« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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vendredi 12 septembre 2014

Marions-nous ! épisode n°3

Après avoir trouvé son/sa fiancé(e), il faut s'assurer de différentes éléments avant de se marier véritablement.

Avant tout, il convient de ne pas épouser un trop proche parent. Cela ne se fait pas. Malgré tout il arrive que des cousins tombent amoureux. Mais il y a "cousin" et "cousin". Si l'idée de s'épouser entre cousins germains est peu fréquente, cela se complique avec des parents de la troisième ou quatrième génération. En effet, en particulier dans les campagnes où les bassins de population sont restreints et où il y a peu de brassage, on finit toujours par tomber sur un membre de sa famille, plus ou moins lointaine. Et l’Église réprouve le mariage entre trop proches parents. Elle peut néanmoins faire des exceptions et accorder des autorisations spéciales : ce sont les dispenses de consanguinité.

Un dossier complet est alors nécessaire : 
  • par le biais du curé de la paroisse, les fiancés adresse une "supplique", comprenant leurs noms, prénoms, professions, domiciles et un tableau de cousinage où figurent les ascendants de la lignée menant à l'ancêtre commun.
  • l'enquête qui suit et comporte les témoignages des futurs époux, de deux témoins de la famille et de deux témoins pris en dehors de la famille.
  • et enfin l’accord de l’Église.
Le droit canon compte les générations en nombre de degrés jusqu'à l'ancêtre commun, comme suit :
  • des parents au deuxième degré de consanguinité sont cousins germains (enfants d'un frère et d'une sœur).
  • des parents au troisième degré de consanguinité sont cousins issus de germains (petits-enfants d'un frère et d'une sœur).
  • des parents au quatrième degré de consanguinité sont enfants de cousins issus de germains (enfants des petits-enfants d'un frère et d'une sœur).
Les fiancés peuvent aussi être parents au troisième et quatrième degré de consanguinité (donc avec une génération de décalage), c'est-à-dire  que l'arrière grand-père de l'un aurait été le frère de la grand-mère de l'autre (par exemple).
La dispense de consanguinité est nécessaire jusqu'au quatrième degré inclus. Elle est attribuée par l'évêque pour les troisième et quatrième degrés, mais par le Pape uniquement pour le deuxième degré.

Dans les papiers hérités des recherches généalogiques effectués par les membres de ma famille [ * ], j'ai retrouvé cet extrait, qui est de toute évidence le tableau de cousinage des suppliants :


Extrait de dossier de consanguinité, AD 01 
  
François robin
Joseph robin              1        claude robin
François robin                2        antoinette robin
Claude joseph robin     3       benoiste cochet
Marie françoise robin       4       jean françois prost
Supliante                                             supliant


Sur ces dispositions il nous a paru, quil y a entre eux un empechement de consanguinite au quatrieme egal degre de tout quoy Nous avons dresse le present proces verbal pour ycelluy être renvoye a monseigneur leveque de saint claude pour être ordonne ce quil apartiendrat fait a martignat les jour et an que dessus en foy de quoy nous avons signe avec les temoins
J Fornier commis


J'ai bien retrouvé cette même filiation, en effet :


Extrait arbre Robin/Prost

Marie Françoise Robin a bien épousé Jean François Prost le 5 juillet 1768 à Martignat (01). Comme le précise (systématiquement dans ce genre de cas) l'acte de mariage, le curé a donné "la bénédiction nuptialle [les fiancés]  ayant obtenu dispense du quatrieme égal degré de consanguinité [...] signée par monseigneur l'eveque".

Toujours pour lutter contre les unions consanguines, on fait publier les bans. Il n'est alors plus possible de convoler dans la clandestinité.

La publication des bans de mariage n'est pas une invention républicaine. Elle existait bien avant l'instauration du mariage civil, déjà dans la tradition chrétienne, où elle remonte aux conciles de Latran (en 1215) et de Trente (en 1563) qui ont fait obligation de la publication des bans avant la cérémonie. 

Les bans sont une annonce publique, triple en principe, d'un mariage futur au prône dominical, par voie d'affiche à la porte de l'église, afin que toute personne connaissant un empêchement au mariage le fasse savoir.
 
