« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 17 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre O

 CHAPITRE O

"Où va-t-on ?"

 

- Où va-t-on ?
J’étais enfin arrivée à destination et je tentai d’avoir des précisions sur le programme qu’Alexandre nous avait concocté. 

Arrivée quelques minutes plutôt tôt à la gare de Mortcerf, il m’avait fallu repérer Alexandre. Celui-ci avait promis de porter à la main, en signe de reconnaissance, une loupe et une pipe. Il n’avait pas osé coiffer le deerstalker, le fameux chapeau pied de poule associé à Sherlock Holmes. Il n’y avait pas foule sur le quai et il est probable que même sans les insignes de détective, j’aurai fini par tomber sur lui. La quarantaine, il était de grande taille, tout en coude et en genou, le regard perçant. Il agitait si frénétiquement sa loupe que les rares passagers qui descendaient du train le regardaient avec des yeux ronds, se demandant si l’asile d’aliénés du coin n’avait pas eu une fuite. 

De mon côté, j’avais aussi un signe distinctif : je portai, en plus de ma valise, la caisse de transport noire et blanche assortie au pelage de Sosa. J’avais récupéré mon chat laissé seul chez des amis parisiens pendant ma journée passée aux archives. Depuis, il était d’humeur boudeuse. Seuls de longs sifflements ébouriffés provenaient de la cage ajourée, à intervalle régulier. Il me faisait savoir qu’il n’en pouvait plus de rester confiné dans cette boîte… alors que d’habitude cela ne le dérangeait absolument pas de rester huit heures de rang à dormir sur le fauteuil de mon bureau. Comme quoi, tout est relatif. 


- Alors, où va-t-on ?
Alexandre me répondit avec un sourire :
- Chez toi bien sûr !
Il me conduisit jusqu’à une belle maison au milieu d’un jardin coquet. Enfin, ça avait dû être un jardin coquet. Aujourd’hui c’était un chantier !
- Oui, bon, il faut imaginer, me dit Alexandre. Finalement les travaux ont été décidés un peu plus tôt que prévu. Mais il n’y a pas d’ouvriers pour le moment : on sera tranquille. Tu es ici chez toi ! 



La maison était composée d’un corps central à deux travées de fenêtres prolongé par une travée latérale de part et d’autre. Le rez-de-chaussée était surmonté d’un niveau sous comble aménagé. La toiture était d’ardoises. Les fenêtres étaient soulignées d’un arc polychrome. Les petits moellons apparents égayaient la façade. Un échafaudage s’appuyait sur la bâtisse, mais il en laissait deviner suffisamment pour imaginer son allure. Le jardin était occupé par des tuyaux, des gravats, des bâches plastiques, etc…
- Voici donc la maison des Vallées ? Ta maison de famille ?
- Oui. Et probablement que l’un de nos voisins habite la maison d’Henri, puisque mon grand-père demeurait à côté de chez lui. Mais je ne sais pas quelle maison c’est exactement. Il faudra chercher ça. En attendant, je te le redis, tu es ici chez toi ! 

Alexandre me fit visiter la maison de son grand-père. Elle était dans la famille depuis trois générations. Après un rapide calcul, j’estimai qu’elle devait être entrée dans le patrimoine familial vers les années 1930. En ces temps de mobilité galopante, c’était déjà pas si mal. Hélas, les descendants actuels ne souhaitaient pas prolonger ce capital domestique et avaient décidé de la mettre en vente. 

Moi qui rêvai d’une maison de famille, cela me fendait le cœur. Eux la voyaient comme un fardeau, moi comme un point d’ancrage, de sécurité. La maison de famille représentait pour moi le symbole d’un enracinement, un cadeau venu du passé. C’étaient des souvenirs, des sons, des sensations. La maison familiale naît et entre dans la famille, comme un enfant. Elle a parfois grandi avec elle. C’est un membre à part entière de la famille, témoin de joies et de peines communes. Une communion, c’est ça : une communion. 

C'est depuis leurs cadres photographiques que sont transmises les légendes familiales, réelles ou imaginaires. Le bagnard réquisitionné pour la construction de la Grande Digue, le Corse avec un grand C - mythe à lui tout seul -, la grand-mère scandaleuse ayant posé à demi-nue. Les vieux objets oubliés dans le grenier sont autant d’archives précieuses exhumées par une nouvelle génération qui, pour l’occasion, s’est faite archéologue, chercheuse d’or et de trésors d’ancêtres, une lampe de poche éclairant dans l’obscurité du passé. 

