« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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mardi 8 septembre 2020

Marié deux fois

Tout commence par un mariage, à Saint-Amand-sur-Sèvre (79). Il est assez bizarrement formulé, mais on est en période révolutionnaire : les nouveaux maires, en plus de leurs diverses responsabilités communales, sont en charge de l’état civil – jusque là chasse gardée des curés.

Donc une Révolution, un nouveau calendrier, des nouveaux citoyens… on peut comprendre que le maire soit perturbé que son style s’en ressente.

 

Mariage Ribouleau Jacques, 1801 © AD79

 

LE BEL maire de la commune de St Amand sur Sèvre arrondissement communal

de Thouars le nommé JACQUES RIBOULEAU maréchal

talandier demeurant au village de la Gidalière  commune de

Saint-Amand fils de CHARLES RIBOULEAU bordier né commune de

Saintes ( ?), son père est CHARLES RIBOULEAU ; et sa mère

est JEANNE JADAU, décédée de l'an huit, son frère

est PIERRE RIBOULEAU, et sa femme du dit

RIBOULEAU talandier de la Gidalière est

 MARIANNE GABARD femme du dit citoyen RIBOULEAU

demeurant au village de la Gidalière commune

de Saint-Amand fille de feu GABARD, sa mère

est HANNE GOBIN vivante demeurante commune de Saint

Amand, les témoins est le beau-frère de la femme

de JACQUES RIBOULEAU, son oncle est JACQUES

GABARD qui m'ont déclaré savoir signer et

ont signé avec moi. Louis Martineau,

J Gabard, Le Bel maire, Jacques Ribolleau,

Marie Anne Gabard,

 

Bon, Monsieur le Maire n’aurait sans doute pas reçu le grand prix de grammaire et de conjugaison. Passons cela.

Ce qui m’a interpellé d’abord c’est la façon de désigner les fiancés que l’on marie : « le nommé X (son nom n’a pas d’importance ici), son père est X et sa mère est X ». Jusqu’à présent, ici et ailleurs, même en période révolutionnaire, on ne dit pas que untel « est ». On dit plutôt Untel « fils de ». Ceci dit pourquoi pas ? Cela ne change pas grand-chose à l’affaire, me suis-je dis au début.

Par ailleurs, les lecteurs attentifs auront remarqué qu’il n’y a pas de date non plus. Ça arrive aussi parfois. L’acte précédent est daté du 7 thermidor an IX, le 28 juillet 1801. Les deux suivant n’ont pas de date, le troisième est du 2  thermidor an IX. Bon le calendrier est peu chamboulé, passé au shaker de la Révolution. Les personnes ayant déposé leurs arbres sur Geneanet sont un peu perdus aussi : ils ont parfois daté le mariage du 20 mai (30 floréal). D’autres ne s’y sont pas risqué et sont resté sur un prudent « 1801 » tout court.

Et puis aussi il y a cette mention particulière : la fiancée, future épousée (normalement) est désignées deux fois de suite par le terme « femme de », ce qui sous-entend qu’elle est déjà mariée.

Enfin, dans l’acte de décès du père de la mariée, une autre mention tire carrément la sonnette d’alarme : l’un des témoins est Jacques Ribouleau, qualifié de gendre du défunt. Or Jacques Gabard est décédé en 1798, trois ans avant le fameux mariage bizarre. On peut tout accepter : des mariages sans date, des mariages libellés curieusement, mais des gendres avant mariage, ça non.

Et quand on découvre un enfant né en 1799 du couple Ribouleau/Gabard, là c’est la goutte d’eau. Bon d’accord les enfants nés avant mariage arrivent quelques fois, mais là c’est n’est plus un péché c’est une anomalie spatio-temporelle. En examinant bien cet acte de 1799 on s’aperçoit que Marianne est dite « sa femme en légitime mariage ». Plus de doute possible. Un mariage a eu lieu avant 1801 (acte de confirmation ?). Avant 1799 (naissance du fils). Avant 1798 (décès du père).

Pourquoi ne pas feuilleter les registres, me direz-vous ? Et bien parce que nous sommes en pleine Deux-Sèvres vendéenne, que les registres paroissiaux ont subi les foudres des colonnes infernales. Que dans la décennie 1790 ont est davantage occupé à ne pas se faire embrocher par un sabre qui traîne plutôt que de remplir des lignes dans un registre.

Mais dans la décennie suivante on régularise les choses. Et c’est ce qui a du se passer pour Jacques et Marianne. C’est ce qui explique que Marianne soit dite « femme de » Jacques dans cet acte de 1801. Reste à trouver le véritable acte de mariage.

C’est le relevedu79 qui me met sur la piste : un acte daté du 20 janvier 1796, filiatif, avec des informations complémentaires du genre parmi les témoins on compte le frère du marié et l’oncle et parrain de la mariée. Hum… ça donne envie de voir cet acte en vrai. Il précise même « Mariage célébré par Pierre GABART curé de Chambreteau » : ah ! l’ancêtre mythique qui ferait partie de la famille et qui permettrait de compléter une génération supplémentaire car ses parents à lui sont connus (contrairement « aux miens »).

Le Cercle Généalogique des Deux-Sèvres confirme cette pépite. Hélas ni l’un ni l’autre ne donne la cote du document : ça se complique pour « le voir en vrai ».

Bref, quoi qu’il en soit Jacques et Marianne ne se sont pas vraiment mariés deux fois. Ils ont simplement fait confirmer ce qui s’était sans doute perdu. Et les petites lumières qui ont clignoté à la lecture de l’acte de 1801 avaient bien un sens caché. Toujours faire confiance à son instinct.

 

samedi 27 juin 2020

#Défi_2706

 A l'initiative de Geneatch, et en lien avec le premier Salon Virtuel de la Généalogie qui a lieu le 27 juin 2020, voici le défi d'écriture #2706 :

"Racontez en 100 mots un événement de votre généalogie survenu un 27 juin."

