« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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samedi 7 octobre 2017

Projet Philomène #1 : Philomène Prost

Parti d’une remarque sur les réseaux sociaux (« on a tous une mémé Philomène »), le projet a pris corps : les descendants des « mémés Philomène » ont alors rédigés des billets racontant leur(s) Philomène(s). 
Sainte Philomène a été « mise à la mode » par le curé de St Jean d’Ars (Ain) en 1837 ; pour en savoir plus sur la sainte, voir ici grâce à l'article d'Antequam. Pour retrouver tous les billets des « mémés Philomène » écrits par les généablogueurs, cliquez ici ou ici pour les situer sur la timeline.
Dans mon arbre je compte deux Philomène, nées dans l’Ain aux XIX et XXème siècle : voici la première (qui est aussi la grand-mère de la Philomène #2).


Les trois enfants sont  là : Joseph (54 ans), Marie Félicie (47 ans) et Marie Virginie (42 ans). Ils trient les vêtements, les effets, les papiers. Philomène Prost, leur mère, a été mise en terre ce matin.

Un dialogue commence entre les trois « grands enfants » de la disparue :
- Quelle longue vie elle a eue : elle a quand même vécu 85 ans !  Je n’ai pas eu connaissance d’un membre de notre famille qui ait vécu aussi longtemps.
- En tout cas, elle fait sûrement partie des records, c’est sûr !
- Vous avez remarqué : papa et maman sont décédés le même jour, un 14 septembre, à 30 ans d’intervalle !
- Dire qu’elle est restée veuve pendant toutes ces années.
- Je n’avais que 12 ans quand papa est mort, fait remarquer Marie Virginie, la plus jeune. C’est curieux qu’elle ne se soit jamais remariée.
- Elle a été tellement affligée de son décès, qu’elle n’a pas eu la force d’aller le déclarer à la mairie : c’est notre oncle qui s’en est chargé.
- Oui, mais j’étais là, ajoute Joseph Hippolyte, l’aîné, et je me rappelle que le maire l’a qualifiée de « dame » dans cet acte.
- Tiens !
- Qu’est-ce que tu as trouvé ?
- Des vieux papiers : ici il y est mentionné une vente, en 1888 pour 726 francs, et deux acquisitions, datées de 1898 et 1909, pour une valeur de 615 francs, soit au total 1 071 francs.
- Tu sais à quoi ça correspond ?
- Non, pas vraiment. Il n’y a pas de détail ici.
- Oh ! Son acte de naissance : vous saviez qu’en fait elle s’appelait Marie Philomène ?
- Vraiment ? Mais on ne l’appelait que Philomène pourtant ! Je me rappelle même l’agent recenseur, lorsqu’il venait à la maison, il inscrivait bien « Philomène » seulement, et puis après la mort de papa c’était « Philomène veuve Gros [de son nom d’épouse], cultivatrice, chef de ménage ».
- C’est vrai !
- Elle a été aussi tisseuse et même ouvrière en soie, le saviez-vous ?
- Je ne sais pas pourquoi elle s’est mariée aussi tard : en février 1873 elle avait déjà 29 ans. Ce n’est pas tout jeune…
- Bah !moi aussi je me suis mariée à cet âge, réplique Marie Félicie !
- Oups ! ben moi, je n’avais que 24 ans… complète Marie Virginie.
- Elle attendait peut-être le retour de papa : souvenez-vous, pendant la campagne de 1870, il avait été fait prisonnier à Sedan, avec le 79e régiment de ligne où il était affecté. Il est resté 8 mois en captivité ! Le temps qu’il revienne, qu’il soit officiellement démobilisé et que le mariage soit conclu entre les familles, ça prend du temps.
- Je ne trouve pas de contrat de mariage dans ses papiers : je crois qu’il n’en n’a pas été fait.
- Oh ! Regardez : maman a signé son acte de mariage mais elle a inversé deux lettres : « Phiolmene » au lieu de « Philomène » !

Signature Philomène Prost, 1873 © AD01

- Ça  devait être l’émotion !
- Sur nos actes de mariage elle ne signait que « Prost » ajoutèrent en cœur les filles.
- Vous vous rendez compte quand même : elle est née sous la Monarchie de Juillet et le règne de Louis-Philippe, a connu successivement la Second République avec Louis Napoléon Bonaparte, le Second Empire avec Napoléon III, s’est mariée sous la Troisième République, a vécu sous 10 Présidents avant de s’éteindre sous le mandat de Gaston Doumergue !
- Et tous ces bouleversement de la société : les soubresauts politiques, mais aussi la Révolution industrielle, l’école obligatoire, la séparation des Églises et de l’État, les inventions comme la voiture, la Grande Guerre.
- Pourtant, il reste si peu de choses d’elle. Nous ne savons pas comment elle a vécu tous ces bouleversements, nous ne l’avons jamais questionné.
- Nous n’y avons même jamais pensé !
- Comme je le regrette aujourd’hui.
- Combien de fois je l’ai vue inquiète lorsque j’étais malade « de l’albumine » en 1912 [1] songea Marie Félicie.
- Elle s’inquiétait toujours.
- C’était une mère…
- Notre mère.


Marie Philomène Prost est née le 3 mars 1843 à Martignat (Ain). Elle a épousé Alphonse Élie Frédéric Gros le 22 février 1873 à Martignat et est décédée le 14 septembre 1928, toujours à Martignat. Ensemble ils ont eu trois enfants. Elle est mon sosa n°23, c'est-à-dire la grand-mère de ma grand-mère paternelle. Tous les détails mentionnés dans cette scène imaginaire sont issus des sources que j'ai pu trouver la concernant.


