« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 11 mars 2022

#52Ancestors - 10 - Jeanne Cosset

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 10 : Religion/culte

A l'occasion de cette dixième semaine du challenge #52Ancestors dont le thème est "religion/culte", je reviens sur le mystère de Jeanne Cosset.

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Poursuivant l'exploration des registres paroissiaux à la recherche des actes concernant mes aïeux, je feuilletais (virtuellement) ceux de Vendée. Je n'avais que peu d'information sur Jacques Gendronneau et son épouse Jeanne Cosset, les parents de Jeanne (qui, elle, m'est assez bien connue). J'ignorais où et quand ils sont mariés et décédés, par exemple.

Je découvre qu'ils ont au moins un autre enfant né au Vieux Pouzauges, Louis :

Registre du Vieux Pouzauges, AD85

"Le vingt quatre du mois de mars mil sept cent trente neuf est né et
baptisé le lendemain par moy soussigné loüis fils naturel de Jacque
gendronneau et de Jeanne cosset, a été parrain sans marraine
mathurin blanchard qui ne sait signer au lieu de loüis heriau et de
jeanne pequin qui ont été refuzés pour parrain et marraine.
Moreau prêtre"

Dans cet acte, plusieurs éléments m'interpellent :
  • Le fait que le parrain et la marraine choisis aient été refusés : c'est la première fois que je trouve cette mention.
  • Le fait que l'enfant est dit "enfant naturel". Rappelons qu'un enfant naturel est un enfant conçu hors mariage. Cet état n'est pas définitif, puisque les parents peuvent reconnaître officiellement leur(s) enfant(s) naturel(s) lors de leur mariage [ 1 ]. J'ignore en effet la date de mariage du couple : d'après cet acte, il doit être postérieur à 1739.
Est-ce que ces deux éléments sont liés ?

Ignorant le lieu de naissance de mon ancêtre Jeanne (la sœur de Louis), je poursuis mon exploration des registres du Vieux Pouzauges pour voir si elle y est née quelques années avant ou après son frère.

 Et là, je m'aperçois que les enfants naturels sont légions dans ces registres. Ainsi, sont qualifiés de "naturels" :
  • 15 enfants sur les 29 actes de naissance enregistrés en 1737, 
  • 13 sur 34 en 1738,
  • 10 sur 36 en 1739,
  • 16 sur 31 en 1740,
  • 18 sur 37 en 1741,
  • 9 sur 31 en 1742.
Soit environ 40% des naissances sur ces cinq années. Et cette expression n'est pas une lubie du rédacteur, car on la retrouve indifféremment sous la plume du curé Coursin, du prêtre Moreau et du diacre Touchault.
On notera aussi quelques naissances illégitimes, mais beaucoup plus rares (une en 1741, un autre en 1742 par exemple), de mère seule ou de couple.
Certains couples ont plusieurs enfants naturels. On trouve parfois la mention "fille de non légitime mariage". Les parrains/marraines refusés se retrouvent dans la plupart des autres actes d'enfants naturels, mais ils ne sont pas systématiques.

Je me demande ce qui est l'origine de cette multiplication des enfants naturels.

Un faisceau d'indices me met alors sur une piste :
  • les parrains/marraines refusés par le curé
  • les mentions du "non légitime mariage"
  • l'acte de mariage de mes ancêtres non trouvé
Ces curiosités sont le signe de la religion protestante des parents. Bien qu'elle ne soit jamais mentionnée par les rédacteurs de ces actes, on le devine entre les lignes. Pour mémoire, en 1685 Louis XIV révoque l’Édit de Nantes (promulgué par Henri IV en 1598) accordant la liberté de culte aux protestants. Malgré une émigration massive, nombreux sont ceux qui restent en France. Ceux qui refusent d'abjurer leur foi entrent alors dans l'illégalité.

Concernant ce qu'on appelle aujourd'hui l'état civil, la seule source disponible, ou presque, pendant cette période est constituée par les registres paroissiaux catholiques. Ils enregistrent les baptêmes, mariages et sépultures, suivant les rites catholiques uniquement (le protestantisme étant, en principe, éradiqué du royaume). Malgré cela, on peut y discerner la présence des protestants. 

