« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 18 septembre 2015

Perrine, ma petite soeur

Assis au soleil sur le banc devant la maison, je regarde ma petite sœur. Perrine. Devant le poulailler, le dos légèrement courbé par le poids des ans, elle s'affaire à ses tâches quotidiennes. Appuyé sur ma canne, je repense à nos jeunes années.

La sœur © Cliché d'origine Delcampe

Des années plutôt heureuses, à l'ombre du château de Préciat, en la paroisse de Villevêque, où notre père était laboureur et vigneron. J'avais déjà 9 ans quand Perrine est née, en 1674. Je l'ai vue grandir, moi presque en haut de la fratrie et elle presque en bas. Nous étions 8 enfants, puisque ma sœur aînée Jeanne n'a vécu que 4 mois. L'insouciance de la jeunesse a été ternie par la mort de notre mère, Jeanne Vaugoyau, un jour de juillet 1682. Elle avait 47 ans. Nous nous sommes retrouvés démunis sans elle. Elle était le pilier de notre famille. Si j'avais déjà 17 ans, Perrine n'en n'avait que 8. Mais malgré la douleur de cette disparition, le temps a continué de s'écouler. J'ai essayé d'aider notre père et d'accompagner mes frères et sœurs du mieux que j'ai pu. Nous sommes restés très proches.

J'étais là le jour du mariage de Perrine, en 1696, en l'église d'Andard. Elle, si heureuse, aux côtés de Jean Launay, son époux, un marchand vigneron. A 21 ans elle quittait la fratrie pour s'installer à la Roche Tinard avec lui. Les années se sont écoulées, rythmées par les naissances et les déménagements.

Les quatre premières années de leur mariage, Perrine a donné naissance à quatre enfants. A chaque fois Jean était absent. Mais il était là pour déclarer le décès du troisième, prénommé Jean comme lui, et qui n'a vécu qu'un seul jour.
Ensuite la famille a déménagé à Sarrigné. Entre 1701 et 1710, Perrine a donné naissance à 5 enfants supplémentaires.
Puis ils se sont installés à Bauné, à la ferme de Saint Victor.

C'est là que Jean nous a brutalement quitté, à l'âge de 42 ans seulement. J'étais là pour assister ma sœur lors de l'enterrement de son époux en l'église de Bauné, ce jour froid de janvier 1713. Perrine était alors en fin de sa dixième grossesse. Marguerite est née un mois plus tard, une nuit de février. Fille posthume, elle ne connaîtra jamais son père.

Ma courageuse petite sœur se retrouvait, seule, à la tête d'une famille de 9 enfants, âgés de 16 ans à quelques heures. Je l'ai accompagnée du mieux que j'ai pu.

Ainsi j'étais présent en 1716 lorsque Perrine, sa fille aînée âgée de 18 ans, a épousé Pierre Basset, un fermier de la paroisse. Bien qu'il soit âgé de dix ans de plus, j'espère qu'ils connaîtront un heureux mariage.

Même si nous n'habitons pas la même paroisse, j'ai heureusement pu lui rendre visite régulièrement. C'est pour cela que j'ai rapidement deviné qu'elle projetait de se remarier. Son choix s'était porté sur Jacques Le Breton, un jeune laboureur de la paroisse âgé de 26 ans. Et visiblement il n'avait pas peur d'épouser une veuve, mère de 9 enfants encore vivants (même si tous n'habitaient plus le foyer) et de 17 ans son aînée. Le mariage a eu lieu en décembre 1718. Pourtant ce mariage a failli ne pas se faire : il a fallu obtenir, non seulement, une dispense de deux bans (puisque seul le premier ban a été officiellement publié, sans opposition connue) par Monseigneur l'évêque d'Angers, mais encore une dispense de parenté du deux au troisième degré (à cause d'ancêtres communs) accordée par notre Saint Père Clément XI lui-même. Celle-ci, il a fallu l'anticiper : elle a été signée par le Saint Père en août et vérifiée au greffe des insinuations seulement sept jours avant la noce !

Ensemble, ils eurent un fils, prénommé Jacques - comme son père - né en 1720. Perrine avait alors 45 ans pour cette onzième grossesse.

Les années ont passé. Les enfants ont grandi, puis se sont mariés : Nicole en 1731, Marie en 1734, Michel en 1735, Marguerite en 1737. On a connu des deuils aussi, comme le décès de Laurent en 1719 qui n'avait que 16 ans.

Malgré les difficultés, les joies et les peines, nous avons traversé la vie.
Une vie simple, de modestes laboureurs et vignerons de l'Anjou. Notre vie.


Perrine Dibon est mon sosa n°1227, ancêtre à la 11ème génération. Née le 28 décembre 1674 à Villevêque, mariée le 7 mai 1696 à Andard avec Jean Launay, puis le 13 décembre 1718 à Bauné avec Jacques Le Breton. Je perds sa trace après 1737 : malgré de longues et patientes recherches, je n'ai pas (encore) trouvé son acte de décès... Je descends ensuite de sa fille Perrine (sosa n°613), épouse de Pierre Basset (sosa n°612).
Son frère Pierre Dibon est aussi mon ancêtre, sosa n°1194.

Ce récit est basé sur ses actes de naissance et mariages, ainsi que sur les actes de naissances et mariage de ses enfants.


Pour voir Pierre avec les yeux de sa sœur Perrine, cliquez ici.

© Delcampe


vendredi 11 septembre 2015

Décédé chez la veuve d'à côté

Que s'est-il passé en 1722 au village de la Villeneuve (paroisse de Mûr de Bretagne, 22) ? Une note sibylline du curé dans un acte de décès m'alerte et me fait mener l'enquête.

Avant d'en venir aux faits proprement dit, examinons le contexte :
En 1695 Jean Le Dilhuit épouse Olive Guitterel à Mûr de Bretagne. Il a une trentaine d'années (les sources ne sont pas toutes d'accord sur l'année exacte de sa naissance) et Olive a 23 ans. Ensemble ils auront six enfants, dont trois fils et une fille mort-née. En 1704, alors qu'elle n'a que 32 ans, Olive décède. Bien qu'à la tête d'une famille de cinq enfants, âgés de 8 à 3 ans, Jean ne semble pas s'être remarié (en tout cas pas à Mûr).

