« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 4 décembre 2020

Making of : les personnages

J’inaugure une série d’articles pour vous présenter les coulisses du ChallengeAZ 2020 « polar ». Il n’est pas forcément nécessaire d’avoir lu le Challenge AZ avant de lire ce billet (je préviendrai s’il y des révélations fracassantes). Le polar que j’ai écrit est une fiction, mais basé sur de nombreux faits réels…



Making of © Pixabay

 

Les personnages 

Le polar contient deux catégories de personnages  :
- ceux qui ont été inventés pour les besoins de l’intrigue
- ceux qui ont véritablement existé 

Dans la première catégorie on trouve Le Grand-Père et ses héritiers, les policiers, les archivistes de Seine-et-Marne ; dans la seconde… à peu près tous les autres ! Si vous avez fait un tour sur la page dédiée aux personnages, vous en avez déjà eu un aperçu : 18 sont signalés inventés et 36 ayant véritablement existé. 

Tout commence avec Henri Macréau et Ursule Le Floch son épouse. Au départ de l’aventure je connaissais leurs dates de naissance et mariage mais j’ignorais où ils étaient décédés J’avais une connaissance assez globales de leurs familles : les personnes étaient identifiées mais je n’avais guère poussé les investigations pour les collatéraux, notamment parce que je me suis heurtée à la limite temporelle des mises en ligne des archives. 

Dans un souci de véracité, et aussi pour comprendre au mieux la vie de ces personnages, j’ai fait une enquête (avant d’écrire celle du roman) afin de retracer leur parcours de façon un peu plus précise. 

  • Marie Joseph Le Floch
Ainsi Marie Joseph Le Floch, témoin au mariage de sa sœur Ursule en 1900. L’acte de mariage indiquait qu’elle habitait à Vernon (Eure), bien qu’elle soit née dans les Côtes d’Armor, comme sa sœur. Je l’ai pistée à Vernon sur les recensements en ligne. On l’y retrouve en 1901 comme bonne chez Ferdinand Jouaux, pâtissier. Ce Ferdinand semble être le Ferdinand Alphonse Auguste, pâtissier, dont la fille est née à Vernon en 1898 (arbre de binetf sur Geneanet). Je n’ai pas trouvé de lien entre les familles Le Floch et Jouaux. Sans doute que Marie Joseph s’est un temps exilée comme bonne, tout comme Ursule l’a fait pour devenir cuisinière. A la différence que la première est rentrée en Bretagne se marier tandis que la seconde a fait souche en Seine et Marne. 
  • Gaston Croisy

Bébé Gaston a (probablement) été mis en nourrice chez Marie-Louise, la mère d’Henri Macréau : il n’apparaît qu’une seule fois chez eux, lors d’un recensement, alors qu’il a 8 mois. Je ne le retrouve plus jamais ensuite, ce qui me laisse supposer que ce n’est pas un proche de la famille. Mais qui est-il ? D’où vient-il ? Je l’avais déjà cherché une première fois en 2018 lors de la rédaction d’un article du blog au sujet des enfants accueillis par Marie-Louise. J’avais bien trouvé un Gaston Croisy né dans un canton proche en Seine et Marne, mais les deux familles n’ayant aucun lien je ne savais pas si c’était bien « mon » Gaston. 

En 2020 je reprends donc cette piste. Je fais la bio de ce Gaston en essayant de déterminer si, à un moment donné, il peut correspondre au mien. D’après l’état civil il est né le 24 juillet 1890 à Marles en Brie, en Seine et Marne, décédé à Tournan en Brie le 3 juillet 1977 (selon la mention marginale). Il n’y a pas de mention de mariage. Il n’est pas présent au mariage de son frère ; ni au décès de sa mère en 1891 (mais en calculant je m’aperçois qu’il n’a qu’un an, alors forcément !). C’est déjà un indice : il n’a pas connu sa mère. Est-ce pour cela qu’il a été placé chez les Macréau à Tigeaux ? 

Je poursuis la filature des membres de sa famille : père, fratrie, état civil, recensements, fiches militaires, listes électorales… C’est ainsi que je fais connaissance avec Berthe, la sœur aînée de Gaston qui a 18 ans de plus que son petit frère. De fait, elle se marie en 1890 alors que Gaston n’a que quelques mois. Elle épouse Alexandre Caumont qui il est jardinier à Tigeaux. Est-ce le chaînon manquant avec les Macréau ? 

