« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 1 avril 2022

#52Ancestors - 13 - François Le Maux

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 13 : Sœurs  



François Le Maux est l’aîné. Il a eu un frère et huit sœurs. Né en 1761 au Quilio (22), de Mathurin Le Maux et Marie Le Corre.

Dès l’année suivante il voit naître une première petite sœur, Anne Marie. Sans doute n’en n’a-t-il pas eu conscience, compte tenu de son jeune âge. Mais ils ont vécu leurs premières années ensemble.

En 1766 François a 5 ans. Je l’imagine penché au-dessus du berceau, curieux, observant sa nouvelle petite sœur, Marie Françoise. L’expérience a dû avoir un goût de nouveauté puisqu’il était trop jeune pour se souvenir de la précédente naissance. S’est-il senti « grand frère » ? Lui a-t-on déjà donné quelques responsabilités dans la garde et la protection de ses jeunes sœurs ? A-t-il gonflé le torse, empli de fierté, en disant aux visiteurs de la maisonnée « voici ma petite sœur » ? Ou peut-être a-t-il quelque peu déchanté devant les vagissements du bébé : « Pffff ! Elle pleure tout le temps, maman ! ».

Pour ses 7 ans, maman lui a promis une surprise. Impatient François passe en revue ce que ça pourrait être : un jouet, un nouveau costume ? Mais deux semaines avant son anniversaire, branle bas de combat dans la maison : la surprise arrive plus tôt que prévu. Malgré sa grande imagination, il ne s’attendait pas à ça : une autre petite sœur ! Yvonne Perrine est arrivée le 10 janvier 1768.

Mais cette arrivée dans le monde fut rapidement troublée car le 18 janvier Marie Françoise, deux ans, s’est éteinte. François avait un peu de mal à se souvenir, mais il lui semblait que l’atmosphère était différente après la naissance précédente… Bien sûr, le nouveau bébé réclamait des soins comme sa sœur aînée, mais la joie n’était pas vraiment là depuis le départ de Marie Françoise. Hélas le climat ne s’éclaircit pas, bien au contraire, car à la mi-février c’est Anne Marie qui partit à son tour. François n’avait plus de petite sœur. Enfin, il y avait le bébé, mais on ne pouvait pas jouer avec elle comme il le faisait avec Anne Marie.

Maman ne mit pas longtemps à fabriquer un nouveau bébé, se dit François en la voyant avec son gros ventre. C’est que, maintenant, il avait l’habitude : à chaque fois qu’elle se déplaçait avec lenteur et difficulté, qu’elle s’asseyait pour souffler un peu, il y avait eu un nouveau bébé à la maison ! Et il avait raison : en septembre 1769 naquit Suzanne. François fixait la nouvelle petite sœur avec attention. Il se demandait combien de temps il allait la garder celle-là. Parce que les petites sœurs avaient une fâcheuse tendance à mourir vite !

La vie ne tarda pas à donner raison à François : en 1770 Yvonne Perrine décéda à son tour. Ne restait que la petite Suzanne.

François avait 10 ans lorsqu’il vit de nouveau le ventre de sa mère s’arrondir l’année suivante. « Encore une petite sœur ! » se dit-il. Il se désintéressa rapidement de la chose. Encore une petite sœur… dont il faudra s’occuper ! « Pfff ! » C’est dans la chaleur de juillet que naquit un nouveau bébé. Oh ! Surprise : c’était un garçon ! Est-ce qu’un garçon est vraiment différent d’une fille ? se demanda François. Hélas, il ne se posa pas longtemps la question : avec les premiers froids le petit Yves s’éteint à son tour. « Zut ! »

François guetta discrètement le ventre de maman. Maintenant qu’il savait qu’elle pouvait faire des petits frères, il avait hâte de la voir s’arrondir à nouveau. Ce n’est que deux ans après la naissance d’Yves qu’il fut exaucé. En juillet 1772 naquit… Françoise ! Quoi ? Encore une petite sœur ? Mais ça devait être un petit frère ! François fut déçu.

François avait 13 ans quand Marie Françoise (la deuxième) vint au monde. Maman le prit à part et lui dit : « Tu es grand maintenant, tu vas pouvoir m’aider avec tes petites sœurs. » François n’était que moyennement emballé par l’idée. Il trouvait qu’il le faisait déjà et il était un peu déçu que maman ne s’en soit pas aperçue. Lorsque Marie Françoise s’éteint à son tour en février 1776, il se sentit un peu responsable. Mais il n’eut pas longtemps pour s’appesantir sur la question : en août maman donna naissance à Marguerite. Craignait-elle de la perdre elle aussi ? François s’interrogea mais ne put déchiffrer son visage.