Le droit civil français a aussi rendu la publication des bans obligatoire. La publication est affichée sur un panneau officiel dans chacun des lieux où résident les futurs époux. Elle doit l'être au moins dix jours précédant la date du mariage pour que la cérémonie puisse être célébrée.

On trouve ainsi dans certains registres paroissiaux ou d'état civil ces publications qui annoncent le mariage.


Extrait registre d'Angers (paroisse Saint Martin) de 1627, AD 49

Fiançailles :
Le vingt et deuziesme jour de juin juillet mil  six cens vingt & sept furent fiancés Jehan De la Lande fils de deffunt pierre de la Lande et de mathurine poitevain paroissiens de la paroisse de brain sur lauthion et jacquine Pinot de cette paroisse

Bans : 
Le premier ban public le dimanche vingt & cinquiesme ledit mois & an Le secont et troiziesme les dimanches premier & huictiesme aout en suivant 

Mariage : 
Et le vingt & uniesme jour de septembre mil six cent vingt & sept avec le certificat de noces [ ?] le vicaire de ladite paroisse de brain du troiziesme aout mil seix cent vingt et et sept signe berthelot jay administré le Saint sacrement du mariage auxdits de la Lande & pinot present honorables hommes jehan Coulleau marchand & jehan [] michel & urban buaud chirurgien

Avec un peu d'attention, on remarquera que les deux époux ont signé l'acte de mariage.

En résumé, le/la fiancé(e) est trouvé(e), la dot est négociée et constituée, les papiers nécessaires réunis et publiés... il ne reste plus qu'à se marier !


[ * ] Merci Bernadette !
 

vendredi 5 septembre 2014

Marions-nous ! épisode n°2

Suite de notre épopée sur le mariage (cliquez ici pour voir l'épisode n°1).

Les  familles ne s'opposent pas au mariage. C'est déjà une bonne chose. Mais cela ne signifie pas qu'on est déjà marié : plusieurs étapes sont encore nécessaires. 

Et la première étape est la négociation de la dot. En effet, même si ce n'est pas obligatoire ni systématique, il est néanmoins "de coutume" de "constituer dotte et mariage aux marys affin que les charges et facultés d’icelluy se puissent plus commodement et facilement supporter". 

Si les négociations restent secrètes et obscures, le résultat en est tout à fait officiel, légitimé devant notaire et témoins. Ce contrat est rédigé dans l'étude du notaire ou à défaut dans la maison du futur beau-père.

 Photopin

Cela se fait la plupart du temps avant la noce, mais on connaît quelques exceptions; comme François Jannay et Andréanne Buffard qui font rédiger leur contrat de mariage en juin 1710 à Lalleyriat (01) alors qu'ils sont mariés depuis le mois de janvier.

La dot peut se composer de biens et/ou d'argent, parfois de terres. 

A travers la dot on devine le niveau social des protagonistes. Ainsi, si on prend en compte les sommes d'argent :
  • Louise Marie Levrat ne reçoit que 30 livres lors de son mariage avec Jean Claude Simon en 1720 à Saint Germain de Joux (01).
  • A l'inverse le couple  Joseph Anthoine et Jeanne Françoise Denarie, mariés en 1731 à Morillon (74), reçoivent au total 1 350 livres. Dans ce total sont compris les 100 livres que le futur donne à sa fiancée "offert par marque d'amour", comme il est précisé dans le contrat de mariage.

Souvent du bétail est donné : un vache, une chèvre, une brebis (parfois accompagnée de son ou ses agneaux).

S'y ajoute, le "trossel" : le linge et vêtements donné à la jeune fille. Souvent on voit au moins un habit de drap. Parfois des chemises ou chemisettes. Selon les contrats de mariage on a plus ou moins de détails sur la nature des tissus : ainsi j'ai rencontré des chemisettes de ratine rouge (étoffe de laine ou drap croisé dont le poil est tiré en dehors et frisé de manière à former comme de petits grains), de ritte (toile fine de chanvre), un cotillon de sarge (tissu de laine). En général l'un de ces habits neufs tient lieu de robe nuptiale. Les vêtements sont souvent complété par du linge : quelques aunes de toiles, serviettes, linceuls (draps) et couvertes (couvertures). Et très souvent "un tour de lict de toisle [plus ou moins] ouvragé avec ses franges".