A partir de cet événement racontez cette journée du 27 juin

ou évoquez la vie de votre ancêtre en quelques lignes (entre 80 et 120 mots).

___


Ah ! Marie, petite reine aujourd’hui.

Née un 27 juin 1696, tu es déjà repartie 6 ans plus tard.

Un souffle à l’échelle généalogique. Mais trop court pour une vie.

6 ans ! Tes frères ont-ils seulement eu le temps de s’intéresser à toi ?

6 ans ! Ton père a-t-il déjà pensé à un mariage qui arrangerait son toit ?

6 ans ! Ta mère a sans nul doute eu le temps de s’attacher à toi.

27 juin : A-t-elle gravé cette date dans sa mémoire ?

Mais 100 mots c’est trop court… même pour une aussi courte vie !


© photofunky

- Marie ROY, 27 juin 1696, La Chapelle-Largeau (79) / 24 octobre 1702, Treize Vents (85) -


samedi 16 mai 2020

#RDVAncestral : Le pavé


Dimanche 18 avril 1784

A l’issue de la grande messe, la cloche convoqua les habitants de la paroisse de Saint Amand sur Sèvre au devant de la porte et principale entrée de l’église paroissiale, de la manière accoutumée.



Enfin… quand on dit les « habitants » on dit surtout les « hommes ». Du coup, je détonnai un peu dans cette communauté. En me faisant toute petite, je reconnaissais là plusieurs représentants des familles de Saint Amand apparentées à mon arbre : Jean Vandé, Jean Baudry ou Pierre Foulonneau dont le fils épousera en troisièmes noces mon ancêtre Modeste Boissinot. Mais aussi les Birgnonet dont la famille donnera un maire à la commune pendant une dizaine d’années ou le curé Fariau. Et d’autres que je ne connaissais pas comme René Réthoré, les frères Roquet ou André Brillaud… Quand à cet élégant qui consultait sa montre, ce devait être Me Turpault, le notaire royal de Saint Mesmin convoqué pour établir le procès verbal de la réunion du jour. Je laissai intentionnellement traîner mes oreilles pour en savoir un peu plus sur cet attroupement : propriétaire, mais aussi chapelier, boulanger ou même cultivateur composaient l’assemblée. Ils étaient jeunes ou déjà dans la force de l’âge, en général bien habillés (en tout cas du mieux qu’ils le pouvaient).

Le syndic de la paroisse de saint Amand, représentant général des habitants, Jacques Gabard se racla la gorge. J’étais venue pour lui : c’était le frère de mon ancêtre… aussi prénommé Jacques ! Je scrutai d’ailleurs la foule pour voir si ce dernier était là. Mais le syndic prit la parole et mon attention fut aussitôt captée :
- Je veux vous rappeler ici qu’au mois de septembre 1782 il fut présenté une requête à Monseigneur l’Intendant de la Généralité de Poitiers par laquelle il lui fut exposé que la majeure partie du bourg de Saint Amand était pavée de mais que la pierre en était si dérangée que les rues étaient véritablement impraticables…
- Oui, oui ! approuva l’assemblée.
Jacques Gabard reprit :
- … Que les propriétaires riverains des rues reconnaissent l’indispensable nécessité de refaire ce pavé.
A nouveau les hommes manifestèrent leur accord :
- C’est vrai ! On l’a dit !
- … Qu’il pouvait y avoir environ un quart ou un tiers du bourg qui autrefois n’avait pas été pavé parce que, lors de la confection du pavé, cette partie fut jugée assez solide pour s’en passer. Mais qu’entre temps il s’y est formé des bourbiers et des creux chemins qui rendent cette partie du bourg impraticable et difficile accès.
Charles Roquet, le cabaretier, prit la parole :
- La chaussée est trop abîmée : comment la clientèle peut-elle se rendre dans nos boutiques ? Si elle doit être toute crottée, elle préfèrera ne plus venir ! Et comment on va vivre, nous autres, si la clientèle ne vient plus ?
- Oui ! Oui !

Jacques Gabard eut du mal à reprendre la parole :
- C’est pourquoi je dis qu’il est d’une pareille nécessité de rétablir le pavé !
- Ouuui !
Le syndic emporta la foule. Il faut dire que c’était un fabuleux orateur… Et que son auditoire était conquis d’avance à sa cause. Calmant l’enthousiasme des hommes, il poursuivit :
- A cet effet il fut demandé à Monseigneur l’Intendant d’ordonner la réfection totale du pavé dans le bourg de Saint Amand… Tant dans la partie déjà pavée que dans celle qui ne tient pas…
L’assistance était presque en liesse.
- … A la charge par les propriétaires riverains de payer la main-d’œuvre…
L’atmosphère fraîchit soudain, comme je le remarquai amusée. Le grommellement sourd qui enflait de la foule mécontente m’empêcha d’entendre la suite du discours. Je ne fus pas la seule et des « Chut ! » impétueux fusèrent afin de rétablir le calme. Entre les deux factions (les rebelles et les partisans du silence), j’entendis le syndic en pointillé :
- … pour leur adoucir le fardeau … que les métayers de la … à pied d’œuvre…
- Chut !
- … Au premier ordre de Monseigneur son subdélégué à Châtillon, le pavé nécessaire à charroyer et les autres matières nécessaires aux déblais et remblai.

Le calme revenant véritablement, Jacques poursuivit :
- Les uns et les autres seraient sous la conduite et direction du syndic et de quatre notables habitants de la paroisse.
Bien sûr, on discuta pour savoir comment seraient décidés les noms de ces quatre notables. Finalement, il fut décidé que ce serait au subdélégué de Châtillon de les choisir.