Il récapitula : c’était sa septième sœur. Cinq n’avait pas vécue (plus le petit frère). Il jeta un coup d’œil à Suzanne : du haut de ses 7 ans, c’est la seule qui avait survécu. Mais elle était encore bien jeune, il ne fallait pas crier victoire trop tôt.

En 1780 François fêta ses 19 ans. C’était un homme à présent. Fin septembre sa mère donna naissance à une dernière petite sœur, prénommée Françoise. Il n’eut pas beaucoup de temps pour s’y attacher : moins d’un mois plus tard elle avait déjà quitté ce monde. Elle fut celle qui eut la vie la plus courte.

Suzanne et Marguerite furent les seules sœurs de François à atteindre l'âge adulte.

Trois ans plus tard, François se maria. Il se demanda si lui aussi allait devoir enterrer 7 enfants…


jeudi 24 mars 2022

#52Ancestors - 12 - Marie Anne Guilin

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 12 : Matriarcat


Marie Anne Guilin n’a pas beaucoup connu sa mère : elle est décédée quand la fillette n’avait que 6 ans. S’est-elle, si jeune, occupée de sa sœur Félicité (4 ans) et son frère Charles (1 an) ? Ou les grands-mères ont-elles aidée le jeune veuf ? Toujours est-il que Jean Baptiste Guilin attendit 3 ans pour se remarier, en 1762. Catherine Bouvret a sans doute joué ensuite un rôle de substitution pour la petite Marie Anne. Elle-même ne semble pas avoir donné d’enfant à Jean Baptiste. Je perds sa trace ensuite.

Difficile de dire ce que furent les jeunes années de Marie Anne. On espère que, malgré son deuil à un si jeune âge, elle fut heureuse. Elle vient d’un milieu lettré, plutôt aisé où l’on se part de titres tels que « sieur », « honorable », et où l’on fréquente des « bourgeois ». Elle est une des rares personnes de la famille (femmes comprises) à ne pas savoir signer : son enfance difficile l'a-t-elle privée d'école ? 

Son père, ancien « maréchal des logis des troupes de sa majesté le Roy de Sardagne », devenu vigneron était installé à Cerdon (Ain). Ce vignoble ancien se déploie sur le Bugey, région qui se démarque par son relief très contrasté, dans la partie montagneuse de l’Est de l’actuel département de l’Ain. Il connaîtra son apogée dans les années 1870 avant que le phylloxéra en ravage les rangs. Gravement touché le vignoble décline alors pendant plusieurs décennies. Aujourd’hui il est reconnu par une AOC. Cerdon produit des vins mousseux rosés au processus d'élaboration original, appelé « méthode ancestrale ». La fermentation, arrêtée par une étape de filtration, donne un vin pétillant, faiblement alcoolisé et dans lequel le raisin non fermenté apporte sucre et arômes. Jean Baptiste Guilin appliquait-il déjà cette « méthode ancestrale » ?

Malheureusement Jean Baptiste ne resta pas longtemps pour faire prospérer son domaine : il meurt en 1775. Marie Anne a alors 22 ans, mais elle est encore mineure (la majorité étant alors fixée à 25 ans). Elle est orpheline de père et de mère. Un curateur lui est adjugé : son oncle Jean Claude Jacquet, marchand. Qui a alors géré l'exploitation familiale ? Marie Anne ? L'oncle qui n'habite pas Cerdon ? Charles, le petit frère qui n'a que 17 ans ? Tous ensemble ? Ce que l'on sait, c'est que Félicité est la première a quitter le domicile familial : en 1776 elle se marie à Saint Jean le Vieux, à une douzaine de kilomètres au Sud, où elle est installée comme tailleuse. Il ne reste sur place que Marie Anne et son jeune frère.

Marie Anne se marie deux ans plus tard, avec un « marchand vigneron » de Cerdon, Charles François Colomb. Il est issu du même milieu qu’elle, des vignerons de Cerdon, lettré, sans doute plutôt aisé. Il a 27 ans. Ensemble ils ont 7 enfants, et ont eu la chance de n’en perdre aucun en bas âge. Marie Anne a veillé à l’éducation de ses enfants qui ont fréquenté l’école : tous signent leur acte de mariage, sauf Françoise, la fille aînée, dans un étrange effet miroir de la propre vie de Marie Anne.

Moins de 20 ans après son mariage, en 1797, Anne Marie enterre son époux. A 44 ans, elle se retrouve à nouveau seule. Un autre défi s’annonce pour elle : gérer la vigne et établir ses enfants. A-t-elle participé à l’exploitation du vignoble après le décès de son mari ? Sans doute car au moment de son décès elle sera dite « cultivatrice », comme le sont dits parfois les vignerons au XIXème siècle.