En Haute-Savoie les vêtements et linges sont souvent minutieusement décrits : on admire ainsi le trossel de Louise Françoise Vulliez (1755 à Samöens - 74) composé de "une demy douzaine de drapts de toile meslée de trois aulnes piece, une douzaine et demy de chemise de femme de toile de ritte presque nouvel six tabliers dindienne, et douzaine dautres tabliers de toile de ritte, une douzaine de mouchoirs tant de soÿe que de mousseline, trois douzaines de Coëffes tant dans la toile fine que de ritte, trois habits neufs complets de droguet dangleterre, cinq corps bas de drapt de couleur avec leur juppes a tiers usés, une paire de manche de ratine minime presque neuve, un tour a filer et un coffre bois de sapin fermant a clef dans lequel sont renfermés tous les autre menus linges et habits quotidiens".

Extrait contrat de mariage Moccand / Vulliez, 1755, AD74

La plupart du temps vêtements et linges sont en effet sont réunis dans un "coffre de bois sappin fermant à clef" (parfois en tilleul ou noyer). Certain de ces coffres étaient de véritables objets d'art, sculptés de différents motifs (soleils, rosaces...) et portaient souvent la date et les initiales de l'épousée. 

Plus rarement il y a des éléments de vaisselle ou de mobilier : chaudron de cuivre, pot d'étain, poêle à frire. Personnellement je n'en ai pas encore rencontré. Par contre j'ai plusieurs tours à filer.

De temps en temps, il y a des "joyaux". Louise Françoise Vulliez (toujours elle) reçoit "une croix dor avec une bague dor a pierres fines". Marie Landreau reçoit des bagues, joyeux et ornements estimés à 40 livres (1756 aux Epesses - 85).

Dans deux cas seulement il est question d'immeubles ou de terres :
  • il "a été convenu que lesdits pierre soullard et marie landreau, entreront en communauté de [] biens meubles et immeubles" que forment déjà Mathurin Landreau et Perrine Grimaud, les parents du futur, et son frère également prénommé Mathurin; Lesdits parents Soullard et Grimaud pour une moitié entière a eux deux, ledit Mathurin Soullard fils pour un quart, le dernier quart au nouveau couple Soullard/Landreau.
  • les parents de Jeanne Antoinette Vuagnat donnent au couple un grangeage [ * ] en toute propriété et tous les droits et titres présents et à venir (1716 à Samoëns - 74).  Le futur couple Vuagnat/Guilliot est par ailleurs institué héritier universel des parents de Jeanne Antoinette à condition qu'ils règlent leurs frais funéraires aux décès desdits parents, qu'ils dotent les sœurs de Jeanne, et qu'ils payent à Claude son frère la somme de 200 florins (monnaie de Savoie; soit 150 livres tournois) après le décès de leur père, attendu que Claude "n'a pas assisté ny secouru ledit nicolas vuagnat son père ayant toujours resté dans les païs estrangers [...] moyennant quoy il dejette sondit fils de tous ses biens quelconques". Enfin, le couple Guilliot/Vuagnat sera "aussy obligé d'entretenir honnestement et raisonnablement lesdits maries vuagnat et simond pendant leur vie et les serviront comme est de devoir en semblable fait avec obeissance respect et affection".

Enfin, les échéances du règlement sont définies scrupuleusement : tant au jour des noces, tant, six mois après, un an après, à la Toussaint prochaine, au décès des parents... Parfois, il est précisé que si l'épouse meurt sans enfant, la somme promise ira aux enfants du premier lit de l'époux (contrat de Pierre Monet et Catherine Poncet, en 1715 à Martignat - 01) ou à l'époux survivant (contrat de Nicolas Guilliot et Jeanne Antoinette Vuagnat en 1716 à Samoëns - 74).