Jean décède à son tour, une vingtaine d'années plus tard. Mais voici le fameux acte de décès :

Acte de décès de Jean Le Dilhuit, Mûr de Bretagne, 1722 © AD22

Jean le Dilhuit aagé denviron soixante et trois ans décédé chez 
Marguerite Baudic veuve de feu Guillaume Guilloux du village de
Auquinian paroisse de Neuliac le vingt et unieme jour du mois de janvier 
mil sept sept cens vingt et deux et transporté par ses enfants par ses
enfants (sic) en sa demeure au village de la Villeneufe paroisse de
Mur, a esté ensuite enterré {le vingt et quatrieme} par moy soussignant Recteur dans leglise
paroissiale dudit Mur et ont assisté au convoy Estienne Ledilhuit
Guillaume Le Dilhuit ses fils marie Le Dilhuit Susanne le Dilhuit
ses filles et Claude Ralle qui ne signent lesdits jours et an que dessus
interligne vingt et quatrieme approuvé
yves le berre Recteur de Mur

Jean n'était donc pas chez lui lorsqu'il a quitté ce monde; c'est le moins qu'on puisse dire. Mais ses enfants ont ramené son corps fissa à la maison !

Ce court texte est plein de non-dits :
  • la relation qu'entretenaient Jean et la veuve Guilloux,
  • la réaction des fils face au lieu de décès, plutôt original, de leur père, 
  • la location d'un attelage, s'ils n'en possèdent pas (on ignore leur métier),
  • le retour du corps à la maison - la maison légitime,
  • la réaction de l'entourage, des voisins, du curé,
  • l'emplacement du tombeau : avec sa défunte épouse légitime ? Ses parents ?

Aussitôt, mon imagination s'enflamme et vient combler les trous : l'intimité entre le veuf et la veuve, la stupéfaction des fils apprenant le lieu de décès de leur père, le retour à la maison et l'organisation des obsèques.

Bien sûr, la veuve Guilloux est peut-être juste l'épicière du coin. Et le décès de Jean chez elle, tout à fait anodin. Néanmoins, je ne peux m'empêcher de penser qu'ils entretenaient des relations particulières. A cause de la mention du curé qui a souligné ce lieu de décès peu ordinaire et aussi à cause de son tremblement (un tremblement intellectuel, j’entends, avec la répétition des termes "par ses enfants" et l'oubli de la date rajoutée en interligne : était-il perturbé en rédigeant l'acte ?).

Puis je me suis intéressée à la fameuse veuve. Après l'avoir vainement cherchée (notamment sur Genearmor), j'ai essayé de la retrouver par sa paroisse. Malheureusement j'avais du mal à l'identifier : aucun nom ne semblait correspondre dans les Côtes d'Armor. Aux grands maux les grands remèdes, j'ai élargi la recherche à toute la Bretagne. Et c'est là que j'ai identifié la veuve et sa paroisse.

Auquinian est un village de la paroisse de Neulliac (aujourd'hui dans le Morbihan), distant de Mûr de 10 kilomètres - les paroisses sont voisines, malgré le changement de département actuel.

Marguerite et Guillaume ont eu au moins deux enfants, nés en 1706 et 1707. Plus surprenant, un acte de décès de Guillaume Guilloux a été trouvé... mais en 1730; un acte paraissant vraisemblable (avec mention de deux beaux-frères plausibles) mais qui vient contredire l'état de veuvage de Marguerite en 1722. Je penche plutôt pour un homonyme décédé en 1730 (notamment parce que sa fille se mariant en 1726 est dite "décrétée de justice" [ 1 ] et que le décès de la mère n'a pas été trouvé avant ce mariage : c'est donc le père qui est décédé).

Me voici ainsi épluchant les registres de Neulliac, à rebours : je trouve finalement un autre Guillaume Guilloux, décédé en 1720. Les témoins sont moins convaincants, mais la date correspond mieux. Sans certitude, je l'adopte; car enfin il y a peu de chance que Jean se soit trouvé chez son "amie" si celle-ci était encore mariée !

Où se sont-ils connus ? L'histoire ne le dit pas. Ils n'apparaissent ni l'un ni l'autre comme témoins de leurs actes familiaux respectifs. J'ignore quel métier ils pratiquaient.

Et en fin de compte, je ne saurais jamais quelles relations entretenaient Jean et Marguerite. Peut-être que je me suis laissée emporter par mon imagination ? Ou y avait-il vraiment une histoire entre eux ?



[ 1 ] Décrété(e) de justice : dit de l'un des époux qui est mineur et orphelin de père ou de mère. Spécifique à la Bretagne. Ce consentement (dit "décret") est reçu devant le juge du lieu où le mariage doit être célébré. L’opération, d’après la coutume de Bretagne, requiert en outre l’avis de 12 parents paternels ou maternels. Selon l’avis rendu par les parents, le juge "décrétait" ou non le mariage, en suivant l’opinion des personnes présentes.

vendredi 4 septembre 2015

Le Bescherelle de la généalogie

 Article disponible en podcast !

 

 

En ces temps de rentrée scolaire, rappelons quelques règles d'orthographe et de grammaire applicables à la généalogie :

Manuel lexique ou dictionnaire portatif des mots françois, 1750 © Wikisource

1. Les noms propres n'ont pas d'orthographe

Tout généalogiste a été confronté à cette règle : pendant longtemps l'orthographe des noms n'était pas fixe. Du coup Alary devient facilement Halary ou Halari.
Ça se complique quand les générations déménagent souvent et que le patronyme évolue à chaque fois : il m'a été difficile de pister les Lejard quand ils sont devenus Jard, Jar, Legeard, Anjard, Angeard (heureusement qu'ils avaient des épouses bien identifiables...).
Dans le même acte Jean Jacques Baudin signe Boudin, mais sa fille Marianne signe Baudin.
Parfois le nom inscrit dans la marge de l'acte n'est même pas orthographié de la même manière que dans le corps de l'acte, mais ça... faites pas attention, c'est pas très grave.
Cela s'explique par les nuances dialectales ou phonétiques (le curé neuf n'est pas du pays et a du mal à se faire à l'accent du coin) ou l'illettrisme du porteur de patronyme qui n'est pas capable de corriger le rédacteur.