Féminisme 


Ses deux fils aîné restent à Cerdon et s’établissent aussi comme vignerons. Peut-être reprennent-ils l’exploitation familiale avec leur mère ? Sa fille aînée, Françoise, reste dans le milieu en épousant un vigneron de Cerdon. Ces derniers sont mes ancêtres directs. Ils sont dits propriétaire (pour lui) ou rentière (pour elle). On les retrouve dans les archives au fil des acquisitions (maison et jardin à Cerdon, pré et chasal* en montagne) et successions où ils laissent meubles et immeubles. Les deux filles suivantes s’installent à Fleurie (69) : Marie Marguerite s’y marie en 1817 et Marie la rejoint : elle demeure célibataire mais reste proche de sa sœur et de son beau-frère (qui déclare son décès). Elle aussi sera dite rentière. Les deux cadettes s’exilent aussi : Marianne épouse un cabaretier de Champdor (01) et Louise un marchand de chaux de Saint Symphorien d’Ancelles (71).

Malgré l’éloignement physique, la mère est restée proche de ses enfants : si elle ne peut être présente aux mariages de ses filles, elle a néanmoins pris le soin, à chaque fois, de rédiger un acte de consentement devant notaire.

Marie Anne ne s’est jamais remariée. Elle est restée veuve 44 ans. Après une enfance marquée par le deuil qui a dû la faire grandir plus vite que prévu, elle se retrouve à nouveau seule à l’âge mûr. Elle a alors dû assumer, sans aide masculine (un mari, un père), les tâches d’une femme, d’une mère : gérer (probablement) l’exploitation familiale, l’éducation de ses enfants et les conduire sur les chemins de la vie. Elle s’est éteinte à Cerdon le 17 janvier 1841, à l’âge de 88 ans.



 

* Voir la page lexique de ce blog.

 

vendredi 18 mars 2022

#52Ancestors - 11 - Rose Marolleau

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 11 : Fleurs (ancêtres au prénom fleuri ; fleuristes...)

 

Angélique Marchand épouse Pierre Marolleau en 1807 à Cirières (79). De lui, elle a eu 11 enfants entre 1808 et 1827.

Lorsqu’elle décède en 1849 on ne retrouve que 6 de ces enfants. Les trois fils aînés ne sont pas nommés : ils sont donc très vraisemblablement décédés entre temps, même si je n’ai pas (encore) retrouvé leurs actes de décès. De même deux des filles : Julie, née en 1820, est décédée deux ans plus tard, et Marie Jeanne est décédée en 1846 à 31 ans.

 

Il reste donc : deux fils, Louis Casimir et Charles Auguste, et quatre filles :

1)      Rosalie Angélique
2)     Marie Joséphine
3)     Angélique Françoise
4)     Marie Julie

Deux documents me permettent d’en savoir plus sur la succession de la mère Angélique Marchand : les tables de succession et absences et les registres de déclaration de succession du bureau de Bressuire.

Dans le premier il est indiqué que la succession a été réglée le 18 avril 1850. La valeur du mobilier est évaluée à 212,50 francs et les revenus des immeubles situés à Cirières à 258,75 francs. Enfin, son héritière est sa fille Rose.

Mais qui est Rose ? Est-ce la fille n°1 Rosalie Angélique ? De Rosalie à Rose, il n’y a qu’un pas. Mais les choses ne sont pas si faciles…

 

En effet dans le deuxième document, le registre de succession, de nouveaux éléments viennent brouiller les cartes :

« Rose Marolleau comparaît en son nom et en celui d'Auguste et Louis Marolleau métayers à Cirières, Angélique épouse Haye de Combrand, Joséphine épouse Roy de Saint Amand et Julie de Cirières ses frères et sœurs. »


Registre de déclaration de succession © AD79

 

Si les deux frères sont identifiés sans problème, c’est plus compliqué du côté des filles. Donc on a :

a)     Rose
b)     Angélique
c)      Joséphine
d)     Julie

La logique voudrait que :

  •          Rosalie Angélique soit Rose
  •          Marie Joséphine soit Joséphine
  •          Angélique Françoise soit Angélique
  •          Marie Julie soit Julie

 

Mais non ! En effet, grâce au patriarcat (si souvent dénigré de nos jours), on a la clé du mystère. Parce que chaque fille est rattachée à son époux (le cas échéant) et son domicile.

a)     Rose n’est pas mariée
b)     Angélique est dite épouse « Haye de Combrand »
c)      Joséphine « épouse Roy de Saint Amand »
d)     Julie « de Cirières »

Il m’a fallu rechercher tous les mariages de la fratrie et leurs domiciles. Or il s’avère que l’Angélique « épouse Haye » c’est Rosalie Angélique, la numéro 1. Rosalie n’est donc pas Rose.