Bref, bien peu de choses sont laissées au hasard. Mais maintenant que tout cela est réglé, on peu passer à l'étape suivante...



[ * ] Manière de donner une terre à bail, en prenant pour la rente moitié des fruits. Synonyme de métayage. 

vendredi 29 août 2014

Marions-nous ! épisode n°1

Le mariage est l'événement clé du devenir familial. Il faut donc trouver un bon parti. Mais ce qui fait le "bon" obéit à différentes logiques :
  • l'âge, qui doit être suffisant pour la procréation.
  • le statut social.
  • les terres et la dot en jeu.
L'amour semble donc entrer finalement assez peu en ligne de compte, et ce pendant longtemps. Ce qui ne signifie pas qu'il en est totalement exclu non plus, Dieu merci !

La paroisse est le bassin principal du choix conjugal. Les rencontres aux veillées, aux foires, autour du four ou de la fontaine, lors des processions : autant de possibilités de rencontrer son futur conjoint et d'évaluer les enjeux de la future noce.

 Bouquet de fiançailles, cparama

Si les familles ne s'y opposent pas, les jeunes gens peuvent "se fréquenter". En Haute-Savoie, il était d'usage que le garçon offre un cadeau à la jeune fille, gage de promesse : une croix, un mouchoir, des rubans, parfois une simple pièce. Si la jeune fille l'accepte, cela signifie qu'elle s'engage elle aussi vis-à-vis du garçon; sorte de fiançailles officieuses.

La parentèle peut alors intervenir ouvertement, pour négocier au mieux les intérêts de chacun. C'est le moment des choses sérieuses : terres, bétail, argent, trousseau seront âprement négociés.

Comme nous l'avons dit plus haut, la procréation est un des buts essentiels du mariage : les époux se doivent donc d'être en âge de procréer, notamment en ce qui concerne une première union. Lorsque la descendance est assurée, cette question est moins pressante; mais l'éducation des enfants la remplace dans l'ordre des priorités.

S'il arrive que les familles s'arrangent entre elles alors que les enfants sont encore petits (pour réunir des propriétés voisines, par exemple), elles attendent néanmoins l'âge de la procréation pour officialiser les noces.

Dans ma généalogie, la moyenne d'âge des époux est de 28 ans; celle des épouses de 23 ans. Néanmoins il y a quelques extrêmes :
  • l’époux le plus âgé : Rouault Pierre a 64 ans, lorsqu'il se marie le 7 juin 1757 à Villevêque - 49 (il s'agit d'une seconde noce et son épouse n'a que... 27 ans !).
  • l’épouse la plus âgée : Picard Marie Anne a 39 ans, mariée le 6 juillet 1728 à Guérard - 77 (seconde noce également - l'époux a 24 ans).
  • l’époux le plus jeune : Beroud Claude a 15 ans, marié le 14/2/1774 à Lalleyriat - 01 (il aura son premier enfant dès l'année suivante; son épouse est de trois ans plus âgée).
  • l’épouse la plus jeune : Pradellis Marie a 13 ans, mariée le 27 janvier 1761 à Ginolhac - 12 (elle aura son premier enfant 5 ans plus tard; son époux a 29 ans lors du mariage).

Dans les actes de mariages (du XIXème siècle notamment, plus rarement avant), l'officier d'état civil ou le curé mentionnent la majorité matrimoniale et précisent si les époux sont majeurs ou mineurs.

Extrait de l'acte de mariage Guetté/Bertrand, AD79

L'âge de la majorité matrimoniale a évolué au fil des siècles. En dessous de cet âge il était impossible de se marier sans le consentement des parents.
  • De 1579 au 19 septembre 1792 : 30 ans pour les hommes et 25 ans pour les femmes.
  • Du 20 septembre 1792 à 1804 : 21 ans pour les deux sexes.
  • De 1804 à 1906 : 25 ans pour les hommes et 21 ans pour les femmes.
  • De 1907 à 1973 : 21 ans pour les deux sexes.
  • Depuis 1974 : 18 ans pour les deux sexes.

