« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 12 décembre 2014

Nouvelle ère

Avant la généalogie c'était les voyages à la mairie : secrétaires plus ou moins aimables, registres parfois fourrés n'importe comment dans une cave humide, consultation dans la salle du conseil municipal (au mieux).

Avec la mise en ligne progressive, on peut faire ça à son rythme, quand on a 10 minutes (ou plusieurs heures, parce que, moi, personnellement, je n'ai jamais pu m'arrêter au bout de 10 minutes).

On entre aujourd'hui dans une troisième phase, une nouvelle ère : l'indexation collaborative.

Grâce au travail formidable effectué par des bénévoles (et une volonté certaine des archives départementales), il est possible de taper le nom recherché et, avec un peu de chance, aussitôt le nom apparaît. Alors d'accord, le plaisir de la recherche c'est une part importante de la généalogie. Mais entre, compulser pendant des heures des registres (virtuels ou non), à s'user les yeux sur des encres pâlies, pour finalement s'apercevoir qu'il n'y a rien. Rien de rien. Et taper un nom et repérer immédiatement la paroisse, la date, voir même parfois la page directe du registre où se trouve l'acte longtemps recherché. Entre les deux mon cœur ne balance pas trop longtemps.

Quelle joie de trouver enfin un acte resté inconnu, tout simplement parce qu'il était dans la paroisse voisine sans qu'on puisse le soupçonner. Des situations se débloquent souvent à partir de là.
Je citerais par exemple l'excellente base Noms de Vendée.


 Formulaire de recherche Noms de Vendée, AD85

On peut y rechercher une personne, mais aussi un couple. La base donne alors tous les actes où les deux personnes sont citées : naissances ou mariages des enfants, etc... Ainsi quand on ne trouve pas directement la personne, on peut avoir de la chance par ses frères et sœurs. Cela permet aussi de faire des découvertes inattendues.

Par exemple, en faisant une recherche par couple avec Baudin René et Mousseau Marie Anne, deux types d'actes ressortent :
  • un acte de mariage : celui de leur fils René (mon ancêtre).
  • cinq actes de naissance : ce sont les naissances de cinq de leurs enfants (ils en auront dix au total : les relevés ne sont donc pas encore complets). 

Ce qui est intéressant c'est que tous sont inscrits dans les registres de Menomblet, sauf un qui se trouve dans celui de la paroisse voisine de Montournais (bien que les parents soient dits de Menomblet). Cet acte m'avait échappé. Coincé entre deux naissances à Menomblet, comment deviner qu'il y en a eu une autre dans une autre paroisse ? Sans ce type de relevé, impossible de le deviner. 

Bien sûr, on peut ajouter différents critères : dates, paroisse déterminée, orthographe exacte ou approchante...

Et en plus, pas chauvins les Vendéens : de nombreux relevés des communes limitrophes, notamment des Deux-Sèvres, figurent aussi dans la base (mais également de Charente ou Maine et Loire). Ce qui est très précieux pour moi, dont les ancêtres n'ont cessé de naviguer de part et d'autre de la "frontière" des deux départements voisins.

Noms de Vendée recense les informations issues de l'état civil (au sens large), mais a aussi la volonté de collecter celles d'une grande variété d'archives : minutes notariales, registres matricules militaires, recensements de population, papiers fiscaux d'Ancien Régime, tenanciers de seigneuries, archives judiciaires... Cette base est un outil participatif. Il évolue en permanence avec l’ajout progressif des contributeurs : ne pas hésiter à y retourner de temps en temps, donc.

Un accès totalement gratuit aux données est, faut-il le rappeler, d'autant plus appréciable.

Bien sûr chaque médaille a son revers. La puissance de la base nous fait parfois ressortir des actes qu'on n'a aucune envie de voir !

Par exemple, en tapant les noms du couple Landreau Mathurin et Morin Marie, je vois qu'ils ressortent sur un acte de décès : celui de leur fils Mathurin, âgé d'un an et demi en octobre 1706. Or, je tenais l'acte de naissance de Mathurin en février 1705 pour être celui de mon ancêtre. Cet acte de décès vient me prouver le contraire. J'ai donc découvert que mon ancêtre avait un frère homonyme (défunt). Mais il va falloir repartir à la pêche pour trouver la véritable naissance de "mon Mathurin"... (qui n'apparaît pas encore dans les relevés).