Je continue de creuser le parcours de Gaston :
- je lui trouve 10 adresses différentes entre 1911 et 1939.
- trois métiers : boulanger (en 1910), marchand en détail puis employé de bureau (1919).
- deux fiches militaires (Seine et Marne et Aube) parce qu’il change de circonscription en déménageant.
Il est assez difficile à suivre !
Dans l’une de ses fiches militaires il est dit « père d’un enfant ». Il a donc eu une descendance (c'est alors la première fois que j'en ai la preuve).

Après de longues recherches, je trouve finalement sa fille, née en 1919 à La Varenne St Hilaire (où habite sa sœur Berthe). Mais je mets un certain temps à trouver son mariage… en 1917 à St Maur des Fossés (qui est en fait le nom actuel de La Varenne !). 

Oh ! Bien sûr je commence une base généalogique spécifique à tous ces personnages dans mon logiciel. 

  • Alexandre Caumont 

Après m’être égarée quelques temps avec un homonyme du frère de Gaston, je reviens sur la piste d’Alexandre Caumont. Comme pour les Croisy je refais tout son parcours : né à Fontaine Trésigny, en Seine et Marne, il épouse donc Berthe Croisy en 1890. Il est recensé à Tigeaux en 1891, mais n’apparaît pas dans les registres suivants. En effet il a déménagé à St Maur des Fossés, où naît un fils l’année suivante. Sans doute s’est-il rapproché de sa belle famille qui demeure là. 

Je n’ai pas beaucoup plus d’information, mais cela semble confirmer mon hypothèse du chaînon manquant. En effet, en 1891 on ne compte que 177 habitants à Tigeaux. Il y a donc de grandes chances qu’Alexandre ait su que Marie Louise accueillait des enfants et quand son beau-père s’est retrouvé veuf avec un nourrisson, il a dû proposer le nom des Macréau pour accueillir le bébé. 

  • Georges Thiberville 

Il est le quatrième témoin au mariage Macréau/Le Floch. Il y est dit meunier de 34 ans, ami de l’épouse. Plusieurs points m’interpellent :
- il est l’ami de l’épouse
- il est plus âgé qu’elle
- aucune connexion entre les deux familles n’avait été trouvée avant que je me penche sur son cas.
L’enquête démarre : sur Geneanet je trouve un candidat probable, Léon Georges Elie Thiberville (arbre de acime78). 

Il est bien né en 1866, comme l’indiquait l’acte de mariage. Lorsqu’il se marie en 1891 il est bien meunier. Enfin sa signature est assez proche. Mais comment cet homme originaire de Mantes la Ville (78), marié à Epône (78), est-il devenu l’ami d’Ursule, une jeune cuisinière de 26 ans, en Seine et Marne ? 100km les séparent. 8 ans aussi. La bienséance peut-être. La réponse, partielle, se trouve probablement dans sa fiche de matricule militaire : il y est indiqué qu’il demeure à Tigeaux en 1898. C’est leur point commun. Mais l’histoire ne dit pas comment ils se sont rencontrés, ni quelles étaient la nature de leurs relations « amicales ». 

  • Les silhouettes 

Quelques personnages ne font qu’une brève apparition, mais ont existé tout de même :
- Léon Vautrain (apparition dans le Chapitre E), trouvé dans le recensement de Tigeaux en tant qu’employé de Georges Thiberville.
- Stephen Klein (Chapitre E), maire de Tigeaux qui a marié Henri et Ursule.
- Le soldat Caquineau (Chapitre N), trouvé dans les fiches matricules. Par celle de Gaston, je savais qu’il avait été blessé à Craonne. Grâce à l’indexation des soldats de la Première Guerre Mondiale sur Mémoire des Hommes il m’a été facile de trouver un soldat mort le même jour.
- Le lieutenant Willain (Chapitre N) a été trouvé dans l’historique du 66e RI auquel appartenait Gaston.
- Houbé et Abel Leblanc (Chapitre G) apparaissent dans de nombreux recensements de ce coin de Seine et Marne comme patrons de charretiers, tuiliers, briquetiers… Mais quelle ne fut pas ma surprise de trouver sur le net une carte postale signée Houbé et l’hôpital où est décédé Henri nommé Abel Leblanc. Comme pour les autres personnages, j’ai creusé un peu leur vie afin de comprendre les relations qu’ils entretenaient dans le « pays ». 