[1] L'albumine est la principale protéine du sang, soluble dans l'eau et fabriquée par le foie. Elle empêche la fuite de l'eau contenue dans le sang (plus précisément le plasma) vers les tissus, où elle est susceptible d'entraîner des œdèmes (collection d'eau dans les tissus). Un niveau inférieur à la normale d'albumine peut être un signe de maladie des reins ou du foie.


samedi 18 février 2017

#RDVAncestral : Louise, mariée à 12 ans

Les petites sautillaient autour de Louise, admiratives. Marie 8 ans, Estiennaz 5 ans et même Claudine 2 ans, sur ses petites jambes malhabiles, imitant ses grandes sœurs. C'est la nouvelle robe de Louise qui suscitaient ainsi l'admiration. Clauda, leur mère, les surveillait du coin de l’œil, occupée aux tâches quotidiennes de l’entretien de la maison. Je ne sais pas où est Benoite, la sœur aînée âgée de 16 ans. Depuis le décès du petit Jean Antoine qui n'a vécu que 3 mois, il n'y a que des filles dans la maison.

Je regarde Louise. La nouvelle robe lui plaît, bien sûr. C'est pas tous les jours que sa mère lui confectionne une nouvelle robe. Mais en même temps elle a l'air un peu triste. Elle regarde le coffret en bois qui l'attend. C'est son père Benoît, laboureur, qui l'a fabriqué après ses journées de travail, dans le plus grand secret. Il est petit et ne contient que quelques rares effets : sa robe de tous les jours, une aune de toile et deux serviettes un peu usées. Mais c'est le sien. Ça lui a fait bien plaisir quand son père le lui a donné hier soir.
Mais ce coffre et cette robe, c'est aussi le signe du départ. Aujourd'hui Louise quitte sa famille. Elle va dans la vallée voisine, autant dire le bout du monde ! Reverra-t-elle ses proches ?

Et surtout... Ce voyage n'est pas ordinaire, comme quand on va à la foire ou dans un autre village pour une veillée. Non, cette fois Louise s'en va pour suivre son mari. Ce Claude qu'elle a épousé ce matin en l'église de Lantenay. Elle ne le connaît pas ce Claude. Elle sait juste qu'il est tailleur d'habits. En plus il est vieux ! Il a au moins 20 ans, voir plus ! Du haut de ses 12 ans, pour Louise, c'est un vieillard... Car, oui, Louise n'a que 12 ans et vient de se marier.


Jeune fille vintage © via littlepinkstudio.typepad.com sur Pinterest

- Bon allez, ça suffit maintenant !
Clauda met fin au chahut des petites.
- Le charriot est prêt : c'est l'heure.

Louise sent les larmes lui monter aux yeux. Il faut dire que sa mère n'en mène pas large non plus. C'est sa petite qui la quitte aujourd'hui, tout de même. Je crois qu'au dernier moment, le courage lui manque. Je propose donc d'accompagner Louise : d'un signe de tête Clauda me remercie.
Je prends le coffret sous le bras et Louise par la main. Nous sortons de la maison sans un mot et nous nous dirigeons vers le charriot qui attend la jeune épousée.

J'essaie de la réconforter comme je peux, mais il est vrai qu'avec ma mentalité du XXIème siècle j'ai un peu de mal à me réjouir d'une mariée de 12 ans ! On dit en général que le mariage est le plus beau jour dans la vie d'une femme. Mais à 12 ans... Ces usages ne sont plus dans nos habitudes et sont presque devenus choquants pour nous. Cependant Louise tient fort ma main dans la sienne, accrochée à moi comme un noyé à une bouée. Alors j'essaie de lui parler, de la rassurer.

- Ne t'inquiète pas Louise : il n'est pas si vieux ce Claude. Il n'a que 21 ans [Bon, c'est le quasiment le double de ton âge, mais ça pourrait être pire... : décidément, il y a des choses qui ne sont pas bonnes à dire]. Tu vas avoir ta maison à toi. Et bientôt des enfants. Et puis Brenod, n'est pas si loin.

Nous sommes déjà arrivées au charriot. Je pose le coffret et j'installe confortablement Louise, une couverture autour des épaules : à près de 1 000 m d'altitude en plein mois de novembre il peut faire très froid sur les routes. Elle semble un peu réconfortée. Je sais que son inquiétude va passer avec le temps. Et puis, dès l'année prochaine elle mettra au monde un fils; suivi de trois autres enfants. Après le décès de Claude, elle se mariera à nouveau. Elle aura cette fois 27 ans et déjà presque toute une vie derrière elle. Encore deux enfants. La vie qui continue. Finalement Louise s'éteindra à 59 ans.


Louise Baland, mon ancêtre à la 13ème génération (sosa n°5371) est à ce jour la plus jeune épousée de ma généalogie : mariée le 13 novembre 1657 à Lantenay (Ain) à 12 ans seulement avec Claude Massonet (âge probable : 21 ans).

