« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 14 février 2014

Toile peinte et balustrade

Un article d'Arnaud Lefevbre intitulé Pourquoi les personnes ne souriaient pas sur les photos d’époque  m'a rappelé une conférence très intéressante sur l'histoire de la photo à laquelle j'ai assisté en 2011 * .
Avant de vous en livrer quelques extraits, un rapide résumé de l'histoire de la photo en quelques dates : 

1812 
Premières recherches par Joseph Nicéphore Niepce. 

1826 
Niepce réalise la première photographie grâce à une plaque d'étain recouverte de bitume de Judée placée dans une chambre noire, face à une fenêtre de sa propriété. Temps de pose : huit heures.

1839 
William Herschel produit sa première photo et invente le mot de photographie. Invention officielle de la photographie. 

1839 
Le daguerréotype est une image positive obtenue grâce à une couche d'argent appliquée sur une plaque de cuivre précédemment polie. Grâce aux vapeurs d'iode, l'argent est sensible à la lumière. Temps de pose : 15 minutes. Le daguerréotype est une image positive unique non duplicable. L'utilisation du procédé s'arrêtera en 1860. 

1840
Le calotype ou talbotype est breveté par Henri Fox Talbot. La surface d'une feuille de papier est enduite d'une solution de nitrate d'argent. Temps de pose : entre une et plusieurs minutes. Après la prise de vue, on développe le négatif obtenu qui permet - au contraire du daguerréotype - de tirer plusieurs épreuves positives à partir d'un seul et même négatif. 

A partir des années 1840
Engouement pour le portrait. La photographie permet d'avoir une représentation de soi, jusque là réservée aux riches, avec le portrait en peinture. Un nouveau métier apparaît : photographe. C'est le début de l'industrialisation de la photographie.

J'ai la chance d'avoir un certains nombre de clichés anciens des membres de ma famille. Et après avoir suivi cette fameuse conférence, j'ai fait la comparaison avec lesdits clichés. 

Dans la seconde moitié du XIXème l'engouement pour la photo se fait sentir. On fait des portrait dans les moments importants de la vie (diplôme, mariage), ou plus simplement pour le souvenir. Elles peuvent prendre la forme d'un portrait sous verre ou d'une carte postale. Mais quoi qu'il en soit, cela reste un événement : on se déplace chez le photographe (photo prise en atelier). On soigne son apparence (vêtement, coiffure).

Au début le temps de pause est assez long : on trouve des parades pour éviter la fatigue et le changement de position qui rendraient le cliché flou.
- siège pour s'assoir (souvent un fauteuil à accoudoirs),
- élément de mobilier pour s'accouder (souvent un fausse balustrade, ou une console), 
- enfant tenu fermement pour éviter qu'il ne bouge

Après avoir suivi cette conférence, j'ai regardé les clichés de ma collection personnelle et j'y ai retrouvé ces éléments.


1871
Photo la plus ancienne de nos ancêtres en notre possession (il s'agit d'une reproduction). Elle représente la famille Rols : Rols Alexandre, Puissant Marie-Anne son épouse et Rols Élisabeth, leur fille aînée (alors âgée de trois ans). 
C'est un portrait fait en atelier. La famille est assise, devant une toile tendue (elle ne semble pas peinte). Le temps de pause est alors encore relativement long : près d'une minute. C'est sans doute pourquoi ils sont assis. Le plus souvent, un repose-tête était habilement dissimulé afin d'aider à tenir la pause. On remarque que chacun des deux parents tient fermement les bras de la petite fille afin qu'elle ne bouge pas et que le cliché soit net. Ce cliché a sans doute été pris à Angers car le couple y habite, au moins depuis 1868. 

1917
Portrait de la famille Lejard. 
C'est aussi un portrait fait en atelier. La famille est disposée devant une toile tendue peinte. Pour aider à la pause, des accessoires sont disposés : fauteuil à accoudoirs pour l'aïeule, fausse balustrade pour d'autres. Le petit Daniel est lui aussi tenu fermement par sa mère afin qu'il ne bouge pas. Chacun a revêtu son plus beau costume pour immortaliser ce moment. 

Années 1930
Portrait de Marcelle Macréau, épouse Borrat-Michaud, et son fils André.
Portrait fait en atelier. Une toile tendue peinte sert de décor : faux rideau de théâtre et fausse balustrade. La mère tient son fils afin qu'il ne bouge pas, mais d'une façon un peu plus lâche que sur les clichés précédents : l'enfant est plus grand et/ou le temps de pause est désormais mois long. Chacun est bien habillé et bien coiffé. 