Heureux ou malheureux (après tout, ça fait partie du jeu), j'adhère totalement à ce nouvel outil généalogique.



vendredi 5 décembre 2014

L'effet papillon

Article disponible en podcast !


 

Ou comment, selon les spécialistes, un nuage de poussière mena à la Révolution Française.

Tout commence en 1783. Cette année-là, un obscur nuage noir envahit le ciel de France. On retrouve sa trace, notamment dans les registres paroissiaux, où les curés, inquiets, ont noté sa présence effrayante. Ainsi, dans l'Ain :

Registre d'Ochiaz 1783, AD01

"Cette même année, un brouillard continuel a régné tout
l'été
de façon qu'on regardoit aisément et sans être éblouis
le soleil qui paroissoit rouge et d'une circonférence une fois 
plus grande. Le peuple s'en effrayoit. On a éprouvé dans
la même année des maladies épidémiques dans bien des endroits
et surtout dans les pays de gex et bresse. On n'avoit jamais
entendu tant et de si furieux tonnerres et on ne se rappelle
pas d'époque où il eut tué tant de monde et causé d'autres
fléaux que dans cette même année.
Jacquinord curé "

On le voit ce "brouillard" est accompagné d'autres phénomènes : tonnerre dévastateur, maladies et fléaux.

Dans le même secteur, le curé de Champfromier note à son tour : 
 
Registre de Champfromier, 1783, AD01

"La disette de l'année précédente a fait souffrir bien des
gens, mais grace à Dieu, on est parvenu à la moisson
sans que personne en péri par la faim et sans qu'il
y ait en des maladies qu'on avoit lieu du ... ?
à cause des mauvais aliments dont le plus grand 
nombre s'étoit nourri. 
ça été dans le courant de l'été de 1783 qu'on a vu
dans l'atmosphere une espece de fumée ressemblant aux
Brouillards.
Les Physiciens ont beaucoup raisonné et
déresonné sur sur cette fumée qui a été généralement
répandue sur tout notre continent et sur la mer et
qui ne disparoit même encore entièrement à ce moment
quoiqu'elle dure depuis près de huit mois. Les tonnerres
ont été fréquents et effrayants. Ils sont tombés quatre fois
dans cette paroisse, sans y avoir causé de dommages
considérables. Les tremblements de terres, les ouragans, les
innondations ont été fréquents en differents endroits."  

Cette "fumée ressemblant aux brouillards" a été visible dans toute la partie Nord et Est de la France, mais aussi en Grande-Bretagne, Allemagne ou Italie. C'était un brouillard sec, chargé de souffre.

Mais qu'est-ce qui a bien pu provoquer ces phénomènes climatiques exceptionnels ? On le sait aujourd'hui, c'est l'éruption d'un volcan islandais (et oui, déjà), ou plutôt une chaîne de volcans, nommée Laki : l'éruption se déclenche le 8 juin 1783. Au début cette éruption a une forme explosive, puis elle se poursuit avec des émissions de lave pendant des mois, jusqu’en février 1784. Pendant cette période, les cendres recouvrent l’île, entraînant une mortalité élevée parmi le bétail comme parmi les hommes.

En cet été 1783, un puissant anticyclone centré sur le Nord de l’Atlantique envoie le nuage de cendre vers le reste de l’Europe (comme au printemps 2010) : ce sont 80% des émissions de cendre et gaz qui parviennent en altitude et commencent à se répandre. L’émission de dioxyde de soufre (estimée, selon certains experts, à 122 millions de tonnes) provoque alors un épais brouillard sulfuré qui se répand à travers l’Europe occidentale, provoquant des milliers de morts durant 1783 et l’hiver 1784. Un nuage de poussière recouvre les deux tiers de la France, se déposant en partie sur le sol. C'est notre fameux brouillard, signalé par les curés de l'Ain.

Estimation de la trajectoire du nuage de cendre à travers l'Europe 
(montage personnel)

Dès cette époque, certains scientifiques émettent l'hypothèse que les causes de ce brouillard étaient à chercher du côté d'un volcan, en raison des fortes odeurs sulfurées qui l'accompagnaient.