Le discours reprit, mais l’assemblée n’y était plus vraiment et devenait de plus en plus indisciplinée. Je n’entendais que des bribes du propos de Jacques Gabard :
- … Que sur cette requête et intervention le 25 dudit mois de septembre… l’ordre de Monseigneur l’Intendant portant renvoi à Monseigneur De la Roche … qu’enfin le 1er novembre suivant est intervenue l’ordonnance définitive … de faire droit …
Le reste se perdit dans le brouhaha de la foule. En bref, il y était question de dire si les habitants approuvaient ou refusais lesdits travaux… Mais dit avec les formes et la manière, bien sûr.
Je remarquai alors le notaire qui, tout près du syndic, ne perdait pas une miette du discours, lui, puisqu’il avait à le retranscrire fidèlement. La plume volait sur le parchemin et ne s’attardait pas plus que nécessaire.
Il fit signer l’orateur :
« Gabard syndic »

Puis entreprit de faire signer les témoins à leur tour, du moins ceux qui savaient le faire. Pour faire patienter la foule, il fit lecture de l’acte en même temps qu’il le rédigeait :
« À l’instant ont aussi comparu … composants la plus saine et majeure partie des habitants de ladite paroisse … entré en délibération après quoi ils ont déclaré que les représentations faites à Monseigneur l’Intendant sont du plus légitime qu’il est de l’utilité publique que le pavé dudit bourg de Saint Amand a besoin d’être refait … Que les endroits dudit bourg qui ne l’ont point été cy devant ont également besoin de l’être tant pour leur commodité que pour celle des voyageurs qui très souvent courent le risque d’y périr. En conséquence lesdits habitants requièrent … la reconstruction dudit pavé. De tout quoi ont requis acte que nousdit notaire leur avons octroyé pour leur valoir et servir ce que de raison.
Fait et passé au devant de ladite porte et principale entrée de l’église paroissiale, etc, etc… »

Le « mestre en chirurgie » s’approcha le premier pour signer l’acte dressé par le notaire. Puis, chacun leur tour, s’approcha une vingtaine de personnes, signant de façon malhabile ou au contraire soignée et sophistiquée. 
 
Signature Gabard Jacques, syndic, 
acte d'assemblée de la paroisse de Saint Amand, 1784 © AD79
 
Pendant ce temps-là, j’en profitais pour interroger discrètement un homme que je supposai être le maréchal Henry François Bignonet :
- Et ça arrive souvent, ce genre de réunion des habitants à la porte de l’église ?
- Oh ! Oui. Chaque fois qu’on a besoin. Tiens ! L’année dernière c’était cet homme-là qui était le syndic. Il me désigna Pierre Bremaud. On a fait une réunion à la saint René* pour l’autoriser à faire, en notre nom à tous, les poursuites nécessaires contre les nommés Minet et Huot, pour parvenir à la restitution des sept à huit cents livres de métal qu'ils ont conservées en refondant les cloches de l'église d'un poids inférieur à celui d'origine !
Je n’eus pas le temps de demander si la requête avait porté ses fruits que mon interlocuteur s’était fondu dans la foule.
D’ailleurs, en un rien de temps, l’assemblée s’était dispersée. La réunion était terminée. Ne restait sur place que le notaire qui rassemblait ses plumes et parchemins, avant de quitter la place à son tour.
Quant à moi, j’avais les oreilles pleines du discours de Jacques Gabard et j’étais heureuse d’avoir entraperçu un pan du quotidien des habitants de la commune de Saint Amand.

* Saint René : 19 octobre.






Article rédigé dans le cadre du #RDVAncestral.
Texte inspiré par l'acte notarié "Acte d'assemblée de la paroisse de Saint Amand" rédigé par Me Turpault, notaire à Saint Mesmin, AD85.


dimanche 3 mai 2020

Les petits cailloux de la guerre de Vendée

Apprenant par hasard que des archives relatives au secours aux soldats vendéens avaient été numérisées et mises en ligne sur Geneawiki (par jeangontard : merci à lui), j’ai tenté d’y retrouver la trace de mes ancêtres, puisqu'une branche de mon arbre est originaire du Nord Deux-Sèvres, près la « frontière » vendéenne : il y a donc de forte chance que quelques uns d’entre eux aient laissé leur trace dans ces documents…

Quatre en effet y ont semé des petits cailloux : trois ancêtres directs, simples soldats dans l’armée du roi, ainsi qu’un collatéral, capitaine dans cette même armée. Ces cailloux m’ont donné quelques informations – certaines précieuses, d’autres dont je me serai peut-être bien passée…

 Pièce du dossier de Jean Gabard © AD79 via Geneawiki

  • Le petit caillou de la naissance
Les dossiers de demande de pension sont composés de plusieurs pièces dont un acte de naissance, ou à défaut un multi-témoignage attestant de ladite naissance. C’est ainsi que pour certains de mes ancêtres j’ai enfin la preuve de leur naissance. Par exemple : Jean Gabard. Selon les actes il serait né en 1776 (acte de décès de son père), 1779 (son acte de décès), 1778 (son acte de mariage qui mentionne "un extrait de naissance délivré par les archives de Niort" pour pouvoir procéder à la cérémonie), ou 1782/1783/1786 (actes de naissance de ses enfants). Mais aucun registre antérieur à la Révolution n’a été conservé à Saint-Amand-sur-Sèvres afin confirmer une date. C’est finalement le dossier de demande de pension qui peut le faire : Jean Gabard fait comparaître sept témoins qui « ont déclaré certifier que Jean Gabard est né dans la commune de Saint Amand dans le courant de l’année mil sept cent soixante seize. »
Ceci nous apprends deux choses : que son année de naissance est bien 1776 et que Jean ne devait pas connaître la date précise de son anniversaire puisqu’il ne peut donner que son année de naissance, et non pas la date entière.
Le dossier de Mathurin Gabard, son cousin, nous indique que « les registres de naissances de la commune de Saint Amand » sont introuvables pour cette période car ils ont disparu dans « l’incendie qui le dix neuf décembre mil huit cent cinq a consumé à Niort [lesdits] registres ».