Début XXème ? (date non connue)
Portrait de Célestin Félix Gabard et son épouse Marien Henriette Benetreau. 
C'est aussi un portrait fait en atelier. Le couple est disposé devant une toile tendue peinte, un décor en perspective, et une plante. Il n'y a pas d'accessoire pour aider à la pause, si ce n'est la chaise sur laquelle est assise Marie. Celle-ci porte sa coiffe vendéenne qui ne la quittait pas. Elle tient une paire que gants qu'elle ne devait pas, contrairement à la coiffe, porter quotidiennement (elle était fermière).

Si vous avez vous aussi des clichés anciens, pris en atelier, amusez-vous à déceler ces détails :
- la toile peinte qui sert de décor en arrière-plan, 
- des accessoires qui aident à tenir la pause : le fauteuil à accoudoirs, la console sur laquelle on s'appuie, la fausse balustrade, la canne ou le prie-Dieu
- les parents qui tiennent les enfants pour éviter le flou
- les vêtements du dimanche et la coiffure soignée

* Conférence organisée lors de l'exposition "Limoges révélée, une ville et l'art photographique (1839-1914)" à la Galerie des Hospices.
 

lundi 10 février 2014

Restons groupés !

René Roy et Mathurine Guitton se sont mariés à Treize-Vents (85) le premier février 1712. Neuf enfants vont naître de cette union, durant les treize années suivantes :
     - Pierre né le 31/5/1713
     - Marie née le 13/3/1714
     - Perrine née le 1/7/1716
     - François né le 17/9/1717 (notre ancêtre)
     - René né le 5/12/1720
     - Perrine née le 17/2/1722
     - Jean né le 15/5/1724, décédé le 28 (d'après mention marginale)
     - Perrine née le 15/2/1726 (baptisée à la maison en danger de mort)
     - Marie Anne (naissance non trouvée)

Leur première fille Marie se marie dès 1727 (donc âgée de 13 ans seulement), avec un futur âgé de 33 ans déjà.

Mais c'est un autre mariage qui nous intéresse aujourd'hui : celui de 1746. En effet, ce n'est pas un mais trois mariages qu'on célèbre aux Châtelliers-Châteaumur ce 5 juillet.
 
 

François, Perrine et Marie Anne se marient le même jour. 
François est âgé de 29 ans. 
Perrine de 30 ou 20 ans (deux sœurs portant le même prénom de Perrine dans la fratrie, on ignore laquelle se marie en 1746). 
Quant à Marie Anne, son acte de naissance n'a pas été trouvé; on ignore donc également son âge). 

Mariage Roy, AD85

Mariage de françois Roi et jeanne proux
je soussigné ay ce jourdhuy cinquieme juillet de
lan 1746 donné la benediction nuptiale
apres les trois publications faites par trois
dimanches ou fetes consecutifs sans quil nous soit
parvenu aucun empechement canonique vu les
certificat fournis par Monsieur le curé de St Mesmin
et par Monsieur le Prieur [?] de la flocelliere pour
la contractante, a françois Roy fils de René Roy
et de Mathurine Guitton ses pere et mere de cette 
paroisse et a jeanne Proux fille de deffunt pierre
Proux et de renée boismoreau de la paroisse de st
mesmin en presence de françois pasquier et antoine
Bideau lun son oncle et lautre parrein et rené Roy
pere du contractant de pierre Proux frere de la
contractante jean Roy son cousin qui ont declare
ne scavoir signer
Mariage de michel Moreau et de perrine Roy
je soussigné ay ce jourdhuy cinquieme juillet de lan 1746 
donné la benediction nuptiale apres les trois publications 
faites par trois dimanches ou fetes consecutifs sans 
quil soit parvenu a notre connaissance aucun 
empechement canonique vu le certificat fourni 
par Monsieur le curé de St mars de la reorte pour le
contractant, a michel moreau fils mineur de deffunt
Mathurin Moreau et de Marie agneau
ladite marie agneau et michel moreau sont
authorisés par charles auves leur mari et beau pere
demeurant a la peulie paroisse de St mars de la
reorte, et a perrine Roy fille mineure de René Roy
et de Mathurine Guitton demeurant a la brechouere
de cette paroisse en presence de charles auves beau
pere du contractant, d'andre Poupin son oncle,
de René Roy pere de la contractante de 
françois pasquier son oncle qui ont declare ne 
scavoir signer
Mariage de Mathurin Moreau et Marianne Roy
je soussigné ay cejourdhuy cinquieme juillet de lan 
1746 donné la benediction nuptiale apres les 
publications faites par trois dimanches ou fetes 
consecutifs sans quil soit parvenu a notre connaissance 
aucun empechement canonique et vu le certificat 
fourni par Monsieur le curé de St mars de La reorte pour 
le contractant a Mathurin Moreau fils mineur 
de deffunt Mathurin Moreau et de Marie agneau
demeurant a La brechouere de cette paroisse
ladite marie agneau et Mathurin Moreau sont
authorisés par charles auves leur mari et beau pere
demeurant a la peulie paroisse de St mars de la
reorte, et a Marie anne Roy fille mineure de René 
Roy et de Mathurine Guitton demeurant a la metayrie
de la brechouere de cette paroisse en presence de 
charles auves beaupere du contractant, 
d'andre Poupin son oncle, de René Roy pere 
de la contractante, françois pasquier son oncle 
qui ont declare ne scavoir signer