En France, les registres paroissiaux esquissent une surmortalité de l’ordre de 30 à 40% selon les régions, conséquence de cette éruption, notamment entre le 15 juin et le 20 septembre (dates où le brouillard est le plus présent).

Passée la catastrophe estivale, une rémission est accordée en automne. Mais le nuage de cendre a des conséquences sur le rayonnement solaire, entraînant une perturbation des températures. Ceci débouche sur un hiver très sévère en 1784. A nouveau la surmortalité se fait sentir.

Personnellement, je compte quatre ancêtres décédés en 1783-1784 dans l'Ain, et six de plus sur l'ensemble de ma généalogie. Tous les âges sont concernés. Difficile d'imputer ces décès directement à l'éruption du Laki, mais peut-être que...

Ce nuage de gaz volcanique a donc totalement déréglé le climat durant l’année 1783-1784, marquée par des phénomènes météorologiques extrêmes, dont des sécheresses successives et un hiver très rigoureux. Cela va également avoir un impact sur les cinq années suivantes, qui verront s’alterner sécheresses et grands froids provocant disettes et famines pour les populations européennes. 

Et ces famines sont une des causes du déclenchement de la Révolution Française, selon les historiens. Et c'est ainsi qu'un nuage venu du bout du monde fut (en partie) responsable de bouleversements politiques chez nous.

« Un simple battement d'ailes d'un papillon a déclenché une tornade à l'autre bout du monde »

 

dimanche 30 novembre 2014

#Centenaire14/18 pas à pas : novembre 1914

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de novembre sont réunis ici. 

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas directement Jean François.

Sa fiche militaire indique une période "Intérieur" après sa mobilisation et avant d'aller "Aux armées". J'en déduis que c'est la période où il fait ses classes.
Tous les éléments détaillant l'instruction militaire sont issus de "L'infanterie en un volume, Manuel d'instruction militaire" (Librairie Chapelot, 1914) trouvé sur Gallica.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 


1er novembre
- Les deux moyens de lutte de l’infanterie sont le feu et le mouvement en avant.
- Le premier est l’élément de préparation ; le second est l’élément d’exécution.
- Lorsque le feu a suffisamment affaibli l’ennemi, le mouvement en avant lui succède pour aborder l’adversaire.

2 novembre
- Les forces morales constituent les facteurs les plus puissants du succès.

3 novembre
- Il faut résister jusqu’au bout et se faire tuer sur place plutôt que d’abandonner le drapeau.

4 novembre
- L’offensive surexcite la force morale et s’adapte parfaitement au caractère français.
- Elle déconcerte l’ennemi et lui enlève sa liberté d’action.

5 novembre
- Et toujours la gymnastique. Après les séances individuelles, on passe à la gymnastique collective.
Gymnastique, Rueil, Gallica

6 novembre
- Aujourd’hui exercice en pleine nature. Objectif de la compagnie : attaquer le saillant N.E. (une maison au toit bleu).
- La 6è Compagnie à gauche et la section de mitrailleuse ont pour mission de fixer l’ennemi. Les 7è et 8è appuient notre attaque.
- En cas de succès, la compagnie se réorganisera dans le village, prête à reprendre l’offensive.
- En cas d’insuccès, elle devra se maintenir sur la croupe à l’est du village.
- Un refuge pour les blessés est prévu dans le bois proche du village.
- La voiture à munitions marche avec le premier échelon au train de combat du bataillon.
- La voiture à vivres et à bagages ainsi que la cuisine roulante avec le deuxième échelon.
- Le capitaine et les officiers à chevaux en arrière de la fraction.
- Lorsque la compagnie arrive à proximité de l’objectif, elle a subi des pertes et sa capacité offensive est presque épuisée.
- La 7è vient en renfort.
- Le chef de bataillon commande  « en avant ! ». Nos deux compagnies prennent le pas gymnastique, puis le pas de course.
- L’objectif est pris.
- La peur du combat, mêlée à l’excitation et finalement la joie de la victoire.
- Est-ce que ce sera ça, la vraie guerre ?

7 novembre
- Sur le front, on aura sans doute à tenir un point déterminé du terrain, participer au mouvement en avant ou exécuter un mouvement de repli.