Mon astuce : gardez l'esprit bien ouvert lorsque vous recherchez un patronyme et ne vous arrêtez surtout pas à la forme que vous connaissez. Comme les trains, un nom peut en cacher un autre.

2. Manque de chance, les noms communs non plus !

Là, c'est la galère ! Et comme la grammaire ce n'est pas beaucoup mieux...

Mon astuce : bon courage !

3. Toponymie : la théorie de l'évolution

Avec les toponymes (on parle bien des noms de lieux, pour ceux qui sont assis près du radiateur...) il faut garder à l'esprit qu'ils ont tous connu au moins une évolution et la plupart plusieurs : la première est celle de l'époque post-romaine (quand Augustoritum devient Limoges par exemple). Mais en généalogie, vous aurez peu de chances d'y être confronté.
Par contre, des évolutions postérieures, c'est nettement plus probable. Par exemple : quand Pierre His devient Pierris puis Le Pierry (tient ! ça me dit quelque chose...).
Pour les noms des grandes villes ou grosses paroisses/communes, les évolutions sont assez reconnaissables, car bien connues en général. Mais pour les lieux-dits ou hameaux, cela peut se compliquer. Entre les paroisses qui ont disparu, les noms qui changent au fil du temps, etc... il peut vite devenir laborieux d'identifier ou de retrouver le lieu qui a abrité votre ancêtre.
Quant à connaître son histoire, c'est autre chose. Récemment Marino, du blog De France et d'aïeux, nous a donné un exemple des surprises que révèle la toponymie dans l'article Toulouse : du gibet à la salade.

Mon astuce : lancez un projet collaboratif pour recenser tous les lieux-dits de la carte de Cassini (première carte géométrique du royaume de France, dressée par la famille Cassini au XVIIIème siècle - voir la numérisation desdites cartes sur le site de Gallica). Et surtout n'oubliez pas de le publier en accès libre sur le Net, ça peut toujours servir...

4. Et si on inventait la ponctuation ? Heu, non finalement...

Du coup, dans un acte notarié moyen, une seule phrase peut faire entre 70 et 100 lignes (dactylographiées), plus d'un millier de mots. Proust peut aller se rhabiller avec sa phrase la plus longue qui ne contient que 243 mots (dans Du côté de chez Swann). Mine de rien, la ponctuation aide vachement bien à la compréhension d'un texte. C'est en son absence qu'on s'en rend compte le mieux !

Mon astuce : faites la transcription au kilomètre, même si vous n'y comprenez rien, et relisez le tout ensuite; éventuellement à tête reposée. Après le sens du texte viendra peut-être. Ou pas.

5. Un mot qui n'existe pas, il existe quand même

Vous êtes en train de transcrire un texte. L'écriture est peu familière et la tâche est ardue. Soudain vous tombez sur un mot qui n'existe pas : vous pensez que vous lisez mal. Et bien non : parfois le mot n'existe vraiment pas. Ou tout au moins il n'existe plus car la courte mémoire des Hommes l'a oublié. Affouage, grangeage, intestat, ritte, spectable ne sont pas des erreurs de Scrabble. Un jour ils ont tous eu leur propre définition officielle. Ceux-là (et d'autres, rencontrés au fil de mes lectures) trouvent leur explication dans la page lexique de ce blog.

Mon astuce : ne vous arrêtez pas à ce que vous savez. Comme dirait l'autre : je ne sais qu'une chose c'est que je ne sais rien (merci Socrate).

6. Les règles de majuscule... il n'y en n'a pas

En matière de majuscule, il n'y a qu'une chose à retenir : il n'y a pas de règle. Et quand il n'y a pas de règle, c'est l'anarchie. Ici c'est donc ce qu'on appelle l'anarchie majusculaire.
Dans la même phrase le prénom est écrit sans majuscule et le nom avec. Ou pas. Pareil pour les noms communs, finalement.
Seul Dieu a droit à sa majuscule systématique. Ou presque.

Mon astuce : les majuscules, après tout en s'en fout !

7. En annexe : la paléographie pour les Nuls

Jeune généalogiste (jeune dans la pratique, pas forcément en âge), tu es soudain confronté à un texte du XIXème dont l'écriture est indéchiffrable. Cela te décourage et tu décides d'arrêter la généalogie. Erreur ! Parce qu'au XVIIème et même au XVIème siècle il y a de magnifiques documents, tout à fait lisibles. Le vieil âge n'est pas forcément synonyme d'incompréhension.

Mon astuce : ne vous découragez pas. Si vous ne souhaitez pas faire appel à un paléographe professionnel ou si vous n'avez pas le temps/les moyens de faire une formation, je vous conseille de lire et relire le document. A force de patience, la graphie du préposé aux écritures devient plus familière et la lecture plus aisée. Si votre environnement le permet, lisez à haute voix, vous percerez peut-être quelques secrets.




lundi 31 août 2015

#Centenaire1418 pas à pas : août 1915

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois d'août 1915 sont réunis ici. 

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 


1er août
Mêmes emplacements.
Réfection d’un boyau de  communication entre le Bois carré et le col du Braunkopf.

2 août
Mêmes emplacements.
Continuation de l’aménagement du boyau entre le Bois carré et le col du Braunkopf.
Ordre de bataillon n°21 : Citations.

3 août
Mêmes emplacements.
Continuation de l’aménagement du boyau entre le Bois carré et le col du Braunkopf.
Ordre de bataillon n°22 : nomination.
Tout devient difficile. Le moindre geste du quotidien est difficile : manger, se laver, bouger, tout est contraint dans ces maudits boyaux.