  • Le petit caillou des combats
Ces quatre dossiers sont déposés dans la procédure d’attribution d’une rente viagère attribuée aux « anciens militaires des armées royales de l’Ouest ». Logiquement ces hommes ont donc combattu du côté des royalistes.
Au travers de leurs différents dossiers, on voit l’évolution des combats :
- 12 mars 1793, bataille de St Florent (49) : deux jours auparavant, la loi sur la levée en masse est annoncée à St Florent le Vieil. Trois cent mille hommes doivent être désignés ou enrôlés par tirage au sort, parmi les hommes de 18 à 35 ans de toute la France, pour venir grossir les rangs de l'armée. Ces levées en masse renforcent considérablement les armées mais suscitent de forts mécontentements populaires régionaux, entraînant des émeutes et insurrections. C’est ainsi qu’à St Florent des échauffourées éclatent. Les jeunes convoqués pour le tirage au sort des conscrits réclament l’ajournement du tirage au sort. Suite à un premier coup de feu tiré, les gardes nationaux répliquent en tirant sur la foule. Mais ils doivent finalement se replier : St Florent est aux mains des insurgés.
- 13 avril 1793, bataille des Aubiers (79) : l’opposition à la levée en masse gagne les rangs de la noblesse locale, incarnée par le comte de la Rochejaquelein, un des chefs de l’armée catholique et royale de Vendée. Lorsqu’arrive une colonne républicaine aux Aubiers, les paysans se rangent derrière la bannière du comte pour la combattre. Plus nombreux mais mal armés, ils engagent un véritable combat de rues dans le bourg des Aubiers. Tandis que Quetineau et sa colonne se replie derrière les murs du cimetière, les insurgés prennent le dessus sur les républicains. Ceux-ci s’enfuient, en déroute, vers Bressuire.
- le 13 mai 1793, La Châtaigneraie (85) : les Vendéens s’organisent et planifient désormais des attaques ciblées. Mais les paysans sont nombreux à ne vouloir qu’une chose : rentrer chez eux. Les effectifs des troupes s’en ressentent et diminuent de façon importante. Le 13 mai ils sont entre 12 000 et 15 000 hommes à attaquer La Châtaigneraie où sont réfugiés les 3 000 hommes du général républicain Chalbos. Celui-ci ordonne finalement le repli et la ville est livrée au pillage.
- le 16 mai 1793, Fontenay (85) : trois jours après l’armée vendéenne se présente sous les murs de Fontenay-le-Comte. Cependant, non seulement les effectifs ont encore diminué (10 000 environ), mais ces hommes sont habitués à pratiquer une guerre d'embuscade dans le bocage et ne sont pas préparés à une guerre qui se professionnalise avec des batailles rangées, à terrain découvert, comme sur les plaines devant Fontenay où s'étaient déployés les 6 000 soldats républicains du général Chalbos. Après une charge de cavalerie, celui-ci réussit à prendre les Vendéens en tenaille et à les mettre en déroute.
- le 5 juillet 1793, Châtillon (79) : la violence monte d’un cran. Après avoir repris la ville et mis en déroute le cruel général Westerman (« le boucher de la Vendée ») les royalistes, ivres de vengeance, ripostent impitoyablement aux exactions commises par les républicains en massacrant de nombreux prisonniers.
- le 14 août 1793, bataille de Luçon (85) : l’état-major vendéen est divisé sur la suite des opérations : étendre le conflit vers les côtes du Nord, afin de permettre un débarquement allié via un port breton, ou protéger les villes du sud de la Vendée jugées plus vulnérables. Il est finalement décidé de rester en Vendée. On élabore alors un plan d'attaque complexe en lançant plusieurs assauts à différents échelons, déployant fantassins et artillerie. Si la bataille semble un temps favorable aux Vendéens, le manque de coordination finit par fragiliser leurs rangs. Dans la confusion ils prennent la fuite, poursuivis par la cavalerie républicaine. Selon les sources les chiffres des blessés et tués lors de cette bataille varient grandement (de 1 500 à 6 000 morts). Mais on s’accorde à dire que cette bataille est alors la plus désastreuse de toutes celles qui s'étaient déroulées jusqu'à présent.

  • Le petit caillou des blessures
Mathurin Gabard, « par sa valeur » ôtera un drapeau aux troupes républicaines dans cette « affaire qui eut lieu aux Aubiers » mais, à La Châtaigneraie, il est atteint de deux coups de feu, le premier au côté droit au dessous du sein et le second au poignet droit dont une balle ayant porté sur les tendons fléchissant « lui occasionnant une difficulté dans le mouvement de la flexion ».
Pierre Rabaud fut blessé à St Florent et Fontenay où il reçu un coup de sabre sur la joue et une balle au bras, blessures qui le gêne beaucoup « pour gagner la vie ».
Jean Gabard « a été blessé à Châtillon à l’affaire de vestherman […] d’un coup de bayonnette blessure qui est guérie mais qui le gene pour travailler et gagner l’existence à six enfants. »
Quant à Jacques Jadaud, il fut atteint d’une hernie inguinale « qui lui est survenue au combat de Luçon, en sautant un fossé étant poursuivi par la cavalerie, ce qui le prive de travailler fort souvent, rapport aux coliques qu’il éprouve et de gagner la vie à ces sept enfants. »
Coups de sabre, balle, baïonnette : la guerre a laissé son empreinte dans les corps des hommes.