Joséphine, la c), est bien Marie Joséphine, la numéro 2 (c’est mon ancêtre directe). Marie Julie ne s’est mariée qu'en 1853 : elle a vécu à Cirières où elle est décédée en 1856. Julie, la d), est donc Marie Julie, la 4).

 

Par élimination, il ne reste que Angélique Françoise pour être Rose.

 

Pourquoi Angélique mère a-t-elle choisi une de ses filles cadettes pour la désigner héritière ?La question reste entière.

 

On notera au passage que Pierre Marolleau, le mari d’Angélique, n’est jamais nommé dans ces documents alors qu’il est toujours vivant et qu’ils habitent sous le même toit ! C’est Louis, le fils aîné, qui sera son propre héritier.

 

Bref, en généalogie, on oublie la logique. Et on se souvient que les prénoms d’usage n’ont parfois rien à voir avec les prénoms de baptême !



vendredi 11 mars 2022

#52Ancestors - 10 - Jeanne Cosset

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 10 : Religion/culte

A l'occasion de cette dixième semaine du challenge #52Ancestors dont le thème est "religion/culte", je reviens sur le mystère de Jeanne Cosset.

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Poursuivant l'exploration des registres paroissiaux à la recherche des actes concernant mes aïeux, je feuilletais (virtuellement) ceux de Vendée. Je n'avais que peu d'information sur Jacques Gendronneau et son épouse Jeanne Cosset, les parents de Jeanne (qui, elle, m'est assez bien connue). J'ignorais où et quand ils sont mariés et décédés, par exemple.

Je découvre qu'ils ont au moins un autre enfant né au Vieux Pouzauges, Louis :

Registre du Vieux Pouzauges, AD85

"Le vingt quatre du mois de mars mil sept cent trente neuf est né et
baptisé le lendemain par moy soussigné loüis fils naturel de Jacque
gendronneau et de Jeanne cosset, a été parrain sans marraine
mathurin blanchard qui ne sait signer au lieu de loüis heriau et de
jeanne pequin qui ont été refuzés pour parrain et marraine.
Moreau prêtre"

Dans cet acte, plusieurs éléments m'interpellent :
  • Le fait que le parrain et la marraine choisis aient été refusés : c'est la première fois que je trouve cette mention.
  • Le fait que l'enfant est dit "enfant naturel". Rappelons qu'un enfant naturel est un enfant conçu hors mariage. Cet état n'est pas définitif, puisque les parents peuvent reconnaître officiellement leur(s) enfant(s) naturel(s) lors de leur mariage [ 1 ]. J'ignore en effet la date de mariage du couple : d'après cet acte, il doit être postérieur à 1739.
Est-ce que ces deux éléments sont liés ?

Ignorant le lieu de naissance de mon ancêtre Jeanne (la sœur de Louis), je poursuis mon exploration des registres du Vieux Pouzauges pour voir si elle y est née quelques années avant ou après son frère.

 Et là, je m'aperçois que les enfants naturels sont légions dans ces registres. Ainsi, sont qualifiés de "naturels" :
  • 15 enfants sur les 29 actes de naissance enregistrés en 1737, 
  • 13 sur 34 en 1738,
  • 10 sur 36 en 1739,
  • 16 sur 31 en 1740,
  • 18 sur 37 en 1741,
  • 9 sur 31 en 1742.
Soit environ 40% des naissances sur ces cinq années. Et cette expression n'est pas une lubie du rédacteur, car on la retrouve indifféremment sous la plume du curé Coursin, du prêtre Moreau et du diacre Touchault.
On notera aussi quelques naissances illégitimes, mais beaucoup plus rares (une en 1741, un autre en 1742 par exemple), de mère seule ou de couple.
Certains couples ont plusieurs enfants naturels. On trouve parfois la mention "fille de non légitime mariage". Les parrains/marraines refusés se retrouvent dans la plupart des autres actes d'enfants naturels, mais ils ne sont pas systématiques.

Je me demande ce qui est l'origine de cette multiplication des enfants naturels.