  • Les personnages inventés

Les personnages inventés n'ont pas été oubliés et ont aussi été travaillés :
- L’archiviste Charlotte Paulé porte le nom d’une de mes ancêtres Seine et Marnaises à la onzième génération, sosa n° 1701. Elle a vécu à La Chapelle sur Crécy entre 1686 et 1761.
- Pour le Président de l’association généalogique, Alcide Bodin, j’ai choisi un de ces prénoms un peu décalés propres au XIXème siècle. Cela me rappelait les noms des érudits du XIXème dont j’ai épluché les publications lors de mes études d’histoire. Pour son nom de famille, je voulais au contraire quelque chose de passe partout : j’ai aussi pioché dans les patronymes de ma généalogie avec un nom que beaucoup d’entre vous ont rencontré sans doute : Bodin. La sonorité des deux ensemble me plaisait : adoptés !
- Abel Pochet est mon ancêtre à la XIIème génération, sosa n°3342. Il n’était pas inspecteur, comme dans le polar, mais manouvrier et vigneron. Il est décédé à Guérard (non loin de Tigeaux et Mortcerf) en 1711.
- Le jeune policier est un des rares personnages dont le patronyme n’apparaît pas dans mon arbre. C’est une construction toute entière marquée par le Challenge AZ : il me manquait un début de texte pour le chapitre K ! Dans ma généalogie, un certain nombre de lieux bretons commence par Ker (ce qui signifie lieu fortifié, château, citadelle…). J’ai choisi un lieu quelconque parmi eux et le lui ai donné en patronyme. Le problème c’est qu’une fois sur deux je n’arrivais pas à me rappeler le nom exact ! C’est cette mémoire défaillante qui a donné l’un des principaux défauts de l’inspecteur Pochet. Rien ne se perd, tout se transforme…
- Les descendants du Grand-Père : je leur ai donné des prénoms figurant dans le top de chacune de leur génération : Martine, David, Lucas, etc… Je ne sais pas si cela s’est remarqué. Inconsciemment peut-être…
- Un mot sur Alexandre Brassade. 

[ATTENTION spoiler alerte : ne continuez pas la lecture de cet article si vous n’avez pas terminé la lecture du polar !] 

Il est évident qu’il devait porter le second prénom de son aïeul. Quant au nom [ATTENTION spoiler alerte : stooop !], j’ai suivi un cheminement particulier que voici : Croisy > Croisé > Brassé > Brassade.
- Enfin, dernier personnage, mais non des moindres : Sosa le chat ! Il porte le nom d’un système de numérotation généalogique dite Sosa-Stradonitz : Chaque ancêtre se voit attribuer un numéro invariable qui permet de les identifier. La numérotation part de la personne dont on fait l'ascendance, qui porte le numéro 1.Son père porte le numéro 2 et sa mère le numéro 3. Le numéro 4 est son grand-père paternel, le numéro 5 sa grand-mère paternelle, le numéro 6 son grand-père maternel et le numéro 7 sa grand-mère maternelle. Et ainsi de suite… 


 

Et voilà comment j’ai utilisé de véritables individus et créé de faux vrais personnages ! 



mardi 1 décembre 2020

#ChallengeAZ : Post scriptum

 

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REMARQUE 


Ce texte est une œuvre de fiction. Même si la plupart des détails et des personnages ont véritablement existé, il n’y eut jamais de crime dans ma famille (tout au moins pas à ma connaissance). 

J’ai basé toute cette histoire sur le seul fait que j’ignore où et quand est décédée Ursule Marie Mathurine Le Foch épouse Macréau. Si quelqu’un le sait, merci de m’en faire part.
J’en demande humblement pardon à tous ses descendants et les prie de croire que son époux Henri Macréau n’était pas un criminel (tout au moins pas à ma connaissance). 

Quant à Gaston Croisy son seul tort est d’avoir, à l’âge de 8 mois, été placé chez Marie Louise Macréau, la mère d’Henri. Que ses héritiers me pardonnent cet emprunt nécessaire au récit. 