  • Le petit caillou des démarches administratives
C’est le 3 décembre 1823 qu’est passée officiellement cette ordonnance royale accordant la possibilité d’une pension aux anciens soldats des armées royales de Vendée. Mais pour obtenir cette pension, il faut remplir un certain nombre de critères : prouver sa naissance, sa blessure et son indigence.
- le 11 juin 1824, Mathurin Gabard et Pierre Rabaud sont les premiers à se lancer dans les démarches administratives : Mathurin se rend à Châtillon et Pierre à Nueil, chacun pour faire établir un certificat de santé prouvant leurs blessures. Le 15 juin le certificat de Mathurin est authentifié par le maire de Châtillon. Le 16 juin Mathurin retourne à Châtillon voir le juge de paix, accompagné de sept témoins, pour obtenir deux certificats prouvant sa naissance (puisque les registres ont été ravagés dans un incendie) et attestant de sa présence aux combats.
Il fait cette démarche en même temps que Pierre Rabaud.
Le 20 juin Mathurin va à la mairie de Saint-Amand pour chercher un certificat d’indigence rédigé par le maire de la commune. Il peut désormais envoyer son dossier.
Le certificat de santé de Pierre n’est authentifié que le 20 juin par l’adjoint au maire de Nueil et le 23 par le maire des Aubiers.
Le 29 juin Pierre voit le juge de paix de Châtillon pour obtenir son acte de notoriété et le 6 juillet le maire de Saint-Amand pour son certificat d’indigence.
Le 30 juillet le sous préfet de Bressuire a une grosse journée devant lui : il légalise une première partie des pièces des dossiers de Mathurin et de Pierre (et de bien d’autres sans doute). Le 4 août a lieu la légalisation des dernières pièces des dossiers et leur présentation officielle par les demandeurs (Mathurin sait signer mais il en est empêché, Pierre ne sait pas).
Ces dossiers sont ensuite envoyés à l’échelon supérieur.
Le 9 août Jean Gabard et Jacques Jadaud commencent leurs démarches : officier de santé et juge de paix à Châtillon, maire à Saint-Amand (11 et 16 août), sous préfet à Bressuire (18, 19, 20 août).
A partir du 24 août le préfet de Niort légalise les signatures, examine les dossiers.
Puis les dossiers passent en commission et les jugements tombent : « Brave soldat, blessé grièvement et dans l’indigence », « blessé légèrement et sans fortune », « infirme et sans fortune », « la blessure de ce militaire ne sont pas aussi graves que celles de ses camarades qui précèdent », « il n’est parvenu sur son compte aucun éléments défavorable »…

Mathurin et Pierre apparaissent dans les tableaux de pensions du 30 septembre 1824. Ils reçoivent une pension de 100 francs pour Pierre, simple soldat, et 200 francs pour Mathurin qui fut capitaine.
Jean et Jacques n’ont pas obtenu de pension, leur cas ayant été jugé « hors de l’ordonnance » : Jean n’ayant pas droit et la blessure de Jacques (la hernie inguinale) n’étant pas reconnue consécutive aux combats.
Régulièrement les dossiers font l’objet d’un réexamen, mais « mes » deux pensionnés ne seront pas remis en cause.

  • Le petit caillou de l’indigence
Si j’ai été ravie, grâce à ces dossiers, de découvrir enfin la date de naissance de mon ancêtre Jean - longtemps recherchée, jamais trouvée - j’ai été nettement moins ravie de découvrir qu’à 57 ans Mathurin était un journalier sans ressource, vivant dans l’indigence, empêché de travailler correctement à cause de blessures de guerre reçue à 19 ans.
De la même manière, je n'étais pas pressée d'avoir des détails sur les coliques de Jacques !

Mais en généalogie on ne choisit pas ce que nous réservent les archives…

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Et comme les grands esprits se rencontrent, retrouvez ici l'article de Raymond paru sur le même thème !


jeudi 30 avril 2020

#Genealogie30 2020

Pour ce mois d'avril, le défi #Genealogie30 est de retour.
Nous nous retrouvons autour de ce mot clé pour partager sur les réseaux sociaux, sur nos blogs, notre passion pour la généalogie, nos coups de cœur.
Tous les jours un thème différent nous est proposé.

Tout comme le #ChallengeAZ, le but est de nous retrouver pour faire la fête et partager notre passion. Pas besoin de grands discours, un mot, une image suffisent parfois à communiquer et à toucher.
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Comme de nombreux généalogistes, j'ai posté une infographie (sur Twitter et Facebook) au jour le jour, selon le thème imposé. Si vous avez manqué une ou plusieurs de ces publications, ou juste pour le plaisir, retrouvez-les ici réunies. 



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Jacques Célestin BREGEON a vu le jour le 6 juin 1842, sous la Monarchie de Juillet, à Saint-Amand-sur-Sèvre (79) petite localité à la croisée du pays poitevin saintongeais, de la Vendée militaire et du Sud Anjou. Fils de Jacques Isidore BREGEON et Geneviève Céleste JADAUD, il est l'aîné d'une fratrie de sept enfants. Seulement cinq d'entre eux atteindront l'âge adulte. L'un des témoins de sa naissance est son oncle, Esprit JADAUD, avec lequel il gardera des liens étroits tout au long de sa vie, travaillant avec lui à la métairie de la Ruffinière.

Il n'a dû aller à l'école que le strict nécessaire car il savait juste lire et écrire son nom. Il devait parler le  poitevin saintongeais, que l'on appelle le "parlanjhe". Et "jarthi !" ("peste !") il devait avoir un sacré accent car tout au long de sa vie son nom sera tantôt compris BREGEON tantôt BERGEON. Ce nom, courant dans l'Ouest et la Vienne, et qui connaît de nombreuses variantes (Brejon, Bergeon, Bréjeon...) dérivant sans doute d'un terme régional désignant une pièce de terre de forme triangulaire, rappelant son origine rurale.

A 20 ans il se rend au chef-lieu de canton, Châtillon sur Sèvre, pour le tirage au sort des conscrits. C'est son déplacement le plus long connu (13,5 km !). Mais finalement il est exempté pour "faiblesse de constitution". Il ne verra pas davantage de pays avec l'armée.