Pour les curieux : afin de se rappeler de la différence entre nubilité (âge à partir duquel on peut se marier) et majorité matrimoniale (âge à partir duquel on peut se marier sans le consentement parental ni celui d’un tuteur) au cours du temps, voir le récent article du blog de Stefieh Ils étaient une fois... bienvenue chez mes ancêtres "N comme nubilité et majorité matrimoniale").


samedi 4 février 2017

#Généathème : généalogie côté insolite

Je n’ai pas souvenir d’en avoir rencontré après la Révolution, sans doute à cause des pages pré-remplies et à la rigueur des officiers d’État civil. Cependant, lorsque que c’était les curés qui tenaient les registres de baptêmes, mariages et sépultures (BMS), il n’est pas rare de croiser quelques digressions dans la marge ou carrément au sein du registre. Plus ou moins longues, cela peut être un dessin, le compte rendu d’une visite pastorale, le détail de travaux faits sur l’église. Très courantes sont les observations météorologiques (deux d'entre elles furent à l'origine de l'article L'effet papillon sur ce blog).

Je me rappelle avoir lu le récit d’une avalanche particulièrement destructrice, sur les hauts plateaux de l’Ain. Mais impossible de retrouver la date et la paroisse concernée ! Depuis, et sur les conseils de @gazetteancetres, à chaque fois que je rencontre une de ces mentions insolites, je l’enregistre dans un dossier dédié.

C’est ainsi que je peux aujourd’hui facilement ressortir celle-ci (parmi d'autres). Il s’agit d’une note d'un curé, nommé Récamier, en poste à Villes (Ain) dans les années 1730. La note commence sur l'avant dernier feuillet du registre BMS de la paroisse, à peu près au milieu d'une page (celle-ci débutant comme il se doit par les mentions de baptêmes et de décès, avant de laisser place audit commentaire). Sur le feuillet suivant, le début de la page concerne un acte de baptême, finalement rayé avec cette note dans la marge « il est écrit dans le registre suivant ». Tout le reste de la page est occupé par la fin de la fameuse note du curé. Ce qui suppose qu'elle a été écrite à postériori, là où il y avait de la place. Cette note est une véritable diatribe, au ton plutôt vif. Car, inutile de le cacher plus longtemps, M. le Curé est – de toute évidence – très en colère.
Un conflit l’oppose à l’un de ses paroissiens… pour une question d’argent.

Mais notre curé colérique ne manque pas d’ironie, commençant son texte par cette formule savoureuse « J’aurais laissé dans un entier oubli ce qui suit ». Il explique comment Pierre Bernard, orphelin de père, avait été placé en apprentissage chez un marchand toilier durant six ans. Le curé pense qu’il y a simplement « perdu son temps ». De retour chez sa mère et ses sœurs, il porte des accusations contre le curé, sans toutefois lui en parler directement mais en répandant des commérages « dans ce vilage ». Il prétend en effet « que ses parents avaient contribué aux réparations de l’église » ; « quoy que cela est très faux » rétorque le curé, insistant sur la « sotte vanité » dont fait preuve son paroissien. Il précise même que le père, feu Claude Bernard, « n’a jamais fourny ny un sol ny la valleur dicelluy pour la batisse en réparation de notre église ». Contrairement à « tous les autres habitants [qui y ont] contribué », chacun selon leurs capacités : « les uns en naydant à creuser les fondations », les autres en fournissant « les matériaux comme sable et pierre », voire en « faisant un four à chaux ». Et tous ces travaux ont été réalisés les jours de fêtes (normalement chômés), grâce à une autorisation spéciale de l’évêque. En lisant cette note, on perçoit la tension du curé crisser sous sa plume, à tel point que, tellement énervé contre son paroissien, il se refuse même à écrire de nouveau son nom, disant simplement « de l’autre part nommé ». On sent sous cette mention que des insultes, bien peu chrétiennes, auraient pu se libérer d’un coup. Quand à l’argent fourni, car il y a bien eu des dons en argent, « le curé soussigné […] en remercie Dieu de luy en avoir donné la pensé [= de s’en être rappelé ?] […] il est vray que il y a eu environ 130 livres qui ne sont pas de mon bien mais que je ne déclare pas non [plus] quelles proviennent d’aucune restitution mais elles sont venue d’une bourse dont le propriétaire n’en a pas scu l’employer, pieux et legitime. »

Non mais !

Diatribe à Villes, registre paroissial de Villes, 1734 © AD01

[première page] « J’aurais laissé dans un entier oubli ce qui suit mais
la sotte vanité de Pierre fils de feu Claude Bernard et
qui appres avoir perdu son temps  chez un marchand
toilier où il avait été mis pendant six ans par ses
parents pour y apprendre ce negoce, s’est venu revivre
dans sa maison a villes avec sa mere et ses sœurs , disoit
dans ce vilage, que ses parents avaient contribué aux
réparations de l’église de ce lieu quoy que cela est très
faux, je déclare que claude bernard enfant de feu Pierre
Bernard et qui socupoit à faire valoir son moulin
n’a jamais fourny ny un sol ny la valleur dicelluy
pour la batisse en réparation de notre église quoy que
tous les autres habitants y ayant contribué chacun [?]