Devant les réactions et commentaires de mes lecteurs, je me dois de publier un démenti officiel : non Alexandre n'est pas mon fiancé caché et non je ne me suis pas mise au whisky à toute heure du jour et de la nuit.

Enfin si un jour je décide d’adopter un chat je l’appellerai Sosa, promis ! 


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Edit 2023 : Au printemps 2021 m'a rejoint un petit chaton farceur... et très peureux (pas question de prendre ma défense en cas de danger !). Bien sûr, je l'ai appelé... Sosa !

 



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REMERCIEMENTS 


Ma gratitude va d’abord à Sophie Boudarel qui a importé l’idée de ce ChallengeAZ en France. C’est aussi grâce à elle que j’ai créé ce blog. Merci, donc. 

A Geneatech et à ses petites mains qui assurent désormais la continuité du service et l’intendance du ChallengeAZ. Retrouvez l'intégralité des publications réunie dans ce magazine.

Aux archives départementales qui mettent en ligne ces merveilleux documents qui permettent de reconstituer la vie de nos ancêtres. Ou de l’inventer. 

Un salut amical et particulier aux archives départementales de Seine et Marne et au Cercle généalogique de la Brie : je n’ai jamais rencontré les "Charlotte Paulée" et "Alcide Bodin" locaux, mais je ne désespère pas de le faire un jour dans la vraie vie. 

A Marie-Catherine Astié pour ses relectures attentives et bienveillantes. 

A toutes celles et ceux qui ont laissé des commentaires jour après jour sans jamais se lasser (moi qui écrirais plus facilement une saga en 10 tomes, j'ai toutes les difficultés à laisser deux lignes de commentaires !), une grande admiration et un immense merci. J'ai beaucoup aimé découvrir votre cheminement face aux chapitres tout droit sortis de mon imagination.

Aux lecteurs, enfin, qui m’ont suivie dans cette aventure. Puissent-ils avoir pris autant de plaisir à lire ces lignes que moi à les écrire. 



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lundi 30 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre Z

 CHAPITRE Z

"Zanzibar pour me changer les idées..."

 

- Zanzibar pour me changer les idées.
- Zanzibar ?
- Oui Zanzibar. Un trek en Afrique, voilà ce dont j’avais besoin. C'était loin. Dépaysant. Zanzibar, la Tanzanie, le Grand Rift, le Lac Natron et à l'horizon le Kilimandjaro. Rien de commun avec la Brie. Le rêve. Ça m'a fait du bien.
Charlotte rit un instant avant de revenir aux choses sérieuses.
- Tu… Tu as eu des nouvelles d’Alexandre ?
- Oui, j’ai reçu une lettre. Il me demandait de ne pas le juger trop durement. « Tu sais, je ne suis pas si mauvais au fond. Personne n’est vraiment mauvais. En agissant comme je l’ai fait, je voulais seulement défendre ma famille. » Ce genre de choses… Il avait l’air apaisé. Je pense que les soins qui lui sont prodigués lui font du bien.
- Pas de rancœur de ton côté ?
- Oh ! Personne ne peut dire ce qu’il aurait fait à sa place. Élevé dans la haine générationnelle. Difficile d’y résister, tu ne crois pas ? 

Je ne jugeai pas Alexandre. Je pense qu’il était profondément meurtri et que le malheur peut vous détruire, petit bout par petit bout, aussi sûrement que la folie, jusqu’à vous perdre complètement. C’est cette souffrance lentement accumulée qui l’avait poussé à un comportement irrationnel. C'était un immense gâchis.
- Et puis, tout ce qu’il a simulé m’a incité à en savoir plus. Sans lui, je n’aurais peut-être pas approfondi l’histoire d’Henri et de ma famille. Et je ne t’aurais pas connue ! 