En 1871, il épouse Clémentine BOURY, jeune paysanne d'une métairie voisine. Son oncle Esprit est encore là pour l'accompagner. Ensemble, ils s'installent à La Ruffinière, où ils vont donner naissance à 11 enfants. Dit fermier ou cultivateur selon les modes du temps, il cultive la métairie héritée de la famille de sa mère.

Vivant un peu à l'écart du monde, et de ses changements politiques parfois violents, ils mènent une vie paisible sans faire de bruit (ils n'apparaissent pas dans la presse, ne semblent pas très actifs dans la vie de leur communauté). Modestement sans doute (la garde robe de Jacques n'est estimée qu'à 20 francs lors de son décès); leur seule richesse est la ferme. Mais ensemble. Ils restent fidèle à la famille, vivant à La Ruffinière avec plusieurs générations : parents, l'oncle Esprit bien sûr, leurs enfants, ou son jeune frère Louis. Voyant grandir leurs enfants, partageant une chouée (plat à base de choux) ou un pâté aux prunes, tous autour de la table. Ils assistent aux mariages des enfants, à la naissance d'une nouvelle génération. Et lorsqu'arrive le grand âge, ils rejoignent le coin de l'âtre tandis que leur fils aîné, aussi prénommé Jacques, a repris la ferme.

 Jacques Célestin BREGEON, début XXème © Coll. personnelle

Jacques s'éteint le 18 novembre 1917, au milieu des siens à La Ruffinière de Saint-Amand, à l'âge de 75 ans. C'était  mon ancêtre à la 6ème génération, l'arrière-grand-père de ma grand-mère maternelle.



samedi 18 avril 2020

#RDVAncestral : Le doublé

Parmi tous les invités, je cherchai un homme précisément. Pas le roi de la fête Joseph, le marié, mais… son père ! En effet, c’est Jacques Célestin Bregeon qui motivait ma visite. Je le trouvai, assis sur une chaise que l’on avait sortie pour lui dans la cour de la ferme. Il couvait d’un regard toute l’assemblée : sous les yeux ses fils, filles, gendres, brus, petits-enfants. 

J’approchai un vieux tabouret dépenaillé près de lui et m’assit à ses côtés.
- Vous ne dansez pas ? me demanda-t-il en plissant des yeux pour mieux distinguer les invités.
- Non, pas tout de suite…
Je le regardai : il avait revêtu son costume noir, celui des dimanches, sa cravate et ses souliers qui avaient vu des jours meilleurs. Sa canne était à portée de main.
- Ils sont beaux, hein ? me demanda-t-il avec fierté.
- C’est vrai. Ils sont beaux.

Il me donna un coup de coude amusé :
- Vous savez que c’est un doublé ?
Bien sûr que je le savais mais je le laissai dire, comme on le fait d'un enfant qui vous raconte une histoire drôle que l’on connaît déjà.
Il prit un air de conspirateur et se pencha vers moi comme s'il allait me dévoiler la recette pour changer le plomb en or :
- La mariée, la petite Marguerite, et ben c’est la sœur de Lucie, qui a épousé un de mes autres fils, Clément, l’année dernière, en 1911.
Je rentrai dans son jeu :
- Vraiment ?
Je faisais mine de réfléchir à cette révélation fracassante.
- Hum… Mais ne s’appelle-t-elle pas plutôt Marie Louise ?
- Oui ! Oui ! C’est son second prénom. Et c’est aussi le second prénom de Lucie, ajouta-t-il en se tapant la cuisse.
Avec un sourire par devers moi, je renchéris :
- Ooooh ! Mais c’est vrai : maintenant que vous le dites, je trouve qu’elles se ressemblent un peu.
- Eh ! Eh ! Eh ! Oui, c’est vrai.
Il riait sous cape, comme un gosse ayant fait une bonne plaisanterie.

Indifférents, les invités de la noce dansaient en formant une ronde joyeuse.
- Vos fils aussi se ressemblent drôlement, avec leurs moustaches bien lissées aux pointes. En particulier Clément et Joseph, vos deux fils les plus jeunes : on dirait presque des jumeaux.


Joseph Bregeon, vers 1907 © Coll. personnelle

- C’est vrai…
Avec un clin d’œil, je lui glissai à l’oreille :
- Un beau doublé !
- Ah ! Oui ! Encore un ! gloussa-t-il.
Il réfléchit une seconde :
- Oh ! J’en ai un autre : mes deux filles Radegonde et Marcelline se sont mariées le même jour, en novembre 1906.
- Ouuuii ! approuvai-je.

Et, poursuivant le jeu :
- Et en plus elles portent aussi toutes les deux le prénom Clémentine, n’est-ce pas ? Un autre doublé ?
- Oui ! C’est vrai… C’était le prénom de ma défunte épouse, dit-il, un brin nostalgique. Mais se ressaisissant aussitôt il enchaîna : en fait, on ne les appelle jamais Clémentine, on utilise leurs deuxièmes prénoms. D’ailleurs, toutes mes filles s’appellent Clémentine !
- Et deux de vos fils Clément : c’est plus qu’un doublé là, c’est le jackpot !
Il rit de ma plaisanterie.
Je réfléchissais : on pouvait ajouter un autre doublé à cette longue liste. En effet, deux des filles de Jacques avaient épousé des hommes qui faisaient partie de mon arbre : Adeline, mon ancêtre directe, bien sûr, mais aussi sa sœur Marcelline.
Cependant, Jacques fatiguait un peu. Il retomba dans sa rêverie. 

