Simone mère a dû épouser ledit Duchemin qui a reconnu Simone fille, lui donnant son nom. Hélas, je n’ai pas pu trouver l’acte de mariage en question. Dommage car sans doute y est-il consigné que l’époux reconnaît l’enfant illégitime de sa nouvelle épousée.

Une fille-mère en 1657. A vrai dire, je n’ai aucune idée de comment elle pouvait être perçue. Est-ce que cela changeait selon les régions ? L’autorité du curé ? Des parents ? Bref, j’avais envie d’explorer cette piste.

Je commence à tisser la trame du futur récit. Mais avant de laisser envoler mon imagination, il me faut mener l’enquête.

  • Combler le trou de l’acte de naissance
Je lance un appel d’abord sur Twitter puis sur le groupe de paléographie de Facebook : réponse quasi immédiate qui m’apporte un précieux renseignement (merci encore aux réseaux sociaux, bien souvent utiles dans ce genre de cas). Il fallait lire « fille de fornication avec françois chemin ».
> Cela confirme, s’il en était besoin, que Simone fille est bien née hors mariage. Le terme de fornication ou encore de "copulation charnelle" était assez fréquente dans les registres paroissiaux briards, m'explique-t-on. Elle concernait aussi bien les enfants illégitimes que ceux, plus tard, issus de couples protestants (après la révocation de l'édit de Nantes en 1685).
> Par ailleurs, l’identité du père se précise. S’il est dit « Chemin » dans l’acte de 1657 et « Duchemin » dans celui de 1675, c’est fort probable que ce soit le même homme.
Et c’est une chance qu’il soit nommé, car dans les autres cas d’enfants illégitimes ou « bastards » de mon arbre (j’en ai quelques uns), le père n’est jamais mentionné.
> Cela ruine mon hypothèse d’une paternité seigneuriale (je sais par ailleurs que ce Chemin/Duchemin est laboureur : rien à voir avec le seigneur local), qui était l’idée de départ de mon billet. Bon, j’en ai gardé une trace quand même dans les bavardages des commères ; après tout, cela devait bien arriver aussi, même s’il ne semble pas que ce soit le cas ici. Adieu romance à l’eau de rose (j’ai un cœur de midinette, que voulez-vous…). Mais cela illustre comment des recherches peuvent ruiner une idée d’écriture !

  • Les recherches civiles
Pour confirmer/infirmer mes hypothèses de départ,  je fais ou complète les recherches déjà menées. L’état civil/paroissial est la première piste, mais cela peut aussi être d’autres sources (notariales par exemple).
Ici les Simone sont trouvées à Guérard (en Seine et Marne) en 1657 ; mais ledit Duchemin est alors « demeurant à Dagny bas ». En 1675 lors du mariage de la fille, il est dit de Dagny mais Simone mère est toujours à Guérard (c’est là qu’on la trouve servante du seigneur de Rouilly le Bas, hameau de la paroisse), et enfin lors du décès de Simone mère en 1709 il est mentionné de Saint-Augustin (de son vivant, puisqu’il est alors déjà décédé).
Il ne semble pas exister de hameau appelé Dagny Bas dans la paroisse de Guérard, mais une paroisse proche se nomme bien Dagny.
Ce qui nous fait trois paroisses où pister le mariage, d’autres éventuels enfants et le décès  Duchemin (ou Chemin).
De longues heures de feuilletage (virtuel) m’attendent. D’autant plus que je dois rester vigilante et le chercher sous le patronyme de Duchemin et de Chemin (voire d’une autre variante ?).
Hélas la période est ancienne et les registres partiellement lacunaires ou abîmés. Je n’ai pas eu le temps de compulser tout Saint-Augustin (si je puis dire) mais pour le moment je n’ai pas retrouvé la trace du couple dans aucune de ces paroisses. Un jour peut-être…