[seconde page] comme il a pû les uns en naydant à creuser les
fondations les autres a fournir les matériaux comme
sable et pierre et tous a lexclusion dudit [… ?] qui est
de lautre part nommé, en faisant un four à chaux 
et le tout les jours de fetes par la permission
accordée par le seigneur eveque et tout largent fourni
par le curé soussigné qui remercie Dieu de luy
en avoir donné la pensé et le pouvoir de leffectuer
Il est vray que il y a eu environ 130 livres qui ne sont
pas de mon bien mais que je ne déclare pas non quelles
proviennent d’aucune restitution mais elles sont
venue d’une bourse dont le propriétaire n’en a pas
scu l’employer pieux et legitime ny pu le scavoir
cest tout ce que jassure en me signant
Recamier curé »

samedi 14 janvier 2017

#Généathème : paléographie mon amour

Je suis autodidacte en paléographie : jamais formée officiellement, j’ai appris sur le tas. Au début grâce au déchiffrage des actes d’état civil ou paroissiaux. Ce ne fut pas très compliqué : textes courts, formules toujours quasi identiques. Quelques nouveaux patronymes m’ont parfois fait trébucher. Puis j’ai étendu mes recherches généalogiques à d’autres sources :
  •  Recensements,
  • Listes électorales,
  • Registres de succession,
  • Cahiers de doléances,
  • Registres militaires…
Les premiers ne sont qu’une liste de noms. Parfois quelques métiers viennent s’ajouter, certains restants obscurs. Les derniers sont un peu détaillés et un peu mystérieux (ah les abréviations militaires !).
Et puis je suis tombée dans les registres notariaux :
  • Contrats de mariage,
  • Testaments,
  • Inventaire après décès,
  • Ventes,
  • Quittances,
  • Affermages,
  • etc…
C’est à cause de ma grande-cousine Bernadette qui m’a prêté les copies des actes qu’elle avait photographié. Au début j’ai bien galéré : les photos n’étaient pas toujours de bonne qualité (question de flous ou bien simplement de reliures trop serrées…). J’ai parfois essayé de redemander des photos des originaux aux archives départementales, mais entre temps, les registres n’étaient plus consultables. Alors j’ai fait avec. Mes premières armes ont commencé dans les tranchées !
La paléographie c’est comme une langue étrangère : tu perds très vite si tu ne pratiques pas. Au début, mes transcriptions étaient pleines de trous : en plus de l’écriture propre à chaque notaire (et à laquelle il faut se réhabituer à chaque fois), il y avait de nouvelles formules que je ne connaissais pas. J’ai aussi compris l’importance des règles d’orthographe : les césures entre les mots, l’écriture phonétique, les lettres qui existaient autrefois dans les mots (disparues au fil du temps…). Et puis il y a les mots régionaux, que tu ne connais pas parce que tu n’habites pas la région en question ou même parce qu’ils ne sont plus utilisés aujourd’hui. Cela m’a d’ailleurs inspiré un article sur le blog, qui a beaucoup de succès : le Bescherelle de la généalogie.
Puis, petit à petit, d’un acte à l’autre, d’un notaire à l’autre, le brouillard a commencé à se dissiper. Je ne dis pas que je suis devenue une pro, mais globalement je comprends assez bien le sens de ce que je lis. Et il faut bien l’avouer : c’est nettement plus enrichissant d’explorer ces sources que les simples actes d’état civil. Cela donne du corps, de la chaire à la vie de nos ancêtres. Pauvres ou riches, citadins ou campagnards, on découvre leurs cadres de vie, leurs us et coutumes. Leur existence quoi. Maintenant que j’ai acquis une certaine expérience, je me dis que je devrais reprendre un à un les premiers actes difficilement déchiffrés parce que je serai sans doute capable de les transcrire beaucoup mieux aujourd’hui. Mais je n’ai jamais eu le courage (sans compter qu’au fur et à mesure des mises en ligne, le tas de documents en attente de transcription s’est largement étoffé).
Ce généathème est l’occasion de me replonger dans ces premiers documents.

Brève explication de transcription personnelle :
  • j’ai laissé l’orthographe d'origine
  • quand je ne suis pas sûre d’un mot je le fais suivre d’un [ ?]
  • quand je n’arrive pas à déchiffrer un mot (ou une suite de mots) je mets un [… ?]
J’ai choisi ici un document au hasard : nous sommes dans l’Ain en 1710. Il s’agit d’un contrat de mariage. Petite originalité : il a été rédigé six mois après le mariage ! Pour les courageux qui ont envie de voyager avec moi, je remets la photo du document, la transcription originale (2013) et les corrections apportées aujourd’hui :
  •  un mot rayé suivi d’un autre en gras est signe d’une seconde lecture corrigée aujourd’hui,
  • un [ ?] ou un [… ?] rayés : de même.
A noter :
  • les « griffonnages » (sic) dans la marge n’ont pas été transcrits !
  • avant ce contrat de mariage, les protagonistes étaient connus comme François Jannay et Andréanne (ou Andrianne, Andréaz, Andriaz) Buffard. Dans l’Ain les surnoms sont courants, d’où celui donné au père d’Andréanne « Bon garçon ».
  • j’ai parfois ajouté un espace pour une meilleure compréhension du texte, symbolisé par un tiret bas _.
  • à la relecture, je me suis aperçue que j’avais sauté une ligne (deux fois) et donc oublié une portion de phrase : texte retranscrit en gras.
CM Jannay François, 1710 © AD01



1          Mariage entre françois fils d’aymé
Jehannay de la laverhne d’une part et
Andreaz fillie de feu_jean buffard dit bon
garçon des gallanchon d’autre