En fonction de certaines régions, l'âge de la majorité était différente, ainsi en Bretagne, sous l'Ancien Régime, la majorité était de 25 ans pour les hommes et 25 ans pour les filles.
Bien sûr, être mineur n'exclut pas le mariage : il s'agit simplement de l'autorisation parentale. 

On a donc trouvé la bonne personne; on a l'âge requis; maintenant les choses sérieuses vont pouvoir commencer. Mais on est encore loin du jour des noces, comme on le verra dans l'épisode n°2...



mercredi 20 août 2014

Les coiffes de nos grands-mères

Les avez-vous remarquées sur vos clichés familiaux ? Attentifs aux visages, on ne fait pas forcément attention aux vêtements. Et pourtant...

On considère généralement qu'à partir du XIVème siècle apparaît le costume dit "personnalisé". On voit une différenciation des vêtements masculins et féminins, mais aussi des particularités régionales.

Au sein d'une même région, on distingue des différences notables dans le costume traditionnel. Par exemple, on ne peut pas parler "du costume breton" mais "des costumes bretons" tellement il existe de variantes, en particulier au niveau des coiffes. Si les techniques, comme le point de chaînette, sont les mêmes partout, chaque pays, chaque localité possède son propre style et ses propres motifs.
On a ainsi compté plus de soixante modes féminines différentes en Bretagne. Les couleurs, les broderies, les types de vêtements, les accessoires… Autant d’éléments qui distinguent une mode d’une autre. 

Ces différences géographiques s’accompagnent d’évolutions dans le temps. De 1850 à 1950, les costumes ne sont pas restés figés et chaque génération apporte des changements aux modes précédentes. Par ailleurs, il faut différencier les costumes portés le dimanche ou lors de cérémonie, du vêtement de travail. De la même manière, on distingue la coiffe usuelle, que l'on porte quotidiennement, de celle des jours de fête.

En Vendée c'est à l'éventaire du colporteur, puis plus tard auprès du mercier ambulant lors des grandes foires, que les paysannes vont trouver les éléments du trousseau qu'elles vont confectionner, ainsi que les éléments de la coiffe qu'elles fourniront ensuite à la lingère pour qu'elle la leur réalise.
Durant tout le XIXème siècle, vont naître de nombreux "grands magasins" qui proposeront leurs produits sur leurs catalogues. Désormais, les femmes choisissent tranquillement chez elles parmi une offre très vaste, tous les articles de mercerie nécessaires à la confection de leur coiffe, ainsi que leurs bonnets pour leur usage quotidien.


Catalogue Samaritaine, Gallica

Parmi les différents éléments du costume, la coiffe possède une connotation particulière, une conscience sociale. On fait remonter son usage, telle que nous la connaissons, à la première moitié du XIVème siècle. Mais depuis toujours, la tradition judéo-chrétienne (et avant celles-ci les religions antiques) désirait soustraire du regard des hommes les chevelures féminines, sujets de leurs désirs irrépressibles. A la puberté, les jeunes femmes ont donc pris la précaution de se chapeauter et ne sortent plus "en cheveux". Les femmes du peuple se couvraient la tête avec simplicité, et les aristocrates avec plus de recherche. Simple voile, petit bonnet de coton, ou hennin sophistiqué, chaque femme, quelle que soit son appartenance sociale ou religieuse, se doit de couvrir ses cheveux.

Le costume féminin, et particulièrement la coiffe, continue d’exister jusqu’au milieu du XXème siècle, date à laquelle, progressivement, les modes citadines sont adoptées et les costumes abandonnés.

Les coiffes sont des objets à la fois très précaires et porteurs d'une multiple mémoire. Précaires par la fragilité du tissu, de leur montage, leur légèreté ... Mais objets tenaces aussi, porteur d'histoires, des vies paysannes, des identités, des grands moments de l'existence (mariage, cérémonie, morts des proches...).