4 août
Mêmes emplacements.
Transport de matériel aux compagnies de première ligne.
Bombardement allemand d'une violence inouïe.
Éclatement d'une mine, 1915 © Gallica

Il paraît que 40 000 obus ont été lancés sur un front de 3 km, ensevelissant morts et vivants. Les chasseurs s'épuisent.
L’eau propre et potable est de plus en plus difficile à trouver.
Ô, si je devais tomber demain, enterrez-moi ici,
Afin qu’au dessus de ma tombe à chaque jour qui revit,
Les fleurs des champs puissent fleurir, et les tourterelles s’aimer,
Et les amoureux, dans cet endroit inconnu,
S’embrasser tendrement en regardant la lune qui luit.
[ 1 ]

5  août
Assauts et contre-attaques de part et d'autre. Le sommet du Linge change plusieurs fois de main.
Le 23ème Bataillon de Chasseurs est relevé de ses emplacements par le 6ème BCA.
Nous retrouvons notre ancien bivouac au col du Sillacker avec ceux de la 3ème compagnie. Les autres retournent au Gaschney.
La relève s’est effectuée sans incidents.

6 août
Bivouac au Sillacker.
Nettoyage du camp. Nettoyage des hommes, des équipements, des armes.
Nettoyage enfin !
On trouve de la terre partout, dans ses poches, dans son mouchoir, dans ses habits, dans ce qu'on mange. [ 2 ] 

7 août                                                                        
Mêmes emplacements.
Travaux de propreté. Continuation du nettoyage du camp.
Quelques chanceux apprennent avec joie qu’ils peuvent partir en permission et quitter cet enfer.
Ordre de bataillon n°23 : nomination.
On entend la contre attaque allemande : mines et obus fusent.
Un bruit circule : le Général Joffre a décidé de passer à l'offensive dans ce secteur tout en refusant un nouveau renfort. 

8 août
Le Bataillon est rassemblé à 8h30 dans le pré du Gaschney. Le Drapeau des Chasseurs doit être présenté aux 23ème et 24ème Bataillons. Les deux fanfares sont là. Il est amené par la garde du Drapeau. Les honneurs sont rendus au glorieux emblème. Le commandant Rosset s’avance vers lui et donne lecture de l’ordre du Colonel Lacapelle (voir le 25 juillet 1915).
Drapeau Chasseurs, 8/8/1915 © Histoirémilitaria
Le Colonel Lacapelle salue et embrasse, avant son départ, le Drapeau des Chasseurs que la 4ème Brigade a été si fière de posséder pendant quelques jours.
Le Bataillon quitte ensuite le camp du Gaschney et se rend au camp d’Haeslen situé au Nord Est de l’Altenberg et occupé précédemment par le 24ème Bataillon de Chasseurs. Nous nous installons dans les baraques du camp. Le Drapeau est déposé au logement du Commandant.
Toute la matinée on entend les violents bombardements au-dessus de la route de la Schlucht, probablement avec des obus de gros calibre type 380.
L’après-midi on a appris avec stupéfaction le décès de 3 permissionnaires du Bataillon, tués en passant au col de la Schlucht. 5 autres ont été blessés. Quel gâchis !

9 août
Séjour au camp d’Haeslen.
Le Drapeau quitte le camp à 4h du matin avec la garde. Il doit être remis au Collet aux représentants de la 3ème Brigade.
Travaux de propreté.
Le soir c’est fanfare !
Ordres de bataillon n°24, 25 et 26 : mutations et citation.

10 août
Séjour au camp d’Haeslen.
Exercices de détails. Revue d’armes par le sergent armurier qui rectifie l’auget des fusils pour permettre l’emploi de la cartouche D.A.M.
Retour de la garde du Drapeau qui a reçu un accueil inoubliable à Gérardmer et Remiremont.

11 août
Séjour au camp d’Haeslen.
Exercices de détails.
Ordre de bataillon n°27 : nomination.

12 août
Le Bataillon reçoit l’ordre d’aller relever dans la nuit le 12ème Bataillon au Barrenkopf.
Attaques et contre-attaques s’y sont heurtées sans arrêt depuis plusieurs semaines.
Nous nous préparons donc à remonter en première ligne en fin d’après-midi.
Départ du camp d’Haeslen à 17h30. Arrivée prévue au camp de Wezstein vers 22h.
Pourvu que la relève se fasse sans incident.
Les unités doivent être disposées de la manière suivante :
Première ligne : 3ème et 5ème Compagnies (la nôtre).
Soutien : 4ème Compagnie.
Deuxième ligne : 2ème, 1ère et 6ème Compagnies.
Ordre de bataillon n°28 : nomination et mutation.
Colonne montant aux tranchées © Gallica

13 août
Séjour aux tranchées du Barrenkopf et du Schratzmännele.
Bombardement de nos tranchées de 12h à 15h par du gros calibre et des bombes.
Pertes : 2 tués et 12 blessés, dont 10 rien que dans notre Compagnie !
Nuit calme.

14 août
Mêmes emplacements.
Journée et nuit calmes.
Travaux d’aménagement.

15 août
Le matin à 6h violent bombardement de nos tranchées de première ligne par 77 – 105 et bombes.
Tranchées bouleversées. 14 morts, 35 blessés.
Tranchée allemande bouleversée, Vosges © Gallica

Notre artillerie lourde (155) exécute à 14h un tir de représailles.
Nouveaux bombardements à 15, 16 et 18h. Les deux compagnies de première ligne se comportent courageusement. Plusieurs actes d’héroïsme seront consignés dans le prochain ordre de Bataillon.
La nuit est assez calme.
Les tranchées sont presque complètement remises en état par la 2ème Compagnie qui a relevé la 3ème, et la 6ème Compagnie qui a relevé la 5ème.

