« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

jeudi 30 avril 2020

#Genealogie30 2020

Pour ce mois d'avril, le défi #Genealogie30 est de retour.
Nous nous retrouvons autour de ce mot clé pour partager sur les réseaux sociaux, sur nos blogs, notre passion pour la généalogie, nos coups de cœur.
Tous les jours un thème différent nous est proposé.

Tout comme le #ChallengeAZ, le but est de nous retrouver pour faire la fête et partager notre passion. Pas besoin de grands discours, un mot, une image suffisent parfois à communiquer et à toucher.
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Comme de nombreux généalogistes, j'ai posté une infographie (sur Twitter et Facebook) au jour le jour, selon le thème imposé. Si vous avez manqué une ou plusieurs de ces publications, ou juste pour le plaisir, retrouvez-les ici réunies. 



Le diaporama démarre automatiquement et change de diapo toute les 30 secondes.Vous pouvez aussi avancer à votre rythme en cliquant sur les flèches en bas à gauche du diaporama.

Jacques Célestin BREGEON a vu le jour le 6 juin 1842, sous la Monarchie de Juillet, à Saint-Amand-sur-Sèvre (79) petite localité à la croisée du pays poitevin saintongeais, de la Vendée militaire et du Sud Anjou. Fils de Jacques Isidore BREGEON et Geneviève Céleste JADAUD, il est l'aîné d'une fratrie de sept enfants. Seulement cinq d'entre eux atteindront l'âge adulte. L'un des témoins de sa naissance est son oncle, Esprit JADAUD, avec lequel il gardera des liens étroits tout au long de sa vie, travaillant avec lui à la métairie de la Ruffinière.

Il n'a dû aller à l'école que le strict nécessaire car il savait juste lire et écrire son nom. Il devait parler le  poitevin saintongeais, que l'on appelle le "parlanjhe". Et "jarthi !" ("peste !") il devait avoir un sacré accent car tout au long de sa vie son nom sera tantôt compris BREGEON tantôt BERGEON. Ce nom, courant dans l'Ouest et la Vienne, et qui connaît de nombreuses variantes (Brejon, Bergeon, Bréjeon...) dérivant sans doute d'un terme régional désignant une pièce de terre de forme triangulaire, rappelant son origine rurale.

A 20 ans il se rend au chef-lieu de canton, Châtillon sur Sèvre, pour le tirage au sort des conscrits. C'est son déplacement le plus long connu (13,5 km !). Mais finalement il est exempté pour "faiblesse de constitution". Il ne verra pas davantage de pays avec l'armée.

En 1871, il épouse Clémentine BOURY, jeune paysanne d'une métairie voisine. Son oncle Esprit est encore là pour l'accompagner. Ensemble, ils s'installent à La Ruffinière, où ils vont donner naissance à 11 enfants. Dit fermier ou cultivateur selon les modes du temps, il cultive la métairie héritée de la famille de sa mère.

Vivant un peu à l'écart du monde, et de ses changements politiques parfois violents, ils mènent une vie paisible sans faire de bruit (ils n'apparaissent pas dans la presse, ne semblent pas très actifs dans la vie de leur communauté). Modestement sans doute (la garde robe de Jacques n'est estimée qu'à 20 francs lors de son décès); leur seule richesse est la ferme. Mais ensemble. Ils restent fidèle à la famille, vivant à La Ruffinière avec plusieurs générations : parents, l'oncle Esprit bien sûr, leurs enfants, ou son jeune frère Louis. Voyant grandir leurs enfants, partageant une chouée (plat à base de choux) ou un pâté aux prunes, tous autour de la table. Ils assistent aux mariages des enfants, à la naissance d'une nouvelle génération. Et lorsqu'arrive le grand âge, ils rejoignent le coin de l'âtre tandis que leur fils aîné, aussi prénommé Jacques, a repris la ferme.

 Jacques Célestin BREGEON, début XXème © Coll. personnelle

Jacques s'éteint le 18 novembre 1917, au milieu des siens à La Ruffinière de Saint-Amand, à l'âge de 75 ans. C'était  mon ancêtre à la 6ème génération, l'arrière-grand-père de ma grand-mère maternelle.



samedi 18 avril 2020

#RDVAncestral : Le doublé

Parmi tous les invités, je cherchai un homme précisément. Pas le roi de la fête Joseph, le marié, mais… son père ! En effet, c’est Jacques Célestin Bregeon qui motivait ma visite. Je le trouvai, assis sur une chaise que l’on avait sortie pour lui dans la cour de la ferme. Il couvait d’un regard toute l’assemblée : sous les yeux ses fils, filles, gendres, brus, petits-enfants. 