8 novembre
- Après l’offensive, la défensive.
- La défensive passive est vouée à une défaite certaine. Elle est à rejeter absolument.
- Seule une défensive agressive donne des résultats.
- Les troupes chargées de la défense ont à livrer des combats qui présentent un caractère offensif : c’est la défense agressive.

9 novembre
- Entraînement tir au canon.
Entraînement tir au canon, Rueil, Gallica

10 novembre
- Les grandes batailles pouvant se prolonger plusieurs jours, on nous prépare au combat de nuit.

11 novembre
- L’infanterie seule est apte au combat de nuit ; elle ne peut compter sur l’appui de la cavalerie ou de l’artillerie.

12 novembre
- Toute attaque de nuit doit viser un objectif nettement déterminé.
- Autant que possible, il doit être reconnu à l’avance, et n’exiger que des mouvements très simples.

13 novembre
- Les attaques de nuit doivent être préparées avec soin et en secret.
- Le chef indique à chacun son rôle, le point de ralliement et le moyen de reconnaissance.
- Nous marchons en rangs serrés, dans le plus grand silence, et attaquons à la baïonnette, sans tirer.

14 novembre
- Des exercices de tirs sont organisés pour déterminer les meilleurs tireurs.
Soldats tirant 1914, Gallica

15 novembre
- Chiens, culasses, baïonnettes n’ont plus de secret pour nous désormais qui savons parfaitement démonter, remonter et entretenir nos armes.

16 novembre
- Au début, on faisait les exercices avec des cartouches à blanc. Depuis peu, on est passé au tir réel.
- La vie et la mort sont désormais à portée de notre fusil.

17 novembre
- On s’exerce toujours à la gymnastique éducative collective deux fois par jours. La durée de chaque séance ne dépasse jamais trois quarts d’heure.

18 novembre
- On entame une série de « travaux de campagne » où on apprend à tirer parti des couverts ou divers obstacles que l’on peut rencontrer.
- Se camoufler derrière un tronc d’arbre par exemple.
Soldat camouflé derrière un arbre, manuel d'instruction militaire, Gallica

19 novembre
- On apprend aussi à améliorer les obstacles. Renforcer le tronc par un masque de terre, par exemple.
Renforcement d'obstacle, manuel d'instruction militaire, Gallica

20 novembre
- Les travaux du jour consistent à tailler une banquette sur une levée de terre, permettant d’être plus à l’aise pour tirer.

21 novembre
- La campagne s’enlise, on le voit bien. Peu à peu les troupes s’enterrent dans les tranchées.
- C’est la guerre de position désormais.

22 novembre
- L’entraide et la solidarité sont nécessaires pour assurer la réussite de toute opération.
Manœuvres militaires 1913, Gallica

23 novembre
- Détonateurs, amorces fulminantes, pétards et cordeau : c’est désormais l’emploi des explosifs qui nous occupe.

24 novembre
- Le rôle de l’outillage portatif est de mettre à la disposition du soldat le moyen de diminuer sa vulnérabilité contre les effets du feu.
- Reconnaître les outils et leurs emplois. Raoul hésite entre pelle-bêche et pelle-pioche !

25 novembre
- On étudie maintenant les tranchées : tracé sur le terrain, profil
- Quelque chose me dit qu’on va en avoir besoin

26 novembre
- La tranchée pour tireur assis s’aménage en moins d’une heure, avec des outils portatifs.
Tranchée pour tireur assis, manuel d'instruction militaire, Gallica


27 novembre
- L’exécution de la tranchée pour tireur à genoux peut durer jusqu’à 1h30, toujours avec des outils portatifs.
Tranchée pour tireur à genoux, manuel d'instruction militaire, Gallica

28 novembre
- La tranchée pour tireur debout, s’exécute en plusieurs phases et peut durer jusqu’à 2h30.
Tranchée pour tireur debout, manuel d'instruction militaire, Gallica

29 novembre
- Pour nous protéger contre les éclats d’obus, nous pouvons construire des abris sous parapets.
Tranchée avec abris sous parapet, manuel d'instruction militaire, Gallica

30 novembre
- Nous révisons les travaux de destruction sommaire que nous serrons amenés à effectuer sur le front : voie ferrée, ligne télégraphique