5          Comme ainsy soit que mariage aye esté cy devant Traitté
en face de nottre mere Saincte Eglise et du depuis [ ?] consommé
entre françois fils d’aymé Jehannay demeurant la grange de la
[Laverhne en interligne] paroisse de_lalleyriaz d’une part et andreaz fillie de feu jean
Buffard dit bon garçon, et de bernardine Jacquiod cary du lieu
10        des gallanchon paroisse d’ardon d’autre, Les conventions
duquel les parties nont encor faict redigées par escrit pour
ne s’estre [… ?] Trouvés en commoditté de ce faire, dans laquelle
estants [… ?] a_presant elles ont desires exiger faire rediger leurs dittes
convention par[… ?]  escrit aux fins qu’il en soit mémoire,
15        Pour ce est il qui le que ce jourd’huy neufiesme juin mil sept cent
et dix apres midy, par devant le nore [notaire] royal soubsigné, et
presents les_temoins bas nommés fut presente lad[ite] bernardine
Jacquinod cary [deux mots rayés] veuve dudit jean buffard, la mere
delad[ite] andreaz buffard Laquelle ayant le present_mariage
20        pour agreable et se rejoüyssance d’icelluy, a_donné et
constitué comme par ces presentes [… ?] elle donne constitue * a lad[ite]
andreaz buffard sa fillie, et pour elle audit jehannay son
mary icy presant et occupant icelle buffard procedant
de_l’authorité dud[it] françois jehannay sond[it] mary qui precede procède
25        aussy de celle dudit aymé jahannay son père de mesme icy přt [present]
a_scavoir La_somme de quatre vingt Livres, un couvert pour couverture
moitie laine, et moitie fillet [ ?], et un coffre bois noyer_fermant
a_clef, payables laditte constitution par les héritiers de laditte jacquinod
une année apres son décès avec interests passé le terme icy
30        par aupres [ ?] lequels [ ?] au dossier [ ?] vingt du consement [ ?] des parties
[mot rayé] [… ?] tenan [ ?] lad[ite] constitution pour tous droit maternels
quel [… ?] que_lad[ite] andreaz buffard pourroit avoir esperer, et_pretendre
aux biens de sad[ite] mere en quoy quils constituent en [ ?] et puissant [ ?] puissent
connaitre constitue mesme endroit de largument [ ?] l’augment de ladite Jacquinod cary
35        a tous [… ?]  lesquels droits icelle andreaz buffard de l’authorité dud[it]
françois Jehannay son mary qui procede toujours de celle dud[it]
aymé Jehannay son père elle a renoncé, et renoncera purement
et simplement en faveur de sad[ite] mere se [… ?] recognue puissant [ ?] tant [ ?] bien
[… ?] portionne en et plus que legitime saufs a loyalle [… ?] eschautte [ ?]
40        quand du de droit elles luy arrivera, sest [… ?] establye
laditte andreaz buffard, laquelle sest constitue en faisant faveur
des [… ?] du cy presant mariage elle, et tout, et uns chascuns ses biens
qui consistent en la somme de cent livres, une vache, une
chevre, une brebis, un habit de bon drapt, vingt aulnes de toille
45        de menage, et trois aulnes de [… ?] mentil le tout a elle legue
par feu jean buffard son ayeul, et la et Honnette Thomasset son
ayeule par un testament mutuel reçu ledit jedit nore [notaire]  le
quatorzieme quatriesme may mil sept cent quattre [… ?] biens, en et hoiries
desquels au moyen dudit legat et dudit argument [ ?] augment d’icelluy aux
50        termes portés par led[it] testament quelle andreaz buffard de
lauthorite quelle procede a renonce, et renonce, par le presant
aussy bien quai droit de largument laugment de lad[ite] thomasset en faveur
de claude, et françois buffard dit bon garçon ses freres sauf
toujours sa loyalle estiennette eschautte [ ?], laquelle constitué, en et legat
55        cy dessus lesd[it] jehannay père et fils promoteur promettent assignes [… ?]
le suffisants biens chose [ ?] quil auront le tout reçu au proffit
de laditte andreaz buffard, car de laugment suivant la
coustume de ce pays, en la qualité des parties mesme [… ?] lesd[its] chacuns
père de nourrie [ ?] nourrir, celeste [ ?] et tous et entretenir dans sa communion [ ?] led[it] françois
60        jehannay son fils dans sa ferme et sa famille [ ?] en y
[… ?] travaillant de tous leur possible le tout ny [… ?] sy sont este ainsy
faict [… ?] connu et accordé entre lesd[ites] parties lesquelles ont 
promis d’avoir a gre, et respectivement observe tout le
contenu au present contrat sans jamais y contravenir [ ?] contrevenir
65        directement ny indirectement, a_peyne [ ?] de tous depens,
dommages et interests, [… ?] soub obligation de tous leurs biens dottant dottaux et
paraphe [ ?] un a un de lad[ite] Jacquinod cary, constitutions, soubmissions,
renonciations, et clause requises, faict et passé a chatillon
jour des foires dessus les galleries de la maison [… ?] a
[... ?]  present louis moyen dit bechar de monsieur demeurant [… ?],
70        [... ?]  de chatillon, et claude fils de louis moyen
dit bechar de cheysery [… ?] a [… ?]
temoins requis qui n’ont ny les parties signés pour ne
scavoir de ce enquis * en dot et mariage
75        Perrin notaire royal


Bon, il reste quelques trous, mais j'ai progressé tout de même. Maintenant il me reste 31 autres documents trouvés aux archives de l'Ain (mes premiers) à reprendre... Si j'en ai le courage !


vendredi 18 mars 2016

Laissons faire le hasard

Un peu en panne d'inspiration, je ne sais pas sur quel sujet/ancêtre écrire un nouveau billet. Alors je laisse faire le hasard : je lance les dés et c'est le n°45 qui sort. Je vais donc vous parler de mon sosa n°45; ou plutôt "ma" sosa, car c'est une femme (numéro impair oblige).

