« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mercredi 20 novembre 2019

#ChallengeAZ : Q comme quinze ans ou plus

Jean Avalon est riche. Mais il n’a pas forcément de monnaies sonnantes et trébuchantes : il s’agit plutôt de monnaie virtuelle (voir l’article d’hier, ce que j’ai appelé la « fortune de papier ») ! Rassurez-vous pas de carte bleue visa master gold, et encore moins de bitcoins, mais des actes notariés : dots, promesses d’achats, obligations, transports, testaments, etc…* C’est sans doute ce qui explique que Jean ait gardé précieusement tous ces documents : c’était sa fortune.

Par exemple, en août 1689, un contrat d’accord portant une dette en faveur dudit Avalon précise que Jean souhaite retirer 60 livres sur les 150 que lui doit Guillaume Puech : celui-ci s’engage à les lui payer sous trois ans.

Mais avoir une créance et se la faire payer, ce n’est pas la même chose. Les débiteurs ne font pas forcément les bons payeurs. Afin de recouvrer ce qu’on lui doit, il existe plusieurs options pour Jean : il peut intenter des procès. J’en compte un certain nombre parmi les liasses de documents inventoriés.

La dette peut être « transportée » sur une autre personne : X doit 40 livres à Jean ; X fait un transport sur Y (qui lui devait lui-même 40 livres à X) et c’est maintenant Y qui doit les 40 livres à Jean ; X est libéré de sa dette. Vous me direz, Jean n’a toujours pas reçu ses 40 livres, mais peut-être que Y sera meilleur payeur que X. C’est pourquoi, parmi les 400 actes recensés, certains ne concernent pas directement Jean, mais X et Y et leur accord d’origine. J’ai recherché ces documents de « deuxième (voir de troisième) main » afin d’en savoir plus sur la nature de l’arrangement originel, en particulier dans le cas de lacunes des fonds notariés.

Pour reprendre l’exemple précédent l’histoire commence en 1685 quand le sieur Vidal de la Coste fait un contrat de cession à Guillaume Puech pour une valeur de 60 livres. En parallèle, toujours en 1685, ledit sieur s’engage à payer à Jean Avalon la même somme. Deux ans plus tard la dette a « glissée » : elle est passée directement de Guillaume Puech à Jean Avalon. Et, visiblement, elle n’est pas encore payée en 1689 puisque Jean la réclame dans ledit contrat d’accord.

Enfin il y a la famille. Quand on ne peut payer soi-même, on fait appel à l’argent de la famille. Ainsi en 1693 Pierre Dangles doit 120 livres à Jean Avalon : il fait une « cession » devant notaire où il transporte les 120 livre sur la dot offerte par Marguerite Campredon, veuve de Jean Louis Lavaur, à Françoise Lavaur sa fille et épouse dudit Dangles. Vous avez suivi ? En fait Pierre se sert de la dot promise par ses beaux-parents pour payer Jean.

Parfois la situation se complique car l’un des débiteurs est décédé. Par exemple en 1694 Jean Belloc transporte les 80 livres qu’il devait à Jean Avalon à prendre sur Louise Franque (sa belle-sœur) veuve de Jean Bosc puisque ledit feu Bosc devait la même somme à Antoinette Franque son épouse. Oui, je sais, moi aussi ça m’a fait un peu mal à la tête quand j’ai épluché tous ces documents et que j’ai dû reconstituer le fil des filiations.

Parfois il faut du temps pour recouvrer sa dette : quinze ans ou plus… Ainsi Antoine Vialade, qui devait 340 livres à Jacques Pervenquieres en 1671, finit par les devoir à Jean Avalon… en 1691 ! L’histoire ne dit pas quand la dette fut enfin réglée.

Longtemps, longtemps... © pixabay

Par ailleurs, quand on hérite de ses parents, on ne reçoit pas (toujours) que des meubles : on peut aussi hériter des dettes. Nombreux sont les documents qui précisent que la somme est due par les héritiers du créancier originel.