On remarque au passage que les deux filles Roy épousent deux fils Moreau : restons groupés !
Les deux familles habitaient l'actuel hameau de la Bréchoire, aujourd'hui composé d'une dizaine de maisons et bâtiments agricoles. Facile d'imaginer où les futurs couples se sont connus. François a, quant à lui, parcouru davantage de distance : il est allé chercher sa promise à 11 kilomètres.

mercredi 5 février 2014

Exploit ou fantôme ?

Barbot Marie, épouse de Pillet Jacques, décède au Plessis Grammoire (49) le 18 frimaire an VIII (soit le lundi 9 décembre 1799).
Décès Barbot Marie, AD49

"Aujourdhuy octidi dix huit frimaire lan huitieme de la republique
francaise une et indivisible sur les huit heures du matin
Par devant moy laurent flon agent minicipal de la commune
du plessis grammoire canton de pellouaille departement de maine et loire
ont comparu en la maison commune le citoyen jean barbot cultivateur agé de
quarante neuf ans, et louis gougeon aussi cultivateur, tous les deux domiciliés de
foudon en cette commune ledit gougeon agé de quarante huit ans, ledit barbot
pere de la defunte marie barbot, et ledit gougeon oncle deladitte deffunte, lesquels
m'ont declaré que marie barbot femme de jacques pillet, agée de vingt deux ans
est decedée d'hyer sur les sept heures du soir dans son docimile sis a foudon, sur
cette declaration apres mettre assuré dudécès deladite marie barbot femme dudit 
jacques pillet jay redigé le present acte, que les dits jean barbot et louis
gougeon ont declaré ne scavoir signer
fait en la maison commune du plessis grammoire les jours mois et an
cy dessus"

Jusque-là, rien d'anormal, si ce n'est le jeune âge de la défunte.

Mais là où cela se corse, c'est qu'elle donne encore naissance à deux filles en 1800 et 1803 !

- Marie née le 17 brumaire an IX (soit le 8 novembre 1800) :


Naissance Pillet Marie, AD49

"Du dix septieme jour du mois de brumaire l'an neuf
de la République française.
Acte de naissance de marie pillet née le
seize brumaire a quatre heure du matin fille
de jacques pillet cabaretier et de marie barbot sa femme 
demeurant a Ingrande
Le sexe de l'enfant a été reconnu être femelle
Premier témoin, Pierre maurice chabain aubergiste agé de
quarante ans domicilié a Ingrande
Second témoin, perrine avrillaud veuve mathurin davy agé de cinquante
six ans demeurant commune de la chapelle grande tante de lenfant
Sur la requisition à nous faite par ledit jacques pillet pere de lenfant
Et ont declarés ne scavoir signer fors ledit chabain qui
a signé avec Nous
Constaté suivant la loi, par moi jacques jean du dieu richard maire de la
commune d'Ingrandes faisant les fonctions d'officier public de l'était civil."