Marie Victorine Cochet est originaire de l'Ain, dans la vallée de l'Ange. Elle est née à Martignat en 1820, sous l'époque de la Restauration, lorsque les Bourbons reviennent au pouvoir. Ses parents sont cultivateurs et travaillent une terre de basse montagne (entre 500 et 980 m), où l'on fait pousser du froment, du seigle, de l'orge, fait du commerce de bestiaux et de bois. Activités principales que l'on complète par la fabrication de soieries, du tissage à domicile et de petites fabriques de peignes. La commune compte alors un peu moins de 700 habitants.

Martignat © Delcampe


D'après les actes officiels, il semble qu'on l'appelait usuellement Victorine : c'est le prénom que l'on gardera ici. Elle est restée fille unique après le décès de son seul frère, prénommé François Marie, décédé à l'âge de 7 mois, trois ans avant sa propre naissance.

Le père de Victorine, Claude (je vous épargne ses autres prénoms) tient une bonne place dans les records de ma généalogie : il a 62 ans lorsque naît sa fille. Il a aussi 21 ans de plus que son épouse Jeanne. Pourquoi a-t-il attendu l'âge de 57 ans pour se marier ? L'histoire ne le dit pas. Néanmoins il va vivre jusqu'en 1840, voyant sa fille grandir et se marier. Autre curiosité : Claude et Jeanne meurent à un mois d'intervalle en avril et mai 1840.

Claude apparaît dans les tables de succession d'Oyonnax : son héritière est sa fille Victorine. Il n'y a pas de détail sur la succession (les registres correspondant n'étant pas encore numérisés), néanmoins selon les biens déclarés, la valeur du mobilier, argent, rentes et créances s'élève à 107 francs et le revenu des immeubles situés à Martignat à 34 francs. Un mois plus tard, sa mère lègue à Victorine des biens dont la valeur du mobilier, argent, rentes et créances s'élève à 300 francs et le revenu des immeubles situés à Martignat à 14 francs 50 centimes. Grande différence de valeur en un mois seulement !

Juste avant le décès de ses parents, en février, Victorine a épousé Hippolyte Gros, un cultivateur de Groissiat. Elle déménage chez lui, dans sa ferme familiale (il est le seul fils de la fratrie) puisqu’on la retrouve ensuite dans cette petite commune voisine. Hippolyte a 9 ans de plus qu'elle. Ils auront deux enfants seulement. Mais le mariage ne va pas durer très longtemps car il décède 7 ans plus tard.

Bien que dit "propriétaire", on pourrait penser qu'Hippolyte une condition moins élevée que celle de Victorine car lors de son décès en avril 1847 les biens déclarés et le revenu des immeubles situés à Groissiat ne s'élèvent qu'à 25 francs 75 centimes. Ses héritiers sont ses enfants.

Sa veuve fera une demande d'inventaire des biens Gros en septembre 1848 (détails demandés encore en attente... affaire à suivre). Cette demande comprend les biens d'Hippolyte, mais aussi de ceux de son père Jean Antoine, décédé entre temps. On peut donc apporter une nuance dans le propos sur la condition sociale d'Hippolyte : le père, encore vivant lors du décès du fils, est lui beaucoup plus "riche" (la valeur du mobilier, argent, rentes et créances s’élevant à 782 francs et 78 centimes et le revenu des immeubles situés à Groissiat et Martignat à 157 francs). Hippolyte aurait sans doute hérité des biens de son père s'il ne l'avait pas précédé dans l'autre monde et aurait eu des biens à la valeur plus élevée.

Avec deux enfants de 6 et 4 ans, Victorine ne reste pas seule très longtemps : en 1851 elle épouse en secondes noces Jean Joseph Pesant; cultivateur lui aussi, originaire des environs, à Izernore. Un fils naîtra l'année suivante.

Lors de ce mariage elle est qualifiée de "dame", mais ce titre ne doit pas refléter son niveau social (comme on le verra plus bas). En 1866 elle marie sa fille, ouvrière en soie. Mais elle ne sera déjà plus là pour le mariage de son fils Elie (de son prénom usuel, mon ancêtre).

Elle quitte ce monde en 1872, à 51 ans seulement. Elle désigne pour héritiers ses enfants (Elie et Henriette, nés de son premier lit ; Eugène né du second). Par sa déclaration de succession, nous savons que la défunte "laisse meubles et immeubles". La valeur du mobilier, argent, rentes et créances s'élève à 107 francs et le revenu des immeubles à 123 francs 60 centimes. Les 107 francs correspondent à ceux figurant sur la succession de son père (mais où sont les 300 francs de feue sa mère ?). Le revenu des immeubles, lui, a nettement progressé. Rien à voir avec la succession de son premier époux. Elle ne semble pas avoir profité des richesses de son (premier) beau-père.

Mais la case "numéro de sommier douteux" est remplie : n°331. Sur ce sommier sont consignés l'existence de droits impayés ou fraudés (mais ces registres ne sont pas conservés aux archives). Quand le contrôleur a réuni les preuves de l'exigibilité d'un droit ou lorsque le contrevenant se reconnaissait débiteur de l'impôt, l'article était annulé et reporté sur le "sommier des droits certains". A l'inverse, si la réclamation est non fondée ou s'il n'y avait pas de preuves suffisantes pour engager des poursuites, l'article était annulé. La succession n'a donc pas été tout à fait ordinaire. Peut-être que le frais ont été un peu longs à régler...

