« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 19 novembre 2019

#ChallengeAZ : P comme pauvreté

L’inventaire après décès de Jean Avalon révèle un intérieur bien triste : il y a assez peu de meubles, la plupart des pièces (mobilier, linge ou vaisselle) inventoriées sont dites vieilles, usées ou « méchantes ». Il n’y a pas de superflu, pas d’objet de décoration (tableaux…), de bijoux… Le lit remplis de plumes et la vaisselle d’étain sont le seul luxe qu’on s’est offert. Autant dire pas grand-chose.

Pauvreté ? © pxhere.com

On ne peut pas dire pour autant que Jean était pauvre, c'est-à-dire qu’il n’avait pas de quoi subvenir aux besoins de sa famille, mener une vie décente. Sans parler de pauvreté chronique, d’une véritable indigence qui mène à la famine et à la mendicité, peut-on parler pauvreté temporaire ? Même si la grande majorité de l’argent détenue par Jean se trouve sous forme d’obligations ou de dettes à recouvrer, son cas n’est tout de même pas comparable à un laboureur dépendant de la qualité et de l’abondance d’une récolte, des liens de servitude vis-à-vis de son propriétaire, bref de ceux qui ne possèdent rien et son t à la merci du moindre « accident de la vie » comme on dit aujourd’hui.

A aucun moment de sa vie Jean en semble être dans une situation de faiblesse, de dépendance, d'humiliation, caractérisée par la privation des moyens, pas plus que de puissance et de considération sociale : argent, relations, influence, pouvoir, qualification technique, honorabilité de la naissance, capacité intellectuelle, liberté et dignité personnelles. Il ne vit pas au jour le jour, n'ayant aucune chance de se relever sans l'aide d'autrui. Cette situation de pauvreté s’applique aux frustrés, aux laissés-pour-compte, aux asociaux, aux marginaux. [1] Or, par les liens qu’il entretient, le statut des personnes avec qui il traite ses affaires, on voit bien que Jean n’appartient pas à cette catégorie de personne, même de façon temporaire.

De plus, même si la moitié de la fortune de Jean ne semble être que de papier, c’est aussi une protection, comme une assurance face aux incertitudes de l’avenir. En effet si la dette peut jouer contre le débiteur (lorsqu’elle ne peut pas être honorée), l’éthique qui entoure ces relations en fait aussi une assurance : même si on met longtemps à payer sa dette (on peut attendre jusqu’au décès de la personne et, s’il le faut, la transférer sur ses héritiers), on a en général l’assurance qu’elle sera bien honorée.

Du coup, ces relations de crédit et de dette sont au fondement de la cohésion sociale. Parce que la dette traverse les générations, parce que la dette n'est assignée sur aucune terre précise, elle est la meilleure assurance contre les crises économiques. Dans cette société d’Ancien Régime la dette est « naturelle » : en ville, commerce alimentaire et loyer sont les sources majeures de crédit (on se rappelle que Jean est boucher et qu’il a lui-même fait crédit de viande). Les historiens estiment que plus de la majorité des hommes et des femmes ne vit qu'en empruntant et en signant des reconnaissances de dettes. [2] Donc, « la fortune de papier » est bel et bien une fortune réelle.

Ce qui nous ramène à l’intérieur bien modeste de Jean Avalon et qui peut surprendre chez un homme qui a possédé plusieurs maisons, boutiques, granges – et même un « domaine » complet – et qui a brassé une certaine masse d’argent. On trouve là une autre contradiction, qui vient s’ajouter à celle de l’instruction (Lettre I) ou des vêtements (Lettre J).


[1] Source : M. Mollat : Les pauvres au Moyen-Age, Hachette, 1978
[2] Source : L. Fontaine : Pauvreté, dette et dépendance  dans l’Europe moderne, Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 2007


lundi 18 novembre 2019

#ChallengeAZ : O comme ordre

L’inventaire après décès (64 pages) et le partage des biens (29 pages) de Jean Avalon sont les premiers documents où j’ai trouvé recensés des actes notariés. L’inventaire en compte 263, dûment cotés ; le partage 32 de plus (189 sont cités dans les deux documents). Soit 313 actes dans les placards de Jean.