La maison familiale est souvent liée à l’enfance. L’époque de l’insouciance. Les premiers liens tissés, les goûts qu’on s’est forgé. Les amitiés à la vie, à la mort. Et pas besoin d’être un château, ce qui en fait la valeur c’est le vécu qui y est associé, la mythologie familiale qui s'y est constituée, les petits rituels qui y sont attachés. Le petit déjeuner sous le grand arbre du jardin, tous ensemble réunis, les mal-réveillés comme les lève-tôt. La promenade digestive dans le quartier. La flambée dans la cheminée réchauffant les veillées d’hiver. 

Elle renvoie au roman familial. Peu importe si chacun en a des souvenirs différents, évoquant des anecdotes qui paraissent déformées aux autres (« - Il s’est ouvert le front en chutant sur le carrelage glissant de la cuisine. - Mais non il est tombé de l’échelle appuyée au cerisier du jardin ! ») ; c’est cela aussi la richesse de l’histoire familiale. 

Perdre la maison de famille c’est franchir la frontière du temps, sortir définitivement de l'enfance et de ses souvenirs heureux. C’est rompre avec la lignée, refuser un héritage, trahir ses ancêtres. La quitter peut être vécu comme un traumatisme, une petite mort. Certains ne peuvent s’empêcher de revenir régulièrement sur les lieux comme un pèlerinage, d'autres au contraire restent longtemps dans l’impossibilité d’y retourner. Et attention : une maison de famille n’a rien à voir avec une résidence secondaire. Elles boxent dans deux catégories différentes. L’une est un héritage, l’autre un gain au loto. Mais peut-être que la résidence secondaire deviendra à son tour une maison familiale ? Alors il ne sera plus question de s’en séparer. Malgré les problèmes d’éloignements kilométriques, de coûts d’entretiens, de disputes générationnelles. 

Et pourtant Alexandre et les siens envisageaient de vendre leur maison de famille.
- Sans état d’âme ?
- Sans état d’âme !
Je caressai d’une main les fauteuils à tapisserie usés, les poignées de portes polies par les générations successives, la batterie de cuisine témoin de tant de repas communs. Chaque meuble était paré d’un post-it dévoilant le nom de son nouveau propriétaire. 

J’essayai de plaider pour les fantômes du passé. Alexandre m’opposa le rideau à fleurs qui répondait aux tapisseries où s’épanouissaient des bergères évadées d’un XVIIIème siècle en perdition.
- Bon, d’accord, les bergères et les fleurs on n’est pas obligé de les garder.
- Ce ne serait pas faire offense à nos aïeux que de les décapiter ? me rétorqua Alexandre, moqueur.
 

Par quelques miaulements de réconciliation mon chat Sosa me fit alors savoir qu’il avait fini sa bouderie. Après avoir reçu l’approbation d’Alexandre, je le sortis de sa caisse. Il me récompensa par un câlin sonore. Je le posai à terre et fis les présentations.
- Sosa, je te présente Alexandre.
Le félin renifla l’inconnu puis commença à manifester quelques agacements. Sans transition, il s'arqua, gronda sourdement, dressa sa queue et cracha mille insultes - en langue féline heureusement : nos oreilles d’humains ne furent pas outragées par le vocabulaire peu amène utilisé par mon compagnon. Nous comprenions néanmoins le sens général du propos.
- Sosa !
Le chat cracha sa réprobation et fila comme une flèche se cacher sous un meuble.
- Je ne comprends pas, c’est la première fois qu’il fait ça… 



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lundi 16 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre N

 CHAPITRE N

"Nom de Dieu !"

 

Mortcerf, 1er août 1914 

 
- Nom de Dieu !
- La mobilisation générale !
- Cette fois ça y est !
- On est fichu !
- Tu plaisantes ? On va leur foutre la pâté, oui ! 

La foule se pressait devant l’affiche de mobilisation générale qui venait d’être collée aux murs de la mairie. Chacun y allait de son commentaire. Un homme jouait des coudes pour apercevoir l’affiche. Il était de taille relativement petite et ne voyait pas le placard caché par les autres devant lui.
- Mais qui ? Ils appellent qui ?
- Tous les hommes de 38 à 21 ans ! répondit un autre.
- Mince, j’en suis ! répliqua le petit, déçu. J’ai 35 ans. A cet instant, le maire sortit de la maison communale.
- Messieurs ! Si vous ne l’avez déjà fait rentrez vite chez vous consulter votre livret militaire : il vous indiquera où vous devez vous rendre pour rejoindre votre régiment et à quelle date. S’il y a quelque chose que vous ne comprenez pas ou si avez des questions vous pouvez revenir ici avec votre livret, je vous expliquerais ce qu’il convient de faire. Pensez à embrasser vos femmes avant de partir, ajouta-t-il d’un air sombre.
- Peuh ! On s’ra pas absent bien longtemps. Nos femmes, elles auront même pas l’temps de voir qu’on était parti ! dit un grand brun à moustaches pointues. 