Et voilà comment le hasard a fait "renaître" Marie Victorine. Une courte vie, mais bien remplie...


vendredi 16 octobre 2015

Les deux testaments d'Aimé

Aimé Jannay est mon ancêtre à la 11ème génération (sosa n°1304). Il est  sans doute né à Lalleyriat (01) vers 1640 - l'absence des registres antérieurs à 1680 ne m'a pas permis d'en savoir davantage sur ce point. Époux d'Aimée Bland, ils ont 8 enfants. Il est tantôt dit laboureur, tantôt grangier (synonyme de métayer).
En 1700 il fait rédiger un testament par Me Vionnet, notaire à Saint Germain de Joux.  Il est alors dans sa cuisine "couché tout proche du feu [...] destenu dans une certaine maladie depuis quelques temps". Rappelons qu'il a environ une soixantaine d'années. Dans ce document il est prénommé Neymod, qui serait une variante du prénom Aimé/Aymé (tout comme Nayme, Amed, Amod, Neymod, Neymoz, Neyme, Nayme).

Lalleyriat

On retrouve dans ce testament les éléments traditionnels de ce type de document :
  • le titre
"Testament nuncupatif [c'est-à-dire effectué dans les formes de la nuncupation : de vive voix et devant témoins] de neymod jannay originaire de chezery demeurant a la grange de lavernhe de la paroisse de laleyria"
  • la date
"Au nom de dieu soit il que lan mil sept cent et le premier jour du mois davril environ sur les trois heures apres midy"
  • la présentation du notaire
"Par devant moy notaire royal hereditaire reservé par sa majesté de st germain de joux soubsigné et en la presence des tesmoins cy apres nommes"
  • la personne et le lieu
"Faict estably et constitué en sa personne neymod jannay laboureur originaire de chezery demeurant dans la grange [métairie] de lavernhe paroisse de laleyria, lequel estant dans la cuisine dicelle grange couché tout proche du feu la destenu dans une certaine maladie depuis quelques temps"
  • la raison du testament
Bien que malade, Aimé jouit "touttefois de ses bons sens, jugement, entendement nont troublés par la grâce du bon dieu". Et "craignant le peril de la mort considerant en la fragilite de ce monde, et que touttes personnes est sujet a mourir une fois, et rien plus certain, et incertain que lheure et advenement dicelle mort, ayman mieux vivre testé que de decede ab intestat [c'est-à-dire sans avoir fait de testament] a celle fin que apres son deces questions querelles noise ny debat entre ses parents heritiers cy bas nommes" il a donc fait son présent testament.
  • la recommandation
"premierement avant touttes choses il a fait comme un bon veritable chrestien le signe de la sainte croix sur son corps en disant in nominé patrix et filii spiritus et sancti amen recommandant sondict corps et ame aubon dieu le createur a la glorieuse sainte vierge marie sa mere et a touttes la cour celeste du paradis"
  • le lieu de la sépulture
"Quand il plaira aubon dieu de le rappeller de ce monde en lauttre et que son ame serat separe de son corps [le testateur souhaite] que sondit corps soit ensepulturé dans le cimetiere de leglise dudit laleyria dans la place et tombeau quil plairat au sieur curé dudit lieu de laleyria". En effet, n'étant pas originaire du lieu, Aimé n'avait pas de caveau familial dans ce cimetière.
  • les dons à l'église
Le testateur "entend et ordonne qu’il soye dict [...] par ledit sieur curé, dans laditte eglise dudit lalleyria le nombre de douze messe de requiem scavoir six grandes et six petittes qui seron dittes et sellebres tant le jour de son trepas que pendan lannée [suivant son décès] payable par une fois par ses heritiers cy bas nommes". 
Il souhaite également donner "a leglise dudit laleyria la somme de trente livres pour estre employé aux reparations que ledit sieur curé trouverat plus appropos estre necessaire faire dans laditte eglise de laleyria payables pour une fois [en une fois] par ses heritiers cy bas nommes". Tout cela fait "pour le sallue et repos de son ame".
  • les legs
 Il souhaite que son épouse "sa bien ayme femme [soit] maistresse gouvernante de leurs enfants et usufruitiere de tous et un chacuns ses biens meubles et immeubles present et advenir sans compte rendre [...] pendant sa vie naturelle durant pendant le temps quelle vivrat honnestement en viduitté [veuvage] soubs le nom dudit son mary sans convollé en secondes noces". Il rappelle qu'il a reçu de son épouse la somme de 150 livres et une vache, par sa dot, et "que icelle somme de cent cinquante livres et vache ne sont perdu ny esgarré", mais souhaite qu'ils viennent "en augment [...] de ses biens meubles et immeubles" sous forme d'hypothèque jusqu'à ce qu'ils "soyent entièrement vendus et rembourses" à son épouse.
A sa fille Françoise, épouse de Jacques Lhiardet, il donne "la somme de cent livres, une vache, un veau dun an, un habit de bon drap de nopce".
A ses autres filles Marie (épouse de Pierre Pernod Melod), Anne (épouse de Pierre Pernod Denisa) et Jeanne (épouse Jean Baptiste Buffard) il donne la même chose. A Bernarde (non encore mariée), il promet 150 livres, une vache, un veau et habit de bon drapt de couleur payable trois ans après son mariage "et jusqua ce que son party se presente en loyal mariage elle aurat sa demeurance avec sa mere, et heritieres avec lesquels elle serat norrie vestue et entretenue honnestement".
Enfin "il a fait crée nommé de sa propre bouche nomme et institue pour ses heritiers universels et particulliers chascuns pour esgalle part et portion a scavoir joseph, françois et claude" ses trois fils (non encore mariés).
  • les témoins et signatures 
Le document se termine par l'énumération des témoins, leurs éventuelles signatures (pour ceux qui savent signer), ainsi que celle du notaire bien sûr. 