  • Les recherches généralistes
Pour planter le décor et ne pas dire trop d’âneries, je fais aussi des recherches « généralistes » : géographiques, historiques, etc…
Ainsi je ne me suis pas attardée sur la date du marché à Guérard, supposant que, comme partout ailleurs, il devait bien en avoir un ; et pour éviter les erreurs (j’ai peut-être parmi mes lecteurs des gens de Seine et Marne qui connaissent leur histoire locale sur le bout des doigts), je reste volontairement évasive et ne donne aucune date précise, du type « c’était le jour de la quasimodo, la grande foire annuelle du village », mais simplement « c’était jour de marché ». Par contre j’ai fait quelques recherches sur l’église, histoire d’émailler mon récit d'anecdotes : consécration de l’église par Saint Thomas de Cantorbéry ou date des différentes parties de l’édifice pour savoir si ce que l’on peut voir aujourd’hui correspond ou non à ce qu’il y avait au milieu du XVIIème siècle.
Par ailleurs, je me suis renseignée sur l’obligation de faire les déclarations de grossesses : c’est le fameux édit d’Henri II (détaillé ici par exemple).
Recherches qui m’ont entraînées vers les enfants naturels, les abandons, la notions de bâtardise, etc… au bout d’un moment il faut digérer ces informations, faire le tri, et décider de ce que l’ont va garder dans le récit. Et ce n’est pas l’étape la plus facile ! Au final cela peut se réduire à une ou deux phrases seulement, mais bon, au moins, j’ai appris des choses, ce n’est donc pas du temps perdu.
Ce type de recherche peut porter tout aussi bien, selon les cas, sur un métier, l’ameublement spécifique à une activité, les vêtements, le parlé local. Bref des recherches variées et enrichissantes.

  • Les surprises
Il y a parfois de petites surprises qui apparaissent lors de ces recherches préliminaires. Selon les cas, je les intègre, ou non, au récit. Cela dépend de la longueur de ce que j’ai déjà rédigé (je fais des billets, pas des romans tout de même), de l’intérêt que cela peut apporter à l’histoire ou tout simplement de mon humeur du moment ! Mais ces décisions peuvent parfois me prendre beaucoup de temps, et peuvent donner naissance à plusieurs variantes de récits avant de choisir la définitive.
Dans le cas qui nous occupe, j’ai découvert un fait et me suis longtemps demandé si je devais en parler ou pas. En effet, comme on vient de le voir, le nom du (supposé) père varie d’un acte à l’autre. Entre Duchemin et Chemin, je n’ai pas beaucoup hésité : c’est là deux versions courantes du même patronyme. Mais lors de la naissance de Simone fille, il est prénommé François, lors de son mariage Nicolas et lors du décès de Simone mère Pierre. Ce qui fait là beaucoup de variantes. Si j’avais juste trouvé une fois Nicolas et une fois Colas, OK, c’est courant. Mais là ces trois prénoms sont très différents. Est-ce qu’il portait un prénom (ou des prénoms) de baptême et un d’usage, comme on le voit parfois ? Comme il semble n’être jamais là directement dans les actes (il habite toujours ailleurs) est-ce une erreur du rédacteur ? Ou bien est-ce plusieurs personnes distinctes ? Finalement j’ai opté pour une seule et même personne, mais je n’ai pas résolu la variété de prénoms trouvés, par manque d’actes le concernant directement. Les lecteurs attentifs auront noté que dans le billet je l’appelle « le jeune Duchemin » et ne le prénomme jamais. Ce qui m’évite d’avoir à faire une longue digression sur ses prénoms et son/ses identités supposées (bien sûr, je l’ai écrite mais trouvais qu’elle alourdissait trop le récit alors je l’ai supprimée).

  • L’iconographie
Une fois que le récit commence à se structurer et trouver sa forme plus ou moins définitive, je cherche un visuel pour illustrer l’histoire. Ces recherches peuvent être chronophages, surtout si j’ai en tête une idée précise de ce que je veux… et que je ne la trouve pas !

Heureusement j’ai une certaine facilité d’écriture (c’est pratiquement la phase la plus courte de la création d’un billet). Ce qui ne m'évite pas, bien sûr, de multiples relectures et/ou réécritures qui émaillent tout le processus.

Enfin, tout ça pour dire que, si j’ai beaucoup d’imagination, ces récits se basent toujours sur des faits avérés, ou tout au moins sur des recherches sérieuses. Pas tout à fait n’importe quoi, finalement…



samedi 18 août 2018

#RDVAncestral : La fille déshonorée

C’était jour de marché. Il y avait beaucoup de monde sur la place de l’église de Guérard. Mais je n’étais pas là pour acheter des œufs ou une chèvre ! Je cherchais une personne bien précise. Je ne l’avait jamais vue, mais je savais que je la reconnaitrai quand je la verrai. Au bout d’un moment, j’aperçus une femme. Elle me tournait le dos et avançait péniblement de sa démarche maladroite. Son ventre proéminent devait la gêner dans ses mouvements. J’avais trouvé Simone. Simone Testard qui allait, dans quelques jours, donner naissance à Simone Testard, sa fille naturelle. En effet, elle n’était pas mariée. Le père était inconnu ;du moins officiellement.  Je remarquais que l’on s’écartait un peu sur son passage, que des coups d’œil désapprobateurs lui étaient lancés et que des murmures s’étiraient dans son sillon. Une fille-mère : la honte pour elle. La honte pour sa fille. Une tache indélébile.