Ordre ou désordre ? © istockphoto.com

Mais si Jean Avalon gardait soigneusement tous les actes le concernant de près ou de loin, on ne peut pas dire que le classement soit sa priorité. En effet il n’y a pas de tri par date, par notaire ou par type de document : tout est mélangé. Ils sont fourrés dans « larmoire haut du susdit garderobe du coste droit », avec « deux vieille napes de table ». Notons au passage qu’il a fallu plusieurs jours pour inventorier tous ces documents.

Je me demande souvent comment faisait Jean : avait-il un ordre "personnel" dans tous ces documents apparemment en vrac ? Et lorsqu'il avait besoin d'un acte précis, savait-il où le chercher ? Ou était-il obligé d'écumer pile après pile pour trouver son aiguille dans la botte de foin ?

Pour ma part, afin de pouvoir traiter cette masse d’information, j’ai essayé de les mettre dans l’ordre : j’ai fait des tableaux et effectué plusieurs types de tris à partir de ceux-ci : par dates, par notaires, etc… C’est ainsi que je me suis aperçue que certains actes se succèdent deux jours de suite (voire même deux par jour parfois) : vous souvenez-vous du calendrier des actes de la lettre F comme fréquence ?

Au fur été à mesure de l’avancée du dépouillement, les tableaux évoluaient : 263 références au début, puis les 313 de la première salve (voir la lettre L), puis 400. Des couleurs pour ceux qui ont été trouvé, dépouillés, pas en ligne… Puis vint le moment où je cherchai une information précise : mais dans quel tableau était-elle déjà ? De quelle couleur ? J'avoue, parfois je me suis laissée déborder, même avec tout l’ordre possible !


samedi 16 novembre 2019

#Challenge AZ : N comme notaires

Jean Avalon n’est pas spécialement fidèle à un seul notaire. En effet, au travers des 400 actes le concernant, on recense six notaires principaux, 64 actes dont le notaire n’est pas cité et une catégorie « divers », c'est-à-dire des notaires qui ne reviennent pas assez souvent pour les prendre en compte dans une catégorie propre (chacun ayant rédigé de 1 à 7  actes seulement) : ces 13 notaires « divers » totalisent 32 actes. 

Synthèses des notaires

Néanmoins, Me Albespy (prénom inconnu) est sans conteste le notaire qui revient le plus souvent, avec près d’un quart des actes à son actif. Il intervient non seulement comme notaire mais aussi comme greffier dans 6 appointements de condamnation et/ou sentences (à moins que ce soit un homonyme : ces actes n’ont pas été trouvés). Cependant cela ne signifie pas que j’ai mis la main sur tous ses actes. En effet, sur le site des archives départementales en ligne, il y a ses minutes de 1676 à 1697, mais avec des lacunes pour les années 1683/1685, 1689 et 1693.Par ailleurs, pour les années présentes, il m’est souvent arrivé de ne pas trouver l’acte recherché.

Me Jean Jacques Salvetat, avec 65 actes, est le notaire que j’ai le plus lu. En effet, il est le rédacteur - entre autres - du testament (3 pages), de l’inventaire après décès (64 pages) et du partage des biens (29 pages) de Jean Avalon. Actif de 1691 à 1718, il couvre les dernières années de la vie de Jean Avalon (décédé pour mémoire en janvier 1701).

Me Laurens (prénom inconnu) est concerné par 55 actes. Malheureusement, je ne l’ai pas trouvé parmi les fonds mis en ligne. Trois Laurens apparaissent : deux à Requista et le dernier à Millau (soit à une centaine de kilomètres de la ville d’Entraygues où réside Jean). Mais il semble bien qu’aucun de ces trois Laurens ne soit celui que je recherche.

Même chose pour Me Miquel dont un est établi à Balsac, un à Lanhac et le dernier à Rodez. Le « mien » serait un Jean, établi à Entraygues et dit décédé lors du mariage de sa fille en 1673.

Me Antoine Soulié (concerné pour 45 actes), actif de 1689 à 1693, est sans doute l’un de mes ancêtres, oncle par alliance de Jean Avalon (il compte plusieurs homonymes, mais les autres sont plutôt dans le commerce).

Enfin, Me Pradel, le dernier des « notaires prolixes », n’apparaît pas du tout parmi les fonds mis en ligne, même si on le trouve régulièrement comme témoin sur différents actes.

On notera au passage que certains notaires sont organisés en études puisque, bien que regroupés sous un même nom, l’écriture peut changer radicalement d’un acte à l’autre, preuve d’une deuxième (ou plus) paire de mains.