Finalement, il conclue ainsi :
- Ce sont les miens…
Et dans ce « miens » il y avait toute la fierté d’un homme au soir de sa vie. Un homme accompli. Heureux.
Finalement c’était peut-être lui le roi de la fête, trônant dans son vieux fauteuil d’osier, patriarche de plusieurs générations. Maître incontesté des doublés !



samedi 18 janvier 2020

#RDVAncestral : Joseph est toujours vivant

En ce début du mois de février 1765, j’arrivai dans le silence d’une mort annoncée : on veillait ici Joseph Godet qui respirait à peine et pour qui la grande faucheuse patientait déjà devant la porte de la maisonnée, attendant calmement, mais sûrement, son dû. Car elle ne repartirait pas seule, à n’en pas douter. Tous ici savaient que Joseph allait bientôt quitter ce monde. Ce n’était pas grave, juste dans l’ordre des choses : ainsi va la vie. Parents, amis et voisins s’étaient donc retrouvés là pour accompagner Joseph dans ses derniers instants. Et je m’étais faufilée parmi eux.

Certains ne faisaient que passer à son chevet, d’autres restaient plus longtemps. Tantôt on se réunissait par petits groupes, chuchotant des anecdotes partagées, tantôt on restait seul plongé dans ses souvenirs. Les enfants emmenés là s’étonnaient encore de pouvoir veiller si tard et comptaient bien en profiter, même s’ils avaient clairement compris que l’ambiance n’était pas à la fête. Certains, ravis, se lançaient le défi de ne pas dormir de toute la nuit… avant de succomber tour à tour dans le sommeil. Les vieillards eux aussi étaient étonnés : d’être encore là ou bien  simplement se demandant quel serait le prochain à jouer le premier rôle dans cet acte particulier qui clôt la pièce de la vie.

Puis je fus autorisée à m'approcher auprès de l’agonisant. Il était allongé dans son lit, respirant avec difficulté. Quelques chaises étaient disposées là pour les veilleurs. Je m’installai près de lui et le regardai longuement. Il n’avait rien de particulier : c’était un paysan du XVIIIème siècle comme il y en avait des milliers. Il avait près de 80 ans : on ne pouvait donc pas se désoler d’une mort brisant une jeune vie. Il était entouré de ses proches : j’avais remarqué au moins deux de ses fils, Louis et Jean, ainsi que son cousin, aussi prénommé Jean. Et d’autres encore : il n’était pas seul. Il était né, s’était marié, avait eu des enfants, avait travaillé, puis laissait son tour maintenant. Bien sûr il avait connu des deuils : ses parents, son épouse une vingtaine d’années plus tôt. Mais c’était dans l’ordre des choses. Qui n’avait pas connu cela ?

Son cadre de vie, ce pays qu’on appelle la Vendée, n’avait pas changé depuis des siècles et sans doute pensait-il qu’il en serait ainsi pour des siècles encore. Bien sûr il ne pouvait pas anticiper les bouleversements que connaîtraient ses petits enfants : la Révolution, le pays laminé par des guerres civiles, la mort d’un roi voulue par son peuple ! La mort d’un roi : comment imaginer cela ? Il ne connaîtrait même pas la gigantesque sucrerie surmontée d’un ange doré comme un personnage sur un gâteau de mariés qui viendrait remplacer, une centaine d’année après lui, la belle église romane qu’il avait toujours vue et fréquentée.

Bien sûr, il ne pouvait pas imaginer les changements de la société que connaîtraient ses descendants : révolutions politiques, industrielles, religieuses, sociétales. Il ne savait rien de tout cela. La seule chose qu’il savait c’est qu’il allait mourir et que les pelletées de terre jetées sur son corps déjà froid allait le plonger dans l’oubli, aussi vite que ses prédécesseurs l’avaient été avant lui.

Je voulais lui parler, en savoir davantage sur lui. Car, bien sûr le temps avait fait son œuvre et l’avait presque effacé du passé. Lui ignorait tout des événements des siècles qui nous séparaient, moi je ne savais presque rien de sa vie. De lui je ne connaissais que ce que m’en avaient dit trois actes paroissiaux (ou peut-être seulement deux : le premier était tellement abîmé que je n’étais pas sûre qu’il s’agisse bien de son acte de baptême). Mais j’arrivai trop tard pour cela.

Soudain il me regarda fixement, plongeant ses yeux dans les miens… Comme s’il avait suivi le cours de mes pensées. Il esquissa un geste de la main qui lui arracha un râle de douleur. Mais son attention et ses yeux revinrent bien vite vers moi. Ils semblaient me dire : peu importe les détails de ma vie. Peut-être les trouveras-tu un jour. Peut-être pas. Poussière nous étions, poussière nous redeviendrons. Mais grâce à toi je revivrai un instant. Et cela me suffit. Car je sais que pour quelqu’un je serai plus qu’un patronyme dans une case, un numéro parmi d’autres. Je retrouverai mon nom et ma place parmi les miens.


 © Pixabay

Le lendemain le curé dû faire creuser une fosse dans la terre froide de Vendée pour y placer son corps. Il était mon ancêtre à la onzième génération, le numéro sosa 2020 de ma généalogie. Et si je ne savais presque rien de lui, je pouvais dire néanmoins qu’il était un fils, un époux, un père. Il était Joseph Godet.


lundi 28 janvier 2019

En quête d'un bébé


Ce billet fait suite au #RDVAncestral : la rencontre, publié en décembre.

Je vais parler de personnes aux noms et/ou prénoms similaires, je vais donc faire en sorte d'être la plus claire possible pour que vous puissiez comprendre mon cheminement. Il s'agit de :
- François Fortin et André Fortin (sans qu’un lien de parenté n’ait été trouvé entre eux).
- Marguerite Merlet et sa fille Marguerite Coeffard (qu’on surnommera La Jeune pour la différencier de sa mère).
- André Fortin et André Fortin, le parrain et le filleul (qu’on surnommera bébé André pour le différencier de son parrain, qui est aussi son cousin par alliance).