Quand à moi, je me précipitais vers elle, lui proposant mon bras pour soutenir sa marche. Elle me remercia d’un sourire sans joie. Elle passait devant les étals sans y accorder un coup d’œil.
- Tu sais, je ne suis pas là pour le marché.
- Je sais.
Par ma réponse j’essayais de lui transmettre tout mon soutien. Je ne sais pas si ce fut efficace. Elle finit par hausser les épaules :
- De toute façon, je sais ce qui m’attend.
Je ne sais pas si elle parlait du futur immédiat ou d’un terme plus ou moins éloigné. Les deux sans doute.
Son trajet ne déviait cependant pas : elle se dirigeait droit vers l’église et s’y engouffra sans hésiter. Tellement préoccupée par Simone, je n’eus pas même une pensée pour l'évêque Saint Thomas de Cantorbéry qui, selon la légende, consacra l’édifice au milieu du XIIème siècle. 


Église de Guérard © guerard.site-mairies.com

Un instant je fus saisie par la brusque obscurité et la sensation de fraîcheur qui contrastait avec la chaleur de ce début d’été qui régnait au dehors. Durant ce léger moment d’hésitation, j’avais lâché et perdu de vue Simone. Mais j’entendais ses pas résonner sur les dalles de l’église : le son provenait du côté gauche. Elle avait dû se glisser entre deux piliers, c’est pourquoi je ne la voyais plus. Sans faire de bruit, je me dirigeais vers l’endroit où ses pas résonnaient doucement. J’entendais, plus que je ne voyais, qu’elle avait ralenti l’allure. Elle semblait hésiter maintenant. Puis elle s’arrêta complètement. Je m’avançais aussi près que je pus, sans toutefois oser la rejoindre. Quelque chose me disais que je n’avais rien à faire ici et ma présence aurait peut-être ébranlé la résolution finalement vacillante de Simone qui l’avait menée  jusqu’ici.

Je perçu en effet l'instant d’hésitation qui la saisit brusquement et je crus qu’elle allait tourner les talons, mais à ce moment-là le curé s’approcha d’elle et l’invita à s’assoir près de lui. Tandis qu’il lui prenait le coude, elle le suivit docilement.  Ils s’assirent l’un à côté de l’autre. Je restais derrière un pilier proche où je savais être invisible tout en écoutant leur conversation. Je me mordis les lèvres en réalisant qu’espionner ainsi mon ancêtre dans une conversation privée avec son curé n’était peut-être pas la meilleure idée que j’eus, puis haussais les épaules : « au diable les scrupules ! ». Enfin, diable n’était peut-être pas le bon terme à utiliser ici. Décidément ! Mais cette histoire m’intriguait trop et je reportais mon attention sur la discrète conversation qui se tenait près de moi. Pendant que je me débattais avec ma conscience, le curé avait déjà commencé à entretenir Simone.