Un faisceau d'indices me met alors sur une piste :
  • les parrains/marraines refusés par le curé
  • les mentions du "non légitime mariage"
  • l'acte de mariage de mes ancêtres non trouvé
Ces curiosités sont le signe de la religion protestante des parents. Bien qu'elle ne soit jamais mentionnée par les rédacteurs de ces actes, on le devine entre les lignes. Pour mémoire, en 1685 Louis XIV révoque l’Édit de Nantes (promulgué par Henri IV en 1598) accordant la liberté de culte aux protestants. Malgré une émigration massive, nombreux sont ceux qui restent en France. Ceux qui refusent d'abjurer leur foi entrent alors dans l'illégalité.

Concernant ce qu'on appelle aujourd'hui l'état civil, la seule source disponible, ou presque, pendant cette période est constituée par les registres paroissiaux catholiques. Ils enregistrent les baptêmes, mariages et sépultures, suivant les rites catholiques uniquement (le protestantisme étant, en principe, éradiqué du royaume). Malgré cela, on peut y discerner la présence des protestants. 

Le premier indice est le fait que le prêtre mentionne qu’il a refusé les parrains et marraines choisis par les parents. C’est lui qui désigne les remplaçants. Dans ce cas, en général, il y a alors peu de doute sur la religion des parents. Mais il arrive aussi que certains curés complaisants acceptent les parrains et marraines choisis par les parents : on l'a vu ici, le refus n'est pas systématique.

La mention de la naissance d’un enfant né d’illégitime mariage, ou né d'un non légitime mariage confirme qu’il y a eu mariage, mais hors de l’Église officielle (catholique). En effet dès la révocation de l’Édit de Nantes, certains protestants restés en France ont officialisé leur union devant un prêtre, bon gré mal gré; mais d'autres en revanche, malgré les risques, ont choisi de faire appel à des pasteurs clandestins itinérants. C'est ce que l'on appelle des mariages "au désert". Le problème majeur est que ces registres, s’ils ont existé, ne sont qu’exceptionnellement parvenus jusqu’à nous : illégaux, leurs propriétaires risquaient la prison pour eux et pour ceux qui y figuraient si ces registres étaient trouvés. Des "certificats" pouvaient être délivrés, lesquels ont eux-mêmes malheureusement souvent disparu au fil du temps. Parfois, les protestants ont simplement vécu en couple avec la seule bénédiction de leurs parents, puisque pour eux le mariage n’est pas un sacrement. La trace écrite dudit mariage protestant est donc la plupart du temps impossible à trouver.

Les protestants restés dans le royaume ont cherché à résister, de façon plus ou moins ouverte, à la "catholicisation" forcée qu'ils subissaient. Par exemple, le baptême, donné par un prêtre catholique aux enfants protestants était un baptême forcé, puisque les parents n’avaient pas le choix du "baptisant". Ils retardaient donc le plus possible le baptême (puisque la religion catholique recommande de le faire le plus vite possible). Ou bien ils choisissaient des prénoms dans l’Ancien Testament, comme Abraham, Esther, Judith, etc... trouvant leur inspiration dans la lecture assidue de la Bible, qu'ils pratiquaient régulièrement (ce qui n'a pas été constaté ici). Mais parfois, les prêtres, en réaction, refusaient de donner aux enfants ces prénoms bibliques choisis par leurs parents. En généalogie, les choses se compliquent alors car on peut trouver un enfant nommé Abraham par sa famille et identifié comme tel à son mariage après la Révolution, mais qui a été baptisé sous le nom de Pierre ! En conséquence, il est difficile de retrouver le bon acte de baptême.

Les protestants n’ont retrouvé officiellement un état civil propre qu’avec l’Édit de Tolérance, en 1787. Outre le fait que, désormais, les protestants peuvent légalement faire enregistrer leurs mariages, naissances et décès, ils peuvent aussi faire des "réhabilitations de mariages", grâce aux certificats produits par les mariés, et faire inscrire dans l’acte les enfants issus de leur couple, même quand ceux-ci ont été baptisés en leur temps au sein de l’Église catholique. On peut trouver également des registres particuliers aux protestants ouverts dans certaines paroisses; malheureusement ils sont rares.

Dans le cas qui me préoccupe, cette hypothèse protestante est enfin confirmée lors du mariage de Jeanne (fille), en 1766. Après une lecture attentive de l'acte quasi effacé, on peut deviner la mention suivante : "avec le consentement de la mère de la [contractante ?] comme étant de la religion protestante".

Et c'est ainsi que j'ai découvert Jeanne Cosset, première protestante de ma généalogie.



[ 1 ] Dans ma généalogie, je connais par exemple le cas de Joseph Borrat-Michaud et Antoinette Jay qui, lors de leur mariage, reconnaissent Félicie, fille naturelle d'Antoinette (âgée de douze ans) et Marie Louise, fille illégitime de Joseph et d'Antoinette (âgée d'un an).