Des rires accueillirent cette saillie. Tandis que la foule se dispersait un homme, resté jusque là en retrait, se caressait le menton tout en réfléchissant :
« Hum… Est-ce que ce sera si facile ? L’avenir nous le dira. » 

Henri Macréau pivota sur lui-même et s’apprêta à répondre à la mobilisation générale, comme les autres. De sa démarche asymétrique, il regagna son domicile. Machinalement il se toucha la jambe gauche. Il repensa à cette blessure ancienne, reçue quand il était enfant. Il habitait encore Tigeaux à cette époque. Un soir qu’il rentrait le troupeau dont il avait la charge il y avait eu, on ne sait pourquoi, un moment de panique parmi les bêtes. S’en était suivi une bousculade et le petit Henri avait été piétiné par une vache. Pendant plusieurs jours il était resté entre la vie et la mort. Puis finalement la vie l’avait emporté. Mais il avait gardé des séquelles, notamment au niveau de la fracture de sa cuisse qui lui occasionna une boiterie permanente. L’âge venant, la douleur se réveillait aussi parfois. 

A 20 ans, lorsqu’il avait été appelé pour la conscription militaire, il était passé devant une commission de réforme qui avait jugé sa claudication incompatible avec l’état de soldat. Il avait été réformé. Il s’était cru débarrassé définitivement de la vie militaire, mais bien sûr il n’avait pas envisagé un nouveau conflit et une mobilisation générale. 

Une mobilisation générale ! C’était la première fois, selon les mémoires d’anciens, que la population masculine du pays en entier était rappelée ainsi sous les drapeaux. Enfin, pas tous les hommes : juste ceux aptes au service militaire. Comme il avait été réformé une première fois, le serait-il à nouveau ou le contexte changerait-il la donne ? Il pesait le pour et le contre. En plus de sa claudication il avait maintenant 40 ans, il était chargé de famille, père de 7 enfants, fils d’une mère veuve âgée. Ça pèserait sûrement dans la balance… En poussant la porte de son domicile, il dit simplement :
- C’est la guerre.


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Craonne, 8 mai 1917 


- Nom de Dieu ! 

Gaston Croisy serrait dans sa main la feuille de papier froissée. Il ferma les yeux. Il pouvait presque sentir le parfum de Marie-Louise à travers sa lettre. Depuis qu’il avait été rappelé en 14 ils avaient pris l’habitude de s’écrire. C’était sa marraine de guerre officielle. Ils s’entretenaient de tout et de rien. Surtout de rien. Gaston, de toute façon, ne pouvait pas trop décrire ce qu’il vivait sur le front à cause de la censure. Marie-Louise, elle, n’abordait que les sujets légers afin de ne pas aggraver le moral de son pupille qu’elle devinait fragile. 

Cette lettre était la dernière qu’il avait reçue. Elle datait déjà de sept mois ! Bon sang ! Pas de nouvelles depuis sept longs mois. Pourquoi Marie-Louise ne lui écrivait-elle plus ? Cela lui était déjà arrivé de ne plus recevoir de lettre, mais jamais pendant aussi longtemps. Une fois il en avait reçu trois d’un coup : les courriers s’étaient perdus et ils avaient eu du mal à retrouver son régiment. Mais là… Il sentit comme un coup de poing au niveau du cœur. Et si c’était plus grave ? Si ce n’était pas juste une histoire de courrier perdu ? Est-ce qu’il était arrivé quelque chose à Marie-Louise ? Après tout, elle n’était plus toute jeune. Ce qu’il redoutait le plus était-il en train de se produire ? Marie-Louise s’était-elle éteinte ? 

Il pressa son poing refermant le feuillet sur son cœur. Chez elle sans doute que personne ne savait qu’elle lui écrivait. Donc, s’il lui était arrivé quelque chose, nul ne prendrait la plume pour le lui dire. Et pour couronner le tout, dans sa dernière lettre, elle lui donnait des nouvelles de son fils Henri ! Elle ignorait sans doute les relations difficiles des deux garçons et l’avait fait en toute innocence. Mais pour lui ça avait été une blessure supplémentaire. 