Comme on l’a vu hier, la dette est un des fondements des relations sociales et on sait que tout sera fait pour quelle soit payée (les dettes irrécupérables restent finalement assez marginales). Bref, tout vient à point à qui sait attendre…


* Le sens d’un mot vous échappe ? Rendez-vous sur la page Lexique de généalogie (>lien) de ce blog pour le découvrir !


mardi 19 novembre 2019

#ChallengeAZ : P comme pauvreté

L’inventaire après décès de Jean Avalon révèle un intérieur bien triste : il y a assez peu de meubles, la plupart des pièces (mobilier, linge ou vaisselle) inventoriées sont dites vieilles, usées ou « méchantes ». Il n’y a pas de superflu, pas d’objet de décoration (tableaux…), de bijoux… Le lit remplis de plumes et la vaisselle d’étain sont le seul luxe qu’on s’est offert. Autant dire pas grand-chose.

Pauvreté ? © pxhere.com

On ne peut pas dire pour autant que Jean était pauvre, c'est-à-dire qu’il n’avait pas de quoi subvenir aux besoins de sa famille, mener une vie décente. Sans parler de pauvreté chronique, d’une véritable indigence qui mène à la famine et à la mendicité, peut-on parler pauvreté temporaire ? Même si la grande majorité de l’argent détenue par Jean se trouve sous forme d’obligations ou de dettes à recouvrer, son cas n’est tout de même pas comparable à un laboureur dépendant de la qualité et de l’abondance d’une récolte, des liens de servitude vis-à-vis de son propriétaire, bref de ceux qui ne possèdent rien et son t à la merci du moindre « accident de la vie » comme on dit aujourd’hui.

A aucun moment de sa vie Jean en semble être dans une situation de faiblesse, de dépendance, d'humiliation, caractérisée par la privation des moyens, pas plus que de puissance et de considération sociale : argent, relations, influence, pouvoir, qualification technique, honorabilité de la naissance, capacité intellectuelle, liberté et dignité personnelles. Il ne vit pas au jour le jour, n'ayant aucune chance de se relever sans l'aide d'autrui. Cette situation de pauvreté s’applique aux frustrés, aux laissés-pour-compte, aux asociaux, aux marginaux. [1] Or, par les liens qu’il entretient, le statut des personnes avec qui il traite ses affaires, on voit bien que Jean n’appartient pas à cette catégorie de personne, même de façon temporaire.

De plus, même si la moitié de la fortune de Jean ne semble être que de papier, c’est aussi une protection, comme une assurance face aux incertitudes de l’avenir. En effet si la dette peut jouer contre le débiteur (lorsqu’elle ne peut pas être honorée), l’éthique qui entoure ces relations en fait aussi une assurance : même si on met longtemps à payer sa dette (on peut attendre jusqu’au décès de la personne et, s’il le faut, la transférer sur ses héritiers), on a en général l’assurance qu’elle sera bien honorée.

Du coup, ces relations de crédit et de dette sont au fondement de la cohésion sociale. Parce que la dette traverse les générations, parce que la dette n'est assignée sur aucune terre précise, elle est la meilleure assurance contre les crises économiques. Dans cette société d’Ancien Régime la dette est « naturelle » : en ville, commerce alimentaire et loyer sont les sources majeures de crédit (on se rappelle que Jean est boucher et qu’il a lui-même fait crédit de viande). Les historiens estiment que plus de la majorité des hommes et des femmes ne vit qu'en empruntant et en signant des reconnaissances de dettes. [2] Donc, « la fortune de papier » est bel et bien une fortune réelle.

Ce qui nous ramène à l’intérieur bien modeste de Jean Avalon et qui peut surprendre chez un homme qui a possédé plusieurs maisons, boutiques, granges – et même un « domaine » complet – et qui a brassé une certaine masse d’argent. On trouve là une autre contradiction, qui vient s’ajouter à celle de l’instruction (Lettre I) ou des vêtements (Lettre J).


[1] Source : M. Mollat : Les pauvres au Moyen-Age, Hachette, 1978
[2] Source : L. Fontaine : Pauvreté, dette et dépendance  dans l’Europe moderne, Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 2007


lundi 18 novembre 2019

#ChallengeAZ : O comme ordre

L’inventaire après décès (64 pages) et le partage des biens (29 pages) de Jean Avalon sont les premiers documents où j’ai trouvé recensés des actes notariés. L’inventaire en compte 263, dûment cotés ; le partage 32 de plus (189 sont cités dans les deux documents). Soit 313 actes dans les placards de Jean.