Cependant, malgré la maladie, Aimé va survivre. Et on le retrouve dix ans plus tard, mettant à jour son testament, devant le même notaire. Voyons les différences entre les deux documents :
  • le titre
Il est identique, mis à part le fait qu'Aimé est dit "honnête", titre donné aux hommes ou femmes plutôt situés dans le bas de l'échelle sociale, mais dont la famille a fait preuve d'une certaine probité.
  • la date et la présentation du notaire  
Ils répondent à des normes de rédaction et sont donc similaires au premier testament.
  • la personne, le lieu et la raison du testament
La présentation de la personne est identique, mais cette fois Aimé n'est pas chez lui : il est à Châtillon - paroisse voisine de Lalleyriat - chez Jean Crochet (un ami peut-être ?), un jour de foire "sur les galleries de la maison [...] ou demeure honnete jean crochet assis sur un banc en une bonne parfaitte sante mémoire de ses bons sens et entendement non trouble par la grâce du bon dieu se voyant reclus dans un aage grandement avancé en vieillesse". Ce n'est donc plus la maladie qui suscite ce testament, mais l'âge : Aimé a environ 70 ans.
  • la recommandation, le lieu de la sépulture et les dons à l'église
Aimé n'a pas varié dans ses intentions sur ces points. 
  • les legs
De la même manière, il laisse son épouse usufruitière de ses biens, sans qu'elle n'ait de compte à rendre à personne, tant qu'elle reste veuve sans se remarier. Concernant sa dot (150 livres et une vache), il les laisse en hypothèque jusqu'à ce que la valeur en soit remboursée à son épouse; comme dans le premier testament.
Concernant sa fille Françoise, le testateur "dict et declare avoir dejat cy devant donné dotté [...] la somme de cent livres, une vache, un veau dun an, un habit de bon drapt de colleur que le tout leurs auroit esté payé". Le legs ayant déjà été reçu, elle n'a plus rien à attendre ni espérer de ce nouveau testament.
Même chose pour Marie, Anne et Jeanne. Pour Bernarde, le notaire commence par reproduire le passage la citant dans le premier testament. Se rendant compte de son erreur, il raye le paragraphe et en rédige un nouveau, similaire à ceux concernant ses sœurs. Or, Bernarde est morte de suites de couches depuis 7 ans déjà ! Il n'est fait aucune mention de legs au fils de ladite Bernarde, ni aucun de ses autres petits-enfants.
Il est plus prolixe pour son fils aîné Joseph à qui il lègue "la somme de quattres cent livres [...] et cest outtre auttres somme de seize livres, trois vingt et douze mesure [= 72] de bleds tant orge, avoine que legume, un pot a feut de fert valliant trois livres, un chauderon dairin de la valleur de six livres, une poille affrire de fert, trois tasseaud servant au labourages, une achon [= petite hache], une caugnye [= cognée = hache], un goy [= serpe], un pert [= une paire] danchapplat [outil agricole ou servant à la maçonnerie peut-être], un[e] faux avec sa garniture, cinq lineaux [= pièces de lin, draps], une couverte [= couverture] moitie laine et fillet, deux serres propres à serrer le bois une grande et lauttres petitte, trois vaches, une genisse de deux ans, deux veaux de laict, et deux chevrot de laict, avec touttes la vesselles de bois, et meubles de bois pour servir à manger". Les maigres possessions d'un laboureur de montagne du Jura Sud.
Le notaire revient ensuite sur la dot de Bernarde, précisant qu'elle a déjà été payée. Beaucoup de confusion autour de la cinquième fille d'Aimé. On ignore cependant si elle vient d'Aimé ou du notaire (ou les deux !). Je ne connais pas l'âge du notaire, mais il est actif de 1676 à 1718 : il ne doit pas être tout jeune non plus...
Plus loin, ce sont des renvois et répétitions de mots : il "fait, cree, cree [sic] de sa propre bouche nomme et institue pour pour [sic] ses deux heritiers universel et particulliers chascuns pour esgalle part et portion a scavoir françois et claude janney" ses deux autres fils.
Comme dans le premier document, le testateur précise qu'il "veut entend et ordonne que tous ses debtes legats et œuvres pies soyent paye [...] incontinant appres son deces" et que au cas où "advenant que lun ou lauttre desdits deux heritiers ne veuille bien sacomoder avec lauttre et que icelluy qui portent quelque conteste et dificulte contraire" ses biens soient partagés entre ses héritiers ou leurs proches parents avec le consentement de leur mère "sans figure de proces".
  • les témoins et signatures
Ils sont similaires dans la forme (mais les témoins ont changés).
Une mention a été ajoutée, naturellement, ce nouveau testament "cassant revocquant et annullant tous auttres testament codicille ou donnation quil porroit avoir cy devant faict" notamment celui fait en 1700. 
Le document se termine par les renvois et oublis faits dans le corps du texte, dont celui-ci : "approuvant la ratture de quinze lignes".

Les deux documents sont donc assez similaires, hormis la mise à jour des dots des filles qui ont été payées et le legs de Joseph qui est davantage détaillé; traces fugaces d'une existence qui a continué à s'écouler. Mais Aimé n'a pas varié dans ses intentions globales.

Malgré sa vieillesse, la vie va continuer pour Aimé, jusqu'à atteindre "environ quatre vingt huit années" : il décède en mars 1728.