Le silence s’installa quelques instants. Envahie par les souvenirs de mon voyage je racontai à Charlotte le Natron, lac salé aux reflets rouges où nichaient les flamants nains ; le cratère du Ngorongoro sur les pas de Karen Blixen ; le petit déjeuner avec les éléphants…
- Et tu sais, le Grand Rift, c’est l’un des berceaux de l’humanité. Le premier hominidé y a été trouvé et décrit en 1925. À partir d'une souche commune, deux lignées évolutives auraient divergé, aboutissant à l'ouest du Rift aux chimpanzés arboricoles, et à l'est aux premiers Hominina puis aux Australopithèques. Probablement l'origine du genre Homo. L’apparition de la bipédie serait une adaptation à la savane. Un peu plus loin en Éthiopie Yves Coppens a découvert Lucy, âgée de 3,18 millions d'années, longtemps considérée comme notre grand-mère à tous.  

Charlotte profita de ce que je reprenais ma respiration pour en placer une :
- Ouais… Encore de la généalogie quoi !
- Euh… Oui. Un peu lointaine quand même.
Confuse, je m’aperçus que je m’étais enflammée toute seule. J’avais pourtant promis de mettre un frein à mes passions. La dernière fois ça m’avait entraînée un peu trop loin.
Mon chat Sosa ronronnait sur mes genoux. Depuis notre mésaventure commune de l’été, il préférait mes genoux au fauteuil. Ce n’était pas très pratique pour moi, mais bon : je ne pouvais pas lui en vouloir. Ses côtes cassées s’étaient ressoudées et il s’en tirait sans autres dommages. Dans un geste devenu familier, il mit sa tête au creux de ma main, quémandant une caresse rassurante.
- Bon… Fais-moi signe quand tu reviendras par là.
- Avec plaisir…
Avant de raccrocher j’entendis encore Charlotte qui pestait contre sa mèche de cheveux rebelle. 

Ma main perdue dans la douce fourrure de Sosa, je repensai à tous ces événements. Je n’avais pas été tout à fait honnête avec Charlotte : je lui avais caché un sommeil particulièrement difficile à trouver depuis l’été. Et des nuits très agitées lorsqu’enfin j’arrivais à m’endormir.
Je ne savais pas si je remettrais les pieds au pays de mes ancêtres briards. Martine et les autres descendants du Grand-Père furent horrifiés d’apprendre les agissements d’Alexandre. Voulant effacer toute trace de sa terrible conduite, ils abrégèrent les travaux de la maison et la vendirent au plus vite. Avant la vente, beaucoup de post-it avaient disparu des meubles et objets de la demeure familiale : les héritiers ne voulaient plus de ces symboles d’un passé trop encombrant. 

Je fus autorisée à y aller une dernière fois avant que les nouveaux propriétaires n’investissent les lieux. Étrangement, je n’éprouvai plus aucune nostalgie, tout au plus un pincement au cœur. Le lieu était désormais pour moi attaché à trop de souvenirs pénibles. La maison de famille y avait grandement perdu de son aura. L’image romantique que je m’en faisais avait été sérieusement écornée par les événements de l’été. L’héritage est parfois à double tranchant.  

Quand à Alcide Bodin, j’éprouvai de la honte d’avoir soupçonné cet homme lors de notre première rencontre. Lui dont l’aide fut si précieuse par la suite. La seule chose qu’on pouvait lui reprocher c’était une curiosité dévorante. 

Sur mon bureau se trouvait un carnet encore vierge. Cela faisait plusieurs jours que je restai paralysée devant la feuille blanche. Soudain, prenant une grande inspiration, je saisis un stylo. Les premiers mots furent couchés sur le papier :
« Bien sûr j’aurai dû me douter, ce jour-là, que ce qu’il se passait n’était pas ordinaire. Lorsque, au cœur de l’été, je déambulai dans la maison de famille d’Alexandre, en pays briard, guidée par la nostalgie, ignorant l’ombre menaçante… ».  



Alors que le début avait été si difficile, la suite coula presque toute seule. Le texte prit forme sous mes doigts agissant sur mes blessures invisibles comme un baume cicatrisant. Plusieurs heures plus tard, ce fut comme si je me réveillai d’un long cauchemar. La nuit était tombée. Tout était silencieux. Même Sosa et ses envies de croquettes n’avait pas osé me déranger. Je mis un point final à mon texte. 

Le cœur apaisé, j’eus une dernière pensée pour Henri Macréau. Peu importe qu’il fût un assassin ou non, il a toute sa place dans mon arbre généalogique… Que ce soit celle d’un roi ou d’un pendu. 


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