16 août
Bombardement avec pièces de gros calibre de 8h30 à 9h et de 12h à 15h. Pertes : néant.
Les deux compagnies de première ligne remettent en état les tranchées et les boyaux démolis par le bombardement.
Le séjour est pénible, les organisations précaires et les communications difficiles.
La 4ème Compagnie et la mitrailleuse s’organisent.

17 août
Bombardement intermittent de nos tranchées de première ligne.
Vosges, bombardement, 1915 © Gallica

Vers 15h l’artillerie française inonde littéralement les positions ennemies. C’est un vacarme ininterrompu et un spectacle qui nous venge de nos pertes de naguère. Cette action d’artillerie devait servir de prélude à une attaque au Lingekopf. Après la terrifiante canonnade des blockhaus allemands ébranlés mais non démolis partirent des feux nourris qui prouvèrent que la garnison avait été épargnée par les obus. 
L’attaque fut remise.
Le Bataillon met en usage des cuisines roulantes.
Pertes : 3 tués, 2 blessés (obus tombé sur un abri de la 4ème compagnie).
Ordre de bataillon n°29 : mutation et affectation.

18 août
Matinée assez calme.
Dans l’après-midi le bombardement recommence. Les Boches [ 3 ] ne ripostent pas.
L’attaque se déclenche à 18h, menée par les 11, 22 et 23è Bataillons.
Son but est de s’emparer d’un blockhaus ennemi situé sur la crête du Linge.
Le 23ème se tient prêt, si les circonstances le permettent, à élargir son front de façon à gagner la crête du Barrenkopf.
Dans la soirée une fusillade assez vive éclate au Schratzmännele.
La relève entre la 1ère et la 2ème compagnie s’effectue sans incident.
On nous distribue des casques de tranchée, ce qui change étrangement notre aspect. Si on regrette la « tarte », ce casque aura l’avantage de nous préserver de nombreuses blessures.
Casque Adrian © alpins.fr
Nuit calme. Perte : néant.
Ordre de bataillon n°30 : cassation pour manque absolu d’énergie.
Ordres de bataillon n°31 et 32 : décorations et nominations.

19 août
Matinée calme. Nous apprenons que l’attaque hier a réussi.
Dans l’après-midi, bombardement par l’artillerie allemande en arrière de nos positions avancées.
La relève entre la 4ème et la 6ème compagnie s’effectue sans incident.
Ordres de bataillon n°33 et 34 : nominations et cassation. 

20 août
Journée assez calme. Peu d’obus.
Les troupes ennemies qui occupent le Barrenkopf sont décidément de mœurs paisibles. Aucun coup de feu.
Des prisonniers faits au Linge ont déclaré qu’ils appartenaient à la Landsturm.
Le poste du commandant a été transféré à la Crête Rocheuse. On renforce les défenses accessoires.
Ordre de bataillon n°35 : nominations. 

21 août
Mêmes emplacements.
Journée et nuit calmes.
Ordre de bataillon n°36 : nominations et affectations.

22 août
Au matin les 2ème et 6ème Compagnies relèvent les 1ère et 4ème.
Depuis la veille il est décidé qu’une attaque se produira dans le secteur Schratzmännele-Barrenkopf.
Chaque Compagnie reçoit son objectif. L’attaque a lieu avec entrain. Mais malgré des débuts brillants, la situation vire au médiocre.
La 2ème n’a pu conserver de son gain que quelques éléments de tranchée.
La nuit est employée à retourner les tranchées prises et à faire des boyaux de communications.
Pertes : 7 tués, 31 blessés et 33 disparus.

23 août
Matinée calme. Peu d’obus, quelques coups de feu par intermittence. Une nouvelle attaque doit avoir lieu dans l’après-midi.
Préparation d’artillerie de 16h à 18h. Elle se révèle excellente, bouleversant littéralement le terrain.
Les lignes ennemies sont à 30 mètres des nôtres : pendant le bombardement nous avons dû évacuer nos propres lignes pour éviter le tir de nos obus !
Les Boches s’enfuient dans la direction du Kleinkopf. D’autres trouvent préférable de sauter dans nos tranchées et de venir se rendre.
A 18h15 l’attaque se déclenche.
Chacun avec son outil portatif creuse quelques marches d’escalier dans le parapet pour pouvoir monter à l’assaut.
Baïonnette au canon, on attend le signal du départ.
Le départ s’effectue dans de bonnes conditions, malgré quelques rafales parties du camp ennemi qui commence à réagir après nos bombardements.
Non loin de moi, le jeune Honoré Lottier, un gars de Menton, est blessé et s’écroule. Le Sergent Ardisson est tué en essayant de le mettre à l’abri. J’apprendrai plus tard qu’Honoré fait partie des tués du jour.
Le Barrenkkopf est complètement évacué. Nos Compagnies couronnent le sommet.
Mais des feux de flancs assez nourris paralysent le mouvement en avant et nos Compagnies sont obligées de revenir dans leurs tranchées de départ.
Pertes : 14 tués, 63 blessés, 44 disparus.
Soldats sortant de tranchée © lepoint.fr

24 août
Journée et nuit calmes.
On remet les tranchées en état.
Les terribles bombardements par minens (torpilles aériennes) qui ont pulvérisé les tranchées ces jours derniers ont fait beaucoup de dégâts.
Tout en travaillant, je me souviens d’avoir été la veille enterré jusqu’à la taille par un minen tombant sur le bord de la tranchée.
Heureusement j’ai pu m’en sortir !
C’était alors un véritable lieu de désolation où émergeaient bras et jambes et où agonisaient nombre de chasseurs.
Combien des nôtres furent enterrés ?
Les Compagnies sont relevées. La nôtre est portée à Combekopf.
Pertes : 1 tué, 5 blessés.

25 août
Journée calme.
A 17h, bombardement des tranchées du Combekopf : 2 blessés dans notre Compagnie.
Les Boches essayent dans la nuit un coup de main sur les tranchées conquises par nous le 22.
Tout le monde est de faction aux créneaux.
La fatigue se fait sentir : à cause de la proximité des tranchées ennemies et des combats à la grenade fréquents, personne ne dort.
Notre Compagnie réussit à les repousser vers 21h en se portant sur la gauche de la 4ème Compagnie.
Un tir de 65 et 75 des mieux réglés et certainement efficace les soumettent.
Pertes : 1 tué et 6 blessés.