- … le sais bien : je l’ai suffisamment rappelé pendant mes prêches !  Depuis cent ans que notre ancien roi Henri II - paix à son âme - a signé un édit obligeant les filles non mariées et les veuves à déclarer devant une autorité  leur grossesse sous peine de mort. Cela se fait sans frais : tu n’auras rien à payer. Mais il faut aller te présenter devant un juge, ou un notaire, par exemple. Tous les trois mois je le rappelle pendant la messe. Et l’on me dit que tu n’as toujours pas fait cette démarche, ma fille.
Simone restait silencieuse, la tête baissée.
- Je te connais depuis longtemps : je sais que tu es une bonne petite. Mais tu ne voudrais pas que le Diable s’empare de toi, n’est-ce pas ? Déjà cette grossesse hors mariage ! (soupir du curé) Nous en avons déjà suffisamment parlé. Enfin, ce qui est fait est fait. Mais le père ? Qui est-ce ? A moi tu peux le dire.
Oui est à moi aussi, d’ailleurs, pensais-je…
- Je suis sûr que cet homme ne t’a pas violenté ; mais est-ce que tu n’as recherché ses faveurs ? L’as-tu provoqué ?
Je pestais intérieurement : Ben voyons ! C’est toujours la faute de la femme, bien entendu !
- Tu sais ma fille : tu peux garder le silence devant moi mais Dieu, Lui, voit tout et sait tout. Tes erreurs se paieront, ma fille : si ce n’est pas dans cette vie ce sera dans une autre ! Au Jour du Jugement Dernier Dieu reconnaîtra les siens !
Mais, bien qu’honteuse, Simone s’obstinait à garder le silence. Les lèvres pincées, elle écoutait le curé mais ne desserrait pas les dents. A mon avis, ce n’était pas la première fois qu’elle se faisait sermonner ainsi. Cependant, pour une raison que j’ignore, Simone avait décidé de taire le nom de son suborneur. Dommage : j’aurai bien voulu l’apprendre ; c’est ce qui m’avait entraîné derrière ce pilier à écouter cette discussion de façon si grossière.

Finalement, à court d’argument, le curé laissa partir Simone. Je la rejoignis avant de sortir de l’église. Cette fois, je la laissais filer. Mais je ne pouvais pas m’empêcher d’entendre les commentaires émis derrière elle :
- Peuh ! Cette moins que rien ! On sait bien qui est le père !
- Et qui donc, toi qui est si savante ?
- Ce n’est pas bien compliqué à deviner : elle est servante au château de Rouilly le Bas. Elle n’aura pas su garder les cuisses serrées devant not’seigneur !
- Et p’être même bien que c’est elle qui l’a aguichée !
- Sûrement !
- Peuh ! Si elle croit qu’il va l’épouser, elle bien naïve.
- Peut-être qu’il la prise de force ?
- Penses-tu ! Ces choses-là ça se fait à deux ou pas du tout !
- Et c’est sûrement elle qui a tout déclenché : maintenant elle n’a qu’à s’en prendre à elle-même !
Personnellement je trouvais l’avis des commères assez tranché et peu flatteur pour mon ancêtre. Était-ce toujours ainsi que cela se passait ? Était-ce inéluctable ? Ou y avait-il simplement une once de jalousie dans leurs affirmations ?

Simone s’éloignait, seule, quand brusquement un jeune homme que je n’avais pas remarqué jusque là se retourna, serrant les poings :
- Vous n’êtes qu’une bande de mégères ! Taisez-vous donc, harpies !
La remarque et le ton employé nous surprit toutes mais fut efficace : les commères s’étaient tues.
Le jeune homme couru après Simone, qu’il rattrapa sans peine.
- Qui est-ce ? demanda l’une des commères lorsque la stupeur passée elles retrouvèrent la parole.
- C’est le jeune Duchemin, répondit l’une d’entre elles.
Mais son intervention leur avait cloué le bec et elles ne trouvaient plus rien à dire. Ce jeune homme avait réussi un exploit : tarir une source qui semblait intarissable, celle des commérages.

Plus tard j’appris que Simone avait déclaré le jeune Duchemin comme géniteur de sa fille, même si celle-ci demeurait fille naturelle. Était-ce lui véritablement, bien que leur situation n’ait pas été régularisée avant la naissance de l’enfant ? S’était-il simplement dévoué ? Par amour ? Par obligation ?


Extrait BMS Guérard, 1657 © AD77
Simone fille de Simone testard fille de fornication avec françois 
chemin demeurant a dagny bas le 6 juillet par. Nicolas guillard 
mar. Jeanne carrouget

Je ne le saurai sans doute jamais. Et même mon espionnage peu orthodoxe ne m’avait rien appris. Quoi qu’il en soit, et bien que je n’ai pas (encore) trouvé l’acte le prouvant, Simone et le jeune Duchemin (ou Chemin) finirent pas se marier et la petite fille, prénommée aussi Simone, fut reconnue Duchemin; nom qu'elle portera lors de son mariage. Que ce jeune homme croisé par hasard alors que je ne m’y attendais pas soit ou non le père biologique de la fillette, c’est bien lui qui l’éleva et lui donna son nom. 
Le déshonneur ne fut peut-être pas là où on l’attendait finalement…