La coiffe paysanne consiste le plus souvent en une pièce de tissu simplement nouée et drapée autour de la tête. La forme évolue au cours des siècles, tant dans le volume que dans l'ornement. Mais au début du XIXème siècle, au simple rôle utilitaire que jouait le bonnet à la française porté par les paysannes, va se substituer un rôle essentiellement social. Le bonnet, se transformant en coiffe, va devenir le véritable signe d'identité de la femme du peuple. Cette évolution va débuter après la Restauration, vers 1815, et la guerre de 1914 en achèvera le déclin. L'heure de gloire des coiffes correspond aux heures de gloire de la paysannerie française.

Je n'ai malheureusement aucun cliché de mon aïeule bretonne, installée en Ile de France au tout début du XXème siècle. Et aucune coiffe savoyarde ou aveyronnaise ne figure sur les photos en ma possession.

Par contre, sur tous les clichés que je possèdent de mon arrière-arrière-grand-mère, Louise Chatelain, on la voit arborer la coiffe angevine.


Louise Chatelain, 1917, coll. personnelle 

Il s'agit de la coiffe des Ponts-de-Cé (49).
Appelée aussi coiffe à grand devant, cette coiffe est historiquement la première coiffe à tuyaux de l’Anjou et était portée tant à Angers qu'aux alentours. Elle deviendra le symbole de l’Anjou dans l’imaginaire collectif, comme la Bigouden en Bretagne. 
Le fond de coiffe et la passe sont taillés dans le même morceau de tissu et sont le plus souvent ornés de riches broderies blanches, réalisées à l’aiguille, avec des incrustations de dentelle à l’aiguille. La  dentelle  entourant le visage est assez large pour pouvoir être portée rabattue sur le front et mise en forme avec de larges tuyaux horizontaux au niveau des tempes.

Schéma de la coiffe des Ponts de Cé, Amis du Musée des Coiffes

Posée sur un bonnet de coton noir, la coiffe s’ajuste au moyen de deux lacets coulissants qui se croisent autour de la tête. Ils seront ensuite cachés par la passe du nœud. Ce dernier, en forme de grand papillon aux ailes déployées, est fixé à l’aide de deux grosses épingles à tête blanche au-dessus du front. De taille relativement modeste au temps des premières coiffes, le nœud va prendre beaucoup d’ampleur au fil du temps et se porter pointes en haut et parfois très relevé en diadème.  

Le fond de coiffe est creusé et maintenu en forme grâce à un grand peigne piqué dans le chignon, évoquant ainsi l’arrière des barques de Loire, ce qui lui donne une allure tout à fait caractéristique dite vulgairement "en cul de poule".


Coiffe "angevine", Amis du Musée des Coiffes

Concernant la coiffe de Louise Chatelain, il s'agit d'une coiffe de veuve car elle n'est ornée d'aucune broderie ou dentelle (son époux est décédé en 1901).

Quant à mon arrière-grand-mère, Marie Benetreau (décédée en 1951), elle portait toujours la coiffe vendéenne, qu'elle amidonnait avec soin.


Marie Benetreau, fin XIXème siècle, coll. personnelle

Les photos dont je dispose ne sont malheureusement pas assez nettes pour que je puisse distinguer précisément le type de coiffe qu'elle arbore, parmi les nombreuses coiffes vendéennes qui ont existé.



Supplanté par la puissante attraction de la mode internationale, le port du costume traditionnel est devenu anecdotique en France.
Son port est aussi directement proportionnel à la disparition de la ruralité, de l'attachement au terroir et de l'isolement des campagnes.
Chargé toutefois toujours d'un puissant symbolisme, il est conservé surtout dans le domaine du folklore.






Sources : Wikipedia, S. Pacaud : Costumes et coiffes folkloriques des terroirs de France, Le costume breton (CG du Finistère), Amis du Musée des Coiffes, Coiffes sans visages (Parole et patrimoine),

jeudi 17 juillet 2014

Quittances et obligations

Donc, c'est une évidence : nos ancêtres passaient leur temps chez le notaire ! Je le soupçonnais déjà, grâce aux archives notariales en ligne en Vendée, mais avec le répertoire des notaires en ligne de l'Ain, c'est devenu une certitude.

Inventaire du notaire Louis Guillermet, détail, AD01

En 10 jours j'ai déjà récolté plus d'une centaine de mentions de mes ancêtres passant des actes chez leurs notaires respectifs.