26 août
Journée et nuit assez calmes. Grande activité aéro des Boches.
Relève des Compagnies : nous remplaçons la 4ème.
Ordre de bataillon n°37 : décorations de la Médaille militaire à 6 Chasseurs pour leur belle attitude au feu.
Outre les bombardements, nous souffrons de la chaleur et de la soif : nous ne touchons qu’un quart de vin et un quart de café par jour pour étancher notre soif.
Certains assoiffés buvaient l’eau d’une source coulant au fond d’une tranchée dont les abords étaient plein de cadavres.
Le ravitaillement nous parvient la nuit : un peu de bœuf bouilli est notre ordinaire.
Mais l’appréhension de la mort qui nous guette coupe bien souvent l’appétit aux plus braves d’entre nous.

27 août
Journée calme.
Au matin bombardement de nos tranchées par des crapouillots [ 4 ] ; quelques pertes.
L’artillerie (75) cherche à contre battre la pièce ennemie dont le tir cesse au bout d’un instant.
Journée et nuit calmes. Canonnade dans la région du Linge. Les défenses accessoires sont renforcées.
Pertes : 2 tués et 1 blessé.

28 août
Journée calme.
Tout l’éperon du Combekopf est maintenant occupé par nous, le 297ème ayant dégarni les tranchées de Glassborn.
Renforcement pendant la nuit des défenses accessoires.
Pertes : 3 blessés.

29 août
Bombardement intermittent du secteur avec du gros calibre.
Les travaux sont activement poussés (défenses accessoires, renforcement des parapets, etc…).
La batterie de 65 du 1er de montagne quitte la Crête Rocheuse.
Mauvais temps, pluie ; les tranchées sont inondées et les boyaux impraticables.
Dire qu’il y a quelques jours encore nous avions si soif !
Pertes : 3 blessés, 1 évacué pour douleurs lombaires.

30 août
Matinée calme. Quelques obus seulement.
Visite du Colonel Passaga aux tranchées de première ligne.

31 août
Matinée calme.
Le général d’Armau de Puydraguin, Commandant de la 47ème division, vient visiter nos tranchées de première ligne.
Il constate l’état de fatigue des Chasseurs et promet un repos prochain.
10h30 : bombardement du secteur avec du gros calibre.
11h : notre artillerie répond… et tape dans nos tranchées y faisant 5 blessés.
A partir de 13h, bombardement particulièrement violent sur le Schratzmännele, Combekopf et la Crête Rocheuse.
Soudain un obus est tombé tout près avec un bruit mou, très différent du vacarme habituel.
On a aussitôt ressenti des démangeaisons dans le nez, puis la gorge.
- Les gaz ! Les gaz !
J’ouvre rapidement mon sac et trouve le masque placé sur le dessus, comme c’est recommandé.
D’autres mettent plus de temps à le trouver et le fixer. On les entend crier, suffoquant sous la brûlure des poumons.
Ils s’étouffent sur place, sans qu’on puisse les secourir. [ 5 ]
Jusqu’à la nuit c’est un bombardement puissant sur toutes nos positions de première ligne, positions arrière et jusqu’aux camps éloignés qui subissent aussi l’effet des obus asphyxiants.
Vers 17h l’ennemi attaque. Il emploie des liquides enflammés et les gaz asphyxiants.
Nous apprenons par la suite qu’il nous a enlevé une tranchée au Col du Linge.
Pendant la nuit bombardements intermittents.
Pertes : 8 tués, 11 blessés, 1 disparu.
Soldats portant des masques à gaz © Gallica


[ 1 ] Plaque en l'honneur d'Alan Seeger à l'ossuaire 1 de Lihons
[ 2 ] Lettre H. Barbusse, via Cliotexte
[ 3 ] C’est la première fois que le terme de « Boches » est utilisé dans le JMO. 
[ 4 ] Crapouillot : mortier de tranchée 
[ 5 ] Inspiré de « Ils rêvaient des dimanches » de Ch. Signol

Sources complémentaires :
http://www.linge1915.com/fr/historique/
http://www.alsace.lib-expression.fr/site/site_alsacien.php?pSitId=FRAL68LING&pSitLib=Le%20Linge
http://www.francebleu.fr/infos/centenaire-de-14-18-la-bataille-du-linge-en-images-1686711



vendredi 21 août 2015

Illégitimes de génération en génération

 Article disponible en podcast !

 
 

 

Justine Borrat-Michaud est la dernière de mes ascendants suisses ayant vécu (et disparu) dans son pays natal. Je la connais notamment grâce aux relevés de l'AVEG (Association Valaisanne d’Études Généalogiques) puisque, étant Française, je n'ai pas eu accès directement à l'état civil suisse.
Elle est la fille de Jean Maurice, que nous avons déjà rencontré lors du Généathème de mai M comme militaire.

D'après les relevés de l'AVEG, elle a donné naissance à un fils illégitime, Pierre Frédéric Borrat-Michaud, né de père inconnu en 1844. Elle est alors âgée d'environ 30 ans.

Pour mémoire, un enfant illégitime (dit aussi adultérin ou naturel) est un enfant né hors mariage. Si aujourd'hui le phénomène est courant et ne choque plus guère les esprits, autrefois il n'en était pas de même. Dans des sociétés où les relations sociales et religieuses étaient fondées sur le couple, faire une entorse à cette structure de base était jugé très sévèrement. Rappelons que le mariage chrétien est un sacrement ne pouvant être dissous que par la mort. Ces enfants illégitimes illustrent l'irresponsabilité de leurs parents et réaffirment le caractère de péché grave de l'adultère.
Ils avaient aussi des conséquences non négligeables sur les héritages : on distingue ainsi les enfants naturels des enfants adultérins, puisque les premiers pouvaient, eux, succéder aux noms et aux biens de leurs parents (entièrement en l'absence d'enfants légitimes nés du mariage des parents, ou partiellement, s'ils en avaient); contrairement aux seconds.
C'est pourquoi, lors de mariages postérieurs, les parents légitimaient automatiquement leurs enfants naturels, les rendant tout aussi légitimes que les autres enfants nés au cours du mariage des parents communs.