- Félicité née le 24 germinal an XI (soit le 14 avril 1803) :

Naissance Pillet Felicité, AD49

"Du vingt quatrieme jour du mois de germinal l'an onze
de la République française.
Acte de naissance de felicité pillet née le
jour d'hier a quatre neuf heure du soir fille
de jacques pillet cabaretier et de marie barbot son
epouse de cette commune
Le sexe de l'enfant a été reconnu être femelle
Premier témoin, jean pellé aubergsite de la commune de montrelais
Second témoin, felicité mercier fille majeure proprietaire de cette
commune
Sur la requisition à nous faite par marie jeanne denion epouse rené rousseau
[...] pour absence du pere
Et ont signes fors laditte femme rousseau qui ne le sait
Constaté suivant la loi, par moi jacques jean du dieu richard maire de
Ingrandes faisant les fonctions d'officier public de l'était civil."

C'est pas fort, ça peut-être ??? 

Bon, l'histoire se complique encore car en 1808 Jacques a (encore) déclaré le décès de Marie Barbot; mais elle est qualifiée de cousine (et non d'épouse) et "fille de confiance" (= gouvernante, servante attitrée selon D. Chatry).

De plus, lors du décès de Jacques Pillet (en 1810), il est dit "mary de Marie Barbot"; ce qui laisse supposer qu'elle est toujours vivante. D'ailleurs elle l'est toujours en effet lors du mariage de Marie Pillet (celle née en 1800).


Bon je ne crois pas trop aux fantômes qui ressuscitent, donc on serait plutôt en présence d'homonymes (de nombreux homonymes). Mais la coïncidence est troublante, tout de même : deux couples homonymes à quelques kilomètres de distance. Cela prête à confusion. 
Je me suis d'ailleurs laissée avoir, heureuse de trouver l'acte de décès de Jacques Pillet longtemps cherché sans succès. Mais il faut bien se rendre à l'évidence. En rédigeant cet article, je m'aperçois enfin que les parents dudit Jacques sont mentionnés dans son acte de décès de 1810 et ne correspondent pas à ceux de "mon" Jacques. Comme quoi, on ne lit jamais assez les actes qu'on a sous les yeux. Les deux "filles posthumes" n'appartiennent donc pas à "mon" couple Barbot/Pillet.

Adieu exploit ! Adieu fantôme !
. . . Il ne me reste plus qu'à chercher à nouveau le décès de Jacques.

mardi 28 janvier 2014

Une lettre... pour changer une vie

« Originaire de Saint-Amand-sur-Sèvre (Deux-Sèvres), la famille de Joseph Gabard exploitait une ferme à La Gidalière depuis plusieurs générations. Réformé pour faiblesse de cœur lors de la Première Guerre Mondiale, il resta à la ferme, tandis que ses deux frères aînés partaient au combat. Il assuma le travail de la ferme avec son père pendant les années de conflit. La paix revenue, son père lui dit pourtant "l'aîné va reprendre la ferme, toi tu n'as plus qu'à partir !". En effet, d'ordinaire, c'est l'aîné qui restait sur la ferme et les cadets partaient se marier et trouver du travail ailleurs. Les années de labeur sur la ferme comptèrent pour rien. C'est pourquoi il partit faire son apprentissage de boucher à Angers. C'est le premier Gabard à quitter La Gidalière depuis (au moins) la Révolution.»

« En 1924, Joseph Gabard travaillait à Angers. Il écrivait à Marie, la sœur de Flora *. Mais comme la première n’aimait pas écrire, c’est Flora (institutrice) qui répondait. Apprenant ce fait, il vint un jour à Châtillon, déclarant
"j’ai acheté une boucherie à Angers, marions-nous". Marie fut un peu déçue, mais Flora l’épousa. Joseph avoua par la suite que Flora lui avait plu dès le début, mais qu’il ne pensait pas qu’une institutrice put envisager de l’épouser, lui, un boucher. Il s’est décidé quand il a su que c’était elle qui répondait aux lettres. »

« Joseph et Flora avaient une boucherie rue Toussaint (n°42). Tout ce côté de la rue a été démoli par la municipalité pour dégager l’ancien mur des fortifications situé derrière la maison. La boucherie se composait du magasin, une salle à manger (les deux pièces étaient séparées par une porte vitrée), une cuisine, une petite cour où se situaient les toilettes. Des caves en sous-sol. Au premier étage étaient les chambres. Au deuxième habitaient des locataires. Au troisième (mansardé) logeait le commis et séchait le linge dans les greniers. La boucherie était ouverte, sans cloison ni porte, sur la rue. L’hiver il y faisait très froid. Flora était dans sa « caisse » (qui ressemblait à une petite cabine téléphonique), rendant la monnaie aux clients ou prenant les commandes. Elle souffrait moins du froid car elle avait une petite chaufferette sous les pieds. Le soir la boucherie était fermée par de grandes grilles. Deux rideaux rouges et blancs tirés à la fermeture isolaient la famille de la proximité de la rue. »