Bien sûr Henri, lui, n’avait pas été mobilisé ! Déjà qu’il n’avait pas fait son service mais en plus il avait été à nouveau réformé après la mobilisation générale. Il était resté planqué tranquillement à la maison tandis que lui, Gaston, il avait été rappelé et envoyé au front. De rage il fit de la lettre une boule de papier qu’il envoya dans la boue. Aussitôt cependant il rattrapa la boulette : c’était la dernière lettre de Marie-Louise. Il ne pouvait pas s’en séparer. Il défroissa le fragile feuillet et tenta de le nettoyer au mieux. Soigneusement il le replia et le remit à sa place, dans la poche qu’il avait au plus près de son cœur. 

A ce moment retentit un long coup de sifflet. Il réajusta son casque, s’assura que rien n’entraverai la prise en main des munitions qu’il portait à la ceinture et cria :
- Grenadiers, à l’assaut ! Cette fois c’est la bonne !
- Oui, caporal ! répondirent les hommes qu’il avait autour de lui. 

Le deuxième coup de sifflet fatidique résonna dans l’air immobile, signal du départ. Les hommes se hissèrent hors de la tranchée. Ils poussèrent ensemble de grands cris afin de se donner du courage et s’élancèrent à travers le plateau déjà dévasté, jonché de cadavres, déformé par les nombreux cratères des obus tombés en abondance les jours précédents. Çà et là des souvenirs d’arbres tendaient vers le ciel leurs troncs calcinés. Les Boches réagirent aussitôt et les balles sifflèrent aux oreilles des soldats qui couraient. Certains étaient à peine sortis de leur trou qu’ils s’effondraient déjà, fauchés sans avoir eu le temps de pousser un cri. Le caporal Croisy encouragea les hommes de son escouade.
- Je croyais qu’on faisait relâche aujourd’hui, chef ?
- Plus tard, Caquineau, plus t… 

Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase que le visage du soldat 2ème classe Arthur Caquineau explosa littéralement. Au même moment tout devint silencieux. Gaston eut la drôle de sensation, pendant une seconde, de flotter, avant de retomber lentement à terre. C’est alors qu’il ressentit une vive douleur dans le bras. A ses côtés, l’ex-soldat Caquineau pulvérisé. Gaston eut cette pensée curieuse :
- Ils ne l’identifieront jamais avec son visage arraché. Un de plus qui sera porté disparu. 

Puis, au loin, il vit le lieutenant Willain, à la tête de quelques nettoyeurs, se jeter avec fougue sur un point d'appui bétonné pour enlever le système des courtines du secteur de Chevreux. C’est alors qu’il réalisa qu’il était tombé lui aussi. A cet instant, il sombra dans l’inconscience. 

Plus tard, alors que le soir tombait, Gaston se réveilla. Il était trimballé sur une civière. Les infirmiers avaient encore fait des exploits pour aller chercher les blessés sur le no man’s land. Une vive douleur l’élançait à chaque cahot du transport.
- Allez, c’est fini pour toi mon gars. Avec c’te trou qu’t’as à la place du bras, c’est la quille !
- Et la médaille ! renchérit l’autre infirmier. 

Gaston leva la tête : au bout de son épaule son uniforme était déchiqueté. Le sang et la boue se mélangeaient, masquant son bras gauche qu'il ne sentait plus.
- Y va boiter du bras ! rigolait le premier. 

Sombrant dans la torpeur, Gaston pensa : Boiter ? Comme Henri ? Je suis comme Henri ? Tout en songeant qu’il était devenu comme Henri, le véritable fils de Marie-Louise, Gaston s’évanouit tout à fait, un sourire sur les lèvres. 



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samedi 14 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre M

 CHAPITRE M

"Ma patience sera récompensée..."

 

Ma patience sera récompensée. Et ma curiosité. Enfin, c’est ce que j’espérai en arrivant en Seine-et-Marne. Depuis bientôt sept mois que cette affaire titillait mon intérêt, mon déplacement in situ verrait-il la résolution de cette énigme ? 


Cinq heures de train et un petit tour de métro parisien au milieu : le voyage m’avait laissé tout le temps de réfléchir à l’affaire. J'en avais donc profité pour songer à tout ce que j'avais appris jusque là, déplaçant et replaçant les éléments pour obtenir un puzzle sans trou. Cependant il me manquait des pièces : la scène était encore morcelée. J’avais aussi préparé une liste de questions dont les réponses se trouvaient (peut-être) sur place. 


On était en juillet. Je répondais à l’invitation d’Alexandre de venir à Mortcerf, mais auparavant j’ajoutai une étape. J’avais rendez-vous avec Charlotte Paulé, l’archiviste qui m’avait aidée par correspondance et que j’allai rencontrer pour la première fois. 

