« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 16 octobre 2015

Les deux testaments d'Aimé

Aimé Jannay est mon ancêtre à la 11ème génération (sosa n°1304). Il est  sans doute né à Lalleyriat (01) vers 1640 - l'absence des registres antérieurs à 1680 ne m'a pas permis d'en savoir davantage sur ce point. Époux d'Aimée Bland, ils ont 8 enfants. Il est tantôt dit laboureur, tantôt grangier (synonyme de métayer).
En 1700 il fait rédiger un testament par Me Vionnet, notaire à Saint Germain de Joux.  Il est alors dans sa cuisine "couché tout proche du feu [...] destenu dans une certaine maladie depuis quelques temps". Rappelons qu'il a environ une soixantaine d'années. Dans ce document il est prénommé Neymod, qui serait une variante du prénom Aimé/Aymé (tout comme Nayme, Amed, Amod, Neymod, Neymoz, Neyme, Nayme).

Lalleyriat

On retrouve dans ce testament les éléments traditionnels de ce type de document :
  • le titre
"Testament nuncupatif [c'est-à-dire effectué dans les formes de la nuncupation : de vive voix et devant témoins] de neymod jannay originaire de chezery demeurant a la grange de lavernhe de la paroisse de laleyria"
  • la date
"Au nom de dieu soit il que lan mil sept cent et le premier jour du mois davril environ sur les trois heures apres midy"
  • la présentation du notaire
"Par devant moy notaire royal hereditaire reservé par sa majesté de st germain de joux soubsigné et en la presence des tesmoins cy apres nommes"
  • la personne et le lieu
"Faict estably et constitué en sa personne neymod jannay laboureur originaire de chezery demeurant dans la grange [métairie] de lavernhe paroisse de laleyria, lequel estant dans la cuisine dicelle grange couché tout proche du feu la destenu dans une certaine maladie depuis quelques temps"
  • la raison du testament
Bien que malade, Aimé jouit "touttefois de ses bons sens, jugement, entendement nont troublés par la grâce du bon dieu". Et "craignant le peril de la mort considerant en la fragilite de ce monde, et que touttes personnes est sujet a mourir une fois, et rien plus certain, et incertain que lheure et advenement dicelle mort, ayman mieux vivre testé que de decede ab intestat [c'est-à-dire sans avoir fait de testament] a celle fin que apres son deces questions querelles noise ny debat entre ses parents heritiers cy bas nommes" il a donc fait son présent testament.
  • la recommandation
"premierement avant touttes choses il a fait comme un bon veritable chrestien le signe de la sainte croix sur son corps en disant in nominé patrix et filii spiritus et sancti amen recommandant sondict corps et ame aubon dieu le createur a la glorieuse sainte vierge marie sa mere et a touttes la cour celeste du paradis"
  • le lieu de la sépulture
"Quand il plaira aubon dieu de le rappeller de ce monde en lauttre et que son ame serat separe de son corps [le testateur souhaite] que sondit corps soit ensepulturé dans le cimetiere de leglise dudit laleyria dans la place et tombeau quil plairat au sieur curé dudit lieu de laleyria". En effet, n'étant pas originaire du lieu, Aimé n'avait pas de caveau familial dans ce cimetière.
  • les dons à l'église
Le testateur "entend et ordonne qu’il soye dict [...] par ledit sieur curé, dans laditte eglise dudit lalleyria le nombre de douze messe de requiem scavoir six grandes et six petittes qui seron dittes et sellebres tant le jour de son trepas que pendan lannée [suivant son décès] payable par une fois par ses heritiers cy bas nommes". 
Il souhaite également donner "a leglise dudit laleyria la somme de trente livres pour estre employé aux reparations que ledit sieur curé trouverat plus appropos estre necessaire faire dans laditte eglise de laleyria payables pour une fois [en une fois] par ses heritiers cy bas nommes". Tout cela fait "pour le sallue et repos de son ame".
  • les legs
 Il souhaite que son épouse "sa bien ayme femme [soit] maistresse gouvernante de leurs enfants et usufruitiere de tous et un chacuns ses biens meubles et immeubles present et advenir sans compte rendre [...] pendant sa vie naturelle durant pendant le temps quelle vivrat honnestement en viduitté [veuvage] soubs le nom dudit son mary sans convollé en secondes noces". Il rappelle qu'il a reçu de son épouse la somme de 150 livres et une vache, par sa dot, et "que icelle somme de cent cinquante livres et vache ne sont perdu ny esgarré", mais souhaite qu'ils viennent "en augment [...] de ses biens meubles et immeubles" sous forme d'hypothèque jusqu'à ce qu'ils "soyent entièrement vendus et rembourses" à son épouse.
A sa fille Françoise, épouse de Jacques Lhiardet, il donne "la somme de cent livres, une vache, un veau dun an, un habit de bon drap de nopce".
A ses autres filles Marie (épouse de Pierre Pernod Melod), Anne (épouse de Pierre Pernod Denisa) et Jeanne (épouse Jean Baptiste Buffard) il donne la même chose. A Bernarde (non encore mariée), il promet 150 livres, une vache, un veau et habit de bon drapt de couleur payable trois ans après son mariage "et jusqua ce que son party se presente en loyal mariage elle aurat sa demeurance avec sa mere, et heritieres avec lesquels elle serat norrie vestue et entretenue honnestement".
Enfin "il a fait crée nommé de sa propre bouche nomme et institue pour ses heritiers universels et particulliers chascuns pour esgalle part et portion a scavoir joseph, françois et claude" ses trois fils (non encore mariés).
  • les témoins et signatures 
Le document se termine par l'énumération des témoins, leurs éventuelles signatures (pour ceux qui savent signer), ainsi que celle du notaire bien sûr. 