Boucherie Gabard, rue Toussaint à Angers, coll. personnelle

« En plus du métier de boucher, Joseph exerçait celui de marchand de bestiaux. Il était joueur de belote et un jour il gagna, en jouant à ce jeu contre un autre boucher, un cheval, une voiture et la tournée du boucher. Une tournée c’était un fond de commerce, l’autorisation de vendre de la viande au porte à porte, à la campagne (en l’occurrence entre La Bohalle et La Daguenière). C’était très rentable car les gens de la campagne achetaient les bas morceaux (il gardait ainsi les beaux morceaux, biftecks ou rôtis, pour les gens de la ville). »

« Tous les vendredis Joseph faisait la tournée de viande à La Daguenière et La Bohalle (à une quinzaine de kilomètres d’Angers). Joseph louait une ferme à La Morozière (St Lambert la Potherie) qui dépendait d’un château des comtes de Rorthays. Au début il y installa un couple de métayer, puis elle servit de maison de campagne à la famille. Cette ferme lui était utile pour son commerce de bestiaux. Le matin Joseph préparait les biftecks ou côtelettes, puis partait ensuite s’occuper de son commerce de bestiaux. Flora restait seule à la boutique. »

            C'est ma grand-mère qui m'a raconté ces fragments de l'histoire de ses parents. Lorsque les archives ne peuvent plus donner de renseignements, c'est la mémoire familiale qui prend le relais !! (pour paraphraser J. Bourillon).
    Il est amusant de voir que, sans cette correspondance à laquelle Flora a répondu pour sa sœur, mes arrière-grands-parents ne se seraient (sans doute) pas épousés et nos vies en eut été bien changées . . .


* Il s'agit bien de ma "petite mamie", la Flora que nous avons déjà rencontrée dans le billet Capable d'enseigner

 

 

jeudi 23 janvier 2014

Hélas monsieur...

. . . l'enfant se présente mal.
C'est ce que l'on a dû dire à Pierre Martin, marchand vigneron à Conques (Aveyron). Pourtant, jusque là, tout se passait bien. L'année précédente il avait épousé Marianne Amagat, la fille du tailleur d'habit. Bien sûr, il avait pris son temps pour la trouver (il avait 48 ans lors des noces) ; il faut dire qu'il avait mis toute son énergie dans son métier. Lui, le fils de sabotier, n'avait pas repris l'atelier familial, mais s'était investi dans le travail de la vigne. Et cela marchait bien. Et maintenant il le savait : c'était elle. Forcément elle. Les noces avaient eu lieu en mai 1758 et quelques mois plus tard leur union avait été bénie : le ventre de Marianne s'arrondissait doucement. Elle était si belle, avec juste ses 33 ans, rayonnante de bonheur.

Ce 24 avril 1759, la nuit tombe. La soirée est fraîche. La neige a fondu il n'y a pas si longtemps et le brouillard monte, recouvrant la vallée étroite de l'Ouche. Le village de Conques semble flotter au-dessus d'une mer de nuage, lentement envahi par la pénombre. Marianne est dans sa chambre depuis plusieurs heures déjà. Pierre l'entend haleter et crier à travers la cloison. Il a bien tenté d'entrer, mais la matrone et les voisines réunies auprès de la parturiente l'en ont empêché. Enfin, la porte s'ouvre. Pierre pense que c'est fini, que l'enfant est né. Mais en voyant le visage soucieux de la matrone, il comprend qu'il se passe quelque chose d'anormal.
"J'y ai épuisé toute ma science. Il vaudrait mieux appeler Antoine Nolorgues."
Le chirurgien ? Alors la situation est grave. "Qu'on aille le quérir de suite." Il arrive rapidement, mais il n'est pas seul : le vicaire Rolland l'accompagne. 

Dans la maison tout est calme. Seuls les cris de Marianne percent le silence. Mais ils sont de plus en plus faibles. Pierre est dans la salle commune. La flamme d'une bougie perce les ténèbres. Il a beau chercher, fouiller dans sa mémoire, il ne se rappelle plus qui l'a allumée. Il ne pense qu'à une chose : cette phrase qu'a prononcée le chirurgien après un rapide examen de son épouse : "Hélas, monsieur, l'enfant se présente mal. La situation est très préoccupante. On risque de perdre et la mère et l'enfant." De toutes ses forces, il adresse ses prières à sainte Foy, la jeune sainte de l'abbaye, patronne de la ville. Les pèlerins viennent de loin pour la voir. Elle doit sûrement pouvoir faire quelque chose pour Marianne.