Près de 20 ans plus tard, naît Joseph Auguste en 1863; mon ancêtre. A nouveau, c'est  un enfant illégitime : "Joseph Auguste Es Borrat Michaud, illégitime de Justine Es Borrat Michaud" (acte de naissance selon la transcription de l'AVEG); "Monsieur Borrat Michaud Joseph Auguste [...] fils majeur célibataire et illégitime de Borrat Michaud Justine" (acte de mariage). Il est le seul ancêtre direct de ma généalogie à être illégitime [ 1 ].

Et en 1850, Justine donne naissance à un troisième enfant, prénommé Louis Auguste. Cette fois, le père est connu : il s'agit de Pierre Julien Rey-Mouroz. Cependant Ils ne sont pas mariés. Ils sont juste concubins.

Avoir un enfant illégitime n'est pas très courant, mais trois !

A ma connaissance elle ne s'est jamais mariée. Est-ce que Pierre Julien Rey-Mouroz est aussi le père de Pierre Frédéric et de Joseph Auguste ? Nous ne le saurons probablement jamais.

Le nom du père de Joseph Auguste reste donc inconnu. Ce qui a deux conséquences : une grande saignée dans mon arbre généalogique et un patronyme, Borrat-Michaud, hérité d'un Claude vers 1650 et qui s'est transmis jusqu'à ma mère.

Devenu adulte, Joseph Auguste épouse Antoinette Adélaïde Jay. Celle-ci est un peu à part dans ma généalogie. Il faut dire qu'elle a eu une vie unique, comparée à celles des autres femmes de ma parentèle.

Née en 1854 à Samoëns (74) on la voit apparaître pour la première fois dans les registres en tant que mère en 1881 : elle a alors 26 ans et donne naissance à des jumelles, Félicie Césarine et Marie Joséphine. Mais c'est la sage-femme qui déclare cette double naissance : la mère est encore alitée, bien sûr, mais le père est inconnu.

Antoinette Adélaïde est alors "ménagère" et vit chez ses parents cultivateurs, au lieu-dit Lévy. Si aujourd'hui ce métier désigne la femme qui s'occupe du foyer, autrefois on l'utilisait pour qualifier l'agriculteur disposant d'une grande surface de terres, qui est riche. Le "ménager" est le chef de maison. Son épouse est donc la ménagère. Ici Antoinette Adélaïde n'est pas mariée : ce terme doit renvoyer au métier de son père (et non à celui de son époux) - qui sera d'ailleurs dit plus tard "propriétaire"; ce qui démontre une certaine aisance.

L'officier d'état civil qui remplit le double acte de naissance est assez indulgent : en effet il utilise la formule "a accouché d'un enfant jumeau". Délicat, il ne fait aucune mention de paternité. Il faut attendre le décès de Marie Joséphine (lorsqu'elle a 3 semaines) pour voir la mention "fille naturelle".

Le père d'Antoinette n'a pas l'air d'avoir mal pris cette entorse aux règles de bonne conduite puisqu'il continue à l’héberger après son accouchement.

Huit ans plus tard Antoinette Adélaïde donne naissance à deux autres filles jumelles... et naturelles ! Marie Louise et Marie Joséphine ne survivent que 3 jours. Mais à nouveau il n'y a pas de père dans le paysage. La seule précision qu'apporte l'officier d'état civil c'est l'ordre de "sortie du sein de [leur] mère" (ordre de naissance de chacune des deux fillettes).

Cette fois on retrouve un même nom dans les déclarations de naissance et de décès de cette seconde paire de jumelles : Placide Burnod, menuisier âgé de 29 ans, voisin de la famille Jay. Est-il un simple voisin ou a-t-il été "un peu plus proche" de la fille de la maison ?

En 1892, âgée de 38 ans, Antoinette donne naissance à une cinquième fille, Marie Louise, alors qu'elle n'est toujours pas mariée. L'enfant est donc toujours illégitime, mais cette fois pourtant le père est (enfin) connu : c'est un jeune citoyen suisse âgé de 29 ans domicilié à Samoëns, Joseph Auguste Borrat-Michaud.

Bébés © Anne Geddes

Trois semaines plus tard, les nouveaux parents vont officialiser leur union. "Et à l'instant les époux nous ont déclaré reconnaître et légitimer 1° Jay Félicie Césarine née à Samoëns le 17 février 1881 enregistrée à la mairie de Samoëns comme enfant naturel de Jay Antoinette Adélaïde 2° Borrat-Michaud Marie Louise née à Samoëns le 28 décembre dernier enregistrée à la mairie de Samoëns comme enfant illégitime de Borrat-Michaud Joseph Auguste déclarant et de Jay Antoinette Adélaïde."

Avoir un enfant illégitime n'est pas très courant, mais cinq !

Placide Burnod a disparu. Peut-être n'était-il qu'un voisin après tout... Joseph et Antoinette donneront encore naissance à un enfant, cette fois (enfin) tout à fait légitime.



Extrait arbre Borrat-Michaud et Jay
(Cliquez pour agrandir)



Y a-t-il une prédisposition à la naissance illégitime ? Il est étonnant de voir en effet autant d'enfants naturels/illégitimes en si peu de naissances et aussi rapprochés.

C'est en tout cas un phénomène tout à fait à part dans ma généalogie.



[ 1 ] A dire vrai, j'ai aussi un ancêtre dit "bastard" : Jacques Guibé, mais il n'y a pas de registre à l'époque de sa naissance (vers 1612 à La Coulonche, Orne) pour le confirmer.



vendredi 14 août 2015

Noces de chêne

S'ils étaient toujours là, nous aurions fêté cette année leurs noces de chêne. 80 ans de mariage.