Cependant, malgré la maladie, Aimé va survivre. Et on le retrouve dix ans plus tard, mettant à jour son testament, devant le même notaire. Voyons les différences entre les deux documents :
  • le titre
Il est identique, mis à part le fait qu'Aimé est dit "honnête", titre donné aux hommes ou femmes plutôt situés dans le bas de l'échelle sociale, mais dont la famille a fait preuve d'une certaine probité.
  • la date et la présentation du notaire  
Ils répondent à des normes de rédaction et sont donc similaires au premier testament.
  • la personne, le lieu et la raison du testament
La présentation de la personne est identique, mais cette fois Aimé n'est pas chez lui : il est à Châtillon - paroisse voisine de Lalleyriat - chez Jean Crochet (un ami peut-être ?), un jour de foire "sur les galleries de la maison [...] ou demeure honnete jean crochet assis sur un banc en une bonne parfaitte sante mémoire de ses bons sens et entendement non trouble par la grâce du bon dieu se voyant reclus dans un aage grandement avancé en vieillesse". Ce n'est donc plus la maladie qui suscite ce testament, mais l'âge : Aimé a environ 70 ans.
  • la recommandation, le lieu de la sépulture et les dons à l'église
Aimé n'a pas varié dans ses intentions sur ces points. 
  • les legs
De la même manière, il laisse son épouse usufruitière de ses biens, sans qu'elle n'ait de compte à rendre à personne, tant qu'elle reste veuve sans se remarier. Concernant sa dot (150 livres et une vache), il les laisse en hypothèque jusqu'à ce que la valeur en soit remboursée à son épouse; comme dans le premier testament.
Concernant sa fille Françoise, le testateur "dict et declare avoir dejat cy devant donné dotté [...] la somme de cent livres, une vache, un veau dun an, un habit de bon drapt de colleur que le tout leurs auroit esté payé". Le legs ayant déjà été reçu, elle n'a plus rien à attendre ni espérer de ce nouveau testament.
Même chose pour Marie, Anne et Jeanne. Pour Bernarde, le notaire commence par reproduire le passage la citant dans le premier testament. Se rendant compte de son erreur, il raye le paragraphe et en rédige un nouveau, similaire à ceux concernant ses sœurs. Or, Bernarde est morte de suites de couches depuis 7 ans déjà ! Il n'est fait aucune mention de legs au fils de ladite Bernarde, ni aucun de ses autres petits-enfants.
Il est plus prolixe pour son fils aîné Joseph à qui il lègue "la somme de quattres cent livres [...] et cest outtre auttres somme de seize livres, trois vingt et douze mesure [= 72] de bleds tant orge, avoine que legume, un pot a feut de fert valliant trois livres, un chauderon dairin de la valleur de six livres, une poille affrire de fert, trois tasseaud servant au labourages, une achon [= petite hache], une caugnye [= cognée = hache], un goy [= serpe], un pert [= une paire] danchapplat [outil agricole ou servant à la maçonnerie peut-être], un[e] faux avec sa garniture, cinq lineaux [= pièces de lin, draps], une couverte [= couverture] moitie laine et fillet, deux serres propres à serrer le bois une grande et lauttres petitte, trois vaches, une genisse de deux ans, deux veaux de laict, et deux chevrot de laict, avec touttes la vesselles de bois, et meubles de bois pour servir à manger". Les maigres possessions d'un laboureur de montagne du Jura Sud.
Le notaire revient ensuite sur la dot de Bernarde, précisant qu'elle a déjà été payée. Beaucoup de confusion autour de la cinquième fille d'Aimé. On ignore cependant si elle vient d'Aimé ou du notaire (ou les deux !). Je ne connais pas l'âge du notaire, mais il est actif de 1676 à 1718 : il ne doit pas être tout jeune non plus...
Plus loin, ce sont des renvois et répétitions de mots : il "fait, cree, cree [sic] de sa propre bouche nomme et institue pour pour [sic] ses deux heritiers universel et particulliers chascuns pour esgalle part et portion a scavoir françois et claude janney" ses deux autres fils.
Comme dans le premier document, le testateur précise qu'il "veut entend et ordonne que tous ses debtes legats et œuvres pies soyent paye [...] incontinant appres son deces" et que au cas où "advenant que lun ou lauttre desdits deux heritiers ne veuille bien sacomoder avec lauttre et que icelluy qui portent quelque conteste et dificulte contraire" ses biens soient partagés entre ses héritiers ou leurs proches parents avec le consentement de leur mère "sans figure de proces".
  • les témoins et signatures
Ils sont similaires dans la forme (mais les témoins ont changés).
Une mention a été ajoutée, naturellement, ce nouveau testament "cassant revocquant et annullant tous auttres testament codicille ou donnation quil porroit avoir cy devant faict" notamment celui fait en 1700. 
Le document se termine par les renvois et oublis faits dans le corps du texte, dont celui-ci : "approuvant la ratture de quinze lignes".

Les deux documents sont donc assez similaires, hormis la mise à jour des dots des filles qui ont été payées et le legs de Joseph qui est davantage détaillé; traces fugaces d'une existence qui a continué à s'écouler. Mais Aimé n'a pas varié dans ses intentions globales.

Malgré sa vieillesse, la vie va continuer pour Aimé, jusqu'à atteindre "environ quatre vingt huit années" : il décède en mars 1728.





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