A présent tout est silencieux. On n'entend plus rien. Pierre se prend la tête dans les mains. Il ne sait pas ce qui serait le plus terrible : perdre cet enfant qu'il n'a même pas vu; ou perdre son épouse chérie qu'il a trop peu connue.

Enfin, le chirurgien et le vicaire sortent de la chambre. Sans un mot, Pierre les interroge du regard. C'est le vicaire qui prend la parole : "Votre épouse va bien. Elle est très fatiguée mais va se remettre. Malheureusement, nous avons perdu l'enfant. Pour le bien de son âme, nous avons pu le baptiser. Mais lorsque le chirurgien a enfin pu le mettre au monde, il était mort."
___

Est-ce que cela s'est passé ainsi ? Nul ne le saura jamais vraiment. Mais l'acte (de naissance et/ou de décès) peut nous le laisser supposer :


Registre BMS, AD12

Le 24e avril 1759 le sr nologues chirurgien
a baptisé par un pied un enfant de pierre martin et
marianne amagat mariés, et puis la tiré mort lequel
a été enseveli le 25e du mois present au convoy me
jean baptiste Rolland vicaire soussigné et pierre bonal clerc
qui requis de signer a dit ne scavoir


  • La présence du chirurgien montre que le travail a dû être long et que l'habituelle matrone n'y a pas suffit.
  • La naissance a eu lieu par le siège, les pieds en avant, comme l'indique l'acte : le bébé a été "baptisé par un pied" avant que le chirurgien ne le "tire" complètement hors du ventre de sa mère.
  • Cette naissance difficile n'a pas dû être une partie de plaisir pour la mère; sans parler de la douleur de perdre son premier-né.
  • Le vicaire, selon les usages, n'hésite pas à baptiser le bébé alors qu'il n'est pas encore véritablement né, pressentant la mort probable du nourrisson.
  • On ignore le sexe de l'enfant, non précisé dans l'acte. Aucun prénom n'est cité non plus.
  • Le bébé est effectivement mort-né. La mère a survécu.

Pierre Martin et Marianne Amagat auront encore deux enfants, les deux années suivantes; dont notre ancêtre Pierre Jean.

Une pensée pour Marianne et sa famille. Elle est mon sosa n°277.

samedi 18 janvier 2014

Si ce n'est Jean ce sera Denis (ou François)...

On a tous dans nos généalogies des "prénoms générationnels", qui nous paraissent un peu incongrus avec nos yeux d'hommes modernes (si je puis dire . . . ). Par exemple, du côté maternel, je trouve le prénom François donné à cinq générations de Roy (en premier ou second prénom).

Lorsque l'enfant décède, on redonne parfois le même prénom au nouveau-né suivant : ainsi Paveau Jean (lui-même fils de Jean) prénomme ainsi son premier-né Jean. L'enfant décède à 4 mois. Le père prénomme donc un autre fils Jean; qui décède lui aussi (à trois mois). Un troisième fils est prénommé Jean (qui décède à deux ans et demi). Ce n'est que le quatrième fils prénommé Jean qui va vivre jusqu'à l'âge adulte (il aura lui-même un fils prénommé Jean, décédé à l'âge de trois ans).

Parfois, le même prénom se retrouve non seulement sur plusieurs générations qui se suivent, mais aussi dans la même génération : Pochet Jean (père) a prénommé deux de ses fils Jean ; son petit-fils se prénomme, quant à lui, Jean Denis; son propre père se prénomme Denis et son grand-père Jehan. Pour distinguer les Jean de la deuxième génération, on les surnomme Jean « lesné » et Jean le Jeune. 

Au total on retrouve des Jean dans 6 générations de la famille Pochet (sans compter les Jeanne).


Les Jean Pochet de mon arbre


 

S'il y a une fille, on s'adapte ! Bourjot Denis prénomme sa fille Denise et deux de ses fils Denis.

Le record chez moi est détenu par Germain François et Mesenge Catherine qui ont prénommé une fille Françoise (née en 1717) et les quatre fils suivants François (nés de 1718 à 1724) !


dimanche 12 janvier 2014

#Généathème : un acacia

Si mon arbre généalogique était un arbre (sic), ce serait un acacia !