Résumons:
Le couple Merlet Jean et Jaunereau Françoise, mariés en 1682, ont 8 enfants. Parmi eux on compte notamment Marguerite et Louise.
Louise épouse François Fortin (en secondes noces). La date n’est pas connue (entre 1722 et 1724 semble-t-il). De leur union naîtront sept enfant, notamment André Fortin en 1734. C’est lui « bébé André » dont j'ai raconté la naissance dans l'article de décembre.
Marguerite épouse Jacques Coeffard. De leur union naîtra notamment Marguerite « La Jeune » qui épousera André Fortin ; Malheureusement des lacunes dans les registres paroissiaux nous privent de la date de leur mariage. Tous les deux seront les parrain et marraine de bébé André né en 1734 (le cousin de  Marguerite la Jeune, vous me suivez ?).

On trouve les membres de cette famille dans différentes paroisses, voisines les unes des autres, mais dans trois départements distincts : Saint Hilaire de Mortagne et Evrunes (en Vendée), Cholet, le May sur Evre, La Tessoualle et Saint Christophe du Bois (en Maine et Loire), Le Puy Saint Bonnet (autrefois dans les Deux-Sèvres, aujourd’hui associée à Cholet, les limites des deux départements ont donc été modifiées à cette occasion, en 1973). Certaines de ces paroisses ont aujourd'hui disparues, absorbées par d’autres.

Territoire d'investigation © GoogleMaps

Lors de ce fameux RDVAncestral, j’ai donc raconté le baptême de bébé André. Son acte de naissance, trouvé dans les registres de Cholet (paroisse de St Pierre) est ainsi libellé : "Le 30 janvier 1734 par moy vicaire soubsigne a ete suplée les ceremonies de baptême a un enfant né du jour precedent dans la cour de la trembay de leglise mere de françois fortin laboureur et de louise merlet baptisé à la maison par la sage femme à cause du danger de mort ledit enfant a été nommé André par André Fortin son parrain et marguerite coeffard sa marraine qui ont declaré ne savoir signer."

A partir de ces quelques lignes, j’ai imaginé l’histoire d’une naissance fragile et d’un baptême par la sage-femme. Pour tout vous avouer, j’ai complètement raté mon exercice, car en fait je désirais aborder la rencontre de Marguerite La Jeune et d’André Fortin son (futur ?) mari. Mais de toute évidence je suis passée complètement à côté car, à ma grande surprise, beaucoup parmi vous ont surtout retenu l’histoire de la naissance de bébé André et, s’ils ont été touchés par mon récit, ils se sont surtout inquiétés du sort du bébé et pas du tout de ses parraine et marraine. Mais bon, tant pis !

En décembre, j’avais fait une rapide enquête mais n’avait point retrouvé la trace postérieure du bébé. Devant l’émoi provoqué par ce billet, j’ai donc repris mon enquête.

J’ai commencé par chercher les actes concernant les proches de bébé André.

J’ai trouvé 8 actes de mariages (un pour son frère François, un pour sa sœur Marie Hélène, trois pour son frère Jean et deux pour son « frère de mère », c'est-à-dire un demi-frère utérin né d’un premier lit de sa mère). André n’apparaît dans aucun d’entre eux parmi les témoins. Pas davantage dans les actes de décès de ses parents, en 1763 (tous les deux décédés à deux jours d’intervalle) alors qu'il serait théoriquement âgé de 29 ans.

Par ailleurs, j’ai retrouvé très peu d’actes concernant le couple Fortin/Coeffard et leurs enfants : ils vivaient au Puy Saint Bonnet, où il n’y a pas d’acte en ligne antérieur à l’An IX. D’ailleurs, les quelques mentions trouvées le sont la plupart du temps… dans les registres des paroisses voisines ! Ainsi les naissance des enfants du couple sont connues grâce au registres de Cholet, où il sont dits « baptisés au Puy Saint Bonnet ». Parmi ces raretés, bébé André n’apparaît pas non plus.

D’un premier abord, on peut penser que le petit André est décédé avant les mariages de ses frères et sœurs, c'est-à-dire au moins avant 1751 (donc avant ses 17 ans). Ou est-il simplement trop jeune pour être cité parmi les témoins ?

Il me reste un dernier test : la méthode escargot. Chercher dans tous les registres où la famille est connue, c'est-à-dire :
- Cholet (trois paroisses, avec une préférence pour Saint-Pierre dont ils dépendent), où sont nés ses frères et sœurs,
- Saint Hilaire de Mortagne où sont nés plusieurs de ses oncles et tantes,
- Le May sur Evre, où est décédée sa grand-mère et où demeure sa tante Marguerite lors de son mariage,
- Saint- Christophe du Bois, où ont eu lieu la plupart des mariages de sa fratrie,

J’ai d’abord privilégié l’année 1734 puisque bébé André a un petit frère qui naît seulement 19 mois après lui : l’écart entre ces deux naissances n’est pas extraordinaire mais révèle peut-être un indice sur la possible brièveté de la vie de bébé André.

J’ai commencé par compulser les registres de Cholet Saint Pierre, puisque c’est la paroisse de la demeure familiale de bébé André depuis les années 1720 (mariage des parents) jusqu’en 1737 (naissance du dernier enfant de la famille). Il n’apparaît pas sur l’excellent moteur de recherche des archives municipales. Cependant, des actes sont parfois libellés de cette façon : « est décédé un petit enfant de machin » : je ne sais pas comment ces actes ont été indexés. Mais si je trouve en septembre 1734 « est décédé un petit enfant de françois fortin âgé de 8 mois ou environ » je peux supposer qu’il s’agit de bébé André. Hélas ces recherches ont été vaines.

Je ne l’ai pas trouvé non plus à St Christophe du Bois où la plupart de ses frères et sœurs se marient, ni au May sur Evre.

Les recherches continuent, mais l’hypothèse de la mort précoce de bébé André est donc, pour l’instant, favorisée.

A celles et ceux qui se sont ému(e)s de son sort, je ne peux malheureusement pas vous renseigner précisément, même si je ne suis guère optimiste. Si quelqu’un croise sa route, n’hésitez pas à me faire signe !