Bien sûr, j'avais connaissance des contrats de mariage, testaments ou inventaires après décès dont on notait scrupuleusement les termes chez un homme de loi. Mais il y a de nombreuses raisons qui poussent nos ancêtres dans les études les plus proches de chez eux.

Parmi ces raisons, certaines restent un peu mystérieuses, en particulier parce que je ne dispose que d'un inventaire et non des actes complets, et parce que les termes varient d'un notaire à l'autre, d'une forme ancienne à une autre.


  • Une demi-douzaine d'actes sont intitulés "achapt", probablement des actes d'achat, mais le détail n'est pas fourni dans les répertoires.
  • "Acte destat et vizitte d'une maison" : est-ce l'inventaire préalable à la vente d'une maison ?
  • Un certain nombre d'actes sont intitulés (selon les notaires ou les époques) cheptel, chatel, chastail, chetel, chaptel. Ils doivent recouvrir la même réalité : la convention, ou bail, d'un maître avec son fermier, lorsqu'il lui donne un certain nombre de bestiaux pour les nourrir et les soigner, avec partage du profit. Par extension, les bestiaux mêmes formant le fonds du cheptel.

Moins mystérieux, ou plus facilement identifiables : 
  • le bail à ferme : contrat de louage d'un fonds rural.
  • la cense : terre soumise au cens ( * ) ou redevance payée pour des terres, moulins, fours, etc.
  • le codicille : texte, clause, ajouté à un traité.
  • la cession : action ou acte de céder, d'abandonner quelque chose à quelqu'un volontairement ou non. 
  • l'échange : contrat par lequel les parties se donnent respectivement une chose ou un droit contre une autre chose ou un autre droit.
  • la licitation : vente aux enchères d'un bien indivis qui peut se faire à l'amiable ou en vertu d'un jugement. 
  • le transport : acte qui fait passer la propriété d’une chose incorporelle, comme un droit et une action, d’une personne à une autre; par la même la cession qui lui en est faite.

Les actes les plus nombreux sont sans conteste les suivants :
  • l'obligation : lien de droit par lequel une ou plusieurs personnes déterminées sont tenues, en vertu d'un contrat, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose. 
  • la quittance : attestation écrite reconnaissant le paiement d'une somme due (dette, redevance, droit). 
  • la vente (qui se passe de définition, mais en l'absence des actes eux-mêmes on ignore les détails de ces transactions). 

Le record de procédure est détenu par Neymod Janney grangier (exploitant agricole) à Lalleyriat. Il passe 26 fois devant le notaire, en l'espace de 21 ans, dont 17 fois pour des obligations en sa faveur et contre différents de ses voisins.

Les quittances trouvées concernent la plupart du temps des sommes d'argent, mais sont parfois plus diverses, comme celle que passe Blaise Berthet Bondet à Jean Janvion (1793) : 174 livres, une vache, une chèvre, une garde robe.
Ou celle de Marie Françoise Alombert Goget (1783) citant une croix d'or d'une valeur de 23 livres.

On remarque d'ailleurs que les femmes sont nombreuses à passer devant le notaire. On les voit agir en tant que veuve ou "sœur de", mais aussi en leur nom propre.

Enfin, on voit régulièrement des actes notariés passés au nom d'une communauté toute entière :
  • Délibérations des habitants du Poizat par laquelle les habitants du village "nomment des gardes forets pour empecher le déboisement de leur montagne" (1761).
  • Délibération des habitants de Lalleyriat "aux fins de répondre aux demandes de cessation du rolle fait pour les reparations de leur eglise" (1767). 

Aux hasard des registres, j'ai aussi rencontré d'autres types d'actes (mais qui ne concernaient pas mes ancêtres) :
- abandon et permission de prendre l'eau
- procuration
- révocation de procuration
- sentence arbitrale
- assignat (ou assinat)
- ratification
- déclaration de grossesse
- contrat d’apprentissage
- grangeage ( * )

Les tabellions ne chômaient pas !

Il ne me reste plus qu'à attendre la numération des actes eux-mêmes, pour en savoir davantage sur ces différentes transactions.