Acacia, PhotoPin

Un acacia : un arbre plein plein d'épines !!! Mais aussi de jolies fleurs, et si les piquants ne vous font pas peur, vous pouvez découvrir le miel*.

Certaines de ces épines ont été dépassées, d'autre non.

Quelques épines, devenues fleurs (ou bourgeons) :

- les archives pas en ligne. Aujourd'hui, la plupart des départements ont mis leurs archives en ligne. quel bond on a pu faire grâce à cela, en quelques années. Bon, restent les archives partiellement en ligne, genre il y a toutes les paroisses/communes du département SAUF les trois qui m’intéressent (pourquoi ? mais pourquoi la Haute-Savoie ?). Je remarque d'ailleurs la grande qualité des archives en ligne du Maine et Loire : qualité de la visionneuse, indexation par année, variété des archives en lignes (bon il ne reste plus que les recensements et succession, mais cela va sans doute venir) . . . De ce fait, c'est la branche la plus développée de ma généalogie. A contrario, les Côtes d'Armor : temps d'affichage très long, indexation par lot et non par année (il faut déjà passer un temps considérable à trouver l'année qui nous intéresse) . . . Donc, je ne connais pas beaucoup "mes" Bretons.

- mes ancêtres suisses. Impossible de consulter les archives suisses depuis la France. L'Association Valaisanne d'Etude Généalogique (AVEG) m'a transmis ses relevés et m'a permis d’appréhender un peu cette branche, mais je n'ai pas vu les actes, alors je suis un peu frustrée.

- la transcription d'actes. Il arrive régulièrement de buter sur un mot, un nom, une formule. La dernière en date "le toit à boure" (cf. fil twitter). Parfois la situation se débloque, d'autres non.

- les "oublis" des curés. Cf. le dernier billet sur ce blog "on joue aux devinettes ?".

- le cas Lejard. Lejard Louise est la grand-mère de mon père. Sa famille est originaire de l'Anjou. Des champions du déménagement : à chaque événement (naissance, mariage, décès), la paroisse est différente. La plupart ont été retrouvés, après beaucoup de persévérance, mais il me manque encore trois actes de naissance. Des actes qui disparaissent : par exemple, Lejard Louis : son acte de mariage indique qu'il est né à Pontigné le 21 août 1770, mais il n'y a pas d'acte à cette date. Enfin, pour couronner le tout, le nom évolue : Lejard, Le Jar, Anjard, Enjard, Angeard.

Une épine, encore :

- l'épine qui m'occupe en ce moment est le dossier militaire de mon ancêtre Astié Augustin. Il est né le 25 janvier 1888 à Angers. Il s'est marié le 5 août 912 à Angers (avec Lejard Louise). Ils ont leur unique enfant à Angers le 12 juin 1913. Enfin, il meurt à Angers le 24 décembre 1974.

Famille Astié, coll. personnelle

Par ailleurs, dans l'album de photo familial, on trouve le cliché ci-dessus. Il confirme que mon AGP a bien été militaire. Il aurait été envoyé dans les Dardanelles : son patron, Bessonneau, ayant emmené avec lui tous ses ouvriers là-bas (selon la légende) - l'usine Bessonneau à Angers fabriquait des hangars d'avion démontables (pour en savoir plus sur ce sujet, cliquez ici). 

Mais sa fiche militaire n'a pas été trouvée aux archives d'Angers. Après de patientes explorations (notamment des archives militaires de ses frères), je m'aperçois que la famille a habité Ivry s/Seine. Selon la tradition orale familiale, d'ailleurs, son père "rechercha par ses propres moyens, à pied, à trouver du travail dans la région parisienne". 

Aux archives de Paris (pour l'ancien département de la Seine où se trouvait Ivry), je trouve bien un Astié dans la classe 1908, mais la page du registre est déchirée : le prénom et le numéro de matricule ont disparu. 

 
Extrait table alphabétique, AD75

Habitant trop loin, j'ai essayé de faire appel au cercle généalogique local, sans succès ( il n'y a plus de bénévole pour l'entraide). Puis directement les archives, idem.