Ordre ou désordre ? © istockphoto.com

Mais si Jean Avalon gardait soigneusement tous les actes le concernant de près ou de loin, on ne peut pas dire que le classement soit sa priorité. En effet il n’y a pas de tri par date, par notaire ou par type de document : tout est mélangé. Ils sont fourrés dans « larmoire haut du susdit garderobe du coste droit », avec « deux vieille napes de table ». Notons au passage qu’il a fallu plusieurs jours pour inventorier tous ces documents.

Je me demande souvent comment faisait Jean : avait-il un ordre "personnel" dans tous ces documents apparemment en vrac ? Et lorsqu'il avait besoin d'un acte précis, savait-il où le chercher ? Ou était-il obligé d'écumer pile après pile pour trouver son aiguille dans la botte de foin ?

Pour ma part, afin de pouvoir traiter cette masse d’information, j’ai essayé de les mettre dans l’ordre : j’ai fait des tableaux et effectué plusieurs types de tris à partir de ceux-ci : par dates, par notaires, etc… C’est ainsi que je me suis aperçue que certains actes se succèdent deux jours de suite (voire même deux par jour parfois) : vous souvenez-vous du calendrier des actes de la lettre F comme fréquence ?

Au fur été à mesure de l’avancée du dépouillement, les tableaux évoluaient : 263 références au début, puis les 313 de la première salve (voir la lettre L), puis 400. Des couleurs pour ceux qui ont été trouvé, dépouillés, pas en ligne… Puis vint le moment où je cherchai une information précise : mais dans quel tableau était-elle déjà ? De quelle couleur ? J'avoue, parfois je me suis laissée déborder, même avec tout l’ordre possible !


samedi 16 novembre 2019

#Challenge AZ : N comme notaires

Jean Avalon n’est pas spécialement fidèle à un seul notaire. En effet, au travers des 400 actes le concernant, on recense six notaires principaux, 64 actes dont le notaire n’est pas cité et une catégorie « divers », c'est-à-dire des notaires qui ne reviennent pas assez souvent pour les prendre en compte dans une catégorie propre (chacun ayant rédigé de 1 à 7  actes seulement) : ces 13 notaires « divers » totalisent 32 actes. 

Synthèses des notaires

Néanmoins, Me Albespy (prénom inconnu) est sans conteste le notaire qui revient le plus souvent, avec près d’un quart des actes à son actif. Il intervient non seulement comme notaire mais aussi comme greffier dans 6 appointements de condamnation et/ou sentences (à moins que ce soit un homonyme : ces actes n’ont pas été trouvés). Cependant cela ne signifie pas que j’ai mis la main sur tous ses actes. En effet, sur le site des archives départementales en ligne, il y a ses minutes de 1676 à 1697, mais avec des lacunes pour les années 1683/1685, 1689 et 1693.Par ailleurs, pour les années présentes, il m’est souvent arrivé de ne pas trouver l’acte recherché.

Me Jean Jacques Salvetat, avec 65 actes, est le notaire que j’ai le plus lu. En effet, il est le rédacteur - entre autres - du testament (3 pages), de l’inventaire après décès (64 pages) et du partage des biens (29 pages) de Jean Avalon. Actif de 1691 à 1718, il couvre les dernières années de la vie de Jean Avalon (décédé pour mémoire en janvier 1701).

Me Laurens (prénom inconnu) est concerné par 55 actes. Malheureusement, je ne l’ai pas trouvé parmi les fonds mis en ligne. Trois Laurens apparaissent : deux à Requista et le dernier à Millau (soit à une centaine de kilomètres de la ville d’Entraygues où réside Jean). Mais il semble bien qu’aucun de ces trois Laurens ne soit celui que je recherche.

Même chose pour Me Miquel dont un est établi à Balsac, un à Lanhac et le dernier à Rodez. Le « mien » serait un Jean, établi à Entraygues et dit décédé lors du mariage de sa fille en 1673.

Me Antoine Soulié (concerné pour 45 actes), actif de 1689 à 1693, est sans doute l’un de mes ancêtres, oncle par alliance de Jean Avalon (il compte plusieurs homonymes, mais les autres sont plutôt dans le commerce).

Enfin, Me Pradel, le dernier des « notaires prolixes », n’apparaît pas du tout parmi les fonds mis en ligne, même si on le trouve régulièrement comme témoin sur différents actes.

On notera au passage que certains notaires sont organisés en études puisque, bien que regroupés sous un même nom, l’écriture peut changer radicalement d’un acte à l’autre, preuve d’une deuxième (ou plus) paire de mains.