J’approchai un vieux tabouret dépenaillé près de lui et m’assit à ses côtés.
- Vous ne dansez pas ? me demanda-t-il en plissant des yeux pour mieux distinguer les invités.
- Non, pas tout de suite…
Je le regardai : il avait revêtu son costume noir, celui des dimanches, sa cravate et ses souliers qui avaient vu des jours meilleurs. Sa canne était à portée de main.
- Ils sont beaux, hein ? me demanda-t-il avec fierté.
- C’est vrai. Ils sont beaux.

Il me donna un coup de coude amusé :
- Vous savez que c’est un doublé ?
Bien sûr que je le savais mais je le laissai dire, comme on le fait d'un enfant qui vous raconte une histoire drôle que l’on connaît déjà.
Il prit un air de conspirateur et se pencha vers moi comme s'il allait me dévoiler la recette pour changer le plomb en or :
- La mariée, la petite Marguerite, et ben c’est la sœur de Lucie, qui a épousé un de mes autres fils, Clément, l’année dernière, en 1911.
Je rentrai dans son jeu :
- Vraiment ?
Je faisais mine de réfléchir à cette révélation fracassante.
- Hum… Mais ne s’appelle-t-elle pas plutôt Marie Louise ?
- Oui ! Oui ! C’est son second prénom. Et c’est aussi le second prénom de Lucie, ajouta-t-il en se tapant la cuisse.
Avec un sourire par devers moi, je renchéris :
- Ooooh ! Mais c’est vrai : maintenant que vous le dites, je trouve qu’elles se ressemblent un peu.
- Eh ! Eh ! Eh ! Oui, c’est vrai.
Il riait sous cape, comme un gosse ayant fait une bonne plaisanterie.

Indifférents, les invités de la noce dansaient en formant une ronde joyeuse.
- Vos fils aussi se ressemblent drôlement, avec leurs moustaches bien lissées aux pointes. En particulier Clément et Joseph, vos deux fils les plus jeunes : on dirait presque des jumeaux.


Joseph Bregeon, vers 1907 © Coll. personnelle

- C’est vrai…
Avec un clin d’œil, je lui glissai à l’oreille :
- Un beau doublé !
- Ah ! Oui ! Encore un ! gloussa-t-il.
Il réfléchit une seconde :
- Oh ! J’en ai un autre : mes deux filles Radegonde et Marcelline se sont mariées le même jour, en novembre 1906.
- Ouuuii ! approuvai-je.

Et, poursuivant le jeu :
- Et en plus elles portent aussi toutes les deux le prénom Clémentine, n’est-ce pas ? Un autre doublé ?
- Oui ! C’est vrai… C’était le prénom de ma défunte épouse, dit-il, un brin nostalgique. Mais se ressaisissant aussitôt il enchaîna : en fait, on ne les appelle jamais Clémentine, on utilise leurs deuxièmes prénoms. D’ailleurs, toutes mes filles s’appellent Clémentine !
- Et deux de vos fils Clément : c’est plus qu’un doublé là, c’est le jackpot !
Il rit de ma plaisanterie.
Je réfléchissais : on pouvait ajouter un autre doublé à cette longue liste. En effet, deux des filles de Jacques avaient épousé des hommes qui faisaient partie de mon arbre : Adeline, mon ancêtre directe, bien sûr, mais aussi sa sœur Marcelline.
Cependant, Jacques fatiguait un peu. Il retomba dans sa rêverie. 

Finalement, il conclue ainsi :
- Ce sont les miens…
Et dans ce « miens » il y avait toute la fierté d’un homme au soir de sa vie. Un homme accompli. Heureux.
Finalement c’était peut-être lui le roi de la fête, trônant dans son vieux fauteuil d’osier, patriarche de plusieurs générations. Maître incontesté des doublés !



samedi 21 mars 2020

#RDVAncestral : L'épidémie s'étend

- Racontez-moi !
- Hum… Au début on n’y croyait pas, je pense. Chacun imaginait qu’il n’était pas concerné, hors d’atteinte de la maladie.

La place de l’église était silencieuse. Je n’osai rompre cette atmosphère propice aux souvenirs et au récit.