Le bâtiment des archives, situé à Dammarie-les-Lys, avait une allure un peu futuriste avec ses différents volumes et son entrée évoquant un sas d’engin spatial. Je déposai mes affaires personnelles au vestiaire et récupérai la clé de mon casier. Je n’avais le droit d’entrer en salle avec absolument rien qui m’appartenait en propre, à part une feuille de papier, à condition qu’elle soit d’un format inférieur à 10 x 15 cm. En contrepartie un kit de consultation (constitué d’un crayon à papier, une gomme, une paire de gants et des poids pour maintenir les documents ouverts) me serait prêté. Je me sentais un peu toute nue, mais je pouvais accéder au saint des saints : la salle de lecture. 


Elle était agréable, bien éclairée grâce à une façade entièrement vitrée. On y retrouvait le mobilier caractéristique des salles de lecture des archives : grandes tables numérotées, lampes individuelles orientables, étagères de livres usuels et d’inventaires. Depuis les meubles en bois composés de multiples tiroirs renfermant des fiches cartonnées jusqu'aux ordinateurs permettant la consultation de documents numérisés : on avait là l’alpha et l’oméga des archives, des méthodes anciennes aux plus récentes. 


Je me fis enregistrer auprès du président de salle qui me délivra ma carte de lecteur (une de plus pour ma collection !). Enfin j’étais prête à entrer dans le vif du sujet.
- Vous avez la place numéro dix, me chuchota le président de salle.
- Je suis attendue par Charlotte Paulé, lui répondis-je sur le même ton.
- Je la préviens tout de suite.
Il m’indiqua d’un geste de la main l’emplacement de la place n°10 et décrocha le téléphone. Je me rendis sagement à la place qui m’était attribuée et attendis l’archiviste. Celle-ci arriva rapidement. C'était une grande femme, élancée, aux yeux verts. Un tailleur strict était assorti à ses yeux. Après les présentations d’usage, elle me proposa d’aller dans son bureau, espace plus convivial où l’on pourrait parler sans déranger quiconque. 


- Dis-moi ce que tu sais et je te dirai ce que je sais.
- Bien, allons-y !
Lorsque j’eus exposé le point où en était l'enquête de mon côté, Charlotte prit la parole. Des boucles s’échappaient de son chignon haut perché sur son crâne. D’un geste mainte fois répété elle tentait, en vain, de les replacer dans le fragile édifice qui menaçait à tout instant de s’écrouler. Cela cassait l'image un peu rigide qui se dégageait d'elle au premier abord et me la rendit tout de suite sympathique.
- Il y a du positif, du négatif et… de l’étonnant !
Avec cette entrée en matière, elle eut droit immédiatement à toute mon attention, pourtant acquise d’avance.
- J’ai trouvé la date et le décès d’Henri.
- Oui, moi aussi !

Les deux décès correspondaient, ce qui était plutôt rassurant (on n’est jamais à l’abri d’un homonyme ou d’une erreur).
- Par contre je n’ai pas trouvé davantage de trace de « l’affaire de Mortcerf ». Ni moi ni mon réseau, que j’ai activé il y a quelques semaines.
Je tordis un peu du nez.
- Dommage ! J’avais espéré que, de ce côté, les nouvelles seraient meilleures.
- Mais ce n’est pas complètement négatif : ne rien trouver c’est bien aussi.
J’agrandis les yeux. Je ne voyais pas bien où elle voulait en venir.
- Comment ça ?
- Et bien, si l’affaire de Mortcerf avait été quelque chose d’important ou de très grave, il y aurait eu des échos : dans la presse, du côté de la justice ou pourquoi pas, ce n’est pas si ancien, dans les mémoires ?
- Oui de ce point de vue, évidemment…
- Le vide n’existe pas : il n’y a que l’apparence du vide.

Hum… Charlotte était philosophe. Elle m’expliqua en détail ses investigations qui, toutes, conduisaient au même chemin de l’absence.
Je gardai le silence un moment, plongée dans mes pensées, pour mettre en ordre tout ce que je venais d’apprendre. Charlotte respecta mon silence, le temps d’absorber ce qui paraissait, à première vue, être un échec.
Relevant la tête, je lui demandai pleine d’espoir :
- Et pour l’étonnant ?
- Quoi ?
- L’étonnant : tu as dis que tu avais « du positif, du négatif et de l’étonnant ».
- Ah ! Oui ! J’ai pris la liberté de faire quelques prospections privées. Et voici ce que j’ai découvert. 


Elle m’expliqua alors dans quelle direction, plutôt étonnante en effet, elle avait mené ses recherches. Et le résultat n’en était pas moins surprenant. Incrédule je la regardai en tâchant d’envisager tout ce que cela impliquait :
- Vraiment ?
- Vraiment !



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