Le premier indice est le fait que le prêtre mentionne qu’il a refusé les parrains et marraines choisis par les parents. C’est lui qui désigne les remplaçants. Dans ce cas, en général, il y a alors peu de doute sur la religion des parents. Mais il arrive aussi que certains curés complaisants acceptent les parrains et marraines choisis par les parents : on l'a vu ici, le refus n'est pas systématique.

La mention de la naissance d’un enfant né d’illégitime mariage, ou né d'un non légitime mariage confirme qu’il y a eu mariage, mais hors de l’Église officielle (catholique). En effet dès la révocation de l’Édit de Nantes, certains protestants restés en France ont officialisé leur union devant un prêtre, bon gré mal gré; mais d'autres en revanche, malgré les risques, ont choisi de faire appel à des pasteurs clandestins itinérants. C'est ce que l'on appelle des mariages "au désert". Le problème majeur est que ces registres, s’ils ont existé, ne sont qu’exceptionnellement parvenus jusqu’à nous : illégaux, leurs propriétaires risquaient la prison pour eux et pour ceux qui y figuraient si ces registres étaient trouvés. Des "certificats" pouvaient être délivrés, lesquels ont eux-mêmes malheureusement souvent disparu au fil du temps. Parfois, les protestants ont simplement vécu en couple avec la seule bénédiction de leurs parents, puisque pour eux le mariage n’est pas un sacrement. La trace écrite dudit mariage protestant est donc la plupart du temps impossible à trouver.

Les protestants restés dans le royaume ont cherché à résister, de façon plus ou moins ouverte, à la "catholicisation" forcée qu'ils subissaient. Par exemple, le baptême, donné par un prêtre catholique aux enfants protestants était un baptême forcé, puisque les parents n’avaient pas le choix du "baptisant". Ils retardaient donc le plus possible le baptême (puisque la religion catholique recommande de le faire le plus vite possible). Ou bien ils choisissaient des prénoms dans l’Ancien Testament, comme Abraham, Esther, Judith, etc... trouvant leur inspiration dans la lecture assidue de la Bible, qu'ils pratiquaient régulièrement (ce qui n'a pas été constaté ici). Mais parfois, les prêtres, en réaction, refusaient de donner aux enfants ces prénoms bibliques choisis par leurs parents. En généalogie, les choses se compliquent alors car on peut trouver un enfant nommé Abraham par sa famille et identifié comme tel à son mariage après la Révolution, mais qui a été baptisé sous le nom de Pierre ! En conséquence, il est difficile de retrouver le bon acte de baptême.

Les protestants n’ont retrouvé officiellement un état civil propre qu’avec l’Édit de Tolérance, en 1787. Outre le fait que, désormais, les protestants peuvent légalement faire enregistrer leurs mariages, naissances et décès, ils peuvent aussi faire des "réhabilitations de mariages", grâce aux certificats produits par les mariés, et faire inscrire dans l’acte les enfants issus de leur couple, même quand ceux-ci ont été baptisés en leur temps au sein de l’Église catholique. On peut trouver également des registres particuliers aux protestants ouverts dans certaines paroisses; malheureusement ils sont rares.

Dans le cas qui me préoccupe, cette hypothèse protestante est enfin confirmée lors du mariage de Jeanne (fille), en 1766. Après une lecture attentive de l'acte quasi effacé, on peut deviner la mention suivante : "avec le consentement de la mère de la [contractante ?] comme étant de la religion protestante".

Et c'est ainsi que j'ai découvert Jeanne Cosset, première protestante de ma généalogie.



[ 1 ] Dans ma généalogie, je connais par exemple le cas de Joseph Borrat-Michaud et Antoinette Jay qui, lors de leur mariage, reconnaissent Félicie, fille naturelle d'Antoinette (âgée de douze ans) et Marie Louise, fille illégitime de Joseph et d'Antoinette (âgée d'un an).


 

vendredi 4 mars 2022

#52Ancestors - 9 - Felisonne de Lucinge

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 9 : Les femmes de votre généalogie


Sur les 3652 ancêtres directs que compte mon arbre, 46,28% sont des femmes (soit 1690 ancêtres féminines).

Les générations I à VI sont complètes (100% d'ancêtres trouvées). Mais une fille-mère me fait baisser mon taux aux générations suivantes. A partir de la génération X les implexes s'en mêlent ! Je compte jusqu'à 29% d'implexe aux générations XV et XVI.