Daniel Augustin Astié et Marcelle Assumel Lurdin se sont mariés le 31 juillet 1935 (acte civil - la cérémonie religieuse aura lieu le lendemain).

Noces Daniel Astié et Marcelle Assumel Lurdin, 1935 © coll. personnelle

Daniel a 22 ans, Marcelle 19. Il est employé de commerce, elle est employée de bureau.
Entourés de leurs parents et amis, ils célèbrent ce jour particulier. Les fidèles du blog auront peut-être reconnu, à droite de la mariée, sa mère Marie Gros que nous avons déjà rencontrée lors du ChallengeAZ 2015. Son père, Jules, est déjà décédé.

Fêter les anniversaires de mariage est une tradition ancienne, d'abord païenne : dans l’Empire Romain, les époux mariés depuis 25 ans étaient coiffés d’une couronne en argent; d’où peut-être l’appellation de noces d’argent. Au XVIIIème siècle la tradition se popularise mais prend alors un caractère religieux et devient l’anniversaire d’un sacrement. C'est pourquoi, elle est moins présente chez les protestants, par exemple. Ces célébrations des anniversaires de mariage, courantes dans la petite bourgeoisie urbaine, vont se répandre progressivement dans les campagnes dans le courant du XIXème siècle. Mais cela se faisait uniquement pour certaines années. Les années intermédiaires sont apparues dans un second temps. Quand aux attributs (noms de matériaux, de pierres précieuses ou de végétaux) ils ont changé au fil du temps, en particulier sous l'influence des bijoutiers !

Les sept enfants Astié éparpillés un peu partout en France, une grande fête a été décidée en 1985 pour les réunir tous, à l'occasion de l'anniversaire de mariage de Daniel et Marcelle.

En 1985 nous avons donc fêté leurs noces d'or (50 ans de mariage).

Noces d'or, 1985 © coll. personnelle

Nous avons organisé cet événement au Domaine du Hutreau (à Sainte-Gemmes-sur-Loire, à côté d'Angers) où ils avaient longtemps travaillé et où mon père est né. Du haut de mes dix ans, je me souviens de ces lieux que je trouvais immenses, d'une pêche à la ligne organisée pour les enfants et des courts spectacles et chansons donnés lors du dîner pour nos grands-parents.

Et dix ans plus tard nous avons fêté le diamant (60 ans de mariage). Cette réunion familiale a fait l'objet d'une rubrique dans la presse régionale. Il faut dire que mon grand-père avait eu, en son temps, une certaine notoriété locale pour son travail en faveur des plus défavorisés.

Noces de diamant, 1995 © Courrier de L'Ouest

Il n'y aura plus de réjouissances familiales nous réunissant tous par la suite :
Daniel nous a quittés le 27 janvier 2001. Marcelle le 13 avril 2013.

Ils détiennent néanmoins le record de l'union la plus longue de ma généalogie : 65 ans.

C'étaient mes grands-parents.

Il n'y aura pas de noces de chêne. Sauf dans nos cœurs.


vendredi 7 août 2015

Je me souviens

Je me souviens de mes trois sœurs, de leurs babillements, cris et rires qui ont peuplé et égayé la maisonnée. Marie, de dix ans mon aînée, aidant notre mère dans ses tâches quotidiennes.
Je me souviens du trajet entre notre maison à La Gidalière et l'école du village. Les 4 kilomètres à parcourir sous tous les temps me paraissaient parfois bien longs pour mes petites jambes.
Je me souviens des bêtes que je gardais, plus tard, dans le Pré Bas. Je préférais cela à l'école parce qu'au moins j'étais dehors.
Je me souviens que mon père me racontait cette grande Révolution qui a bouleversé notre temps. Commencée par des révoltes contre les seigneurs locaux ici, elle a fini par couper la tête du roi là-bas, à Paris.
Je me souviens des troubles qui ne tardèrent pas ensuite, ravageant le pays et divisant les familles. J'avais une quinzaine d'années et la violence des querelles opposant Bleus et Blancs me fascinait pourtant.
Je me souviens de la paix revenue. Mais rien n'était plus vraiment comme avant.
Je me souviens de ce triste jour d'hiver où j'ai enterré mon père Jacques. Ce sentiment de solitude soudain qui vous envahit. Et qui n'est rien à côté de celui que je lisais sur le visage d'Anne, née Gobin, ma mère.
Je me souviens du jour où j'ai repris la métairie de mon père : 36 hectares dépendants du château du Puy Jourdain. J'avais alors 22 ans.
Je me souviens de Françoise Paineau, venant vers moi qui l'attends devant l'autel de l'église de Saint-Amand. Cette église où j'ai été baptisé et où seront baptisés mes enfants.

Église de Saint-Amand-sur-Sèvre

Je me souviens de notre première-née Marianne Françoise l'année suivante. De sa naissance un jour d’août et de celle de nos 9 autres enfants ensuite.
Je me souviens du petit Pierre qui n'a vécu que 15 mois. Le premier de nos trois enfants que j'ai dû accompagner dans le tombeau familial.
Je me souviens du regret que j'ai ressenti de n'avoir pas eu le temps de mener mes filles à l'autel avant de disparaître. Mais je sais que mon épouse aura cette joie pour nous deux.
Je me souviens de ce jour de mai où je me suis sentir partir. Dire que je n'avais même pas 50 ans. Mon épouse devra assumer la métairie seule ainsi que nos sept enfants restants, âgés de 17 à 1 an. Je ne les verrai pas grandir. Puissent-ils connaître une belle vie.

Je me souviens de tout cela... mais qui s'en souviendra après moi ?


Jacques Gabard et Anne Gobin sont nos plus anciens ancêtres Gabard connus. L'absence des registres anté-révolutionnaires à St Amand (79) ne nous permettant pas de remonter cette branche plus loin. La ferme de la Gidalière restera dans notre famille jusque dans les années 1920.