( * ) pour les définitions précises, voir l'onglet Lexique de généalogie

samedi 29 mars 2014

Une ferme en Haute-Savoie


Les archives nous permettent de mieux connaître la vie de nos ancêtres. En voici une autre : la découverte de l'habitat traditionnel. A travers cette présentation de la ferme traditionnelle savoyarde, on peut appréhender (un peu) la vie quotidienne autrefois. 

Bien sûr, selon les vallées, on constate des différences, dues aux matériaux utilisés par exemple. Mais les fermes restent soumises à des contraintes identiques, notamment de pentes et de climat. Je prends comme exemple ici une ferme de la vallée du Giffre (Haute-Savoie).

Ferme savoyarde, coll. personnelle


La ferme traditionnelle s'organise toujours de la même façon :

  • Parfois une (des) cave(s) en (semi) sous-sol. Lieu(x) de stockage ou abris pour les chèvres et/ou cochons.
  • Un rez-de-chaussée où se répartissent l'habitation et les étables (vaches, chevaux) de part et d'autre d'un mur de refend.
  • Un premier étage où se trouve la grange. 
  • Des bâtiments annexes (grenier, parfois four ou cabane à outils).

Maquette ferme savoyarde (fermée), coll. personnelle

Maquette ferme savoyarde (ouverte), coll. personnelle


On utilise la pente à bon escient : on ouvre la grange à l'arrière (façade Nord) pour charger le foin, l'entrée se fait par la façade Est, on habite le côté le plus éclairé et chaud (l'adret, la façade Sud).

Comme partout ailleurs, l'architecture traditionnelle utilise les matériaux locaux : la pierre (notamment pour les soubassements) et surtout le bois. Le bois se trouve sur place, il constitue une bonne isolation et un bon maintien de la neige.

On remarque le débord du toit, qui permet de lutter contre le climat, en l'occurrence de se protéger de la neige. Ce toit débordant aménage aussi un espace de stockage ou de travail à l'abri des intempéries.

La toiture est à deux pans. La couverture est en bois : ancelles ( =  planches en bois, mesurant 80 cm de long sur environ 30 cm de large et simplement posées sur le toit, retenues par des perches et pierres placées dessus) ou tavaillons ( = planches en bois mesurant 40 cm de long sur environ 15 cm de large et clouées).

Les animaux dessous et à l'arrière, le foin au-dessus : l'habitation est bien isolée. 

Chaudrons dans la cheminée, située dans la "cuzna" (la cuisine), coll. personnelle


Haut du conduit de cheminée, où on fait fumer le jambon ou les saucisses, coll. personnelle


Grange et conduit de cheminée en bois (à l'étage), coll. personnelle


La grange est très vaste, car les bêtes sont à l'étable une grande partie de l'année : il faut donc disposer de foin en conséquence. On y abrite aussi le matériel agricole et on y bat le blé en cas de mauvais temps.

Pierre à évier (sous la fenêtre, à l'extérieur), coll. personnelle


"Pèle" (pièce principale), coll. personnelle

C'est la pièce à vivre, où la famille se retrouve (parfois à plusieurs générations) et parfois y dort.


Courtine (courette abritée à l'Est), coll. personnelle
 
C'est l'entrée de la maison : habitation à gauche, écurie à droite. Elle est abritée : on peut aussi y travailler.


"Écurie des vaches", coll. personnelle


Détail façade, coll. personnelle


Annexes : on craint les incendies du bâtiment principal, c'est pourquoi les objets de valeurs sont stockés dans des bâtiments annexes. 

Cabane à outils, coll. personnelle

Inutile de rappeler la valeur des outils, notamment dans les périodes anciennes. Souvent fabriqués sur place, ils étaient parfois transmis de générations en générations.


Grenier, coll. personnelle

Le grenier contient les grains (la récolte de l'année) au rez-de-chaussée et les objets précieux de la famille à l'étage : habits du dimanche, papiers importants...

Four, coll. personnelle


Détail façade, travail du bois, coll. personnelle



Photos réalisées à la ferme éco-musée du Clos-Parchet à Samoëns.