Ma sosa la plus ancienne est Félisonne de Lucinge (sosa 841987, génération XX), qui se serait mariée en 1367 selon la bibliographie historique (elle est une collatérale de la famille de Sales en Haute-Savoie).

Mais l’acte le plus ancien retrouvé est celui prouvant la naissance de Charlotte Le Peintre en 1592 (Jarzé, 49), sosa 2373 génération XII.


  • Prénoms

Sans surprise le prénom le plus donné à mes ancêtres féminines est Marie (15,74%). Viennent ensuite Jeanne (14,44%), Françoise (7,57%), Perrine (5,09%), puis Marguerite, Louise, Renée…


Beaucoup moins courant, je trouve aussi une Anoye, une Etragie, une Yolante et quatre Helipx.


  • Mariage

577 ancêtres ont un âge connu (et prouvé) au mariage.

Ma mariée la plus jeune a 11 ans (sic !). Clémence Monneret s’est mariée en 1689 à Viry (39). 6 autres ont été mariées avant 15 ans.

La mariée la plus âgée (au premier mariage) avait 42 ans : c’est Jeannette Durier, une de mes ancêtres Suisse.

La moyenne d’âge au mariage est d’un peu plus de 23 ans.


 
  • Métiers

Les métiers de mes ancêtres féminines sont cités pour 88 d’entre elles. Les plus représentés sont les cultivatrices (20%) et les ménagères (13%). 

Parmi cette liste on notera la lignée des « filles de peine », la mère, la fille et la belle-mère du petit-fils, ou la « campagnarde », mon ancêtre de Haute-Savoie (dite aussi ménagère ou cultivatrice).


  • Signatures

Parmi mes 1690 ancêtres directes féminines, seules 51 savent signer (3,02%). 28 autres ont apposé « leur marque » (une croix ou un signe quelconque) ; celles-ci viennent toutes de l’Orne.

La signature le plus ancienne est celle de Jacquine Pinot, en 1627. Elle demeure à Angers et signe son acte de mariage. Son métier n’est pas connu, pas plus que celui de son époux, mais son gendre est marchand ; ce qui sous-entend un milieu plutôt aisé et explique sans doute qu’elle sache signer.



  • Longévité

547 de mes ancêtres ont une date de naissance et de décès identifiée.

Mathurine Crahan est mon ancêtre féminine ayant eu la vie la plus courte : elle est décédée à 19 ans seulement. Elle vivait à Loudéac (22) entre 1657 et 1676. Sa vie n’a été qu’un fil fragile et ténu : "Baptisée au logis par Julien le Pioufle a cause du danger [...] de more", elle est décédée "après avoir reçu en sa dernière maladie les saints sacrements".

Mon ancêtre ayant vécu le plus longtemps est Mathurine Le Floc, censée être décédée à 104 ans à Loudéac (mais son acte de naissance en 1573 n’est pas sûr : difficilement lisible à cause d’une numérisation en trop basse définition).

A défaut, c’est ma grand-mère Marcelle Assumel-Lurdin qui tient le record : 97 ans (décédée à Angers, 49).

La moyenne d’âge est d’un peu plus de 60 ans.






vendredi 25 février 2022

#52Ancestors - 8 - Claude Louis Macréau

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 8 : Les actes de ventes/d'achats/d'échanges de terre


Le deux frimaire l’an IV de l’ère républicaine (le 23 novembre 1795) Denis Nicaise et Claude Macréau, accompagnés de leurs épouses respectives, se réunissent dans l’étude de Me Pinart, notaire à Guérard (Seine et Marne) pour procéder à un échange de terres.

Monthérand de Guérard


Denis Nicaise (Jean Denis de ses prénoms de baptême) est né en 1763 à Guérard, d’une famille de vignerons installée au lieu-dit Montherand.

Guérard est la commune la plus citée de mon arbre après Villevêque (49), avec 568 occurrences. De ce fait, lorsque j’examine un acte il y a une chance pour que tous les protagonistes du document me soient plus ou moins apparentés.