Sur les conseils de Sophie Boudarel, j'ai posté un message sur le forum G'Entraide. Une certaine Nanou m'a signalé qu'elle allait voir aux AD et qu'elle me tiendrait informée des résultats (message du 17 décembre 2013). Depuis j'attends ce que je ne peux faire à distance. Espérons que Nanou, ou une autre bonne âme volontaire, soit mon ange gardien et transforme mon épine en fleur . . .

Mise à jour du 15 mars 2014 :

Nanou m'a confirmé la page déchirée du registre que j'avais vu en ligne. Il y a 11 registres pour l'année 1908, dans ce bureau de recrutement . . .
G. Mairet, bénévole du Fil d'Ariane, aussi contacté, m'a expliqué que ces 11 volumes ne pouvaient pas tous être consultés car certaines fiches de registres ne peuvent pas être communiquées. 
Il a, par ailleurs, trouvé mon AGP dans les tableaux de recensement militaire de la ville d'Ivry (canton de Sceaux de l’époque) en côte D1R1 765, mais sans mention de son matricule militaire.
Que ces bénévoles soient remerciés de leur temps et de leur recherches, même si pour moi les résultats sont (forcément) décevants.

Sans numéro de matricule, la recherche est impossible.

L'épine reste une épine.

A moins que quelqu'un ait une autre idée pour trouver un numéro de matricule ?

Mise à jour du 1er septembre 2014 :

Une simple coup de fil. Il a suffit d'un simple coup de fil, tout à fait innocent. J'ai appelé les Archives Départementales pour savoir s'il existait quelque part une copie des tables alphabétiques afin de relancer mes recherches. Et là, je gentil archiviste que j'ai au téléphone - mon sauveur - me dit que, si je le souhaite, il peut rechercher pour moi directement dans les registres matricules. Ah ? bah oui alors !

Quelques jours plus tard je reçoit un mail m'indiquant que la fiche de mon AGP a bien été retrouvée et que je pourrais en recevoir une copie (contre la modique somme de 3,30 € ). Je m'empresse de faire un chèque et aujourd'hui la lettre miraculeuse est dans ma boîte postale : une énigme de plusieurs années est résolue. Un seul regret : la qualité toute relative de la copie : quelques mentions restent malheureusement illisibles.

Je sais - enfin - que mon AGP :
  • a intégré le 10ème Bataillon de Chasseurs alpins le 17 octobre 1909.
  • a été envoyé dans la disponibilité en 1911.
  • a reçu un certificat de bonne conduite.
  • a rejoint la 22ème COA (Commis et Ouvriers militaires d'Administration) le 15 août 1914.
  • est passé au 2ème groupe d'aviation le 15 septembre 1915.
  • est passé au 3ème groupe d'aviation par réorganisation le 1er janvier 1917.
  • a été nommé caporal le 20 mai 1917.
  • est passé au 1er groupe d'aviation le 7 novembre 1917.
  • a été mis en congé illimité de démobilisation le 20 mars 1919. 
Et plusieurs autres informations :
  • il est père d'un enfant et a eu trois frères tués au combat.
  • a été réformé temporairement et proposé pour une pension temporaire d'invalidité de 10 % par décision de la commission de réforme d'Angers du 24 février 1920 pour séquelles légères de paludisme aigu, foie gros débordant les fausses côtes.
  • maintenu réformé temporaire avec invalidité temporaire de 15% par la commission de réforme d'Angers du 28 décembre 1922 pour séquelles de paludisme; accès se produisant tous les mois environ; foie légèrement débordant; rate non percutable [? lecture difficile].
  • réformé temporaire renouvelé, pension temporaire 15% par la commission de réforme de Tours du 29 janvier 1924 pour reliquat de paludisme.
  • pension temporaire 15% par la commission de réforme de Tours du 20 mai 1925 pour séquelles légère de paludisme. 
  • pension de 365 francs par arrêté du 25 août 1925.

Ce qui explique l'adoption par la Nation de mon grand-père, son fils unique, pour motif d'invalidité à 15% (cf. l'article à ce sujet sur ce blog).

Bon, il reste une énigme : l'histoire des Dardanelles. Je vais maintenant me pencher sur ses différentes affectations pour voir si je peux en savoir plus. Affaire à suivre...


En tout cas, à force de patience, l'épine est devenu une rose...



* A ce propos, le miel d'acacia que l'on connaît chez nous ne vient pas de l'acacia mais du robinier, dit "faux acacia". Et c'est amusant parce que Robin est depuis peu le patronyme le plus présent dans ma généalogie. Mon arbre est un acacia, vrai ou faux...