- Avec le recul, on s’est aperçu que cela avait commencé bien avant cet automne 1639. Les années précédentes on avait déjà eu des vagues d’épidémies, mais en général elles restaient en sommeil pendant l’hiver. Et ces quelques mois de trêve nous faisaient oublier la violence de la contagion. La mémoire est courte. Et des fois le fléau ne touchait que l’extrémité de la province : c’est loin. C’est chez les autres !
Des hôpitaux temporaires ouvraient leurs portes, soignaient les gens et fermaient. Mais cela restait abstrait. On croit alors que la crise est passée, sans se rendre compte que les gens n’ont pas tous été soignés…
Cette année-là, tout a commencé en juillet. Le mal a pénétré en ville, d’abord.
- En ville ?
- Oui : à Angers. Rapidement,  la situation s’est aggravée parce que de pauvres métayers, des closiers et autres gens de labeur des paroisses voisines s’entassaient dans les maisons et les rues de la cité. Ils avaient désertés leurs villages à cause du prix élevé des blés et étaient venus en ville avec femmes et enfants pour demander aumône et assistance.
Et puis le mal a débordé de la cité et atteint de nombreuses paroisses des campagnes alentours, un peu partout dans la province.
- C’est la circulation des personnes et des marchandises qui a répandu le mal ?
- Sans doute. Même si nous n’en n’avions pas conscience : à l’époque, le retour du mal a été perçu comme une fatalité inévitablement liée à la belle saison.
Au début, à l’été, l’épidémie était ni plus ni moins violente que celle des années précédentes. Mais dans les premiers jours d’octobre, elle s’est subitement aggravée dans de nombreuses paroisses de l’Anjou. 

Danse macabre © abbaye-chaise-dieu.com

- C’était une nouvelle épidémie de dysenterie, n’est-ce pas ? Rien à voir avec la peste ?
- Oui : dysenterie et peste sont des maladies trop distinctes l’une de l’autre et, hélas, trop fréquentes pour que l’on s’y trompe et qu’on les confonde.
Cette dysenterie est apparue soudainement et simultanément avec une brutalité particulière. Avant la saint Denis, le mal était enraciné de tous côtés tant dans les villes que dans les champs.
- Les docteurs devaient être débordés ?
- Plutôt les curés, je le crains… Sur la fin de l’année une infinité de personnes avait été emportée.
- Sait-on ce qui a provoqué cette crise ?
- Le fléau a sans doute été accentué par la sécheresse exceptionnelle qui s’est abattue en Anjou pendant l’été. Les puits et les fontaines étaient à sec, ou encombrés d’une eau sale et boueuse que nous avons été obligés d'utiliser et de boire.
Et forcément la circulation des personnes a accentué la situation puisque le mal était contagieux. Mais comment l’éviter ? On ne peut pas empêcher les gens de sortir, de travailler, de s’occuper des bêtes !

Je ne répondis rien : à cette époque oui c’était sans doute impossible.

- A la sainte Odile tout était fini : le mal a disparu avec la même soudaineté qu’il était apparu quelques semaines plus tôt.
- Et… pour votre famille ?

Perrine pinça les lèvres et ferma les yeux un instant.
- Le malheur n’a pas épargné ma maison : ma petite sœur Louise, née seulement une dizaine de jours plus tôt, a contracté la maladie la première. Elle n’a pas survécu. Ce n’était pas un phénomène nouveau : passer l’âge des nourrissons n’est pas toujours facile. Pratiquement en même temps, mon aîné Guillaume, ma cadette Marie Françoise et moi-même avons contracté le mal. Je n’avais que 7 ans : je n’ai pas beaucoup de souvenirs de cette triste période. Mais on me l’a souvent racontée et j’ai parfois des images floues, des sentiments qui me reviennent.
- Comme quoi ? Demandais-je la gorge serrée.
- La chaleur surtout.
- Due à la fièvre ?
- Oui. Et puis ma mère. Penchée sur moi, le visage inquiet.
- C’est en vous soignant qu’elle… a contracté la maladie elle aussi ?
- Sans doute… Quand je me suis réveillée, on m’a dit que ma maman était partie, que je ne la verrais plus, que le Seigneur veillait sur elle à présent.

Après un silence, Perrine reprit sa narration :
- Ma sœur n’a pas survécu non plus, mais mon frère et moi, oui.

Après un nouveau silence, les yeux perdus dans le passé, Perrine soupira et releva la tête.
- Ainsi va la vie.

Je devinai les mots que Perrine n’avait pas prononcés : pourquoi elles et pas mon frère ou moi ? L’arbitraire de l’épidémie, la peine des êtres chers disparus, les remords des survivants.
Je n’ajoutai rien. Il n'y avait rien à dire. J’aidai Perrine Contereau, désormais vénérable grand-mère, à se lever du banc ou nous étions installées et la raccompagnai à son domicile.