C’est donc le cas de Denis, arrière-petit-neveu de mon ancêtre Claude Nicaise. Il a épousé en 1785 Marie Anne Roze Holeux (ou Hauleux). Celle-ci est la fille de Marie Madeleine Hochet (ma sosa 839) et de son troisième mari Nicolas Holeux.

 

L’autre couple est formé par Claude (Louis) Macréau et Marie Anne Roze Pochet mes sosas 208 et 209 (ancêtres à la 7ème génération). Dans l’échange Claude est nommé « Maqueriot ». On trouve aussi parfois l’orthographe Maquereau ou Macriot. Dans l’acte de mariage de son petit-fils il est d’ailleurs mentionné que lors de sa naissance "le nom patronymique de son père est orthographié à tort Maquereau au lieu de Macréau" (déclaration sous serment lors de son mariage). C'est pourquoi j'ai gardé l'orthographe "Macréau". Les Macréau sont aussi originaires de Guérard, d’autres lieux-dits nommés Le Charnoy pour les deux premières générations, puis Rouilly le Bas pour les deux suivantes. Claude, lui, demeure au Grand Lud (même commune). Claude Macréau est aussi vigneron. En 1795 il a alors 30 ans. 


Il s’est donc mis d’accord avec Denis Nicaise pour procéder à un échange de terres. De son côté Denis donne deux pièces de terre situées aux « Landy » (ou Les Landis) à Monthérand : la première mesure 10 perches. La perche est une ancienne mesure de longueur, valant un peu plus de 6 m, ou de superficie (le « carré » de « perche carré » étant alors sous entendu) valant un peu plus de 42 m² ; valeurs données à titre indicatif car elles dépendent beaucoup des époques et des régions. L’autre parcelle mesure 6 perches. Cela fait donc un total de 16 perches, soit environ 672 m².

Les parcelles sont précisément situées grâce à la méthode « Ancien Régime » : en nommant les propriétaires ou points remarquables voisins. Ainsi au levant de la parcelle (c'est-à-dire à l’est) il y a une parcelle appartenant aux héritiers Langlois, au couchant (à l’ouest) le sentier, au midi (au sud) une autre parcelle appartenant à Claude Macréau et au septentrion (au nord) une parcelle à Hubert Lhuillier. Difficile de situer exactement ces terres aujourd'hui, mais peut-être le cadastre napoléonien, rédigé 15 ans après l'échange, peut-il nous donner quelques pistes. Les états des sections ne sont pas en ligne, mais il se trouve que sur les feuilles de plans du cadastre de Guérard, les noms des propriétaires sont inscrits sur les parcelles ! Bon, le seul problème c’est que la définition de numérisation n’est pas assez haute pour lire correctement lesdits noms : il faut essayer de deviner !

Donc, on retrouve bien le lieu-dit Les Landis, le sentier et une parcelle appartenant à Claude Macréau. Peut-être que la parcelle de 10 perches donnée par Denis Nicaise se trouve au nord de cette parcelle appartenant à Claude Macréau. Le propriétaire identifié n’est pas Claude, mais ne perdons pas de vue que le cadastre a été rédigé 15 ans après l’échange : il s’est peut-être séparé de cette parcelle entre temps. Ou bien la parcelle que nous voyons est issue de la fusion entre celle donnée par Denis et l'ancienne parcelle voisine appartenant déjà à Claude.


Cadastre Les Landries © AD77

 

En échange Claude Macréau donne une pièce de terre située aussi à Monthérand, mais au lieu-dit Les Grandes Vignes. Cette terre est entrée en la possession de Claude par sa femme, grâce un héritage reçue par elle de sa mère Honorée Suzanne Gaudin (décédée en 1775), qui était originaire de Monthérand. De la même manière, on peut suggérer un emplacement pour cette parcelle.


Cadastre Les Grandes Vignes © AD77


Les parcelles échangées sont d’une superficie égale (16 perches au total). Elles sont estimées à mille livres, soit environ 15 693 euros actuels.

Bien sûr, l’acte d’échange ne dit pas pourquoi Denis et Claude ont troqué leurs parcelles. Tout juste peut-on supposer qu’un regroupement territorial est à l’origine de la transaction : en effet, les parcelles données par Denis sont contiguës à d’autres appartenant déjà à Claude et inversement. Ainsi chacun dispose désormais de terres d’un seul tenant, augmentées de 16 perches.